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L'Oeil électrique #5 | Graphisme / Paul Bloas, transpirateur de murs

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Par Hervé Géréec.

N’avez-vous jamais rencontré, au détour d’un coin de rue, d’une porte ou d’un escalier, un géant qui part en lambeaux ? Cela pourrait vous arriver lors d’une promenade à Berlin, Beyrouth, Bordeaux, ou dans bien d’autres villes encore.
Ces étranges personnages sont l’œuvre d’un insatiable voyageur qui a choisi les murs pour s’exprimer. Ou plutôt, ce sont les murs qui l’ont choisi pour s’exprimer. Jusqu’à présent ils avaient des oreilles, ils ont maintenant une bouche pour raconter tout ce qu’ils ont entendu. Car Paul Bloas les fait parler ; plus précisément, il les fait transpirer.
La peinture tonitruante de cet artiste brestois vous remue au plus profond de votre chair. Ces colosses tremblants sont un condensé des passions humaines, balancé sur le papier avec l’énergie du désespoir. Ils ont le poids du monde sur les épaules mais leurs rondeurs et leurs couleurs délavées par les affres du temps les rendent incroyablement proches, tout simplement humains.

J’ai remarqué que la plupart des villes où tu as bossé commencent par B.
Ouais, les villes du début. Mais c’était un hasard qui est devenu une fatalité. Dans ces villes, c’était plus un travail où je me formais à vrai dire. La fin de cette période, ça a été le boulot à Belgrade, Budapest et Berlin en 93, sur un univers un peu tzigane, car en fait, j’étais parti à leur rencontre. Après, en me portant sur cet univers j’ai monté une histoire, La réussite de Boris qui aboutissait à la prison de Pontaniou, à Brest.
C’était un travail fort, mais un peu glauque. Alors j’ai essayé de trouver quelque chose de plus porteur d’espoir et je suis parti à Beyrouth. Un lendemain de guerre, c’était forcément porteur d’espoir. Là-bas j’ai travaillé sur des enfants de déplacés. Mais je suis retombé dans le même panneau. Un gamin c’est bien beau, mais quand ça pousse sur un tas de merde… C’est pas forcément gai.

Pourtant, à ce qu’il parait les plus belles roses poussent sur les plus gros tas de merde...
C’est pas faux. C’est peut-être là que je les ai vues les plus belles roses.
Après j’ai travaillé à Barcelone et un peu plus en France. J’ai fait une intervention sur Paris, puis sur Bordeaux et un gros truc pour Brest 96 (j’ai couvert les murs du port pour cette manifestation).
Voilà en gros l’historique.
Mon travail m’a toujours guidé vers une certaine marge involontaire. Il s’agissait de travailler sur un individu à qui on a enlevé quelque chose (par exemple son travail ou sa femme) et de voir comment il pouvait dériver. À Bilbao, j’ai travaillé sur un univers sidérurgique. À l’époque on commençait à fermer toutes les usines. Il s’agissait de voir ce que pouvaient devenir les gens, parce qu’ils avaient perdu leur boulot et leur existence sociale. Jusqu’en 94, Beyrouth, c’était à peu près ça.

À Bordeaux, tu as également fouillé dans l’histoire du lieu sur lequel tu intervenais ?
Tout à fait, c’était un site qui m’intéressait. La Bastide : un très gros bassin d’emplois jusque dans les années 70, une zone rouge. Maintenant c’est un quartier voué à l’abandon.
J’ai rencontré sur le site un type qui y vivait depuis longtemps. Le chanteur de Noir Désir également vivait dans le quartier. Il ne connaissait pas à vraiment l’histoire des lieux, mais il en parlait d’une certaine manière à travers ses textes. J’ai un peu mêlé les deux : les textes de Bertrand Cantat, qui sont très sociaux en général, et le lieu. C’est quand même très lié.

C’était des textes tirés d’un album ?
De deux albums : Tostaky et Club 666. Sur la vingtaine de dessins collés, une dizaine étaient en liaison directe avec les textes de Bertrand. 15 jours après, le groupe faisait un gros concert sur le site. On bossait dans la même zone pratiquement en même temps, on s’est dit pourquoi pas faire un truc ensemble. Ils ont d’ailleurs fait une pochette de disque de ce boulot. En fait y’a énormément de hasard dans cette rencontre.

