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L'Oeil électrique #14 | Société / Pas encore vu à la télé

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Par Marc Babaud, Stéphane Corcoral.

René Vautier, Paul Carpita, Pierre Carles, Martin Hardouin Duparc, Jean-Jacques Lissac : tous ont en commun d’avoir réalisé des documents audiovisuels que la télévision s’est toujours refusée à diffuser. Ce ne sont pas les seuls et ce ne seront assurément pas les derniers : après les décennies de mainmise gouvernementale, l’apparente diversité des chaînes dissimule mal, aujourd’hui, les tabous en vigueur sur le petit écran – au premier chef, comme l’explique Vautier : "La télévision ne s’autocritique pas." Qu’il s’agisse de manifestants bretons hurlant à la trahison des médias, de la fabrication d’un journal de France 3 vue de l’intérieur, ou encore des réponses embarrassées de "grandes figures" du journalisme télévisuel forcées de réagir à la connivence journalistes-politiques, on préfère négligemment mettre tout ça sous le tapis. Parce que ça fait désordre, voyez-vous. Et ce, aussi bien au niveau des chaînes commerciales que de celles pour lesquelles nous payons une redevance.
Pas besoin de réfléchir trop longtemps pour en comprendre la raison : la frontière entre "service public" et sociétés privées n’a plus vraiment de signification à la télévision. Les personnes sont les mêmes d’une chaîne à l’autre : on retrouvera sans sourciller un présentateur vedette une saison sur Canal+, la suivante sur TF1 et la suivante sur France 3. Un animateur-producteur pourra gérer simultanément des émissions sur France 2, France 3, TF1 et M6, etc. Le résultat : une uniformisation hallucinante des modes de réflexion, de fonctionnement et de comportement télévisuels. Qui aurait imaginé que France 3, chaîne des familles, des "provinces" et de Fa Si La chanter, serait celle qui diffuserait un trash-talk-show façon Jerry Springer, qu’on attendait plutôt sur TF1 ? Dans quelques années, nous aurons peut-être droit aux jeux du cirque sur Arte (chaîne qui fonctionne actuellement, selon le point de vue, comme un ghetto culturel ou comme une oasis de créativité). Les programmes de la Cinquième, "chaîne de la connaissance" étant déjà pour partie constitués de jeux télévisés crétins et de documentaires de voyage dignes d’une soirée diapo, une petite fusion par là-dessus, et l’histoire risque d’être emballée. Ajoutez à cela des troupes de journalistes fabriqués dans les mêmes usines, qu’on pourrait interchanger sans problème d’un JT à l’autre – le couple de l’été au journal de 13 heures sur France 2 ayant à ce sujet fait un tabac avec son numéro d’imitation de Jean-Pierre Pernaud…
Tout ceci ayant bien entendu aussi à voir avec le fait que le public est globalement considéré comme une vulgaire série de chiffres : il faut faire de l’audimat. La qualité, elle, ne se chiffre pas, alors on repassera. Bref, on ne peut pas parler d’excitation forcenée.
Et malgré les sommes colossales "investies", la création et l’innovation ne sont pas mieux loties : concepts d’émissions pompés à l’étranger, rediffusions à gogo, copier-coller des vieux machins avec la vague "enfants de la télé", décalques jusqu’à la nausée des programmes qui semblent bien marcher, formats figés, et surtout, programmes sortant de l’ordinaire relégués en troisième ou quatrième partie de soirée !… Là non plus, on ne nage pas dans l’imagination débridée.
Quel vieux grognon, me direz vous. Pourtant, j’estime avoir droit à autre chose. Vous aussi peut-être.

