Warning: mysql_num_rows(): supplied argument is not a valid MySQL result resource in /mnt/153/sda/7/9/oeil.electrique/php/en-tetes.php on line 170
L'Oeil électrique #15 | Cinéma / L’horreur du possible

> C’EST BEAU LA VIE
+ La grande faucheuse

> SOCIÉTÉ
+ Dieudonné
+ L’eau en Palestine

> PHOTO
+ Laetitia Battaglia

> CINÉMA
+ L’horreur du possible

> MÉTIER
+ Gwendal Le Corre est luthier

> GRAPHISME
+ Thomas Ott

> NOUVELLE
+ Soirée select
+ In vitro

> SCIENCE
+ Musique, cerveau, perception

> MONOMANIE
+ William Faulkner

> 4 LIVRES : LA MORT
+ Léon Tolstoï : La mort d’Ivan Ilitch (et autres nouvelles, dont Trois morts)
+ Nosaka Akiyuki : La Tombe des lucioles
+ Philip K. Dick : Ubik
+ Herbert Liebermann : Nécropolis
+ Henry James : L’autel des morts

> BOUQUINERIE
+ Denis Johnson : Déjà mort
+ Lise Sarfati : Acta Est
+ Pauline Martin : La boîte
+ Jeremy Rifkin : L’âge de l'accès
+ Alexandar Zograf : Bons Baisers de Serbie
+ Liam Davison : L’occupation selon Judith-Marie
+ Jacques Athanase Gilbert : La Main invisible
+ Stuart Kaminsky : Dracula fait maigre

> NOUVEAUX SONS
+ Jimi Tenor : Out of Nowhere
+ Sweet back : Amok
+ : Chants wagogo
+ Fullcycle : Through The Eyes
+ At the drive-in : Relationship of Command
+ : Xen cuts
+ DJ Cam : Loa project
+ Bill Laswell : Lo. Def Pressure

> HTTP
+ www.rezo.net

> REVUES
+ Silence
+ Vacarme

> ACTION
+ mncp

Par Arno Guillou, Eric Magnen, Romain Guillou.

Le cinéma d'épouvante, lorsqu'il s'aventure dans le gore, s'avère souvent peu efficace car caricatural ; le cinéma d'exploitation* pure, qui domine le genre, ne contribue pas souvent à produire des films de qualité. Il existe pourtant une autre voie qui, en s'ancrant dans la réalité, parvient à créer sur l'écran une terreur authentique, car s'adressant à nos peurs primales. Les films évoqués ici auront donc en commun cette représentation naturaliste de l'horreur. Point donc de surnaturel ou de fantastique, mais des histoires crédibles qui pourraient arriver à chacun d'entre nous. Il n'est pas forcément besoin d'une immonde bête mutante venue du fin fond de l'espace pour terroriser notre subconscient : une terreur issue de notre quotidien sera en effet d'autant plus efficace...
*
cinéma qui utilise un genre particulier et le suce jusqu'à la moelle en produisant à la chaîne des films qui se ressemblent comme deux gouttes d'eau.

LES CHIENS DE PAILLE (Straw Dogs)
Sam Peckinpah

1971 - états-Unis - 1 h 53
En vidéoclub (n'est plus édité en vidéo), également disponible en NTSC sur Amazon.com.

