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L'Oeil électrique #15 | Nouvelle / Soirée select

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Par Dominique Ségalen.

Ici bas : un grand rassemblement d'humains.
Des hommes précédés par leur ventre (réussite sociale oblige), des femmes aux chaussures à talons dont on ne sait dans quelle boutique se procurer de si grandes tailles, des midinettes jeunes ou vieilles en déploiement tactique affiné...
Bref, un inventaire morphologique complet sur l'échantillon d'une classe de société donnée, supportant l'observation puis la classification rigoureuse à laquelle il est si agréable de procéder lorsqu'une telle soirée nous est inévitable.
De vieux beaux qui se trémoussent sur des tubes made in USA comme s'ils allaient gagner leur aguicheuse partenaire au black-jack : leur façon de relever les coins de bouche, leur graisse qui tremble...
Ah ! Tremble la graisse comme la gelée sur les tartes aux pommes du buffet garni devant lequel, sur plusieurs files, se trame une lutte pour remplir les assiettes de plastique au moulage si fin qu'il est rare d'arriver à une table sans semer sur la moquette l'huile des champignons à la provençale ou un cube gluant de mascarpone...
La femme du notaire traverse la salle tel un grand échassier gris flanelle, le cou en avant, le plumet rouge-sur-crâne, embrassant les nouveaux venus du coin supérieur du bec, qu'elle garde en alerte, fort pincé.
Vient le tango du pharmacien, raidi sur roulement à billes, la bouche lippue, l'œil scintillant sous le reflet des néons.
Il l'attendait depuis un moment ce tango, qui lui va comme un gant. Il trouve un rythme, le sonotone tressaute en mesure, la main gauche en catatonie, les doigts écartés au maximum de tension : le trop-plein de bijoux de sa partenaire le gêne un peu...
Le vieux pharmacien glisse, aux anges, dans le tintamarre des haut-parleurs mal réglés, sous la torture d'un accordéon lancinant.
Il biche, mais sa partenaire s'ennuie. Elle ne voit pas - car leurs deux corps imbriqués sans joie ressemblent à des mannequins de vitrine pris dans un tourbillon d'automne - non, elle ne voit pas son air épanoui, même carrément heureux.
Il s'applique, crée des effets de style, la renverse artistiquement, jusqu'à la limite de la résistance de ses genoux, la surcharge pondérale de la dame l'obligeant à freiner ses ardeurs.
Elle ne saisit pas la beauté d'une chorégraphie ajustée au plus fin pour ne pas risquer de rompre les coutures d'un costume trop serré, ni l'attendrissant sourire final illuminé d'une couronne à la deuxième molaire inférieure droite.
A la fin de la danse, elle le plante là, un peu interdit, réajustant son chemisier transparent noir façon mantille d'un autoritaire moulinet de poignet, décapitant imperceptiblement le sommet d'une plante en plastique, près du podium.
Une évaporée à la bouche prune presque mûre traverse la marée des danseurs en zigzagant, cigarette en proue, l'air de vraiment savoir où elle va.
Un genre de steward en retraite, bronzé, raie au milieu, chevelure neige usée, enfouit son nez (qu'il a conséquent) entre les seins dodus d'une quadragénaire en robette fine à la limite du décent, à chaque tour de rock… et les tours sont nombreux !

Une rousse revêche tourne-et tourne-et tourne autour d'un mondain raide qui la mène à l'économie.
Ses pantalons de crêpe fin volent tant, que s'ils retrouvaient leur liberté, ils iraient instantanément se coller aux murs de tissu bleu roi… certainement drapé par une machine ! Pas possible de faire tous ces plis à la main ! !
Une femme dotée d'une forte poitrine cubique tente de fermer le bouton de sa veste léopard. Du moins le bouton du bas au-dessus duquel partent, en arrête arrondie, prisonniers d'une soie molle, deux seins incroyables.
Dire qu'ils la précèdent dans chacune de ses activités journalières diverses et variées ! Dire qu'elle s'y est habituée !
Sur ces mamelles défiant toute pesanteur - elle a du mal, en dansant, à ne pas plonger en avant - une paire de lunettes en or véritable se jette dans le vide à chaque secousse, cueillie au vol par un mètre cinquante de chaîne du même métal.
"- Quand je vois tes yeux, je suis amoureux, quand j'entends ta voix, je suis fou de joie…" entraîne inexorablement ces précieuses prothèses oculaires, écartelées sans pitié, jetées-rattrapées au mépris d'un valeur d'achat pourtant indiscutable. Une Diva dodue (où il faut) ayant allumé son voisin de table, subit les danses répétées avec un sourire immobile : le même depuis 20h35 malgré les jambes croisées pour montrer la dentelle ivoire du haut des bas. Est-elle liftée trop serré ?
Un Aldomachione tout en gris - costume, chemise, cravate, cheveux - à la sortie d'une salsa, reste quelques instants surpris, les sourcils froncés.
Une musique africaine le surprend littéralement, le pousse à tendre une main en avant et poser l'autre sur le bas de son ventre pour se déhancher avant-arrière, arrière-avant en petites secousses.
Etonné, il regarde autour de lui pour voir s'il est observé.
Les pieds joints, il se déplace tel un homard prudent, longitudinalement, puis latéralement, sérieux comme un agent de la circulation à un carrefour, en pleine découverte pourtant de racines primitives étonnamment puissantes, le poussant à lâcher quelques réserves (à cet instant, il lui faudrait un stage d'épanouissement personnel dans un village en pleine brousse, pour que cet élan vital, attendrissant, porte quelques fruits)… tandis qu'un dandy africain tout de smoking vêtu, crée à deux pas une chorégraphie classique impeccable sur valse de Vienne.
Vers le podium, le tirage de la loterie succède au virevoltage des tenues chic.
- Bernard, montre cette su…perbe ! ! corbeille de fruits confits gagnée par le numéro 592 ! Voici la corbeille mesdames et messieurs, gagnée par le numéro 592 ! Qui est le numéro 592 ? Oui, là-bas ! Voici, madame, un mer…veilleux lot offert par un commerçant de votre ville, la boutique Baggi, avenue Robert Silo ! ! ! (applaudissements fournis de l'auditoire).
L'animateur se fige, le sourire immaculé, un bras tendu vers une monstrueuse corbeille encellophanée-enrubannée-tortillonnée tandis que la dame, cramoisie, fend pendant une longue minute les allées entre les tables disposées en quinconce.
Ce manque de synchronisation le navre.