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L'Oeil électrique #15 | Société / Dieudonné

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Par Antonin Serpereau, Mathieu Renard, Muriel Bernardin.
Photos : Mathieu Renard, Muriel Bernardin.

Dieudonné, hors contexte promotionnel, n'a rien à voir avec le clown télévisuel que l'on veut qu'il soit. L'humoriste est invité sur les plateaux télé, mais l'homme se dit censuré voire totalement zappé. Bonne occasion donc pour nourrir l'enregistreur de sa voix chaude et calme : convictions idéologiques, engagement politique à Dreux et combat pour le respect de "l'homme noir". Né métis, Dieudonné se livre et se revendique comme un utopiste : projets fous, convictions parfois à la frontière de la naïveté et parcours contrasté ; l'homme exigeant et sincère ne dédaigne pas les plaisirs de la célébrité. Le cul entre deux chaises, c'est peut-être là que se trouve un monde meilleur.

En vous attendant, nous discutions avec des enfants qui sont en caravane sur le parking et qui nous disaient : "Il y a des gendarmes qui sont venus nous voir et ils nous ont expliqué : - Ce soir, il y a des nègres qui vont venir et qui vont enlever tous les enfants…" Quelle entrée en matière !
Des nègres ? Les nègres sont dans la place ! Avec le temps, j'ai réussi à apaiser et à calmer mes colères, puis à essayer d'analyser la situation, de savoir pourquoi ce pouvoir blanc nous en voulait autant. J'ai vu la définition de nègre, négresse, négrillon dans le dictionnaire d'il y a une centaine d'années, en France, approuvée évidemment par une société de savants, de gens de lettres et autres ecclésiastiques. Et ça disait : "qui ne connaît pas cette sorte de museau et de pelage laineux, avec une barbe rare, des genoux toujours demi fléchis, qui lui donnent cette allure éreintée qui le rapproche de l'orang-outan." C'était il y a cent ans en France ! Entre ce gendarme et cette définition, ça n'est qu'une histoire qui doucement se construit. Liberté, égalité, fraternité. Je ne pense pas que de mon vivant, je puisse apprécier et constater ce fondement républicain. Je pense que ça n'est qu'une utopie magnifique qu'on atteindra certainement un jour mais pour moi, la discrimination est partout, tout le temps. L'homme noir n'est pas considéré comme l'égal de l'homme blanc.

De quel "homme noir" parlez-vous ?
Quand je dis noir, c'est tout ce qui n'est pas blanc. C'est métis parce que personne n'est noir, personne n'est blanc. A partir du moment où on a blanchi la relation à Dieu, où on a donné un visage à ce Jésus, forcément, la perfection et la pureté furent associées à ce peuple blanc. Et le reste, c'était le peuple noir, le peuple métis. C'est une secte qui s'est créée et qui a dégénéré. C'est une maladie, une société malade pour haïr à ce point l'humanité, pour avoir anéanti autant de peuples et de civilisations qui font partie de l'humanité, je ne comprends pas…

Pourriez-vous nous parler des quotas - dont vous êtes partisan - pour les "minorités visibles" à la télévision ?
C'est le collectif Egalité qui a réussi à obtenir un changement du cahier des charges des chaînes publiques. Nous nous sommes déplacés au CSA, qui a reconnu qu'il y avait effectivement une discrimination active de la part des chaînes de télévision, notamment du service public et qu'il était normal qu'il y ait une plus juste représentativité des minorités visibles, dont je fais partie.

Comment fait-on pour les autres minorités, celles qui sont moins "visibles" ?
Ce que je trouvais très intéressant dans l'histoire des quotas, c'est que ça mettait le doigt sur une zone d'ombre, une zone sensible de notre république. Il est difficile de parler au nom de tous. Ce collectif s'adresse avant tout à une communauté qui est la communauté la plus pauvre de cette planète, qui est la communauté noire. On nous a opposé ce discours à un moment donné, en nous disant : "Oui, les quotas… mais les homosexuels, les handicapés, les grands brûlés ?" On parle d'une minorité qui vit la discrimination. Quand un Polonais va chercher un boulot ou chercher un logement, la discrimination ne se fera pas instantanément.