En 1969, Sam Peckinpah défraye la chronique avec La Horde sauvage, un western violent et pessimiste en rupture avec le genre. Deux ans plus tard, il refait sensation avec Les Chiens de paille, un drame psychologique qui glisse progressivement vers l'horreur. Dans cette production, le subterfuge principal dont il fait usage pour nous immiscer dans l'effroyable consiste à façonner un personnage parfaitement ordinaire, un monsieur tout-le-monde, et à le pousser à bout en le plaçant dans une situation extrême.
Peckinpah pose tranquillement les bases de son histoire : David, à la recherche de calme pour son travail de mathématicien, accepte la proposition de sa femme, à savoir quitter les Etats-Unis pour s'installer dans une ferme en Cornouaille. Le couple emménage ainsi dans le village natal d'Amy. Mais David n'y trouvera pas la tranquillité tant convoitée : d'abord, les hommes qu'il a engagés pour refaire sa toiture, des péquenauds du cru, ne cessent de le "chatouiller", lui l'étranger. D'autre part, les relations avec Amy se dégradent doucement : elle l'excède en l'interrompant constamment dans son travail, et il s'éloigne d'elle. De cette situation de départ, nous glissons inexorablement vers le chaos qui culmine lors du siège de la ferme par les gens du village. Cet état de confusion inhérent au film est visuellement renforcé par le montage extrêmement fragmenté qui tend aussi à souligner l'aliénation des personnages les uns par rapport aux autres : difficile en vérité de savoir ce que chacun d'entre eux ressent.
Par son traitement de la violence, qu'il tend tour à tour à dénoncer en nous montrant la sauvagerie des autochtones, puis à glorifier en l'esthétisant par de nombreux ralentis et en en faisant une voie de salut pour David, Peckinpah insinue le doute quant à ses intentions. En a-t-il seulement si ce n'est de créer un sentiment de malaise chez son spectateur ?… De même qu'avec la scène du viol, il rajoute une insoutenable ambiguïté (on ne sait pas si Amy est consentante ou s'il s'agit d'un viol proprement dit), lui même, dans la vie, joue sur cette ambivalence en affirmant lors d'une interview qu'il détestait le roman (Straw Dogs) et n'avait accepté de le tourner que parce qu'on lui avait proposé beaucoup d'argent. Il déroute en traçant quelques fausses pistes ici et là et en laissant le spectateur libre de son regard. Pourtant, par les sentiments qu'il remue en nous, nous laisse-t-il vraiment en mesure d'analyser calmement ?
Contrairement à d'autres films développant le thème de l'intrusion (Funny Games, La Dernière maison sur la gauche…), ici, les assaillants ne sont pas des psychopathes. Les méchants font le siège de la ferme car le couple abrite un homme qu'ils recherchent. La souffrance physique pour le plaisir n'entre pas en jeu… juste une violence ordinaire, plus réaliste, et d'autant plus effrayante.

MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE (The Texas Chainsaw Massacre)
Tobe Hooper
1973, Etats-Unis, 1h23
PFC Video (vidéo en VOST)

S'il est un titre qui symbolise le film d'horreur ou d'épouvante, c'est bien ce Massacre à la tronçonneuse, connu de tous, mais réellement vu par peu de spectateurs. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce fait. Tout d'abord, la censure à laquelle il a dû faire face : il n'est sorti en France qu'en 1982. Dans le livre Massacre à la tronçonneuse, une expérience américaine du chaos, Jean-Baptiste Thoret écrit : "[ce film] cristallisa au fil des ans le pire de ce que le cinéma pouvait produire, en terme de violence, d'incitation au meurtre, d'atteinte à la dignité humaine, d'abjection." Une autre raison peut être évoquée, il s'agit de l'amalgame fait entre ce film - chef-d'œuvre cinématographique, tant au niveau de la réalisation et du scénario que de l'ambiance sonore - et les pâles remakes dont il a fait les frais et qui n'ont repris que son côté grand-guignolesque : tronçonneuse et hémoglobine à profusion.
Bref retour sur l'histoire : 1973, cinq étudiants sont en vacances dans le Texas. Leur van est à cours d'essence, ils décident de s'arrêter près de l'ancienne maison d'un des membres du groupe. Non loin de là, ils découvrent un manoir, et décident de demander un peu de carburant à ses habitants. Mais ils tombent sur une famille de rednecks dégénérés, abrutis par le chômage lié à la fermeture des abattoirs locaux où ils étaient employés...
L'histoire, si elle semble classique, prend ses sources dans un contexte de crise économique américaine du début des années 70, et cette réalité de fait, amorcée dans la première partie du film, renforce le sentiment d'horreur réelle. Leatherface (littéralement Visage-de-cuir, en référence à son masque de peau

