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L'Oeil électrique #13 | Cinéma / René Vautier

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Par Arno Guillou, Delphine Descaves, Lise Pinoit.
Photos : Arno Guillou.

Documentariste engagé, insatiable dénonciateur du mensonge des grands envers les petits et convoyeur des paroles habituellement négligées, René Vautier a connu la censure sur pratiquement toute son œuvre. Le critique Michel Boujut écrit d'ailleurs à son propos : "C'est le réalisateur qui a eu le plus de problèmes avec la censure… et qui lui a posé le plus de problèmes." Aujourd'hui, ses films demeurent peu connus, car la télévision semble peu encline à les diffuser…

Deux événements semblent avoir été fondateurs de votre engagement : d'une part la Résistance, d'autre part la lutte contre le colonialisme.
Les deux sont liés. J'ai démarré avec la Résistance quand j'étais en sixième ou en cinquième, au lycée à Quimper : des profs nous avaient fait lire des textes de Victor Hugo sur la nécessité de chasser les Prussiens en 1870. Ensuite, je me suis occupé d'un petit groupe de poésie résistante ; quand on est persuadé d'avoir raison de développer un certain nombre d'idées et d'essayer de convaincre des gens de la nécessité de les partager, il faut aussi quelquefois passer aux actes ! A la suite des poèmes, je suis donc passé au relevé des angles de tirs des blockhaus allemands, et à la recherche de leurs dépôts de munitions. Quand on a des grenades, on a tendance à les utiliser, pour la bonne cause, et quand on en voit les effets sur quelqu'un, à 16 ans, soit on devient un tueur, soit on se dit qu'il faut peut-être essayer de trouver une autre solution. Seulement, est-ce qu'on peut se retirer de toutes les luttes ou y a-t-il des moyens de se battre sans utiliser la violence… ? Peut-être qu'avec une caméra c'était possible. Quand on m'a donné la Croix de guerre, j'étais devenu franchement antimilitariste, pacifiste et non violent.

Comment s'est passée la transition ?
Un jour, au maquis, j'ai lu du Claudel aux copains : "Qu'ils sont beaux les morts de vingt ans… Mourir à vingt ans est une chose si simple qu'ils en gardent un sourire ébloui…" On a eu des morts de vingt ans dans le groupe, et aucun n'avait un sourire ébloui. A partir de ce moment-là, les copains m'ont dit : "C'est toi qui étais responsable de ce que tu nous disais. Maintenant pour qu'on ne tue plus des gens avec des conneries de ce genre, tu vas faire des photos ou du cinéma." J'ai choisi le cinéma alors que ce n'était pas une vocation particulière pour moi.

Mais êtes-vous issu d'une famille de militants ?
Non. Ma mère était institutrice, mon père travaillait à l'usine et s'affirmait même comme gérant du capitalisme. Puis l'usine a été fermée, et il est devenu chômeur. Quand j'ai vu ce que donnait le chômage, j'ai essayé de prendre parti sur le plan des luttes sociales.

Comment s'est fait le passage entre la Résistance et la lutte contre le colonialisme ?
Progressivement. Alors que j'étais encore à l'IDHEC, l'Institut Des Hautes Etudes Cinématographiques, j'ai filmé des conflits, d'abord des manifestations d'étudiants contre le racisme. J'avais eu l'autorisation de tournage par la préfecture de police ; à l'IDHEC, on m'a ensuite dit que j'aurais un brassard qui me permettrait de filmer au milieu de la police. Là, j'ai entendu, dans cette curieuse police parisienne qui avait déjà envoyé des Juifs dans les Camps de concentration, des policiers se dire entre eux, 4 ans après la fin de la guerre : "Regarde le petit bicot en face, tu vas voir comment que je vais l'arranger quand on va charger… Et le viêt, à côté… Et le négro, là, je vais lui faire son affaire…" Alors j'ai enlevé le brassard, je l'ai balancé aux policiers, et je suis passé en face… Et je suis resté en face, jusqu'à maintenant en fait. En chargeant, les policiers m'ont assimilé aux bicots-négros-viêts, ils m'ont démis le bras et cassé la caméra. Lorsque je suis rentré à l'IDHEC, on m'a dit que je n'étais pas allé là-bas pour me faire casser la caméra, mais uniquement pour filmer. Le plus important était de filmer. Mais moi je pensais que le plus important était de refléter les choses sous-jacentes à la réalité qu'on filmait.

