Par Arno Guillou, Mathieu Renard. Gabriel Cohn-Bendit, le frère de "l’autre", nous accueille dans son bureau aux murs tapissés de livres. La fondation du lycée autogéré de St Nazaire en 1982 reste sa carte de visite la plus marquante. Mais sa bibliothèque, retraçant 45 ans de vie militante, témoigne de nombreuses expériences aussi multiples que complémentaires. L’occasion de nous asseoir dans un fauteuil confortable, de humer cette odeur typique des bibliothèques qui vivent, et d’entamer la discussion. Car Gaby est avant tout un causeur. Toujours cette envie de faire passer le message. Quitte à assommer, à trancher, à monter le ton pour être entendu. Raconter, expliquer, argumenter, de la politique à la pédagogie, de la drogue au suicide, de l’Afrique à St Nazaire, des colonies de vacances au Front National pour toujours revenir au combat de sa vie : l’école. Sur la pédagogie et sur la vie, les convictions de Gaby sont inébranlables. L’existence est un combat, ses débats et conflits, un plaisir pour notre homme. Tu enseignes toujours au lycée expérimental de St Nazaire ? Comment s’est passée la création de ce lycée ?
Et pourquoi partir après cinq ans ?
Tu as eu des résultats depuis ?
Il y a un diplôme au bout, un Bac, quelque chose ?
On a beaucoup reproché au lycée expérimental le fait que très peu d’enfants de milieux populaires y avaient accès… Pédagogiquement et politiquement, ça peut aussi être intéressant de travailler dans des quartiers populaires.
Comment en es-tu venu à cette réflexion ? En te mettant dans la peau d’un enseignant qui constate un échec ou en écoutant les élèves ? Comment l’Education Nationale prenait ce fonctionnement atypique au lycée expérimental ? Tu enseignais quoi ? Et comment expliques-tu que des gens qui seraient prêts aujourd’hui à travailler différemment ne soient pas écoutés. On vous a donné quelques bahuts à une certaine période et puis débrouillez vous ?! Est-ce que ce n’est pas une réalité ? Qu’est-ce que tu as fait après le lycée de St Nazaire ? L’école est peut-être aussi déconnectée de la réalité ? Tu remets en cause les diplômes aussi alors ? Pour ce genre d’expériences, vous êtes dépendants du pouvoir politique! Et dans des quartiers dits difficiles ! Malgré le matraquage ultra libéral du secteur privé ? Mais l’école contrebalance difficilement cette puissance économique. Selon toi, les profs sont immobilistes et les politiques aussi. Qu’est-ce que tu proposes? Avec 10 ou 30 élèves par classe ? Tu le tolérais, toi ? Est-ce que ce sont les profs ? Pour en revenir à la politique, pourquoi ton frère ne veut pas être ministre de l’Education ? Une municipalité l’intéresserait ? M : Son côté débonnaire tranche totalement avec l’aspect froid et rigide du protocole français ? G : Dans les pays nordiques, tu rentres chez le ministre bien plus facilement que chez un maire en France. En Afrique, dans les ambassades, tu rencontres tout de suite les gens. En France, il y a des guichets ! De ce point de vue, la France est encore plus coincée que l’Allemagne. M : Déprimant, non ? G : C’est un combat. J’ai toujours pensé (y compris pour l école) qu’on peut toujours faire avancer les choses. Le grand essors du mouvement Freinet (2) s’est fait avec des classes uniques à la campagne. L’instit prenait le môme du CP jusqu’au certificat d’études. Ce sont les grands qui aidaient les petits. Aujourd’hui, ce sont les bons contre les mauvais. Le bon, tu as envie de lui casser la gueule à la limite mais ce n’est pas un moteur comme un " grand ". Aider quelqu’un, c’est tout le contraire de ce qu’on apprend dans les écoles françaises. M : Quittons un peu l’école, quel a été ton parcours politique avant