humaine) et le reste de sa famille sont ancrés dans une réalité sociale, ont leur propre histoire et ne tombent pas à brûle-pourpoint face à l'écran dans le seul but de nous faire frissonner. De plus, ce personnage de l'homme à la tronçonneuse, Leatherface, est inspiré par un authentique serial killer, Ed Gein, dont les macabres expériences, découvertes en 1953, ont également inspiré Psychose d'Alfred Hitchcock et Le Silence des agneaux de Jonathan Demme.
Techniquement, le film est réalisé en 16 mm, ce qui lui donne un grain assez gros, et renforce ce sentiment de reportage plus que de fiction, propre à nous impliquer dans le film : le spectateur fait partie du groupe d'étudiants, et les meurtres, d'ailleurs sans effusions de sang intempestives, n'en semblent que plus réels. La bande-son renforce le climat malsain plus que gore qui se dégage : il s'agit d'un travail sur des plaques et objets métalliques, propre à créer une ambiance post-industrielle, en rapport avec l'emploi qu'occupait la famille au sein de l'abattoir. Pour parfaire cette projection, je ne saurai que vous conseiller la version américaine, même sans les sous-titres. Les doublages sur les films du genre, en plus d'être souvent de faible qualité, ont tendance à détruire tous les effets recherchés.

LE PROJET BLAIR WITCH (The Blair Witch Project)
Daniel Myrick et Eduardo Sanchez

1999, Etats-Unis, 1 h 20
Film Office , en vidéo (VF + VO sur la même cassette) et en DVD

Le film commence par un carton qui nous apprend qu'en 1994, trois jeunes cinéastes amateurs, Heather, Josh et Mike, se sont rendus dans la forêt de Blair, dans le Maryland, afin de tourner un documentaire sur une vieille légende locale. Ils n'en sont jamais revenus. On n'a retrouvé que le matériel qu'ils ont pu tourner avant de disparaître et ce sont ces images que l'on va voir.
Tout commence de manière très légère, les trois protagonistes s'amusent des croyances et de la naïveté des autochtones. Mais très vite l'atmosphère commence à s'alourdir. Les trois héros se sont aventurés seuls dans la forêt et finissent par s'y perdre. La découverte, un matin, de sculptures en brindilles au pied de leur tente, et d'autres bizarreries du même genre, ne va certes pas contribuer à les rassurer.
Commence alors une lente descente aux enfers, subie par trois jeunes gens trop sûrs d'eux qui découvrent leur inadaptation à la vie sauvage. Tout cela est évidemment effrayant pour le spectateur, et on reste baba devant la redoutable efficacité de l'angoisse, étant donnée l'extrême simplicité du dispositif. On touche ici au meilleur de l'économie de moyens chère à la série B hollywoodienne d'antan. De la même façon que dans Cat People, une ombre sur un mur suggérait l'horreur qui rode, ce ne sont ici guère que quelques branches et des bruits indistincts qui entraînent notre angoisse vers une acmé très perturbante.
Si le film est aussi efficace, c'est sans doute parce qu'il aborde un élément important de notre psyché universelle : la peur de la forêt, de l'inconnu et de la nature sauvage. De fait, les personnages voient leur belle arrogance s'éroder lorsqu'ils redécouvrent leur vulnérabilité bien cachée sous le vernis de l'homme moderne.
Car cette peur ancestrale est renforcée par le fait que, nous étant éloignés de la nature par l'intermédiaire du confort de la vie moderne, nous préférons croire la maîtriser plutôt que l'affronter directement. Aussi, lorsqu'elle nous rappelle qu'elle n'est pas si maîtrisée que cela, le choc psychologique est d'autant plus insurmontable.
Tandis que les protagonistes voient fondre leur espoir de retrouver leur chemin, Heather continue obstinément à filmer leur triste épopée. Proche de l'effondrement nerveux, la caméra représente pour elle l'ultime rempart face à l'inconnu. Elle s'évite ainsi une confrontation directe au dramatique de la situation. Ses compagnons craqueront plus facilement. Mais eux aussi, lorsque les choses auront atteint le point critique, se raccrocheront à une image cinématographique, lorsqu'ils confieront leur destin à une référence tirée du Magicien d'Oz ("allons à l'est car la Sorcière de l'Est est gentille et la Sorcière de l'Ouest est méchante"). Il est tellement plus rassurant de ne pas regarder les choses en face et de s'en remettre au Spectacle...
Dans sa simplicité presque grossière et son amateurisme malin, The Blair Witch Project résonne d'une inquiétante sonorité. S'adressant à notre mauvaise conscience d'homme civilisé, il nous rappelle à notre vulnérabilité et est, en même temps qu'un spectacle rigoureusement maîtrisé, une belle leçon d'humilité.