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L'Oeil électrique #15 | Monomanie / William Faulkner

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Par Thomas Sonnefraud.

WILIAM FAULKNER (1897-1962)

"It is a tale told by an idiot, full of sound and fury, signifying nothing."
Shakespeare, Macbeth

Respect de l'instinct : le monde, son envergure

Lorsque je regarde les photos fatiguées de son époque - des portraits le plus souvent -, que m'apparaît cet écrivain, celui-là qui a su dire à mon âme même, au-delà du sens, que l'obscurité régnait sur le destin restreint des gens, que le tohu-bohu ne s'éclairait qu'à la rencontre des forces de la nature (les Eléments : le feu lustral, l'eau filante, diluvienne du Mississippi, la terre de Jefferson...), y compris celles enfermées dans l'humanité : haine, amour, folie, isolement, suicide, attachement aveugle ou éducation à l'outrage, sympathie, insoumission… je sais susciter, en mots en esquisses en notes, ce que Faulkner a provoqué en moi, ce qu'il a assailli, hors de sa tombe, hors de ses propres textes, sauvages, aussi féroces que les chants de Lautréamont, grâce à sa présence.

Il flotte parmi ces thèmes chers aux vivants (descendance, propriété, disparition, coutumes...). Il ne s'intéresse qu'aux gens.

Il hante les illusions glabres de la jeunesse (amour unique, héroïsme tragique, haine des siens…) comme un sanctuaire honoré de l'éternité elle-même, comme une épiphanie issue de l'Histoire - et donne ce qu'il ne pouvait pas espérer comprendre totalement, et qu'il choisit plutôt d'écrire… L'immensurable force des enfants !

Il doute de la perfidie de l'humanité, il doute de la rédemption par l'acte gratuit, fort, et lucide aussi, il doute de l'authenticité de ce phare malveillant qui instruit l'homme : l'ambition... et ce doute vient de son travail quotidien d'écriture. Car Faulkner enferme, pour moi, ce que trop d'écrivains perdent, avec l'évolution de leur art, ce goût de l'épreuve laborieuse - et celle-ci ne sera jamais tout à fait surmontée ; d'où le hasard conflictuel et résorbant de la création littéraire : toute une vie soumise aux vibrations artistiques ; l'art s'exprime mais il n'existe qu'une œuvre (rassemblement des ouvrages) issue d'une esthétique de l'enfance, source à laquelle s'est déterminé le sens unique des choses, le sens de l'envie, peu à peu…

Outre le formidable déploiement stylistique de l'œuvre, les gens de Faulkner, cette charrette où s'empilent des êtres simples au fond bouillonnant, toutes figures de la vie rurale de l'écrivain, de son histoire, je les croise en vadrouillant étroitement dans l'univers humain, je les vois eux qui s'attachent à subir les courants de leur moralité (animisme, religion révélée, individualisme, barbarie), eux qui tournent autour de l'attente, indéfinie dès l'origine, du moment de la mort, de la séparation. Ils marchent dans un méandre construit par l'incompréhension du monde, simple, palpable et commune, qui détache l'être de sa famille, l'être de son amour, l'être de son instinct, l'être de sa tragédie intime, pour lui révéler, inconsciemment, cet absurde tourbillon - le destin - qui ne fait que reprendre les éléments essentiels de la vie, ces vieux atomes, pour les chahuter, pour les brouiller afin d'en tirer l'excentricité et le non-sens du patrimoine des passions. Jouant avec les tripes et leur cohérence inintelligible, Faulkner aborde, outre la domination d'une volonté viscérale, le rôle de la violence et de ses schémas, que la société humaine dans sa larmoyante histoire a renouvelés sans cesse, octroyant aux hommes le plus souvent, aux Blancs, le don de la fureur, du crime, de l'oppression sur ce que le temps peut mettre sur leur passage, qui des femmes, des Noirs, des enfants. Lorsque l'écrivain veut horrifier parce qu'il ne comprend toujours pas pourquoi nous sommes pareils, il use du sort social - meurtre facile, viol facile, inceste facile - que lui diffusait son époque et lui agrège cette caution narcissique : l'honneur, peu importe le prix à payer.

Ce que Faulkner s'évertue à décrire dans ses appendices propres, dans ses ouvrages. Si ce n'est le surgissement poétique du divin, la permanence de la reproduction, naturelle et exclusive, qui évolue mais ne crée pas.