La petite lumière au bout du tunnel

Il y a un peu plus d’un an, un petit nombre d’activistes médiatiques (issus de télés pirates, de publications alternatives, de radios associatives et de l’Internet non marchand) crée la Coordination Permanente des Médias Libres, à laquelle un nombre croissant de structures vont se rallier. Tout ceci au moment crucial des débats concernant la future loi sur l’audiovisuel. A coups de diffusions pirates et d’événements symboliques, la CPML réussit à attirer l’attention de certains journalistes, puis d’élus et autres décideurs. "Au début, explique Rym Morgan de la CPML, la loi Trautmann stipulait que seules étaient autorisées à gérer des fréquences de télévision les structures commerciales." Pourquoi donc ? "Peut-être qu’il était plus concevable de traiter entre gens de bonne famille, qu’il y a trop d’indépendance dans le milieu associatif et citoyen… Tout ce que nous savons, c’est que, lorsque nous nous sommes adressés à l’équipe de Dominique Strauss-Kahn, il nous a été répondu que si les associations voulaient faire de la télévision, elles n’avaient qu’à créer une SARL ! " Une attitude quelque peu confondante de la part d’un gouvernement "de gauche" envers l’initiative associative… "Dès qu’on parle d’image, ça devient beaucoup moins accessible, et toutes les raisons sont bonnes : la responsabilité, les coûts économiques, le professionnalisme, l’intérêt du public… Mais dès que AB productions veut faire une télévision, ça par contre, ça pose beaucoup moins de problème."

C’est cette situation qui est à l’origine du mouvement de réaction : "Il se trouve qu’à ce moment-là, un certain nombre de médias se sont regroupés pour se défendre, parce qu’on constatait que les journaux étaient en train de s’écrouler, que les structures associatives de télévision tiraient la langue, que l’Internet non-marchand subissait des attaques (...) Une fois cette coordination créée, il a fallu commencer à travailler par ateliers : presse, audiovisuel, Internet et radio. Et nous avons commencé à envisager divers moyens d’action. Par exemple, au début, les gens ne croyaient pas qu’on pouvait émettre avec 5 000 francs. Donc on a amené des journalistes sur les toits, on leur a montré les émetteurs qui étaient positionnés, et on a émis en pirate sur l’AFP. Pour que les gens nous croient, pour qu’ils voient que ça marche. Et c’est avec ce type d’événements qu’on a pu produire des réactions. C’était très rigolo parce que tout le monde s’attendait à ce que la police intervienne pour saisir le matériel. Mais on recevait le roi du Maroc ce jour-là, pour le 14 juillet, et il aurait été difficile de faire une leçon de droits de l’Homme à Hassan II tout en interdisant des gens qui ne font que s’exprimer. D’ailleurs, quand on parle de piratage, c’est une notion à prendre avec des pincettes, puisque les fréquences utilisées n’étaient pas occupées, c’étaient des fréquences libres, personne n’a été gêné." Des fréquences disponibles en tous cas. Et c’est tout le problème. De toute évidence, il y a des fréquences analogiques hertziennes disponibles, mais combien ? C’est un des points flous de la situation. Mais TDF, le gouvernement et le CSA semblent peu enclins à en dire plus sur le sujet. Les enjeux sont bien sûr énormes, et tout le monde marche sur des œufs…

La CPML parvient donc à mettre les pieds dans le plat. Au résultat, en mars dernier, un amendement, défendu par Noël Mamère, autorise les télévisions associatives à se porter candidates pour une fréquence hertzienne. Auparavant, ces autorisations n’étaient que provisoires. Dorénavant, les associations peuvent gérer des fréquences de télévision sur le câble, par satellite, par voie hertzienne et sur le numérique hertzien.