Et pour un handicapé non plus ?
Pour un handicapé, oui.

Alors pourquoi pas des quotas pour des handicapés et des grands brûlés à la télé ?
Nous, au sein de ce collectif, nous tendons vers l'égalité pour chacun. L'être humain, la vie. Maintenant, on parle des handicapés. Il existe des handicapés qui en plus sont noirs.

Quelquefois grands brûlés et homosexuels...
Et homosexuels. Pour ces minorités, c'est très difficile. Mais nous, nous avons une histoire : nous subissons le pouvoir blanc depuis très longtemps. Notre histoire nous entraîne vers l'exemple des Etats-Unis et du Canada où les Indiens d'Amérique ont un traitement particulier. Puisque dans la réalité, nous n'avons pas le même traitement, et que nous vivons des discriminations qu'un homme blanc ne vit pas, je ne vois pas pourquoi cette république se voile la face. Pour l'instant, il y a une discrimination positive à mettre en place, et c'est cette histoire de quotas qui va nous permettre de nous structurer parallèlement à cette société blanche, de pouvoir simplement exister. Aujourd'hui, la représentativité des Noirs à la télé, c'est des sportifs, quelques humoristes ou des chanteurs. C'est le zouk, la danse. Bizarrement et paradoxalement, aux Etats-Unis, c'est plus facile.

Mais aux Etats-Unis, cette situation ghettoïse énormément. On voit des Noirs, des Blancs, des Asiatiques, des Hispaniques à la télé, mais cela ne résout rien du point de vue de la cohabitation de ces communautés !
J'ai le point de vue d'un homme noir, métis qui a grandi en France et qui, pendant toute son enfance, pour se reconnaître n'avait comme reflet dans les médias et au cinéma que des artistes noirs américains. J'ai toujours associé mon image à des Noirs américains parce qu'il n'y avait pas de Noirs d'Afrique qui s'exprimaient au travers de l'écran. Il y a une fenêtre d'expression aux Etats-Unis qu'il n'y a pas en France. En France, l'homme noir n'a pas la possibilité de s'exprimer. Il n'a pas de visibilité et quand il en a une, elle est manipulée par les chaînes de télé, par TF1 qui veut nous voir danser, zouker et raconter des blagues de cul. On sait aujourd'hui qu'aux Antilles, les femmes et les hommes étaient séparés, que régulièrement, le maître blanc violait les femmes le dimanche après-midi, avec les invités et que ça a donné naissance à tout un tas de métissages. Dans toutes ces îles, les hommes étaient cassés dans leur virilité. La famille n'existait pas et l'homme antillais est resté debout mais K.O., même encore aujourd'hui. Notre histoire n'est pas la même. A priori, nous sommes les mêmes mais nous n'avons pas la même histoire. Mes ancêtres n'étaient pas gaulois même si dans mon métissage, j'ai du sang gaulois. Mes ancêtres, ce sont ceux qui se rapprochent le plus de ce que j'imagine de l'humanité, c'est-à-dire de l'histoire du peuple noir. Et je pense qu'un homme blanc peut avoir cette même sensibilité, se dire : "Je ne suis pas blanc, je suis humain". Et l'histoire de l'humanité, c'est tout ce brassage. On n'est pas obligé de se limiter aux peuples guerriers, aux Gaulois.

