Warning: mysql_num_rows(): supplied argument is not a valid MySQL result resource in /mnt/153/sda/7/9/oeil.electrique/php/en-tetes.php on line 170
L'Oeil électrique #3 | Société / Benoît Delépine

> C’EST BEAU LA VIE
+ Comment devenir riche

> SOCIÉTÉ
+ Benoît Delépine
+ S’informer sur l’information
+ L’abandon en France
+ Corps et contraintes
+ Le nain de jardin, agitateur?

> BANDE DESSINÉE
+ Olivier Josso et Laure Del Pino

> VOYAGE
+ Une autre Tunisie

> CINÉMA
+ Pierrick Sorin

> MUSIQUE
+ Asian Dub Foundation
+ Psychanalyse et paroles

> MÉTIER
+ Educatrice spécialisée

> NOUVELLE
+ Portrait de lectrices en marche
+ La peau de la vieille

> 4 LIVRES : INDIENS
+ Vikram Seth : Un garçon convenable
+ R.K. Narayan : Le Guide
+ Anita Desai : Le feu sur la montagne
+ Salman Rushdie : Les Versets Sataniques

> NOUVEAUX SONS
+ Dirty Three : Ocean Songs
+ Tortoise : TNT
+ Kreidler : Appareance and The Park
+ Chris & Carla : Swinger 500
+ The little Rabbits : Yeah!
+ Fun’da’mental : Erotic Terrorism
+ Badmarsh & Shri : Dancing Drums
+ Jay-Jay Johanson : Tatoo
+ Fajt/Meneses : Songs for the Drums

> JAMAIS TROP TARD
+ Eloge de la marâtre
+ Paris le jour, Paris la nuit
+ Le principe de Peter
+ Thomas Ott, Exit
+ De Crécy-Chomet, Priez pour nous
+ Blutch, Péplum

Par Stéphane Corcoral.
Photos : Kate Fletcher.

Lors de notre première entrée en contact au téléphone, après avoir pris rendez-vous avec Benoît Delépine pour cet entretien, et juste avant de raccrocher, il m’annonce : " Je sais pas si tu me reconnaîtras parce que j’ai beaucoup grossi depuis mon échec. " Allusion au raté de son film, Michael Kael contre la World News Company, cette petite phrase résume aussi à elle seule le Delépine qu’on aime : il vous met immédiatement à l’aise en balançant un truc sérieux, qui le touche profondément, enrobé dans une petite blague (blagues qui se révèlent souvent bien plus… saignantes quand il se déchaîne). Voici donc l’inventeur génial de la World Company, le Michael Kael complètement débile du journal de Moustic, le gars qui nous dit qu’il veut arrêter de parler des médias, mais qui ne fait que ça pendant une heure et demi…

Dans tout ce que tu fais, on retrouve un mélange de grosse déconne avec des thématiques sous-jacentes plus graves…
Oui, mais par exemple pour le film, je me suis peut-être allé trop loin dans le sérieux. Il y a beaucoup de gens qui ont été déçus de pas retrouver le Michael Kael purement gag, style j’encule un mouton, etc. Mais bon, avec ce film je voulais vraiment dire quelque chose, donc le fond a primé. Peut-être que je suis allé trop loin… J’en sais rien. C’est marrant parce que je m’étais juré de faire une adaptation de Don Quichotte avant l’an 2000, et je me suis rendu compte que j’avais vécu cette histoire. Je me suis lancé à l’assaut du monde médiatique et des Américains tout seul sur mon cannasson avec ma vieille lance et mon casque en carton… et je me suis pris un énorme moulin dans le gueule ! Là je suis en train de m’en remettre.

Donc le film n’a pas tellement marché…
Moins que ce que le producteur espérait en tout cas.

Et toi ?
Moi j’espérais 40 millions d’entrées.

C’était raisonnable…
Et finalement, c’était un peu moins.