"Après plus de 12 mois d’activité et le résultat appréciable d’avoir fait changer la loi, certains des membres les plus actifs de la CPML ont décidé de créer une télévision libre nationale de type associatif construite comme une ONG d’action audiovisuelle d’urgence." Rompant avec la logique des télévisions associatives locales, Zaléa TV a donc pour ambition d’imposer le secteur associatif à tous les niveaux. "Au départ tout le monde pensait "encore une bande de zinzins qui ne savent pas de quoi ils parlent". Mais il se trouve qu’un certain nombre de gens sérieux ont pris à cœur de mener à bien cette initiative (…) Enormément de gens ont été convaincus toutes ces dernières années que pour faire de la télévision, il fallait des sommes colossales. Enormément de gens ont cru qu’il n’y avait plus de fréquences. Enormément de gens ont cru que les règles qui régissent la télévision telles que les chaînes les pratiquent étaient inéluctables. A partir du moment où il y a une voix différente, avec la crédibilité nécessaire – des gens qui sont parfois du métier, qui savent de quoi ils parlent – au bout d’un moment, on parvient à se faire entendre. A force de voir que notre discours n’était pas un discours de circonstances, que ce qu’on leur avait donné comme infos, ils pouvaient le vérifier, et constater par eux-mêmes ce que nous dénoncions, eh bien la donne a complètement changé. Et des gens ont pris en compte la notion d’un autre secteur audiovisuel : le secteur associatif." Ainsi, le 12 mai 2000, le CSA autorise Zaléa TV à diffuser ses programmes sur le câble et par satellite. Pour la première fois, une chaîne associative nationale est conventionnée par le CSA. A l’heure où nous imprimons, la chaîne est en négociation avec Noos (filiale de Suez Lyonnaise des eaux) et Canal Satellite pour la diffusion.

Reste donc à faire avancer l’idée d’une télévision associative nationale en analogique hertzien, qui permettrait de garantir la pluralité et la liberté d’expression en matière de télévision – une formalité, quoi.

L’imbroglio technologique – Un des principaux problèmes de l’audiovisuel aujourd’hui est lié à la situation technologique : analogique hertzien, numérique hertzien, câble, satellite – autant de modes de diffusion possibles, autant de cadres législatifs à produire, autant de complexité en matière d’autorisations et autant de flou entretenu. L’analogique hertzien, c’est les chaînes de télévision "normales" telles que nous les captons aujourd’hui via l’antenne. Le numérique hertzien est un moyen technique qui permettra de multiplier le nombre de canaux disponibles par voie hertzienne, et non par satellite ou câble : 36 canaux seront disponibles, au lieu du nombre réduit (bien qu’on ne le connaisse pas exactement) disponible sur l’analogique hertzien. Un des problèmes actuels est qu’on ne sait pas comment vont être attribuées les différentes fréquences. La loi précise simplement que les associatifs pourront bénéficier d’apparaître sur le numérique hertzien. Mais au-delà de la théorie, il est tout à fait possible que le numérique hertzien soit un échec. L’exemple de l’Angleterre montre que les gens ne se sont pas équipés : il faut des décodeurs particuliers, payants, que le parc des télévisions change… Surtout, on est actuellement incapable de dire comment le numérique hertzien va se déployer. Or, un des arguments opposés à la CMPL, c’est qu’il était inutile de se battre pour des fréquences analogiques désuètes, puisque le numérique hertzien allait bientôt être là. Mais "bientôt", ça peut être l’année prochaine, ça peut être dans dix ans. Aussi, le problème des fréquences analogiques disponibles reste entier. "ça se quantifie difficilement, mais TDF [Télédiffusion de France, filiale de France Télécom qui contrôle la diffusion hertzienne] n’est pas transparent à ce sujet. TDF est à la fois juge et partie pour établir le plan de fréquences : TDF dit ce qui est disponible et c’est lui qui diffuse. Il pourrait donc préférer diffuser un client payant qu’un client non-payant."

Le CSA et les ambiguïtés de la loi – La notion d’incessibilité des fréquences, qui est intégrée à la loi, implique nécessairement qu’un certain nombre de fréquences soient réservées aux associations. Ceci étant, la loi se contente de préciser que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel doit veiller à ce qu’un équilibre soit respecté entre les acteurs des secteurs public, commercial et associatif. A priori c’est plutôt une bonne chose, mais reste à savoir comment le CSA interprètera cette notion d’équilibre. Par exemple, il n’est pas expressément stipulé que le CSA doive obligatoirement attribuer des fréquences au secteur associatif dans chacune des régions où il fait des attributions. Tout dépend également de ce que représente la notion d’équilibre pour le CSA.