Est-ce que vous n'avez pas peur d'être utilisé en France comme on utilisait Louis Armstrong ou Joséphine Baker aux Etats-Unis pour représenter une caricature du Noir ?
Les quelques admis de la communauté noire sont surtout les sportifs. On s'empresse de dire qu'ils gagnent des millions et des milliards pour les couper de leur base qui est extrêmement pauvre. La communauté la plus pauvre de France, c'est la communauté noire ! Et en même temps, il y a besoin d'alibis pour montrer qu'on est dans une démocratie. Les sportifs sont emprisonnés dans des fédérations. Je pense notamment aux footballeurs. Lorsqu'ils ont gagné la coupe d'Europe de football, j'ai vu un porc s'exprimer, le président de la Fédération française de football, Simonnet, qui annonçait à qui voulait l'entendre le salaire et le montant des primes des joueurs! Et lui, combien gagne-t-il ? Pourquoi donne-t-on le salaire des footballeurs et pas celui des dirigeants ? C'est encore une fois de plus les décrédibiliser auprès du peuple et de l'opinion publique parce qu'un homme qui gagne trois millions par mois, il n'est plus crédible, il n'est plus en phase avec les réalités. C'est une politique consciente, je crois. Le point positif, c'est qu'ils défendent les couleurs de la France et que cette équipe, championne du monde et championne d'Europe est un beau symbole de métissage. Les Noirs sont sur le terrain mais n'ont pas en main leur destinée. Et moi, ce Simonnet me fait vomir. J'ai l'impression d'avoir affaire à une autorité, encore le pouvoir blanc qui décide de primes et de machins, c'est scandaleux. Les hommes qui se défendent et qui se battent sur ce terrain, je les plains parce qu'ils ne sont pas libres. C'est une équipe d'hommes qui se sont à un moment donné rassemblés pour porter une histoire de métissage, c'est ça qui m'intéresse.

Je ne crois pas qu'ils se soient rassemblés pour cela. Ce sont de bons joueurs qui rapportent de l'argent ! Cette victoire a simplement ouvert les yeux à des médias qui semblaient découvrir que la France est un pays métissé…
C'est sûr que ça a donné une autre image de la France, qui est une image magnifique. Je crois qu'il y a chez ces "minorités visibles" une aptitude à vouloir s'exprimer. Etre un chien dans le regard des gens, il faut le vivre pour le comprendre, c'est incroyable !

Vous ne pensez pas que les sportifs, par exemple, pourraient plus s'engager en profitant d'un espace médiatique comme l'avaient fait certains athlètes noirs aux JO de Mexico ?
Il n'y a plus de gens aussi courageux, l'argent est venu décrédibiliser leur action.

Vous qui passez régulièrement à la télé, pourquoi ne pas utiliser votre statut de personnage public pour arrêter les blagues et dire les choses importantes qui vous tiennent à cœur ?
C'est vrai. Alors, deux réponses : émission montée ou émission en direct. Thierry Ardisson par exemple, il tourne quatre heures d'émission et n'en garde que deux. Le groupe Zebda pourrait vous en parler. Ils sont carrément zappés. La télé vous fait dire ce qu'elle a envie que vous disiez.

Pourquoi continuer à y aller ? Parce que lorsqu'on a un spectacle sur scène, il est important et c'est uniquement pour ça qu'on le fait, de dire : "Je suis sur scène, venez me voir, c'est là où je vais m'exprimer, c'est là où j'ai des choses à dire." Boycotter la télévision quand on est artiste de scène, c'est se tirer une balle dans le pied. J'ai des procès avec Patrick Sébastien simplement parce que j'ai dit ce que je pensais sur lui. Ils sont à un endroit qui appartient à tous, où on doit vous informer, c'est une tribune. J'ai fait une émission avec Thierry Ardisson, c'était incroyable. Il y avait quatre personnes dont moi qui discutaient. Après montage, je n'étais plus là ! Le montage, c'est le producteur. En l'occurrence : Sébastien, Arthur, Ardisson… C'est eux qui sont responsables de ce qu'ils livrent. Avec Ardisson, j'ai eu une discussion de fond sur mon spectacle, sur la révélation chrétienne, il ne s'y attendait pas forcément. Je lui ai demandé s'il pensait que le Pape est l'envoyé de Dieu sur terre ? Ça m'intéressait d'avoir sa réponse. Il m'a répondu que oui.