Après, vous avez tout le temps filmé de cette manière ?
Je me suis retrouvé peu après à filmer la grande grève des mineurs de 1948. Au départ, on tournait un documentaire sur les enfants. Toute la région des mines, le Nord, avait été classée en état de siège. Le droit de manifestation étant interdit, l'armée occupait tous les alentours des puits de mines. Une campagne avait eu lieu pour que les enfants de mineurs soient pris en charge ailleurs, afin de ne pas les mêler à la lutte. Mais peu à peu notre film s'est étendu aux mineurs eux-mêmes, qui manifestaient pour la reconnaissance de leur droit au travail. Quand je suis retourné à l'IDHEC, on m'a rendu mes papiers, confisqués par le Ministère de l'Intérieur, qui demandait une sanction contre moi.

Le film pouvait-il être diffusé ?
Justement, les syndicats pouvant diffuser le film sans demander une autorisation à quiconque, un décret a été émis, que nous avions baptisé décret Jules Moch, du nom du Ministre de l'Intérieur de l'époque. Mais ce n'était pas son vrai nom : en réalité il s'agissait un décret rédigé par le secrétaire d'Etat chargé de l'appliquer, qui s'occupait des questions d'information auprès de la présidence du conseil ; il s'appelait François Mitterrand… Il venait de créer le visa non commercial, c'est-à-dire qu'il fallait avoir une autorisation gouvernementale pour diffuser des films même hors du secteur commercial. C'était enlever aux syndicats la possibilité de se servir de l'image.

Ce décret est-il toujours en place ?
Non. Il a été progressivement abandonné mais quand même longtemps appliqué. C'est entre autres contre ce décret que j'ai été amené à faire une grève de la faim en 1973. On a alors obtenu, sur le plan non commercial, mais aussi commercial, que la commission de censure puisse demander des coupures dans un film en fonction de critères, alors qu'avant, c'était le seul tribunal en France qui n'avait pas à dire pourquoi il condamnait. Les critères étaient pornographie et violence. Mais très peu de temps après, on s'est aperçu de la prédominance de la télévision sur tout ce qui se faisait sur le plan du cinéma. Et maintenant, il est vrai que la censure cinéma fonctionne très rarement ; mais par exemple l'année dernière, sur 150 films réalisés en France, il n'y en a pas 3 qui se sont faits sans l'accord préalable d'une chaîne de télévision. Autrement dit, aujourd'hui pour faire un film il faut avoir l'accord de diffusion d'une chaîne de télévision et leurs responsables ne sont absolument pas tenus de dire pourquoi ils sont d'accord ou pas. Il doit y avoir 6 personnes qui détiennent toutes les chaînes de télé... et qui s'entendent parfaitement entre elles pour ne pas dire certaines choses. Je crois qu'il y a une nécessité de montrer ces connivences. Et certains le font : des jeunes ont monté une chaîne pirate Ondes sans frontières, exactement comme ça se pratiquait avec les radios pirates. Bon, ensuite c'est devenu les radios libres, et maintenant c'est entièrement repris en main par le secteur contrôlé par le fric.