Comment en es-tu arrivé à peindre pour les murs ?
À vrai dire, c’est tout con. Durant mes études j’étais pion. Et avec les congés payés je voyageais, principalement en Europe. Quand je revenais aux Beaux-Arts, dans une petite ville comme Brest, j’avais du mal à m’y faire. Donc je voulais tourner mon travail vers l’extérieur.
Ma première intervention, c’était un personnage de taille humaine en matière souple que je traînais dans ma bagnole. Y’avait déjà une petite histoire derrière. Ensuite j’ai commencé à coller des silhouettes. Puis, j’ai profité des lieux pour créer ce phénomène d’histoire, d’ambiance.
Histoires et ambiances se sont mêlées quand j’ai travaillé avec d’autres personnes. Par exemple en 86, j’ai travaillé sur l’univers de Hervé Baru qui fait de la BD. j’ai travaillé aussi avec un cinéaste, Olivier Bourbeillon et l’idée de scénario est entrée dans ma peinture.
J’ai l’impression d’aspirer les choses qui sont autour de moi. Le but, c’est de devenir le plus transparent possible, ne plus exister derrière ce qui nous entoure. On accumule alors tellement de choses, qu’on existe à ce moment-là et on est obligé de les libérer. Moi je les libère à travers la peinture. Quand je suis en période de repérage et de rencontre, je me fais le plus transparent possible. J’existe pas vraiment, je ne fais qu’absorber.

Donc la base de ton travail, c’est pas forcément le lieu.
Ah, si. C’est comme si on était une bouteille avec un entonnoir : on aspire, on aspire, on aspire, on gonfle, on gonfle, on gonfle. Mais on existe pas vraiment, c’est l’extérieur qui nous fait exister. Sans les gens, sans le paysage, sans le social on n’existe pas. Ce qui fait qu’on commence à larguer quelques coups de crayon sur une feuille. Mais à la fin, on devient un peu comme un chien, on vientmarquer le territoire avec ces personnages. Moi je ne pourrais pas travailler directement en atelier, en me nourrissant de bouquins. J’ai besoin d’aller sur le terrain. C’est un travail qui s’apparente un peu à celui du journaliste. Y’a pas mal de points communs dans la façon d’arpenter le paysage, de rencontrer les gens.

Ces lieux qui te servent de support, ils font toujours partie du passé... ils sont toujours un peu en ruine ?
C’est des lieux qui ont vécu, en majorité en ruine, mais pas forcément. Beyrouth avait vécu la guerre, la prison de Brest était désaffectée, à Berlin c’était des ruines d’avant-guerre. Pour moi ce sont des lieux essentiellement porteur d’imaginaire, les architectures fraîchement construites, j’arrive pas encore à les approcher. Ce serait m’imposer, ce serait à moi d’apporter quelque chose dessus, alors que sur une architecture qui a vécu, je ne suis qu’un vecteur, un révélateur de choses. C’est totalement différent. Sur un objet qui a vécu, on intervient un peu comme un tatoueur, on vient graver quelque chose sur une peau qui a vécu.

Dans la mise en scène de tes personnages, on sent une certaine souffrance. C’est systématique ?
Je travaille principalement sur des lieux qui ont souffert, forcément, ça influence le boulot. Mais y’a eu deux interventions très à part : une dans une église à Tulle en Corrèze, c’était sur le Dieu Pan et la vierge Marie. L’autre, c’était le travail avec Hervé Baru. Là, ça sentait une espèce de joie de vivre, mais ça venait d’un truc qui m’était extérieur, la bande dessinée.
J’ai l’impression que la vie c’est une plus grande part de souffrance, Mais on garde surtout les bons souvenirs. Pour tout le monde c’est à peu près la même chose, on essaye d’effacer les mauvais, puisqu’on ne peut évoluer que dans un esprit positif.

Dans l’aspect narratif de ton travail, n’as-tu pas l’impression de romancer les choses ?
Mon travail n’a rien de réel, ce n’est pas un travail photographique. Je déforme complètement les choses, déjà les personnages : ils ont des petites têtes, des mains grosses comme des portes de frigo, ils sont surdimensionnés et difformes. Je dirais que c’est une lecture plus poétique du paysage. Je les déforme pour les décoller de la réalité. J’essaye de les tailler un peu comme des fusées, très pointus vers la tête, un peu vu d’un chien.