Ce n'est pas très étonnant de sa part...
Mais il faut le dire. Pourquoi il enlève ça ? Il voudrait nous faire croire que dans son travail de journaliste ou de présentateur, il a un devoir d'objectivité qu'il n'a absolument pas sur le plateau. Sur le plateau, c'est un anarchiste de droite.

Et monarchiste…
D'extrême-droite. Il se présente comme un libertin. En fait, c'est un mec d'extrême-droite. Une droite dure :

monarchiste, catholique, Opus Dei et tout le bazar.

Chez vous, on s'interroge sur ce qui apparaît comme étant des paradoxes. Vous militez avec les Verts, vous montez un centre culturel à Dreux et vous arborez des vêtements Schott, marque qui fait sans doute travailler des gamins à cinq francs de la journée, vous conduisez des voitures de course couvertes de stickers publicitaires !
J'ai un oncle, Marcel Gruet qui est pilote de rallye en Loire-Atlantique. J'ai grandi avec ses coupes. Les voitures, ça m'a branché depuis tout petit. Un jour, on m'a permis de courir et c'est devenu pour moi un sport. Un sport qui est plutôt de droite d'ailleurs ! Je me suis intéressé à la course, aux trajectoires, à ce qu'est la course automobile. Pour Schott : je ne touche pas d'argent de Schott. Cette marque m'a vu à la télévision, j'avais un de leur blouson. Ils sont venus me voir en me disant : "Vous avez un blouson, mais ce n'est pas le dernier modèle. Vous voulez le dernier modèle ?"

Vous ne craignez pas que votre combat idéologique et politique soit édulcoré par une apparence très "grosses voitures et fringues qui pètent".
Alors les fringues qui pètent, je ne pense pas. J'ai vu des mecs avec des costards à quinze mille balles, et dans mon placard, il n'y en a pas pour quinze mille balles et des fringues qui pètent, on en trouve à Auchan. Je n'ai pas de problème de ce côté là. C'est juste une pelure et il en faut une. Mais par rapport aux bagnoles, c'est vrai. Je roule dans la grosse Mercedes de la société. Mais il y aurait plus gros, je crois que je prendrais plus gros. Je veux bénéficier du maximum de confort et de sécurité dans mes déplacements. Si on me dit : "C'est la voiture la plus top confort et la plus top sécurité, tu peux t'encastrer dans un mur avec ça." Je ne vois pas pourquoi j'irais prendre un risque à ce niveau-là.

Vous renvoyez malgré tout l'image d'une réussite matérielle et il serait facile de vous réduire à cette image. Certains rappeurs comme Passi finissent par ne renvoyer que cette image là : de la sape, de la thune et j'emmerde les autres !
Vous avez parfaitement raison.

Qu'est-ce que cela vous fait de voir des rappeurs issus de cités revendiquer ce genre de discours ultra-libéral à la Madelin ?
C'est terrible. C'est un drame pour moi. Je les entends dire: "Oui, on est des capitalistes." C'est dramatique. Moi, je n'ai pas de villa en Corse. J'ai acheté avec mes économies une ferme. Je vais en faire un centre culturel à Dreux mais ce n'est pas gagné. L'argent que j'ai, je l'ai mis là. Je ne le fais pas pour le dire mais vous semblez me demander ce que je fais de mon argent. Je loge des SDF dans ma région, dans cette ferme que j'ai. Aujourd'hui, on m'interdit de le faire. Je fais venir des familles africaines pour travailler la terre en Eure-et-Loire. J'essaie de faire bouger les choses à mon niveau. Je n'ai pas les moyens de faire tout ce que j'ai envie de faire, mais j'essaie. De là où je viens, c'est vrai qu'il y a une période où on n'est pas très à l'aise dans notre relation avec l'argent. Il y a un moment où on se pose des questions. Pour moi, l'essentiel m'est venu très vite. Par le combat de Jean-Marie Tjibaou, par mes rencontres avec des Kanaks que j'ai faites assez jeune, par un engagement politique. Je suis plus ému par les larmes que par le fric.