Quel regard portez-vous aujourd'hui sur ce que vous avez réalisé concernant le colonialisme, aussi bien Afrique 50 sur l'Afrique noire que Avoir 20 ans dans les Aurès sur la guerre d'Algérie ?
Je crois qu'en fonction même des gens qui ont combattu ces films, qui ont tout fait pour que personne ne puisse les voir, ils ont eu une utilité. Sinon on ne se serait pas tant acharné contre eux. Pour Afrique 50, j'ai cette lettre de 1997 du Ministère des Affaires étrangères disant : "On vous offre une copie du film, interdit il y a 46 ans, qui vous a valu un an de prison à cette époque, et diffusé maintenant dans plus de 50 pays étrangers, sous l'égide de notre ministère. Une commission a décrété qu'il était utile pour le prestige de la France de montrer, par ce film, que dans les années 50, il existait dans notre pays un sentiment anticolonialiste prononcé."

Ce sentiment existait-il réellement ?
Oui. J'ai un article de journal datant de 1950 qui raconte la première projection d'Afrique 50 avec l'appui des jeunes issus des mouvements de Résistance. Ils se sont regroupés pour voir le film et assurer sa diffusion. Il a d'ailleurs été diffusé par de très vastes mouvements de jeunes, même lorsqu'il était interdit, même lorsque j'ai été condamné pour l'avoir fait. Ils n'admettaient pas que je n'avais pas le droit de dire ce que je pensais de la censure. Cependant, pour Afrique 50, la première projection officielle en France a eu lieu à Cannes sous l'égide du comité France-Liberté dirigé par Danièle Mitterrand, mais c'était dans les années 90. Voilà le cheminement, ce film n'a jamais été inutile. Il montrait la possibilité d'utiliser le cinéma comme arme pas seulement pour le pouvoir, mais aussi contre le pouvoir. Il a d'ailleurs engendré des cinéastes africains. En France, à l'époque du tournage, et jusqu'en 1966 on enseignait la supériorité de l'homme blanc, qui propose le progrès à travers le monde et les bienfaits de la colonisation. Enclencher la bataille sur ce plan-là, c'était donner des armes aux gens qui préparaient les indépendances.

Sans se restreindre à la dénonciation du colonialisme, existait-il auparavant des réalisateurs qui utilisaient le cinéma de manière sociale ?
Un très grand exemple, c'est Joris Ivens, un Hollandais, dans les années 1935-1950. Il a filmé des images de la Longue marche avec Mao, il a tourné sur la guerre d'Espagne, il a réalisé un film sur la construction des digues aux Pays-Bas pour regagner du terrain sur la mer, et pour ensemencer ce terrain. Il a montré que le blé qu'on faisait pousser là-dessus était jeté à la mer afin que les cours du blé ne dégringolent pas ; c'était dans des périodes où le capitalisme cherchait comment utiliser au mieux les ressources pour obtenir le plus de bénéfices et pas du tout pour satisfaire le plus de gens possible. Ce film était assez extraordinaire.

Et en France ?
En France, nous avions Jean Loth, devenu directeur de l'IDHEC quand j'y étais, ainsi qu'Alain Resnais et Chris Marker, qui, deux ans après Afrique 50, ont réalisé un documentaire intitulé Les statues meurent aussi. André Malraux a également réalisé un film sur la guerre d'Espagne, mélangeant des images réelles et un scénario, mais qui n'est sorti qu'après la guerre, c'est-à-dire qu'il n'a pas servi comme instrument pendant la guerre d'Espagne. Il n'a été utilisé qu'à partir de 1945-46.

Vous saviez que vous étiez "pionnier" quand vous tourniez Afrique 50 ?
Non, pas du tout ! J'ai découvert que j'avais fait quelque chose d'utile à partir du moment où on a commencé à vouloir me l'interdire.