Bref, des considérations qui relèvent largement des contingences. D’autre part, c’est le CSA qui décide des autorisations et des renouvellements. Lorsque le décret d’application de la nouvelle loi entrera en vigueur, les associations pourront postuler pour une fréquence permanente, mais "pour faire une autorisation permanente, il faut un appel à candidature. Appel à candidature qui ne sera pas forcément réservé aux associations." On peut donc craindre que dans ce genre de situations, les associations ne soient pas de taille face à la puissance financière d’entreprises commerciales. "Il n’y a malheureusement pas de notion de cotas, ni de discrimination positive à l’égard des associations." Il n’y a pas non plus d’obligation de transport gratuit des chaînes associatives pour les opérateurs. Or, cette notion de must carry existe pour les chaînes publiques, et elle existe également dans d’autres pays pour les associations, afin de leur garantir une visibilité équitable. "Comme par hasard, les chaînes qui bénéficient du must carry en France, c’est la chaîne du sénat et la chaîne de l’assemblée."

Pour l’instant, en faisant une interprétation restrictive de la loi, le CSA estime qu’une autorisation de diffusion sur le câble est incompatible avec une autorisation de diffusion hertzienne du même programme (et ce même pour une durée limitée dans une zone donnée). "Cela revient à interdire aux téléspectateurs qui ne peuvent pas ou ne veulent pas s’abonner au câble de recevoir les programmes qu’une chaîne associative gratuite d’accès public souhaite leur offrir. Par ailleurs, l’argument semble pour le moins étrange puisque toutes les chaînes nationales hertziennes sont reprises sur le câble." A ce titre, il est surprenant que le CSA qui est censé, selon ses propres termes, "garantir l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle", ne soutienne pas plus franchement l’émergence du tiers secteur audiovisuel, se contentant de lui laisser quelques miettes, avec des attributions temporaires de fréquences locales, notamment aux télés parisiennes "historiques" Ondes Sans Frontières et Télé Bocal. Le CSA semble en fait vouloir jouer sur la division des associations en les mettant en concurrence, ce qui ne correspond pas exactement à une politique de soutien.

Le Fonds de soutien – Les implications de la nouvelle loi sur l’audiovisuel pour les associations sont à rapprocher de ce qui s’est passé en 1982 pour les radios libres. Le gouvernement socialiste de l’époque, après avoir fait la chasse aux émetteurs pirates, décide d’autoriser l’ouverture de la bande FM aux radios associatives. Cependant, la question du financement de ces radios n’a pas été envisagée, nombre d’entre elles ont coulé et les fréquences ont été récupérées par des sociétés privées. Un fonds de soutien est créé, trop tard, après bien des approximations. Il permet pourtant de faire fonctionner actuellement quelques 400 radios associatives. En matière de télévision, la loi permettra d’éviter un important écueil par rapport à la radio, car elle intègre la notion d’incessibilité des fréquences. Il sera impossible de vendre une fréquence associative et d’en faire une fréquence commerciale. Mais reste la problématique du financement. Pour ne pas tomber dans les mêmes travers, il est essentiel de fournir un soutien financier aux télévisions associatives, quel que soit leur mode de diffusion. L’idée d’un fonds de soutien a été défendue par Danièle Pourtaud, sénatrice socialiste. Mais Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, a rejeté son amendement. En haut lieu, on balise à l’idée d’un tel fonds de soutien. "La crainte de Tasca est liée au volume que cela peut représenter." Mais l’idée qu’on se fait de la production audiovisuelle se limite aux budgets pharaoniques des chaînes hertziennes, de celles du câble et du satellite, ou des locales financées par les collectivités publiques (cf. comparatif). Or, pour couvrir des besoins équivalents à ceux des radios associatives (qui disposent, elles, d’un fonds de soutien), les montants n’ont rien à voir avec ceux de ce qu’on connaît actuellement en matière de télé. "Pour commencer nous estimons le fonds de soutien à 500 millions de francs," explique la CPML. Il semblerait, d’après quelques indiscrétions, que la position de Tasca évolue à ce sujet et que de bonnes nouvelles pourraient arriver à l’automne. Ceci dit, les bonnes nouvelles risquent d’autant plus d’arriver qu’un nombre important de personnes affichent leur intérêt pour un tiers secteur associatif.