Comment tu as vécu cette situation ?
Je vais te raconter ma journée le jour de la sortie du film. Je descends de chez moi, je vais acheter mon Libé : je l’ouvre et je prends ma première claque dans la gueule. Après je prends mon bus, je vais à la Maison de la Radio pour aller faire l’émission de Laurent Ruquier où j’étais invité, il est à peu près dix heures moins le quart. Dans le bus, on m’appelle sur mon portable : c’est mon producteur, Charles Gassot, qui me dit d’une voix blanche : " C’est foutu ! C’est mort ! " " Comment ça c’est foutu… ? " " La première salle des Halles vient d’ouvrir à neuf heures et demi. On attendait cent vingt personnes et il y en a eu quarante. " En fait ils savent au bout d’un quart d’heure si ça va marcher. À partir de ce chiffre ils savent à peu près quel va être le parcours du film. Alors j’arrive en titubant à la Maison de la Radio, à moitié KO. Je me retrouve devant Ruquier, et le principe de l’émission ça a été de me lire en direct toutes les mauvaises critiques que j’avais pas lues le matin. Je me prends encore quinze barres de fer dans la gueule. Je tombe dans un restaurant où on s’était tous donnés rendez-vous avec le distributeur, etc. Ils arrivent les uns après les autres, ils sont tous verts et tout le monde dit : " ça marche pas. Ça marche pas. "… J’ai fini la soirée ivre-mort au bras d’un clochard par terre.

Tu retires quoi de toutes les critiques ?
Peut-être que j’avais le cul entre trop de chaises : le film était en même temps marrant et sérieux, militant et commercial, en américain et en français… et je me suis retrouvé le cul par terre. Je le saurai pour la prochaine fois. Mais je voulais vraiment faire un film un peu " pédagogique ", qui puisse être vu par beaucoup de gens un peu partout.

Dans cet esprit pédagogique, il y a une image qui était assez marquante : quand tu étais à Nulle Part Ailleurs pour parler de ton film, tu expliquais que la Guerre du Golfe était une énorme escroquerie. Tu disais : " C’est comme si on voyait un pauvre clochard avec un canif tout rouillé et qu’on le descendait au bazooka en disant qu’il était dangereux ". Ce qui était assez marrant, c’est que tu expliquais tout ça à Guillaume Durand, qui était un peu la figure emblématique, la " star " de la Guerre du Golfe.
C’est vrai que je me suis pas mal retenu pour pas lui en balancer. Je lui ai lancé quelques petits trucs comme ça, et c’était dur de l’avoir en face de moi. En fait, comme beaucoup d’autres, il s’est jamais excusé, il a jamais dit : " on a fait une erreur ". De toutes façons, la seule fois qu’il a fait ça, c’était avec le coup de Pauline Lafont, et c’était complètement déplorable. Mais sur ce coup là en fait, il m’a abordé avant l’émission pour me dire que je pouvais parler de la Guerre du Golfe si je voulais, mais que de toutes façons, ça n’intéresse plus personne ce genre de choses…

Toute ces émissions que tu a faites pour la promotion avant la sortie du film, ça a dû être une expérience tout à fait nouvelle ?
C’est vraiment bizarre comme impression… On est pris dans une sorte de tourbillon avec toutes les émissions, les tournées des cinémas en province… La pire émission que j’aie faite, c’était Delarue. Il a pas du tout parlé du film, il a juste fait manger des fromages français à Victoria Principal. Mais dans l’ensemble on a réussi à éviter les trucs vraiment merdiques, on a pu freiner au maximum, refuser certains trucs au dernier moment… Ceci dit, pour mon producteur, passer la bande annonce dans une émission qui est regardée par huit millions de personnes, c’est important, donc il faut trouver une solution intermédiaire. Quand on dit non, il faut quand même avoir des bonnes raisons. En même temps, je suis pas certain que ça ait une importance aussi énorme. Par exemple, Balasko a fait une émission spéciale sur TF1 pour son film : il y a eu douze millions de personnes qui ont vu l’émission, et ça a pas marché pour autant.