Pour ce film et d'autres, à chaque fois que vous les commenciez, vous saviez que, vu le sujet, vous n'obtiendriez jamais les visas d'exploitation et donc de diffusion ! ?a ne vous gênait pas ?
Mais je suis parti tourner Afrique 50 pour la Ligue de l'enseignement ! C'était un film qui était destiné à la diffusion dans les lycées et collèges de France et de Navarre sous l'égide de cette ligue qui passait pour un organisme assez à gauche. Ils voulaient que je fasse un film pour montrer la vie réelle des paysans en Afrique, ce que j'ai fait. Mais j'ai été appelé par la police pour reconnaître l'avoir tourné sans autorisation du gouverneur. Ils l'avaient fait développer et j'ai donc vu tout ce que j'avais réalisé. Je n'ai pu voler que le quart de mon film après ce visionnage et c'est avec ça qu'Afrique 50 a été monté.

Afrique 50 est encore d'actualité. Tout ce que vous y dénoncez, comme l'exploitation des Africains et de leurs ressources par des grandes compagnies, existe toujours, c'est maintenant Elf et d'autres…
Aujourd'hui le film est ressorti en cassette et est diffusé par tous les gens qui s'occupent des sans-papiers. Parce qu'en un demi-siècle, on a foutu en l'air toutes les économies africaines. Et là on était en train de tourner un autre film sur un gros point d'eau en Mauritanie, situé sur la route des caravanes. Dans les années 70, des gars y ont trouvé de l'or et du cuivre. Une mine est donc montée, on engage des gens, et comme on a vraiment besoin d'eux, les prix montent. Si bien que tous les gens qui vivaient dans le coin abandonnent leur lieux de vie pour venir à la mine, pour toucher le salaire. Le patelin passe à 5 000, puis 10 000 habitants. Seulement, pour faire fonctionner la mine, il faut puiser de la flotte, et ceux qui restent encore autour du lac doivent fuir car le niveau baisse. En revanche, la mine fait monter des conduites d'eau pour irriguer les terrains des cadres européens qui viennent s'installer. Et puis le cours du cuivre baisse, à Johannesburg, à Tokyo… On ferme la mine ! Il y avait des milliers de gars qui bossaient là ! Ils retournent chez eux, autour du lac, mais le sable a tout recouvert. Alors ils partent chercher du boulot ailleurs. Les femmes continuent à vivre dans le patelin avec leurs gosses. Elles peuvent même habiter les maisons des cadres à une condition : c'est qu'elles les entretiennent, qu'elles balayent le sable qui recouvre progressivement la ville. Mais entre temps, on a arrêté le film parce qu'on le tournait avec le comité de jumelage de Sevran, et il y a eu un changement aux dernières élections municipales : la droite est passée. Le nouveau patron des activités municipales a complètement saboté le comité de jumelage en disant qu'il ne voulait pas qu'on raconte une histoire de ce genre.

Qu'est-ce que ça vous a fait de revenir sur place, 50 ans après Afrique 50, de refilmer cette exploitation, de voir que c'est toujours pareil ?
Maintenant il faut se battre contre le néocolonialisme, mais aussi expliquer que quand des gens viennent chercher du travail en France, c'est notre responsabilité qui est engagée par ce qui s'est passé chez eux, par ce qui se passe chez eux.

Justement, quel est votre point de vue sur l'Algérie d'aujourd'hui, vous qui avez bien connu le pays juste avant son indépendance ?
On m'a demandé il y a 5 ans : "Comment peux-tu retourner actuellement en Algérie ? Tu es père de famille, tu sais ce que tu risques, là-bas." C'était à cette période où des moines ont été assassinés. Mais pendant la guerre d'Algérie, il y avait quand même dix fois plus de morts que maintenant. J'ai donc moins de risques en ce moment que je n'en avais à l'époque, et je continue à y retourner car j'ai des copains là-bas, et que je veux continuer à dire ce qui s'est passé et qu'on n'a toujours pas le droit de dire.

C'est-à-dire ?
La loi en France interdit de dire ce qui s'est réellement passé pendant la guerre d'Algérie. On a un enregistrement du directeur de la Sûreté en Algérie en 1962, un Français donc, qui dit : "Je ne suis pas sûr que les Français savent que pendant la période de l'OAS, c'est-à-dire pendant les 6 mois de conflits OAS, il y a eu 4 fois plus d'attentats sur Alger que pendant 7 ans d'attentats dus au FLN." Comme personne n'a jamais été poursuivi pour ça, c'est très facile de monter les gens contre tout ce qui est influence occidentale et européenne.