d’être aux Verts ? Quelle est ta position par rapport à l’écologie? G : Il y a eu pendant longtemps dans le mouvement écolo en France (ce qui était sans doute nécessaire), le fameux ni droite ni gauche de Waechter où tu introduisais des choses que ni la gauche ni la droite ne prenaient en considération. Mais l’écologie politique, on peut dire ce qu’on veut, ce sont des problématiques de gauche. On n’est " ni à droite ni à gauche mais devant " comme dit Dany. D’où la bagarre au sein des Verts entre Voynet et Waechter, mais aussi un mec comme Lalonde qui, lorsqu’il a créé son mouvement, était ministre de Rocard dans un gouvernement de gauche ! A un moment, j’ai rejoint le mouvement de Lalonde parce que je voulais un mouvement écolo qui ne prêche pas pour l’an 3000. M : Lalonde est quand même un sacré opportuniste, pour ne pas dire autre chose… G : Des opportunistes, je te garantis que ça grouille aux Verts aujourd’hui. L’idée d’avoir quelques maires, houlala ! Beaucoup de Verts dans l’entourage de Dominique Voynet étaient prêts à négocier avec le PS pour avoir tout de suite trente mairies dans des grandes villes. Lalonde a créé Génération Ecologie sur une orientation, qui est celle majoritaire chez les Verts aujourd’hui : on est écolo mais on participe au pouvoir avec la gauche. Cette orientation actuelle me paraît bonne. Il reste une minorité de durs à être contre la négociation avec le PS et qui voudraient que Dominique démissionne tous les jours. Mon problème politique c’est de me dire : " Que faire aujourd’hui pour arriver où je veux demain ? " M : Tu penses donc que Voynet doit rester, quitte à avaler des couleuvres ? G : Je reproche surtout à Dominique de confondre ministre, chef de parti et même chef de courant dans le parti. Elle est ministre pour l’instant ! Le parti peut avoir des positions plus tranchées mais ce n’est pas contradictoire. A : Mais elle arrive difficilement à mettre des choses en place. G : Quand tu fais 5% des voix, pourquoi tes partenaires qui font 25% prendraient ton programme ? Quand tu fais 10%, tu peux exiger un peu plus. Dominique représente une force qui fait 5, 10,15 ou 20 %. En fonction de ça, elle avale plus ou moins de couleuvres. Je suis toujours pour participer tout en faisant en sorte qu’on ne soit pas que 5%. A : Est-ce que les Verts au pouvoir auraient les moyens d’imposer des changements aux lobbies économiques ? G : Tu peux aussi poser cette question au PS. Je suis favorable à des structures comme l’OMC, mais régulées, même si ce n’est pas du tout suffisant pour une démocratie. Il faut des contre-pouvoirs. Avec la taxe Tobin, l’extrême-gauche a montré au Parlement européen qui elle est. La taxe Tobin ne remet pas en cause l’économie de marché, elle la régule. Les Trotskistes révolutionnaires, eux, sont CONTRE le marché sans oser dire qu’ils sont pour une économie planifiée dirigée par le parti. C’est pourtant ce qu’ils pensent. De même qu’ils n’osent pas dire tout le mépris qu’ils ont pour le monde ouvrier. A ce propos je suis horrifié par le mythe " Arlette ". PERSONNE n’ose la critiquer parce que " on ne touche pas à Arlette ". Lutte Ouvrière n’est qu’un nom. En réalité, cette structure s’appelle l’Union Communiste, une petite secte de 300 personnes avec un fonctionnement de moines soldats hallucinant… M : Tu préfères donner une image moins austère ? G : J’aimerais bien que l’on donne cette image-là. On a une parole libre c’est vrai, comme Noël Mamère qui a facilement accès à des médias qui l’aiment bien. A : Il les aime bien aussi. G : Moi aussi ! En n’étant pas de mauvaise foi, qui n’aime pas les médias ? Bourdieu qui n’aime pas les médias, a pourtant été médiatisé