Ecriture, hermétisme et obstination

La production forcenée de l'écrivain sudiste s'orne, dès les premières œuvres, d'une luxuriance qui ne cesse d'impressionner son lecteur depuis les romans initiaux (Sartoris, Le bruit et la fureur, Sanctuaire, Lumière d'août...) jusqu'à ceux dits de la maturité (Descends, Moïse, Si je t'oublie, ô Jérusalem , Absalon ! Absalon !...l'épopée Snopes). L'écriture de Faulkner influença et influence encore une foule d'écrivains, notamment d'expression latine (le Portugais Lobo Antunes, le Mexicain Fuentes). Son travail intense et recommencé chaque fois sur le style (qui fait le talent littéraire), son labeur sur l'évacuation du sens interne, indicible, étrange, de la nature humaine, sa vocation à traduire les claustrations sentimentales, en ont fait l'un des pionniers d'un genre romanesque fracturé, disséminé, écarté du vœu victorien d'une ligne de récit à tout prix. Cette œuvre qui s'exprime par à-coups, découpage, feed-back. Ce degré d'écriture qui cherche à la fois le langage intérieur, l'appropriation de la réalité et l'agrégation d'une poétique chère à l'artiste. Ces êtres qui troublent par leur profondeur abyssale, à la lisière de la chute, eux qui ne se connaissent pas mieux que nous ne les connaissons, trop vivants peut-être, cristallisant la manière de l'écrivain à tripoter les conflits au temps du présent simple - sans que sa morale n'intervienne, juste l'expression des mouvements de l'esprit, du corps et des expansions inouïes de la nature humaine.

La lecture de Faulkner favorise l'honnêteté à son propre égard ! Elle isole chacun dans ce lieu d'effroi, de chaleur et d'humidité, autour du Mississippi géant, qu'il s'est imposé d'élaborer au fil des années, des ouvrages, ce comté du Yoknapatawpha, mythologie autarcique qui fustige la culture sudiste et pousse aussi haut que possible le doute d'une génération, son passé, quant à sa philanthropie, sa vue des choses, son système de valeurs et son éducation à la vie. De livre en livre, alors que se dessinent les destins, les desseins, leur échec considérable et le risque, voire l'inutilité, de construire quoi que ce soit (si l'on ne tient pas compte des vagues du hasard), Faulkner propage l'obscurité partout où il peut, égare ses brebis, lui-même et le lecteur, dans son imagination. Loin d'avoir découvert toutes les clés de son cosmos étriqué, il se dégage cependant une inconcevable cohérence, l'égal d'une molécule dont on saisit l'ordre intrinsèque en détectant

de nouveaux liens, de nouveaux atomes, au sein de l'ensemble, le sut-il alors ? Là se tapit le génie ! Car l'écriture a son intelligence, elle implante secrètement tous ses repères pour le futur. Lire Si je t'oublie, ô Jérusalem chamboule forcément du fait de son imbroglio formel - deux histoires se chevauchent sans liens sémantiques, a priori - alors qu'en définitive cette structure vaut tant pour l'adhésion de l'écrivain aux modèles masculins d'humilité, de domesticité, d'exclusion des troubles (modèles figurés par le forçat et par Harry), que pour "l'étude des problèmes du cœur humain en conflit avec soi-même". Attaché à une transcription prééminente et puissante du monologue intérieur, il retranchera pourtant, dans les romans dits de la maturité, une partie de cette pression narcissique subie par l'individu (surtout enfant).

Obstinément, Faulkner avoue un amour indomptable pour la durée naturelle. Paradoxalement, il ne sacre pas, par exemple, la carrière amoureuse, la liberté… par contre la folie (Benjy l'idiot, Sutpen et son eugénisme...) elle, demeure, allant jusqu'à outrepasser les générations. Cette durée, sensible dans chaque volume, dépasse la rigidité des cultures ; elle s'applique à dénicher, à fournir la valeur du changement et ce qui s'y agrège : cette habileté, presque illimitée, à déployer l'espèce. Dans une fureur proche de celle de la "création" du monde, vue par les religions, cette fulgurante éruption des choses, Faulkner donne à son écriture un espace, celui des états d'âmes : crises d'angoisses, joies simples, haines (ce condor faulknérien), attentes, et puis tous ces moments où l'abîme s'ouvre sous nos pieds, la prise de conscience, quasi révélation, du maigre impôt que l'on a sur son destin, l'immobilisme familial, l'entêtement des amours... tout objet qui parcourt la vie de l'homme.