Et de faire disparaître ceux qui les soutiennent aujourd'hui…
Oui, ceux qui parlent de démocratie à l'occidentale, les écrivains, les cinéastes aussi, et les faire disparaître avec les même méthodes que l'OAS. Il y a aussi le fait que, dans chaque noyau de groupe terroriste, il y avait des gars qu'on appelait des "Afghans", c'est-à-dire formés à des techniques révolutionnaires au Pakistan, avec l'appui des gouvernements occidentaux, de la CIA. Ces gens disent qu'il faut utiliser la terreur pour régner ; il faut faire peur aux gens et c'est par la peur qu'on réussira à obtenir leur passivité. Et puis ils ont l'exemple là-bas du succès remporté par ce qu'ils appellent "la terreur sioniste" : au moment des guerres en Palestine, pour faire partir les populations ou pour garder le contrôle sur elles, la terreur a été utilisée, à savoir laisser les soldats israéliens faire une répression telle que les gens sont partis. Il y a 1 million de Palestiniens réfugiés dans des camps depuis 50 ans. Là aussi, l'argument est : "C'est par les mêmes méthodes qu'on arrivera au même résultat." Pourquoi les gens qui se battaient dans les rangs des Palestiniens au Fatah étaient-ils extérieurs à Israël ? Il reste pourtant pas mal d'Arabes musulmans au sein d'Israël. Mais ils sont effectivement passifs, sauf en cas d'utilisation des bombes. Arafat a mené une partie de sa lutte de l'extérieur. Et ils disent qu'Israël qui a gagné à l'intérieur par la violence n'a pas été condamné par la communauté internationale : l'ONU s'en fout.

Vous pensez que les personnes tenant un discours sur les démocraties occidentales ne sont pas crédibles du fait de ce que ces démocraties ont fait en Algérie ?
C'est sûr. Et pour les milieux extrémistes islamistes, le terme même de démocrate, c'est quelque chose qui a une connotation de trahison.

Il semblerait que dans votre carrière, vous avez privilégié le documentaire à la fiction.
J'ai privilégié le fait de donner la parole aux gens à qui on la refusait. Autrement dit, c'était en période de crise que je disais aux gens : "Parlez, racontez… et moi je filme." Donc c'était eux qui faisaient la trame. Mais parfois, c'était plus compliqué : pendant la guerre d'Algérie par exemple, j'ai décidé de faire quelque chose avec un gars qui avait déserté, que j'ai récupéré à la frontière. Mais comme on n'a pas pu le faire à ce moment-là, j'ai écrit un scénario et fait un film basé sur les témoignages que j'avais entendus de gens qui avaient vécu la guerre. Avoir 20 ans dans les Aurès est fondé sur des témoignages, scène par scène.

Quelle différence établissez-vous, concernant le message auprès du spectateur, entre un documentaire et une fiction ?
Dans les deux cas le but est de faire passer quelque chose. Alors il y a les choses que je peux voir et filmer, et celles que j'estime nécessaire de transmettre, mais que je ne peux pas montrer parce que quelquefois, les gens, après m'avoir parlé, refusent de répéter devant la caméra ce qu'ils m'ont dit.

Pour revenir à la censure, quand a-t-elle été condamnée ?
Le problème avec la censure est qu'elle était reconnue officiellement. Les gens, les cinéastes, ne contestaient pas son existence. Alors on s'est dit : "Mais pourquoi ?" Quand je dis "on", c'était, pour moi à partir d'Afrique 50, pour Alain Resnais à partir des Statues meurent aussi. Beaucoup de gens avaient des problèmes avec la censure, et il était temps de se demander pourquoi existait ce tribunal qui pouvait condamner sans donner de raisons. Alain Resnais n'a jamais su pourquoi son film était interdit. Il n'a eu le visa que quand il s'est marié avec la fille d'André Malraux, le ministre de la Culture. C'était presque le cadeau de noce de la mariée au marié ! Mais moi, je ne me suis pas marié avec la fille d'André Malraux !