En quoi consiste ce projet de ferme culturelle à Dreux ?
Je me suis dit : "Il faut une plate-forme dans ce pays, un endroit." C'est une ferme, cinq hectares dans un coin typiquement beauceron, dans un endroit complètement hostile, en plein fief Front national. C'est là où il est né, où le premier élu du Front national a siégé dans un conseil municipal. Je me suis dit : "C'est ici qu'il faut essayer de faire quelque chose." Donc, j'ai acheté cette ferme, avec mon argent. A la base, mon projet est un centre culturel pour la promotion de l'art africain et sud-américain. C'est-à-dire montrer simplement à cette population hostile : "Venez, libre à vous de venir un dimanche écouter de la musique, manger du mafé, voir ce qui se passe." C'est aussi une plate-forme d'intégration, le but étant d'être matériellement sur cette terre, un endroit, une ambassade. Je pense que c'est mon devoir à moi, deuxième génération, ici, de favoriser, de passer le relais. Je ne suis pas sûr d'y arriver, parce que je suis un utopiste et que les pressions sont trop énormes. En tout cas, jusqu'à mon dernier souffle ici bas, j'essaierai. Et j'espère que d'autres après. Je pense que c'est plus par ce que je fais et par ce que je suis que je montre mon projet. Mais je crois qu'il est difficilement réalisable.

Mais il n'y a pas des gens, par exemple du côté des Verts qui peuvent apporter un soutien quel qu'il soit ?
Le parti écologique, c'est un tout petit parti qui n'a pas de moyens. C'est vrai, Cohn-Bendit et Mamère sont venus me soutenir. On va dans le même sens. Je vais aussi m'engager dans les prochaines élections à Dreux.

Aux municipales ?
Oui, avec les Utopistes. J'ai fait 8% la dernière fois. Je ne sais pas ce qui va se passer cette fois-ci car j'ai des pressions énormes.

Ça se manifeste comment ?
Le levier le plus facile, c'est la fiscalité. Il y a des brigades spéciales qui viennent pour me dire : "Vous n'avez pas le droit de loger ce SDF, vous n'avez pas le droit de lui donner à manger." C'est considéré comme un avantage en nature. C'est comme si je distribuais des bénéfices. Une main tendue à celui qui est dans le besoin, c'est illégal. Il faut passer par l'administration fiscale. C'est comme Coluche avec les Restos du cœur. On ne peut pas passer en direct. Il faut passer par l'État. J'ai logé une SDF pendant deux ans et je vais être redressé maintenant sur ce qui a été donné parce que je n'ai pas le droit de le faire. Alors, il y a cette pression là. Bon, ça va. On est sur le cas Coluche, c'est exactement la même chose, si ce n'est que c'est pour le logement. Quand on a de l'argent et qu'une personne vous dit : "Voilà, il fait froid, il n'y a pas un endroit où on peut dormir ?", est-ce qu'on a le droit de la laisser entrer ? Aujourd'hui, l'administration fiscale me dit non.

Pourtant c'est un lieu privé.
Vous n'avez pas le droit. Donner un logement sur une grande période, c'est considéré comme donner de l'argent à quelqu'un. Cela donnera sûrement lieu aux "toits du cœur" après que ces problèmes soient réglés. Mais c'est vrai que ça démotive et pourtant aujourd'hui grâce à cette action, il y a des gens qui reviennent dans la vie active et ça, c'est vraiment une satisfaction personnelle. Alors les pressions, il y en a de toutes sortes : coller des affiches sur mon portail, me menacer, emmerder les petits copains de mon fils à la maternelle, les coups de fil anonymes, les contrôleurs, j'en ai plein. Et le fisc, qui a le droit de rentrer chez vous. D'abord, on contrôle tout votre environnement, tous vos amis pour qui, à la limite, vous commencez à devenir dérangeant. Quelqu'un a aussi proposé à une de mes collaboratrices un travail mieux payé dans une entreprise concurrente de la région. Mais la meilleure façon de rentrer chez vous, reste quand même, au niveau de l'administration, la fiscalité. On peut rentrer jusque dans votre chambre et regarder ce qui se passe. On peut ouvrir vos livres et lister vos amis, aller les voir et les contrôler. Beaucoup de mes amis vivent un contrôle fiscal. A force, c'est très…