par eux ; il est connu grâce aux médias ! M : Il a quand même des positions moins ambiguës que d’autres à ce sujet ! ? G : Je prétends que les médias ne sont pas ce que Pierre Bourdieu en dit. Ce n’est pas aussi simple. Moi je suis content quand Ouest France me demande un papier sur l’école. Quand je parle du suicide des jeunes chez Delarue, je dis là aussi ce que je pense de l’école, qui pourrait être un lieu où quand ça ne va pas, on ne t’enfonce pas encore plus. M : Je ne sais pas si l’école est la mieux placée pour ça ? G : Les profs sont les seuls à avoir la totalité des jeunes de 6 à 18 ans. Ils voient l’ensemble de la population française. C’est une responsabilité énorme. Les profs devraient être ces gens capables d’entendre. M : Aux élections européennes, le président du CIRC (centre d’information et de recherche cannabique) était sur votre liste. Depuis, les Verts et la drogue…silence radio. G : Je suis un abolitionniste complet mais je veux que ce marché soit régulé. Au nom de la liberté individuelle. On a le droit de faire des choses sur soi qui ne sont pas bonnes pour sa santé. Le shit n’a jamais fait de mal à personne. Les parents s’inquiètent quand leur môme fume du haschish et pensent qu’ils vont bientôt trouver des seringues mais ils le sont beaucoup moins quand leur rejeton rentre le soir complètement bourré. Se défoncer au shit, ce n’est pas la meilleure façon de passer des examens, c’est sûr ; mais c’est bien moins dangereux que de se défoncer à la bière. Politiquement, Chirac et Jospin sont là-dessus aussi coincés l’un que l’autre. Le climat général est plutôt à la répression totalement inefficace. Je suis aussi pour des lieux et une réelle politique d’accueil pour les toxicomanes… Sur ces questions, les Verts ne doivent pas faire de la propagande, ils doivent soutenir des projets concrets. A : Cela dit, est-ce que de dire que le shit est moins dangereux que l’alcool est un argument valable ? G : Si je veux nager 4 kilomètres vers le large, c’est dangereux et on n’en revient pas toujours. On ne va pas m’emmerder avec ça, c’est mon droit le plus strict. Cela pose par contre la question d’un " âge responsable ". M : A propos d’âge, tu es né où ? G : Je suis né à Paris. Mon père y est arrivé en 1933, non pour des questions d’origine juive mais comme avocat politique. J’ai vécu la guerre dans le sud de la France. J’ai été au lycée à Paris dans une classe de la petite bourgeoisie. On était 10% d’une classe d’âge à aller au lycée, mais je pense qu’à l’époque, l’école était moins traumatisante. On n’allait pas au lycée quand on était fils d’ouvrier ou de paysan, ça s’arrêtait là. Aujourd’hui, les profs continuent d’enseigner comme s’ils avaient seulement ces 10% d’un milieu où il y a des bouquins à la maison. Une partie de ma formation vient de ma rencontre avec les instits Freinet mais aujourd’hui, le mouvement Freinet se " sectarise" et dégringole. M : J’ai assisté à une réunion des Verts à Rennes il y a deux ans et j’avais été surpris de ta relation avec ton frère. Tu écris avec lui, tu le suis dans son parcours et surtout tu le défends avec hargne quand il est attaqué. G : C’était avant sa désignation comme candidat aux européennes. Il y avait une espèce de campagne anti Dany, une espèce de hargne que moi je ne supporte pas. En plus, c’est mon petit frère. Je n’aime pas la politique méchante. Même avec des adversaires politiques ce n’est pas convaincant. M : A cette réunion, il était étonnant de voir qu’il y avait très peu de jeunes. Ils parlaient tous de 68. G : L’âge moyen des Verts n’est pas si élevé que ça. La majorité se situe entre trente et cinquante ans et il y a relativement peu de très