Est-ce que la commission actuelle, la commission de classification, pratique encore la censure ?
Ma grève de la faim, je l'ai menée sur le thème : la censure est politique. Et contraire donc à la citoyenneté. Quand il s'est agi de délimiter la censure, ça s'est réglé avec la lettre que le Ministre Duhamel m'avait envoyée en Bretagne, à Quimper où j'étais à l'hôpital, et il a précisé que la commission devrait respecter les critères de pornographie et violence.

Les critères politiques ne pouvaient donc plus rentrer en ligne de compte...
Voilà. Mais la libéralisation est venue d'une manière très curieuse, parce que la classification X a été créée. Les films X n'étaient pas interdits. Mais les producteurs n'avaient plus aucun endroit où ils pouvaient diffuser les films à contenu politique : les grands circuits ne les diffusaient pas et les anciens petits diffuseurs préféraient avoir l'étiquette X, qui leur assurait des films en suivi et leur permettait de tenir face aux grands. La réputation X de ces petites salles faisait qu'ils ne diffusaient plus de films politiques.

Vous obteniez tous les visas pour vos films à ce moment-là, visas nécessaires pour la diffusion en salles commerciales ?
On l'a demandé pour Avoir 20 ans dans les Aurès et Quand les femmes ont pris la colère. Mais j'ai refusé de le demander pour Marée noire et colère rouge, car je voulais le diffuser dans notre propre réseau sans le proposer aux autres réseaux. On le diffusait dans les MJC, dans les comités d'entreprises, les universités.

Mais pourquoi ce refus ?
Il y avait aussi des raisons économiques : sur le réseau commercial, la diffusion serait restreinte, et on s'est aperçu qu'on avait plus de spectateurs pour Avoir 20 ans dans les Aurès dans le secteur non commercial que dans le secteur commercial, où pourtant ça avait été un succès. C'est le film qui a eu le plus de spectateurs en pourcentage, par rapport à l'argent engagé pour le faire, de tous les films français ou étrangers pendant longtemps. Ensuite, ç'a été le film le plus diffusé dans les ciné-clubs, les maisons de quartier, etc. 300 000 spectateurs dans le secteur commercial, et 700 000 dans le non commercial. Donc on s'est dit que ce n'était pas rentable d'agrandir le film en 35 mm, et aussi sur le plan de la liberté, ce n'est pas seulement pour nos films à nous, mais aussi pour les réalisateurs qui n'ont pas l'estampille Vautier, c'est-à-dire primé à Cannes… De la même manière que j'ai toujours refusé le brassard que la profession pouvait me donner pour aller filmer les manifestations.

Le naufrage de l'Erika a dû vous rappeler de mauvais souvenirs…
Sur toute la zone sud de la Bretagne, des gens qui ont eu la trouille de la pollution ont diffusé Marée noire et colère rouge après le naufrage de l'Erika et ont dit : "Pourquoi n'a-t-on pas vu sur les chaînes de télé ce film de Vautier tourné après l'Amoco Cadiz en 1978, et qui appelait à prendre des mesures ?" Ils veulent poser la question, et poser la question aujourd'hui c'est effectivement un moyen de se battre pour obtenir des changements sur le contenu de ce qui se passe à l'intérieur de la télévision. Bon, cela dit, l'information sur l'Erika est certainement plus conforme à la réalité que celle qu'il y a eu sur l'Amoco Cadiz.

