Par Morvandiau, Sophie Rétif, Sylvain Lefevre. Loïc Wacquant aime parler et parle beaucoup : de lui, de sociologie, de boxe et de ses amis de la salle de boxe. Professeur à l'Université de Californie (Berkeley) et chercheur au Centre de sociologie européenne, il est surtout connu en France pour son premier livre Les prisons de la misère, publié en 1999. Dans cet ouvrage il a analysé le passage de l'Etat-providence à l'Etat-pénitence dans les démocraties occidentales (quand la fameuse "tolérance zéro" et la pénalisation de la pauvreté se substituent au traitement social et politique des inégalités). Cette analyse d'une évolution punitive des politiques publiques directement liée à l'expansion du néolibéralisme eut un retentissement relativement important dans le débat public en Europe et aux Etats-Unis. Alors que la vague médiatique provoquée par la sortie de ce livre est à peine retombée, il publie en 2000 Corps et âme (Agone), un travail sociologique radicalement différent dans le choix de l'objet et de la méthode. Cet ouvrage, qu'il présente comme les "carnets ethnographiques d'un apprenti boxeur", retrace, sous la forme d'un récit, les trois ans et demi durant lesquels il a pratiqué la boxe en amateur dans une salle du ghetto noir de Chicago. A l'époque chercheur dans la prestigieuse université de la ville, il cherche à connaître le ghetto de l'intérieur. C'est par hasard qu'il découvre cette salle, pour finalement se prendre au jeu, et vivre pendant plus de trois ans l'existence d'un véritable boxeur. Se pliant à toutes les contraintes de cet engagement, il approche très concrètement, dans sa chair, ce que signifie socialement, moralement et physiquement d'être un boxeur. Derrière l'étude des jeunes hommes noirs du ghetto, se construit donc une analyse concrète de ce métier du corps dans les classes les plus basses de la société américaine, que Loïc Wacquant a voulu réaliser à travers une méthode participative poussée à son maximum. Si l'on sent à travers l'enthousiasme (et la fierté parfois prolixe) du sociologue toute la richesse de cette expérience, on perçoit aussi la difficulté d'une telle implication personnelle dans l'analyse. Il se définit lui-même à cette période comme Docteur Jekyll et Mister Hyde, navigant perpétuellement entre son statut de chercheur et son statut de boxeur. Il exprime toute la difficulté de se sentir si bien dans un milieu où l'on sait qu'on n'est pas véritablement à sa place, parce qu'on est blanc, universitaire et français. Corps et âme est ainsi avant tout un hommage à ses compagnons de la salle qui l'ont accepté parmi eux. On sent que pour le sociologue-boxeur, il est peut-être moins important de faire une analyse sociologique que de parler d'Ashante, son sparring-partner (partenaire de combat à l'entraînement), de Curtis, un des meilleurs boxeurs, et surtout de DeeDee, l'entraîneur, que Wacquant présente comme un second père. Comme il le dit lui-même, l'expérience humaine aura été primordiale, et écrire sur des années de vie d'une telle intensité est quelque chose de douloureux...
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