…pesant
Non, parce que je dirais que j'ai les deux pieds sur terre, je suis en bonne santé, ils ne peuvent rien me prendre. Ils ne peuvent pas me prendre ma foi. Jusqu'à mon dernier souffle ici bas, j'irais. Mes amis sont restés mes amis et ça renforce mon combat. Je serai présent à Dreux aux prochaines élections. Et ils peuvent prendre mon argent, je m'en fous. Ma véritable richesse, c'est mon combat. C'est l'idée que je me fais de cette humanité. Ce sont de belles paroles pour certains mais c'est ma réalité. J'ai fait le point avec moi pour vous dire ça et ce n'est pas évident après avoir été confronté à différentes tentations.

Des tentations ?
La facilité, le confort, le luxe, le show-business. J'ai eu toutes ces possibilités devant moi. J'ai choisi le combat de Jean-Marie Tjibaou. J'ai choisi la mort du jeune Ali Ibrahim (adolescent tué par des colleurs d'affiche du Front national à Marseille en 1995 alors qu'il courait pour prendre le dernier bus). C'est ce qui me touche le plus. D'autres ont pris d'autres chemins ; à partir du moment où on leur a proposé un certain confort, ils ont préféré ce confort-là. Je ne les juge pas. Je dis simplement que moi, ma nature ne m'a pas amené à ça. Ma nature, c'est mon émotion. Je ne sais pas comment le traduire et l'exprimer autrement qu'en vous disant que la liberté pour moi, c'est de plutôt choisir ma conscience.

Vous parlez de diverses tentations, êtes-vous croyant au sens religieux du terme ?
Moi, j'ai toujours été très sensible aux textes, aux différentes révélations, qu'elles soient chrétienne, musulmane, bouddhiste ou autre. Dès qu'il y a une poésie, l'homme face à son environnement, ça m'a toujours plu. Alors, Jésus… Pour moi, le traître dans l'histoire de la chrétienté, c'est l'Eglise chrétienne ; elle a trahi la parole du Christ. Etre chrétien, c'est être un imposteur puisque le Christ n'avait pas de son vivant eu le souhait de transmettre un texte par écrit. Etre chrétien ce n'est pas : "Lisez la Bible", mais "Regardez-moi." Enfermer dans un texte la révélation chrétienne, c'est fabriquer une méthode. A partir de ce moment, il y a ceux qui détiennent la méthode et qui en parlent.

Qu'est-ce qu'être croyant alors ?
Croyant, non croyant, j'ai du mal à me situer entre les deux et j'ai envie d'être les deux. Je pense qu'il faut, par son action, montrer ce qu'on pense. Et je pense que la religion, c'est ça. Ne pas pardonner à Judas lorsque l'on prône le pardon comme le fait la religion chrétienne, pour moi, c'est le début de l'erreur. Pour ma part, je suis entre une civilisation où la transmission se fait par l'oral et une autre où elle se fait par l'écrit. Je suis né entre les deux et je dois dire que l'écrit fige les choses. On a tué la révélation chrétienne à partir du moment où on a fait la Bible. Vous ne pouvez pas enfermer dans quelques phrases, dans quelques psaumes quelque chose qui dépasse complètement le cadre d'un ouvrage. Notre civilisation commence aujourd'hui à vaciller et à chanceler simplement parce qu'elle n'est pas libre. La liberté se passe de mots, c'est des sentiments et de l'émotion. Ça n'est pas analytique, ça n'est pas intellectualisable.

Oui, mais un combat politique, c'est toujours…
Un combat politique, ça pourrait être et c'est le combat des Utopistes, ce grand concept des Nations Unies : plus un état d'esprit qu'une méthode.