Vous voyez un changement ?
Ah oui ! Davantage de transparence. L'affaire de l'Amoco avait été enterrée très rapidement. Alors le problème est d'essayer maintenant de mettre les gens devant leurs responsabilités et de dire qu'on a laissé passer l'utilisation de l'image pour pérenniser un événement. Mais le docu a été utilisé ailleurs : Marée noire, colère rouge a été projeté par les Lapons, les Inuits, quand l'Exxon Valdes s'est échoué en Alaska. Et le gouvernement américain a pris des mesures là-bas ; on dit que les Américains ont des textes très stricts pour les pétroliers sur les côtes américaines, mais ils vendent les pétroliers trop vieux en Afrique et ils reviennent sur les côtes européennes car il n'y a pas d'interdiction ! On n'ose pas les interdire, ici. Déjà, les rapports entre le gouvernement français et Total, c'est pas piqué des vers !

Marée noire, colère rouge n'est toujours pas passé à la télé. Il y a eu aussi le cas récemment du film Pas vu, pas pris de Pierre Carles : c'est là aussi un film non censuré politiquement mais que personne n'a voulu produire ni diffuser à la télé.
C'est la censure télé. Au départ Pas vu, pas pris était un film pour la télévision qui critiquait la télévision. Dans Marée noire et colère rouge, on voit 80 000 Brestois qui crient : "Radio, télé, informations bidons" et le film a été interdit pour cette raison. On m'a dit d'enlever cette séquence et qu'il pourrait passer sur une chaîne en France. J'ai dit que je n'enlèverais rien du tout. Je l'ai fait avec les gens du coin pour refléter leur mouvement. Jamais je ne plierai devant quelqu'un qui vous dit de couper quelque chose. Et ils ne l'ont pas diffusé. La réponse a été claire : la télévision ne s'autocritique pas.

La censure télévisuelle est plutôt économique que politique.
Ce n'est pas plutôt. La censure existe sur le plan politique aussi. Enfin, maintenant, je ne sais pas. En tout cas, il y a une dizaine d'années, un gars était venu me dire : "Est-ce que, pour la télévision, tu accepterais de faire une cassette sur les otages de Châteaubriant ?" Les otages de Châteaubriant sont les 21 premiers types qui ont été fusillés comme otages par les Allemands en 1941 après qu'un officier allemand ait été tué à Nantes. Dans le camp le plus proche, celui de Châteaubriant, géré par les gendarmes français, des gens étaient emprisonnés pour leurs activités de résistance ou politiques. Et c'est parmi eux que le préfet a choisi, à la demande du Ministre de l'Intérieur français, 21 personnes qui ont été fusillées. Le gars, c'était un ancien ministre de de Gaulle, un rescapé de Châteaubriant. Les 21 avaient accepté de mourir. Ils ont dit à leurs copains : "Non, pas de révolte, parce que ça ferait 500 morts au lieu de 21, mais dites plus tard comment on est morts." On va voir avec les chaînes de télé, et finalement une seule nous répond, un gars qui me dit : "Mais non, tu sais très bien qu'on ne peut pas faire de film là-dessus, parce que c'est contraire à l'Histoire officielle." Mais c'est l'Histoire pourtant. C'est quoi, "l'Histoire officielle" ? Eh bien ! dans ce cas-là, c'est le fait que les communistes ne sont rentrés en résistance qu'à partir du moment où l'URSS a été envahie. Donc comment parler de communistes qui étaient emprisonnés en tant que résistants avant l'invasion de l'URSS ? Ca n'existe pas ! Ca n'est pas possible !

Vous avez quand même tourné le film ?
Oui, on a fait ce film, Châteaubriant, mémoire vivante. Dans le camp, il y avait aussi le seul magistrat qui avait refusé de prêter serment à Pétain. Il voulait faire la justice pour une république, pas pour un chef d'Etat. Bon, en taule ! 3 ou 4 ans après la guerre, quand il est mort, il a été décidé de faire une plaque à son nom et les associations de résistants ont dit qu'ils allaient la mettre à l'intérieur du palais de justice. Eh bien, personne ne sait où elle est, cette plaque ! Parce qu'il y avait marqué dessus "Le seul magistrat qui ait refusé de prêter serment à Pétain", et que tous les autres magistrats qui avaient eux servi Pétain sont restés en place après la guerre. Donc impossible là encore de faire un sujet là-dessus.