Ouvrages et endurance de l'œuvre

Rappeler ici la bibliographie de William Faulkner ne servirait en rien le vœu de cette rubrique, dont le but est assez clair au vu du titre : il est question de passion et comme toute passion celle-ci s'exprime, quoique obscurément, avec ses propres mots, non avec des listes, des citations et des emprunts divers aux travaux sur tel ou tel aspect de l'œuvre. J'ai abordé et découvert l'œuvre avec son référent le plus célèbre : Sanctuaire. Pressé par la distinction de ce roman d'avec le cours de mes lectures orthodoxes, je me suis plongé dans Tandis que j'agonise suivi aussitôt de l'impensable Le bruit et la fureur. D'autres se sont enchaînés aux années filant, car inévitablement, la sève faulknérienne avait monté et je ne devais délaisser l'auteur plus d'un semestre. La quantité poétique de ses êtres mortels a chamboulé la perspective que j'avais du personnage romanesque. Ses choix d'écriture, le monologue intérieur, la prééminence des sens, la circulation narrative, l'exubérance des questionnements indirects, la durée réelle de ses gens, fondent l'importance et la présence effrénées de l'inconscient. Faulkner dresse les attitudes humaines sur les préavis troubles de cette norme psychanalytique (qui s'éclairciront pour le sujet bien après, comme résultat et production essentielle de la raison - voilée et retardée par le "savoir"). Ainsi, refoulements et haines supérieures maçonnent Le bruit et la fureur… ainsi encore, illusions de liberté et aveuglements construisent Si je t'oublie, ô Jérusalem… rage du sang et dédoublement du moi édifient Absalon ! Absalon !… Au cœur des romans du maître se révèle le tragique entêtement de l'être face à l'ignorance de la contradiction, à l'ignorance du temps qui gisent, toutes deux, en tant que lois, au fond de l'esprit humain.

Chaque ouvrage trouve sa place indivise dans cette pyramide dénommée Yoknapatawpha… Chaque roman, chaque nouvelle, y compris ses lettres où sont décrits, en une ligne ou deux, les récits qu'il rédige à ce moment-là, vient conforter la recherche de cette dérive temporelle du moi quel qu'il soit, dérive qui prouvera la nature irrationnelle et tragique du destin humain :

"La bonne littérature, celle qui dure, provient de l'imagination, de la sensibilité, de la compréhension qu'on peut avoir de la souffrance de tout le monde, de n'importe qui - et non du souvenir de sa propre douleur." 

Circonscrire enfin l'écrivain en précisant qu'il était un petit homme, travailleur, engagé, qu'il fut l'un des premiers intellectuels à prendre ouvertement position contre la condition des Noirs aux Etats-Unis ( notamment sur la question de l'éducation). Tout comme M. Lowry, Faulkner abusait de l'alcool, et cet éthylisme l'envoya plusieurs fois en cure, sans jamais parvenir à le désintoxiquer, bel artiste damné qu'il était. Souligner finalement qu'il n'a cessé d'écrire durant plus de vingt ans, publiant jusqu'à vingt nouvelles, dans la presse, en deux ans, qu'il fut scénariste de Hawks, Renoir, afin de subvenir à la vie des siens…

Dans l'écroulement de l'humanisme (le vingtième siècle), la littérature de Faulkner attise notre responsabilité et l'intimité du sens universel, elle renvoie à cette rêverie nuageuse de Montaigne : "Au terme de son parcours l'humanisme fait tenir le monde entier dans le moi."

BIBLIO EXPÉDITIVE (ÉDITIONS GALLIMARD)

Romans :
  • As I Lay Dying (Tandis que j'agonise)
  • The Sound and The Fury (Le bruit et la fureur)
  • If I Forget Thou, O Jerusalem (Si je t'oublie, ô Jerusalem ! aussi publié sous le titre : Les Palmiers sauvages)
  • Go Down, Moses (Descends, Moïse)
  • Absalom ! Absalom !
  • Light of August (Lumière d'Août)
  • The Unvainquished (L'invaincu)
  • Sanctuary (Sanctuaire)
    La trilogie Snopes :
  • The Hamlet (Le hameau),
  • The Mansion (Le domaine) et
  • The Town (La ville)
    Et son œuvre inclassable :
  • Parabole

Recueils de nouvelles :
  • These Thirteen (Treize histoires)
  • Uncollected Stories of William Faulkner (Idylle au désert et autres nouvelles)
  • Knight's Gambit (Le gambit du cavalier)
Etc.