jeunes. C’est le problème des jeunes et de la politique, des jeunes et des partis; ça les ennuie et à juste raison. M : Depuis combien de temps es-tu aux Verts ? G : Sur mes 45 ans de vie politique j’ai sept ans de cartes de parti. En 1956, j’étais sartrien. Sartre faisant un virage néo-stalinien, il nous disait : " il faut rentrer dans le parti communiste pour lui donner un sang neuf et le changer ". Je suis rentré au PC pour le changer… Changer le monde, c’est rien quand tu dois changer le PC ! Les ancêtres de Krivine étaient là, j’ai été récupéré et toute la cellule de philo est devenu trotskiste. Un an et demi après, je suis parti et j’ai adhéré à socialisme ou barbarie. C’était un groupe qui avait rompu avec le trotskisme et qui se revendiquait du socialisme. C’était le plus libertaire des groupes marxistes de l’époque. Après je suis parti à St Nazaire où là-bas, ces groupes ne voulaient pas dire grand-chose. J’ai dû faire un petit tour au PSU et j’ai ensuite traîné dans des groupes pédagogiques, des groupes syndicaux, et l’école émancipée que j’ai quittée en 75.
A : Et ton frère ? G : Il a dix ans de moins. Mon père est mort quand Dany avait 14 ans et ma mère quand il en avait 18.. Je suis comme un père fier de son fils et en même temps il n’y a pas de relations paternelles avec son côté conflictuel. C’est une paternité égalitaire, une fraternité non concurrentielle. Mon père en 52 est retourné en Allemagne. En 58, il it gravement malade et ma mère est partie avec Dany en Allemagne le soigner. Il avait 12/13 ans. Là-bas, on l’a mis dans une école avec un parlement d’élèves et tout un tas de trucs. Mon père est mort en 59, ma mère est revenue et Dany a dit " Je ne retournerai jamais dans ces prisons que sont les écoles françaises ". Il a terminé seul sa scolarité en Allemagne. Quand il est revenu en France en 65, j’avais fait la connaissance d’un petit groupe d’anars qui s’appelait Noir et Rouge et qui était le plus marxisant des groupes libertaires, si Socialisme ou barbarie était le plus libertaire des marxisants (rires). Pour eux, lire Marx n’était pas un blasphème… J’ai présenté Dany à ce petit groupe et c’est avec eux qu’ils ont fait exploser Nanterre en 68. M : C’est drôle de voir ce que sont devenus des gens comme Geismar ou Sauvageot qui représentaient le trio de 68 avec ton frère. G : Ce n’était pas un trio. Dany ne les connaissait pas. Sauvageot s’était retrouvé président de l’Unef en 68. Geismar était du SNES-Sup et puis Dany, c’était le RIEN. Ils se sont seulement retrouvés à la télé ensemble. Puis Dany a été expulsé et il n’y a pas eu d’après 68. Geismar est aujourd’hui dans le cabinet d’Allègre. Sauvageot a eu l’avantage de ne pas jouer de sa célébrité de 68. Juste après, il était militant de base, les radios libres, pur et dur, les radicaux un peu Mao. M : Il s’est fait entarter en 1995 à Rennes par trois anarchistes.G : Dany s’est aussi fait entarter pour l’anniversaire de 68 à Nanterre par un groupe d’anars. Il leur a dit : " Vous m’entartez mais maintenant vous venez à la tribune et on s’explique ". Ils ont accepté et donc c’était foutu…pour eux (rires). M : Oralement, les Cohn-Bendit sont des bulldozers ! Quelqu’un avec des idées mais pas de voix, c’est fini pour lui. G : Jamais je ne nierai qu’il n’est pas simple et naturel de parler. A la création du lycée, les journaux ont titré " le frère de Cohn-Bendit reçu par le ministre, un lycée pour marginaux à St Nazaire " et dès le mois d’octobre sont arrivés plein d’élèves alors que ce n’était pas ouvert. On a réfléchi à ce que pouvait être le lycée avec eux. Au début, on était en AG tout le temps et c’est évident que des vieux crabes comme