Les programmes

Par-delà les problèmes technico-politiques et les principes démocratiques de pluralité, une question qui se pose nécessairement est celle du contenu – et de sa qualité.

Zaléa TV se présente comme la vitrine de l’audiovisuel associatif en France : hormis ses propres productions, son principe est de diffuser les programmes envoyés par des réalisateurs indépendants, des ONG, des associations, vous, moi… tous ceux qui le souhaitent. Elle se veut une chaîne, non pas de libre accès, mais d’accès public. La différence étant qu’il ne s’agit pas d’un système où toute cassette reçue par la chaîne serait diffusée : le comité éditorial a un droit de regard. Ceci étant, la ligne éditoriale est volontairement minimale : seuls ne seront pas diffusés les documents racistes, sexistes, homophobes, etc. Le projet de fonctionnement éditorial est à ce titre assez intéressant : "On veut pas que le niveau de qualité, au sens technique du terme, soit le critère de sélection. Ce qu’on s’est fixé comme principe, c’est que si l’un d’entre nous considère qu’un document reçu doit être passé et qu’il argumente, s’il y en a un seul sur les dix qui prend cette position-là, ce document passera. C’est du favoritisme envers la minorité."

Au-delà de cette position de principe, qui ne pourra démontrer ses qualités qu’à l’épreuve pratique, les projets novateurs ne manquent pas : "Par exemple, nous allons participer à la prochaine journée sans télé. Au lieu des programmes, on aura un bandeau "Aujourd’hui journée sans télé". Ou alors un soir où il y aura un truc particulièrement bien sur Arte, on mettra "Ce soir, regardez Arte". Des choses que personne ne peut se permettre à la télé aujourd’hui. Mais le plus important avec Zaléa, c’est de savoir si on sera en mesure de casser les codes de la télé, pouvoir dire que la télévision, ce n’est pas un monstre inaccessible : tout le monde peut s’en servir !"

C’est bien joli tout ça, mais comment toutes ces belles paroles peuvent-elles se concrétiser ? Dans la pratique, les projets ou les programmes existants ne manquent pas, loin de là – on s’en rend parfaitement compte en regardant la cassette de présentation de Zaléa TV. Les matériaux audiovisuels inexploités et potentiels sont immenses : les exemples du collectif lillois Vidéorème et de la chaîne tourangelle Sans Canal Fixe sont là pour le prouver ; la qualité est ici largement au rendez-vous. Mais ce n’est là qu’une partie visible de l’iceberg. Il existe aussi de nombreuses télévisions libres locales, qui diffusent pour l’instant leurs programmes avec les moyens du bord : Télé Pangée à Montpellier, Primitivi à Marseille, ou Haro TV à Besançon…

Par ailleurs, partout en France, des réalisateurs et producteurs professionnels indépendants, parfois regroupés en associations, luttent pour monter et montrer leurs productions. Zaléa propose une sélection de productions jamais passées sur les chaînes françaises : Douce France, la saga du mouvement beur de Mogniss H. Abdallah et l’agence IM’média, diffusé sur Channel 4 en Grande-Bretagne, n’a jamais été diffusé à la télé française ; Marée noire, colère rouge (1978) de René Vautier, emblématique d’un travail d’enquête occulté à la télévision, relate l’attitude des pouvoirs publics et des médias après le naufrage de l’Amoco Cadiz en 1978, et reste totalement d’actualité quand on constate ce qui s’est récemment passé avec l’Erika ; La télé pour de vrai, documentaire de Martin Hardouin Duparc sur le quotidien du travail au sein d’un JT régional de France 3… Ce ne sont là que quelques exemples. Et puis, nous aurons enfin l’occasion de voir Pas vu à la télé à la télé.