Comment peut-on lutter contre cette censure plus diffuse ? C'est beaucoup moins évident que contre un "ennemi " ciblé comme l'était la commission de censure.
Justement. Ca m'intéresserait de travailler sur le sujet en montrant la disparition des Diplodocumentaristes. Les diplodocus ont disparu quand leur environnement ne leur permettait plus de vivre. Des gens comme Yann le Masson, Bruno Muel, se sont battus pour montrer des choses qui mettaient en cause le pouvoir politique. Le pouvoir politique, c'est aussi l'émanation de l'économie, le pouvoir de l'argent, le pouvoir des patrons. Mais maintenant sur le plan des rapports avec la télévision, il y a une telle explosion qu'il faut trouver autre chose sans renoncer à s'exprimer ; or nous, les diplodocumentaristes, on ne sait plus. On ne connaît pas les nouvelles voies, Internet, ces nouveaux moyens de lutte…

Et vous ne vous sentez pas de place dans tout ce qui se monte en ce moment ?
Je ne me sens pas indispensable. D'autres peuvent le faire. Moi, maintenant, je joue à l'historien par rapport à ce qu'on a tourné.



Les documentaires et films de René Vautier, vous l'aurez compris, ne sont pas visibles à la télévision. Ils passent de temps en temps dans des salles spécialisées, cinémas indépendants, etc. Ne les ratez pas ! En ces temps de marée noire, par exemple, l'indispensable Marée noire et colère rouge tourné en 1978, est tout à fait d'actualité. Extrait d'un commentaire de Vautier sur fond de manifestations à Brest, quelques jours après que l'Amoco Cadiz se soit échoué : "Les syndicats de la mer faisaient circuler des tracts expliquant ce qu'étaient les pavillons de complaisance, ce moyen toléré par les gouvernements de contourner les normes de sécurité des conventions syndicales maritimes, et qui permet aussi aux grandes compagnies du capitalisme mondial de se trouver des paradis fiscaux à l'abri des taxes et des impôts. La Shell faisait naviguer [ses cargaisons] sous pavillon libérien, Raymond Barre était actionnaire au Liechtenstein, le rapporteur sur les mesures prises contre la pollution, député de la majorité, nous démontra qu'il était plus ou moins actionnaire d'armements de complaisance. Comme quoi, on est bien gouverné pour lutter contre ces pratiques…". Tout est dans ce film : le plan Polmar, les produits cancérigènes qui voyagent avec le pétrole, le désintérêt de l'Etat envers les bénévoles et les populations de pêcheurs, les moyens mis en jeu pour refaire venir le touriste l'été suivant… Il suffit de remplacer "Amoco" par "Erika", et nous voilà en 2000. En même temps, on sort de la projection en rage de constater que plus de 20 ans après, aucune mesure d'envergure n'ait été prise pour éviter une catastrophe dont l'origine est bien politique, et non climatique.


Afrique 50, le premier film anticolonialiste français, est un documentaire sur la situation économique et humaine en Afrique noire.
Avoir 20 ans dans les Aurès traite de la guerre d'Algérie.
Alain Resnais a lui aussi commencé sa carrière avec des films militants : Nuit et brouillard sur les camps de concentration et Les statues meurent aussi sur la colonisation. Il changera ensuite de style avec des films comme Hiroshima mon amour ou On connaît la chanson.
Marée noire, colère rouge est disponible auprès de :
Cinémathèque de Bretagne - 2, avenue Clemenceau - BP 6611 - 29266 Brest Cedex (120 francs + 30 francs de port)
Centre de culture populaire - 16, rue Jacques Jollinier 44600 Saint-Nazaire