nous... Très vite, on s’est dit qu’il valait mieux une réunion sans les profs et une sans les élèves. Les élèves étaient d’accord pour des réunions sans nous mais pas sans eux. Je m’étais engueulé avec un collègue devant des élèves. Et pour eux, j’étais le gentil qui défendais un prof un peu bizarre qu’on voulait nous refiler et lui c’était le méchant. D’où la nécessité de créer des espaces pour s’engueuler sans les élèves. Les profs me reprochaient beaucoup de parler fort mais les élèves m’envoyaient plus facilement sur les roses : " maintenant, tu la fermes, à nous de causer ". Si tu prends des jeunes au sérieux, ça peut fonctionner. D’où le problème posé tout à l’heure sur " un âge responsable ". Beaucoup de choses sont interdites et combien d’interdictions sont efficaces ? Est-ce que le problème c’est d’interdire ou de présenter les choses quand elles sont dangereuses ? Comment, excepté en parlant avec lui, empêcher un gamin de faire une connerie ? Oui, il prendra des risques, oui, il fera des choses dangereuses. Je n’aurai jamais l’illusion de croire que même en parlant, en expliquant, les gens ne feront jamais de choses dangereuses pour eux. On me parle des accidents en colos mais il y en a beaucoup moins en colos que dans les familles ! M : Les enfants y vont de moins en moins pourtant… G : C’est ce qu’on a fait de mieux à un moment en matière d’autonomie et ça influençait un peu l’école. Maintenant, c’est le phénomène inverse, on fait de l’école en colo. On transforme les colos en écoles de vacances. Avant, beaucoup de directeurs de colos qui étaient instits étaient un peu schizophrènes : des trucs sympa en vacances et puis de retour en classe, paf, paf, rien qui déborde. A : J’ai entendu parler d’une histoire sur toi et le Front National… G : En 1978. Au début de l’affaire Faurrisson (négationniste et révisionniste notoire) j’avais écrit un article dans Libération où je disais en gros : " Liberté pour les ennemis de la liberté ". J’étais et je suis toujours opposé à une loi qui interdise de dire ou de nier un certain nombre de choses. Je suis pour la liberté d’expression, la plus complète et la plus totale. M : La pétition qu’avait lancée Charlie Hebdo pour interdire le Front National… G : J’y suis violemment hostile ! C’est au nom des lois de 1934 contre les groupes fascistes que la ligue communiste a été interdite après 1968. En Autriche, pour être concierge il fallait appartenir, soit au parti social démocrate, soit aux chrétiens démocrates. A nous de réfléchir pourquoi toute une partie de la population ne se retrouve pas dans cette espèce de consensus mou des hommes politiques qui ont dirigé l’Autriche. On n’interdit pas un populiste et un démagogue comme Haider, on le combat. En Allemagne en 1933, la gauche était largement majoritaire avant l’arrivée de Hitler et il est très dangereux de croire que Hitler a pris le pouvoir parce qu’il n’était pas interdit. Si on réfléchit à ce qu’était l’Allemagne nazie…La montée du nazisme, c’est une guerre perdue, un accord de paix fou qui a fait casquer l’Allemagne, qui a prolétarisé, brutalisé des tas de gens, c’est la crise de 1923 dont ils ont pu, à juste titre, rendre responsables des démocraties qui leur avaient imposé de payer des millions. C’est aussi la crise de 1929, c’est le PC qui pensait qu’il valait mieux voter avec les nazis à certains moments, c’est la social-démocratie allemande qui s’est alliée à l’armée pour réprimer des mouvements d’ouvriers, c’est la haine entre communistes et socialistes. Il en faut des causes ! Quand l’extrême-droite tenait une fac comme ASSAS et que la gauche ne pouvait y distribuer un tract, j’étais partisan d’y aller avec des