Les ONG constituent un autre "réservoir" d’images assez impressionnant. Par exemple un clip rentre-dedans d’Amnesty qui dénonce la situation déplorable aux Etats-Unis en matière de droits de l’Homme via une parodie de pub pour des jeans – jamais passé à la télé suite à un avis négatif du BVP indiquant que ce clip "pourrait nuire aux bonnes relations entre la France et les Etats-Unis." Autre exemple : Médecins Sans Frontières avait réalisé dès 1994 (!) un documentaire intitulé Tchétchénie : un peuple qu’on assassine. Pour l’instant (car on imagine sans peine que ce n’est qu’un début), Zaléa a aussi dans son chapeau des documents de Reporters Sans Frontières, d’ATTAC ou encore de Greenpeace.

Et puis il y a bien sûr toutes les productions culturelles et artistiques de créateurs travaillant dans les domaines de l’animation, du court ou long-métrage, de la photo, du graphisme, du comique, de la musique… et dont beaucoup n’ont jamais l’occasion de trouver de débouchés audiovisuels pour leur travail – faute de conformité aux canons en vigueur.

Mais la composante qui semble porter le plus de promesses, car elle nous permet d’inverser le rapport que nous entretenons avec la télé, c’est la notion de "télévision de libre accès citoyen". Cette notion change totalement la donne : moi, utilisateur lambda, je suis un acteur potentiel de ce que je regarde à la télévision. J’ai la possibilité d’avoir un rôle actif dans ce média. Je ne suis pas un simple consommateur. Déjà, l’équipe de Zaléa propose une liste assez conséquente de ce type de programmes, mais quand on voit à quelle vitesse les moyens de productions audiovisuels deviennent plus accessibles (avec une caméra numérique et un ordinateur, on peut sans problème réaliser une interview ou un documentaire), on se dit que les possibilités sont infinies ! Alors bien sûr, viendra toujours l’argument de la "qualité", mais, par exemple, la qualité que je constate tous les jours en matière d’édition indépendante et artisanale me pousse à penser qu’il en ira exactement de même au niveau audiovisuel.

Action

Alors que faire, maintenant, aujourd’hui ?

Tout d’abord, Zaléa lance une souscription nationale. Ensuite, cette chaîne est une association, qui peut compter des membres. Plus les membres de cette association seront nombreux, plus son poids sera important face au CSA ou aux pouvoirs publics. Il est aussi possible de signer la pétition de Zaléa qui permettra à l’association de faire valoir le fait qu’un certain nombre de personnes s’intéressent au tiers secteur audiovisuel et estiment qu’elles y ont droit. Et puis, plus prosaïquement, les dons en nature sont les bienvenus. Si vous pouvez envoyer des cassettes VHS ou DV, du matériel hi-fi ou vidéo dont vous ne vous servez plus, du vieux mobilier, envoyez-le plutôt que de le foutre à la poubelle ! Une chaîne de ce type n’a pas besoin du dernier matériel hi-tech ultra performant pour exister et faire un travail de qualité. Il suffit pour s’en convaincre de passer dans certaines radios associatives et de comparer le piètre état du matériel à la qualité des programmes pour s’en convaincre. Enfin, vous pouvez également organiser des projections chez vous, dans votre ville. C’est aussi ce genre de choses qui fera vivre et connaître un projet comme celui-là.

Il est temps de sortir votre caméra !

Le Site Web de Zaléa TV : www.zalea.org

> Une télé locale : Sans Canal Fixe

Miko, Ola, Bordeaux Chesnel, Force Ouvrière, Cofidis, Festina… un défilé de voitures publicitaires qui lancent des casquettes, des pots de rillettes, des tracts à une foule amassée sur le bas côté et d’un seul coup… des bicyclettes qui passent à toute blinde, une voiture qui annonce "fin de course" et les gens qui se dispersent. 20 secondes de vélo, un des sujets de Sans Canal Fixe, donne le ton des émissions proposées par la télévision libre tourangelle ; une vision décalée de l’événement (en l’occurrence le Tour de France), pas d’explication off, donc la liberté pour le téléspectateur d’interpréter à sa guise ce qu’il voit.