Quels sont tes goûts ou références en matière d’art ?
L’un des premiers mouvements qui m’ait vraiment impressionné, c’est l’expresionnisme (sic). Des types comme Otto Dix ou Georges Grosz et leur critique de la république de Weimar, le boulot de Kokochka, les précurseurs comme Munch, m’ont vraiment intéressés.
Les boulots que j’aime bien dans ce qu’on peut voir actuellement, c’est des types comme Bazelitz ou Barcelo. Mais j’admire en même temps le travail de Palka qui ne dessine que des chiffres. Je trouve son travail d’une folie…c’est très castrateur, mais en même temps, par rapport à l’aliénation de la vie quotidienne, c’est un miroir. Il est purement dans le concept ; moi je suis à l’opposé de ça.

Tes personnages expriment toujours une certaine force, jamais une fragilité.
C’est vrai qu’ils sont forts du point de vue de leur stature, mais en même temps ils ne sont que du papier. J’ai besoin de taper dans les opposés. Je travaille généralement sur des lieux-dits en péril, et j’essaye d’accompagner ce péril par des images également fragiles. Et à côté de ça, j’essaye d’accompagner aussi le côté monumental, le côté fort de l’architecture en mettant des personnages qui ont une stature forte. J’essaye de faire partie intégrante de l’objet.

Je sens également une certaine urgence dans ton trait.
Le trait, il est complètement influencé par l’architecture, parce que les bâtiments qui ont souffert retrouvent une certaine brutalité, et moi, j’ai plutôt tendance à travailler dans une certaine brutalité. Mes personnages, ils sont bruts, c’est presque de l’ébauche. Y’a une urgence, on ne fignole pas les traits, c’est le premier jet qui compte. Après ça passe ou ça casse, c’est tout. Je me suis jamais imposé un style, c’est des choses qui viennent… Finalement, on ne fait que dégueuler tout ce qu’on a pu absorber. Quand t’as passé trois semaines de repérage à Beyrouth, t’es une véritable éponge, et tu reviens dans ton atelier, "prrrfff", ça sort à une vitesse. T’es pas là pour faire dans la finesse. Les informations, tu les stockes que quelques temps, donc il faut travailler hyper rapidement. Je ne prends pas beaucoup de notes, j’essaie de travailler dans le frais. Le fait est que si on retouche pas le dessin dans les deux jours, on a perdu l’information, le dessin on peut le foutre à la poubelle. Ou alors on fait du style, c’est tout.

J’ai l’impression que tu ne prend ton pied qu’avec des très grand formats.
Oui, y’a une gestuelle… Moi, je suis tout le temps en mouvement, je supporte pas de rester planté comme ça dans un endroit. Et donc, le voyage amène le mouvement, le mouvement amène la peinture… Quand on travaille sur un petit format, c’est le poignet qui travaille. Sur un grand format, c’est le bras, c’est le corps qui travaillent. On n’arrête pas de courir sur une feuille, de la remonter. C’est un travail physique encore lors de l’installation. Pour ça j’aimais bien Pollock aussi.

Dans une exposition au Quartz, à Brest, en janvier 1998, tu as présenté des carnets de voyage.
Pour créer les personnages, il faut s’imprégner du lieu, rester sur place. Alors je dessine, je prends des photos. Après je ramène tout en atelier et je vois les dominantes de couleurs, des choses comme ça. En fonction de tous ces crobars, je vais dessiner un personnage, un deuxième… Ensuite je les mets dans une pièce, et y’a une ambiance qui se crée sachant que tous les personnages ont été considérés par rapport à des murs précédemment sélectionnés.

Et au niveau projets ?
Je reviens de Madagascar, où j’ai vécu toute mon enfance. Je pense y retourner dans 6 mois pour faire une intervention. Y’a plein de projets également pour l’an 2000, mais pour l’instant rien n’est fixé. On devrait pouvoir retrouver mes personnages dans des grandes villes en France.
Y’a également des affiches à venir, mais c’est pareil on peut pas vraiment en parler parce que c’est pas encore accepté. Peut-être un projet d’édition aussi, mais plutôt après l’an 2000. Je prends mon temps, j’attends qu’il y ait quelque chose d’abouti à sortir.
Dans notre vie on fait un objet seulement. On a beau peindre des tas de figures, on fait toujours la même.