C’était quand même une coïncidence étonnante que le film sorte à peu près au même moment que les épisodes qui auraient pu mener à la Guerre du Golfe II.
Et j’ai pu constater que tout ce que je dis dans le film existait, qu’il y avait exactement les mêmes manipulations, complètement inouïes. Par exemple, quand il a été question que Coffi Anan aille en Irak pour négocier et que les Américains étaient pas vraiment d’accord… quelques jours plus tard ils arrêtent deux barbus aux états-Unis pour trafic d’armes bactériologiques. Et dans toute la presse française, on avait une page complète avec la même photo et les mêmes commentaires du genre : " Pire que la bombe atomique. Les armes bactériologiques qui pourraient détruire Washington. " La courroie de transmission totale d’une info balancée par les services secrets américains, et le lendemain, un minuscule démenti de trois lignes qui disait que finalement, c’était pas des armes bactériologiques mais des produits vétérinaires. Mais l’image était déjà là ; après tu peux démentir trente fois, c’est fini. C’est inouï ! Pendant qu’on tournait, il arrêtait pas d’arriver des trucs qui confirmaient en permanence ce que je voulais faire passer sur les médias et les manipulations. Un autre exemple : pour le tournage du film on était à Madagascar, et on arrive en pleine commémoration du cinquantenaire…

Le cinquantenaire de quoi ?
Ben justement, on se demandait. En fait, Madagascar était une colonie française, et en 1947 il a eu quelques échauffourées, et comme c’était la première fois que ça arrivait dans une des colonies, le gouvernement français a envoyé l’armée, les paras, etc. Ils ont tué 80 000 personnes. En France, ça a fait deux articles de quelques lignes dans le Monde, qui disaient en substance que le problème était réglé, qu’on avait maté tout ça. Et ici pour le cinquantenaire, il y a eu un spécial Madagascar au Printemps. Ils vendaient des produits malgaches. Ils se sont même pas rendus compte du cynisme du truc…

Est-ce que ça peut servir à quelque chose de faire des trucs comiques sur ce genre de sujets ?
C’est ce que je pensais… Il y a un mec qui s’appelle Noam Chomsky qui a écrit un bouquin, Les médias et les illusions nécessaires… Il explique ce besoin qu’on a de pas trop en savoir, et il a probablement raison : j’ai vraiment l’impression que les occidentaux ont vraiment pas envie de savoir. Et quand je parle des Occidentaux, je veux dire nous tous : pour vivre, on est assis sur des centaines de millions de morts, de destructions… Et si tu réfléchis trop, tu peux plus vivre, donc t’as pas vraiment envie de tout savoir.

Où placer la limite ?
C’est difficile, mais faudrait quand même qu’on soit pas complètement irresponsables. Par exemple, maintenant les gamins, ils bouffent du poulet sous-vide et ils savent pas ce qu’il y a avant à la limite : qu’est-ce que c’est un poulet ? Comment on le tue ? Comment sont faites nos fringues ? etc. Il faudrait qu’il y ait des genres de cours de base, au moins pour être conscients de ce qu’on fait. Après tu peux agir en connaissance de cause : décider de pas manger de viande ou de savoir comment les animaux ont été tués et décider de vivre avec.

D’un autre côté, par exemple, avec les Guignols et la World Company, tu as réussi à faire passer quelque chose…
Ben ouais, j’espère en tout cas. C’est pour ça que je m’étais dit que c’était possible. Ce qui me gène, c’est pas en soi que le film ait pas marché. Je suis pas obsédé par les chiffres. Ce qui me fait chier c’est que ça ait pas eu d’écho. J’avais fait ça pour que les gens se disent : " La prochaine fois, on fera gaffe ", pour qu’ils prennent du recul quand ils entendent une information. Mais apparemment… par exemple, la semaine dernière, Libé fait sa Une sur l’astéroïde qui allait faire péter la Terre entière : c’était incroyable ! Incroyable ! Une truc hallucinant ! Tu vois l’illustration en 3D avec un astéroïde qui explose la Terre, tu lis l’article, tu t’aperçois que y a un mec qui a vaguement dit que ça allait peut-être passer à quarante mille kilomètres de la Terre, et ils commencent le truc catastrophiste… Le lendemain même histoire que pour les barbus, t’as un tout petit démenti qui dit qu’en fait c’est pas quarante mille kilomètres mais un million. C’est n’importe quoi ! Mais ça les gêne pas du tout. Et à la télé, c’était comme dans le film, t’avais des images de synthèse en 3D qui montraient l’astéroïde en train de tout faire péter, et tu regardais ça et tu pensais : " On va tous crever ". Et le lendemain : " En fait non, c’est un million de kilomètres. " Le problème c’est que même ce genre de trucs, ça participe du truc d’ensemble. Les budgets de l’armée américaine sont restés quasiment les mêmes depuis la fin de la Guerre Froide, et ils faut qu’ils justifient des dépenses phénoménales. Alors pour eux un coup comme l’Irak c’est énorme. Et avec l’astéroïde, Clinton