Cette télévision associative locale s’est mise en place fin 1998. A l’époque, un collectif de réalisateurs, de techniciens et de journalistes se constitue pour réagir contre un projet de télévision privée, explicitement piloté par la droite, proposant une programmation type dépliant touristique : les vignes, l’artisanat régional, et des programmes météo à gogo. Leur premier tournage suit au jour le jour la mobilisation du comité de parrainage des sans papiers de Tours, sujet éminemment plus polémique que les vendanges, et depuis lors, les tournages s’enchaînent.

L’existence de SCF en tant qu’association date de février 1999, avec comme objet déclaré de "promouvoir la réflexion sur les médias de proximité, notamment par la réalisation et la diffusion de reportages." Ses instigateurs refusent que cette télévision soit "au service d’un groupe politique particulier" et la définissent d’abord comme "un accompagnement du mouvement social, et surtout comme un laboratoire d’écriture audiovisuelle."

Leur idée de la télévision : "une télévision qui entretient un rapport différent à "l’événement", avec une programmation non dépendante de l’actualité, mais aussi à la forme, avec la disparition du commentaire sur les reportages." L’idée est "d’assumer la subjectivité, contrairement à la télévision classique qui veut faire croire à l’objectivité." Ils travaillent sur la forme, en utilisant "la grammaire cinématographique", pour que les gens réagissent et "comprennent la subjectivité de ce qui leur est proposé, et se fassent une idée par eux-mêmes."

Les moyens sont plutôt modestes ; la télé fonctionne grâce aux cotisations des adhérents et au système de "télé brouette", c’est-à-dire que les lieux (bars, centres sociaux et même une chapelle) qui veulent diffuser une cassette des programmes de SCF paient 500 francs pour que l’équipe vienne faire une diffusion en amenant plusieurs téléviseurs câblés à un magnétoscope, avant de discuter avec les gens après la diffusion. Enfin, l’association reçoit une aide – on pourrait parler d’obole – de 5 000 francs par an de la part de la ville. C’est le système D qui prévaut : prêt de matériel, dépenses payées de la poche des membres actifs…

La diffusion se fait donc soit par cassettes soit sur Internet, sur teleweb. SCF prévoit également un nouveau mode de diffusion pour la rentrée, un système d’emprunt de cassettes par des particuliers qui pourront regarder les programmes chez eux. Les émissions pourront aussi être diffusées sur Zaléa TV. Mais, pour l’équipe de SCF, l’objectif reste également de continuer à passer dans les bars, pour que la télévision garde un lien avec les gens qui la regardent, que s’établissent des rapports humains autour d’elle – qu’elle ait une véritable fonction sociale.

La nouvelle loi sur l’audiovisuel permet, en théorie, à SCF de postuler pour une attribution de canal hertzien local, mais les critères de sélection sont presque tous d’ordre financier, et sans fonds de soutien aux télévisions associatives… Il n’y a donc pour l’instant pas véritablement de place, même au niveau local, pour ce type de télévision à petit budget.

Sans Canal Fixe – 24, rue de Cygne – 37000 Tours – Fax : 02 47 05 51 39 – scf@fr.st
Site Web : www.scf.fr.st

> Un collectif de réalisateurs : le Collectif Vidéorème

Né en 1991, Vidéorème se compose d’une équipe de six réalisateurs qui s’expriment avec la vidéo pour "promouvoir le documentaire." Mais attention, à ne pas confondre avec une maison de production qui vendrait ses films à la télévision ! Le but est justement d’éviter que le documentaire soit un produit de la télévision institutionnelle. Alors, comment ? Simplement en essayant de réaliser des films qui "dépassent la simple saisie événementielle", en passant par une réflexion sur l’introduction de la caméra, et surtout en s’attachant à "restituer la parole d’hommes et de femmes qui ne l’ont que très rarement et n’existent dans les médias qu’en tant qu’objets". Cet objectif double et très ambitieux, à la fois exigence artistique et préoccupation sociale, se traduit donc par la réalisation régulière de documentaires.