barres de fer. On ne m’interdira pas de distribuer un tract. Mais l’extrême-droite ne reculera pas en étant interdite ; elle deviendra clandestine. Interdire, c’est une façon de ne pas réfléchir aux problèmes. M : Interdit d’interdire ? G : " Interdit d’interdire " était un slogan marrant, c’était tout une morale ambiante. Il doit y avoir des interdits mais les " mauvaises idées " ne s’interdisent pas, elles se combattent. Je suis par exemple contre l’interdiction des sectes. Je comprends que les parents qui voient leur mômes dans des sectes soient affolés mais on devrait se demander ce qu’ils vont y chercher. En France, on s’est fait peur avec le Front National mais il n’y a que Le Pen qui pouvait croire sincèrement qu’un jour il serait président. 80% des gens sont contre lui ! Que la gauche se regarde d’abord, l’histoire des pompes de Dumas, combien ça fait de pourcentages pour l’extrême-droite ? Contrairement au F.N, les Verts sont pour moi le parti qui a sans doute le plus de sympathie en dehors de ses rangs. On ne sait malheureusement pas l’exploiter. M : C’est-à-dire ? G : Les Verts ont un capital sympathie chez des gens qui ne sont pas Verts et qui pour autant ne sont pas des débiles politiques. Mais c’est un parti ! C’est la course aux postes. Décloisonner le cadre du parti, ils en ont peur. Que les Verts travaillent avec des non-Verts, c’est une bagarre qu’on essaie de mener avec notre Troisième Gauche Verte (3). M : La réalité du fonctionnement des Verts n’a actuellement pas grand-chose à voir avec l’esprit progressiste de ce " manifeste " de la Troisième Gauche Verte. G : Les Verts sont un vrai parti au sens négatif du terme. Se posait par exemple la question pour les Verts d’aller seuls ou pas aux élections municipales. Au nom de quelques villes en France, certains étaient prêts à des listes d’union directe avec le PS dès le premier tour, l’argument étant que l’on s’implante localement quand on a un maire. Je pense le contraire : il faut être implanté localement pour avoir un maire. Il n’est pas venu à l’idée des Verts d’en faire un grand débat, que des proches qui n’ont pas leur carte puissent participer aux décisions du parti. NOTES : 1. Alain Savary (1918-1988) : Ministre de l’Education Nationale de 1981 à 1984. Mitterrand avait promis " un grand service public, unifié et laïc de l’Education Nationale ". Après trois ans de négociations, de rencontres avec les différents acteurs du secteur scolaire, la fameuse guerre entre l’école publique et le privé se réveille à nouveau. Le projet de Savary est soumis au Parlement en mai 1984. En Juin, une manifestation d’un million de personnes a raison de la détermination de Savary qui démissionne du gouvernement en juillet. 2. Célestin Freinet : Instituteur, fondateur de la Coopérative de l’enseignement laïc, il fut amené à pratiquer la pédagogie, refusant l’autoritarisme tout comme le " laisser-faire qui ne résout aucun problème ", et tenta de concilier théorie et pratique, de promouvoir la formation de la personnalité ainsi que le travail par groupes, en développant les " méthodes actives " (imprimerie à l’école, journaux scolaires, textes libres). Ses positions inspirèrent de nombreuses réformes de l’enseignement en France et à l’étranger. 3. Troisième Gauche Verte : Manifeste publié par Daniel Cohn-Bendit dans Libération le 23 février 2000 et présenté le 26 février 2000 aux Etats généraux de l’écologie politique. Ce texte développe les conceptions politiques de Daniel Cohn-Bendit sur l’Europe, l’écologie politique et les Verts. Ont participé à l’élaboration plusieurs personnes dont Gabriel Cohn-Bendit. Le texte complet est disponible sur www.liberation.fr |