s’est fait critiquer par toute la droite américaine parce qu’il a arrêté le programme contre les éventuels bombardements de météorites qui pourraient entrer en collision avec la Terre. Faut pas oublier que dans les services comme la CIA, ils sont pas payés à jouer au Tétris, donc ce type d’opérations, il y en aura d’autres, pour moi c’est une évidence. Et l’objectif de mon film, c’était aussi de dire : Dès que vous voyez dans un journal : " Selon le Pentagone,… ", ça veux pas dire que c’est vrai. J’aurais même plutôt tendance à penser que ça veut dire que c’est faux. Or, dans n’importe quel journal, ils hésitent pas à balancer n’importe quelle information si elle vient du Pentagone, parce que nécessairement c’est sérieux, puisque c’est le Pentagone qui le dit.

On a l’impression que ça t’a beaucoup marqué la Guerre du Golfe : tu dis que c’est avec elle que les Guignols sont vraiment devenus ce qu’ils étaient, tu fais un film là-dessus sept ans plus tard…
Ouais, parce que ce qui s’est passé à cette époque, c’est énorme ; tout le monde en parle comme d’une sorte de guerre virtuelle, alors que pour moi, c’est au moins aussi important que la chute du Mur de Berlin. C’est à ce moment là que les Américains ont dit : " Voilà, maintenant, c’est nous les maîtres du Monde. C’est le nouvel ordre mondial. " Georges Bush, qui est un ancien patron de la CIA, devenu président américain, a visiblement monté toute cette histoire de A à Z. Même l’invasion du Koweït, il y a une thèse, qui se défend, qui dit que Saddam Hussein avait vu l’ambassadrice américaine en Irak et lui avait demandé ce que feraient les Américains s’il envahissait le Koweït. Et elle lui aurait dit que c’était pas le problème des états-Unis. En plus le Koweït, c’est des frontières complètement artificielles, et on peut pas dire que ça soit un pays particulièrement démocratique… C’est quand même énorme. Avant ça, je pensais qu’on était à l’abri des manipulations, de la propagande, et quand je voyais les champs de cimetière de la Guerre de 14 dans ma région, je me disais qu’a priori, aujourd’hui, il y a une telle transparence et une telle diversité de l’information, qu’on pourrait pas tous nous envoyer comme des crétins dans la même direction. Et là, je me suis rendu compte que si. Sous couvert d’une énorme diversité de médias, y a rien, y a un seul truc. En plus, c’est quasiment les mêmes sociétés qui possèdent tous les médias… Tu vois, à Canal, on fait encore ce qu’on veut, mais imagine qu’il y ait un bouleversement : où on ira ? Sur TF1 ou France 2 ? Et si on veut faire une petite chaîne par câble, ça appartient aussi à la Lyonnaise, à la Générale, etc.

D’où la situation de Pierre Carles…
Ben ouais, Pierre Carles, maintenant, il est grillé. Moi, j’ai vu son émission qui est passée nulle part : c’était dans un petit café, avec une trentaine de personnes, c’est fou quand même ! Et dans son film tu vois Léotard qui discute avec Mougeotte : " Alors, ça vous intéresse toujours la mairie de Marignane ? " Que des trucs où tu vois bien les relations entre les médias et les hommes politiques.

Et aujourd’hui que la Générale a repris Havas, t’as pas l’impression de travailler pour la World Company ?
C’est sûr. Mais ça… le système libéral est en lui-même porteur de tout ça, porteur d’une exploitation. Et c’est difficile de le contester parce que tout le monde est parti dans une concurrence effrénée dans l’entreprise, partout. à moins d’avoir une espèce de spécificité française, mais il faut que tout le monde lutte un peu pour ça dans son coin. Mais rien qu’à Canal, le fait qu’on puisse critiquer les gens de sa propre chaîne, c’est assez unique je trouve. Et je pense que c’est ça qui fait cette spécificité française. C’est pas en termes de frontières ou de couleur de peau, c’est plutôt le siècle des lumières, le côté révolutionnaire, etc. : c’est ça l’esprit français.