Mais l’association a voulu pousser plus loin l’idée de donner aux gens la possibilité de s’exprimer. Aussi, depuis 1994, ses activités se sont-elles étendues à la mise en place d’ateliers de réalisation. Ils sont ouverts aussi bien à des adolescents (collégiens, lycéens) qu’à des adultes, soit à l’initiative du collectif, soit sur la demande d’une autre structure. Les réalisateurs de Vidéorème, qui encadrent ces ateliers, veulent que les participants puissent s’impliquer dans une démarche collective. Ils les encouragent à produire une création dont le sujet est leur quotidien, en apprenant à maîtriser le langage audiovisuel. C’est pourquoi ces ateliers permettent aux "apprentis documentaristes" de travailler concrètement à toutes les étapes : choix du sujet, tournage, montage et recherche d’une possibilité de diffusion.

Ici, la réalisation de documentaires est une façon, par le biais d’une démarche artistique, d’aborder des problèmes sociaux, d’apporter un regard sur différentes cultures, et de s’engager sur des mouvements politiques. Ces ambitions sont concrètement appliquées, par exemple dans Du beurre dans les épinards, réalisé en 1998 par Patrick Deboosère et Gilles Deroo. Au départ, les réalisateurs ont rencontré des femmes qui se réunissaient dans le cadre d’un atelier d’aide à la consommation pour essayer de gérer leur maigre budget. Le film les laisse parler, chez elles, avec leurs familles, de leurs difficultés financières. Mais à aucun moment le propos ne tombe dans le misérabilisme. On écoute, ébahi, le discours résigné ou révolté de leurs maris, chômeurs ou Smicards exploités par leur entreprise, mais toujours dignes et riches d’humour. L’un d’entre eux nous livre une parabole grinçante de notre monde, représenté par deux voitures miniatures, la plus petite celle des "plus démunis" et la plus grande celle des riches. De la poésie chez les pauvres, on croit rêver ! Citons brièvement d’autres sujets, comme ils les appellent des "pas vus à la télé" : les relations entre des jardiniers retraités, immigrés algériens et français "de souche", qui entretiennent ensemble des potagers ouvriers de Tourcoing, ou la création d’un collectif d’Agir ensemble contre le Chômage à Roubaix…

Tous les documentaires sont diffusés en avant-première dans un cinéma ou un lieu associatif de la région, avec le souci d’ouvrir le débat entre réalisateurs, protagonistes et public. Les cassettes sont également vendues ou louées aux particuliers et aux structures qui désirent les projeter. Chaque année, Vidéorème participe à des festivals de film documentaire en France et à l’étranger, et – ce n’est pas un hasard – a déjà reçu une dizaine de prix. Certains des films ont pu être vendus à Arte et France 3, mais ce mode de diffusion est plutôt rare et peu rémunérateur.

Par la force des choses, le collectif a dû s’occuper de la diffusion de ses films, qui pour la majorité ne risquent pas de passer sur les chaînes classiques. Un peu trop engagé, pas assez glamour peut-être ? C’est pourquoi Zaléa TV représente enfin une possibilité de collaboration et une ouverture pour une diffusion moins confidentielle parce que nationale.

Vidéorème – 64, boulevard de Strasbourg – 59100 Roubaix – Tél/Fax : 03 20 45 01 75

D’autres associations audiovisuelles en France : Primitivi à Marseille, Télé Bocal et Ondes Sans Frontières à Paris, Télé Pangée à Montpellier, Haro TV à Besançon… plus d’infos sur www.medialibre.org

Quelques éléments de comparaison :

Chaîne/Radio Budget
France 3 6 156 MF
France 2 5 721 MF
Radio France 2 877 MF
La Sept/Arte 1 949 MF
La Cinquième 828 MF
Fonds de soutien audiovisuel associatif (est.) 500 MF
Canal Jimmy 97 MF
Télé Toulouse 22,5 MF
Zaléa TV (est.) 5 MF
Radio Campus Dijon 850 000 francs