Justement, au moment où les Guignols ont explosé, c’est un peu ce que vous avez réussi à faire : créer cet espace de libre expression et vous avez un peu verrouillé l’histoire…
Ben ouais, on a un peu verrouillé, mais je peux te dire que c’est jamais gagné. Évidemment, s’ils décidaient d’arrêter les Guignols pour x raison, ça passerait pas comme ça. Mais malheureusement, si un jour il y avait un gros changement à la tête de cette boîte, ils diraient pas : " Maintenant, les Guignols, c’est terminé. " Ils le feraient d’une manière plus fine que ça.
De toutes façons, il y a toujours une certaine forme de pression pour canaliser ce qui est dit. Le plus marrant, c’est pas ce dont on a parlé dans les médias en fait. Par exemple, par rapport à un sketch avec Mougeotte et Patrick Sébastien. Sébastien fait des vannes super grasses, il les présente à Mougeotte et ça fait vachement d’audience, donc Mougeotte trouve ça super drôle. Au bout d’un moment Sébastien lui dit : " Bon, maintenant étienne, je vais te mettre une carotte dans le cul. " Mougeotte est interloqué, et au bout de quelques secondes il dit : " Non. Là, il faudrait vraiment que ça fasse plus de 50% d’audience. Sinon je le fais pas. " Le lendemain, on était convoqués chez Lescure qui nous disait : " Oui, étienne Mougeotte a été blessé dans son intimité, tout ça… " Et nous on en rajoutait en disant que c’était la carotte qui avait été blessée dans son intimité. On défendait le truc, pendant que Lescure devait gérer toutes les pressions…

Effectivement, ça doit pas être facile tous les jours pour lui…
Ben oui, ils avaient quand même réussi à faire sauter Rousselet… Et Rousselet c’est pas rien.

Il doit y avoir une certaine jubilation de gosse qui se fait convoquer chez le dirlo dans ce genre de situation ?
C’est complètement ça. Par exemple la première fois qu’on avait fait un truc sur Bernadette où elle tripotait son sac en matant un truc religieux à la télé. On fait la répétition des Guignols l’après-midi, Degreef le voit et il est pété de rire, le soir ça passe et tout le monde est pété de rire. Et à l’époque, le zapping passait dans " C’est pas le 20H " présenté par Thierry Rey, qui est… le gendre de Chirac. Alors t’imagines le tableau chez les Chirac qui se disent " Tiens, on va regarder Thierry ce soir… ". Et Lescure qui est réveillé en pleine nuit : " Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? ". Comme c’est le week-end, il y a plus personne à Canal et tout est lancé, donc ça repasse trois fois en tout avec la semaine des Guignols. Le lundi, convocation chez Lescure… Jean-François et moi on défend le truc, et Bruno qui louvoie en disant qu’il était pas d’accord depuis le début… C’est exactement ça.

Est-ce que tu regardes les Guignols aujourd’hui ?
Ca m’arrive. Ce qui me plaît le plus c’est quand ils trouvent des nouveaux personnages, de nouveaux trucs. Par exemple Nagano ou la Bourse. Dans tous les cas c’est bien que ça continue. Et à mon avis, tant qu’il y aura un journal, il pourra y avoir un contre-journal.

D’ailleurs, dans le journal de Moustic, bien que ce soit plus du gag, vous avez quand même cet aspect contre-journal…
C’est vrai que c’est plus de la rigolade, mais des fois, quand il y a un truc qui nous énerve vraiment, on n’hésite pas non plus. Par exemple, pour les législatives, on a été les seuls à dire que la droite allait se prendre une grosse gamelle et que la gauche allait passer. Tout le monde nous disait qu’on était fous. Je crois que je peux pas m’en empêcher.

Aujourd’hui, tu réponds quoi quand on te demande ce que tu fais ?
Scénariste. Je me prends pour un scénariste. Pas forcément pour du long métrage. Là je suis en train d’en écrire un avec Moustic, et j’ai aussi un projet de série avec mes deux copains des Guignols, Jean-François Halin et Bruno Gaccio. On sait pas encore si ça va se faire. Ça sera un genre de sitcom avec du fond. Ça s’appelle D.R.H. : Direction des Ressources Humaines. C’est le service qu’il y a dans toutes les grandes entreprises. Ce qui est aberrant en ce moment, c’est que non seulement il y a beaucoup de monde au chômage, mais que ceux qui travaillent sont traités comme des chiens. C’est un peu le thème de la série, le fait que les gens soient une denrée achetable, revendable, virable. C’est tellement cynique ce terme : " direction des ressources humaines ". C’est des mecs qui arrêtent pas d’en virer d’autres en permanence. En plus ce qui est terrible, personne en parle, mais les chefs de service s’engagent sur un certain nombre de licenciements par an. Ils ont des objectifs. Et on entend dans tous les médias : " Il faut lutter contre le chômage. " Mais n’importe qui en entreprise sait qu’il va encore falloir virer deux autres personnes dans le service pour être encore plus rentable. C’est une hypocrisie absolue, mais ça continue.

Et là, il y a une solution ?
La solution, c’est souvent de penser qu’il faut aller à l’encontre de ses propres intérêts. Il faut savoir dire : " Je vais bosser moins, parfois gagner moins, payer plus d’impôts, tout ça pour que le système tienne et qu’il soit plus solidaire. C’est loin de toujours être évident de penser comme ça. Mais c’est ce qu’il faut faire… En tout cas pour les entreprises qui gagnent énormément d’argent, parce que s’il y a pas de redistribution à ce niveau là, c’est une aberration totale. Dans le système libéral maintenant, tu vois que les gens qui ont énormément d’argent se débrouillent en plus pour pas payer d’impôts, pour habiter ailleurs.

Et dans les entreprises, les personnes qui sont en position de décision pour virer les autres, etc. on les paye dix fois plus pour qu’ils aient moins de remords à le faire.
Exactement. Et moi je pense que c’est à un pays comme la France de dénoncer ça. Le problème aujourd’hui, c’est que le monde entier est libéral. Maintenant que les Américains ont gagné, c’est devenu le modèle. Et nous les Français, on passe pour les communistes de la planète. On est les nouveaux rouges du monde parce qu’il y a le RMI, la sécurité sociale, qu’on paye des impôts. Et on nous dit que tout ça, il va falloir s’en débarrasser si on veut être compétitif avec le reste du monde.

On nous le rappelle assez souvent dans les médias d’ailleurs. Est-ce que tu rejoins le bouquin d’Halimi (Les Nouveaux Chiens de garde) sur ce sujet ?
Complètement. C’est un bon exemple d’ailleurs : c’est à chacun de faire l’effort à son niveau. Moi j’aurais pu continuer à faire les Guignols, maintenant c’en est d’autres qui le font, et c’est tant mieux. Dans n’importe quel boulot ça devrait être ça. Mais dans le bouquin d’Halimi, quand tu vois des Alain Duhamel qui trustent des dizaines d’éditoriaux partout, tout ça pour faire du remplissage et être partout… alors qu’il y a plein de journalistes pigistes dans des situations assez précaires. Et cette série qu’on prépare, ça parle un peu de tout ça : la manière dont les gens sont utilisés dans l’entreprise, les restructurations, etc. Mais en même temps on essaie de faire rire, de pas être seulement durs et cyniques.

Encore ces deux composantes… Tu disais que pour jouer ton personnage de Michael Kael, il fallait que tu retrouves le con qu’il y a en toi. C’est plutôt facile à faire ?
Assez, ouais… (rires) Quand je vois tout ce qu’on est capable de gober. On peut pas être vigilant tout le temps, ça deviendrait insupportable. Mais maintenant, quand je lis le journal, je me sens comme un soviétologue qui décrypte la Pravda. Je trouve que les infos, il faut tout décrypter tout le temps. Là il faut que je passe à autre chose, parce que je vais devenir fou.