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L'Oeil électrique #22 | Cinéma / Yamina Benguigui : Enquête d’identité

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Par Abdessamed Sahali, Achraf Reda, Esther Larippe.
Photos : David Balicki.

Femme - Française d'origine algérienne - réalisatrice : trois états de fait ou plutôt trois états de l'être qui conditionnent assurément Yamina Benguigui dans son parcours à la fois personnel et audiovisuel. Très tôt elle fait sienne l'image qui s'annonce comme "une forme de saisie du monde" (selon le mot de l'écrivain algérien Mohamed Dib). Révélant "les illusions de l'émigré et les souffrances de l'immigré", son travail oscille constamment entre la rupture et la construction du lien. Le lien d'avec ses racines d'abord lorsqu'elle réalise un des premiers reportages sur le raï. Puis, le lien avec le Même qui transparaît dans Femmes d'Islam : un documentaire en 3 volets où elle nous propose de voyager à travers six pays pour "dresser un constat sur la condition féminine musulmane". Enfin, le lien avec l'Autre et le Même dans Mémoires d'immigrés : un autre triptyque où elle laisse toute liberté de parole à trois générations d'immigrés. Des témoignages en forme de portraits, ponctués par les assertions sur les réalités politico-économiques de l'histoire de France dans les années soixante. Couronné de succès, ce dernier film permettra surtout de polariser le débat autour de l'immigration selon un angle autre que sécuritaire.
Dans son premier long métrage, Inch'Allah Dimanche, ces leitmotivs demeurent, avec en filigrane cette envie de dire. D'ailleurs, Yamina Benguigui n'est pas avare de paroles. Et nous non plus. On a envie de rester, discuter, échanger encore et encore… Mais le temps imparti est écoulé (comme pour les journalistes de l'AFP et Elle avant nous). Qui plus est, il y a une séance photos, demandée par nos soins. Des photos qu'il nous est impossible de diffuser aujourd'hui. "Elles ne correspondent pas à l'image de Yamina," nous rétorque son staff ! Mais peu importe la forme, laissons parler le fond.

Quelle a été votre vie avant le cinéma ?
Le parcours classique d'une fille issue de l'immigration : une vie à l'intérieur, une vie à l'extérieur. Mon père nous disait : "Tout ce qu'on va t'apprendre, c'est pour te mettre la tête à l'envers !" C'était un climat général de méfiance. Surtout ne rien dire, ne pas communiquer au dehors. On avait des cours d'arabe et de musique à la maison. Notre vie en France n'était qu'un passage, nous n'avions pas de meubles par exemple. Mon père n'avait pas pour projet de vivre ici. Pour lui, la France était le pays ennemi. Militant, artiste, nationaliste, utopiste, il est très singulier par rapport aux autres pères issus de l'immigration. Sans un père comme ça, je crois que je n'aurais jamais pu faire de cinéma. Mais en même temps, c'est le cinéma qui va poser problème. Je suis partie de chez moi à 18-19 ans, et je n'ai jamais revu mon père, sauf une fois Inch'Allah Dimanche terminé. Lui, dans sa logique, il avait forcément raté quelque chose. La France m'avait mangée. Il ne pouvait pas avoir de recul pour se dire : "Non, elle fait avancer les choses." Pourtant, au fond, je suis celle qui lui ressemble le plus d'entre mes frères et sœurs. Quelque part, mon travail est une suite logique de son combat. Ne plus le voir a été dramatique. Ce n'est qu'après Mémoires d'immigrés que j'ai compris que ce n'était pas à lui de venir vers moi.

Entre temps, vous avez découvert un père spirituel, Jean-Daniel Pollet (Né en 1936, ce cinéaste réalise quelques 29 films, dont Pourvu qu'on ait l'ivresse, premier d'une série de cinq films qui s'achèvera en 1975 avec L'Acrobate. Parallèlement, Pollet signe des films narratifs comme Rue Saint-Denis, premier épisode du film à sketches Paris vu par... ou encore Une balle au cœur, film policier avec Sami Frey)…
Ma rencontre avec Pollet est extraordinaire. Je suis tombée sur quelqu'un qui était exactement ce dont je rêvais. Ses documentaires sont d'une maîtrise impressionnante : le propos est là, la forme aussi. On est loin du simple reportage. J'ai effectué mon premier stage de cinéma avec lui. Puis ce furent quatre années de collaboration avant de commencer à être assistante de réalisation. J'ai alors fait plusieurs longs-métrages jusqu'à obtenir ma carte professionnelle. J'étais contente… sauf qu'on m'avait mis un tampon attestant que sa validité prenait fin avec celle de ma carte de séjour. Le jour où ces problèmes liés à la carte de séjour ont fait surface, ils m'ont ramenée à la réalité. Auparavant, je vivais dans le milieu du cinéma : un univers où tes différences, ton humour, ta façon de voir, etc. sont vus avec intérêt. Et c'est vrai que cette absence de préjugés m'a fait avancer.

C'est tout cela qui a nourri votre méthode de travail ?
L'histoire m'a inscrite dans cette société. C'est comme ça. Ce n'est pas moi qui ai décidé de naître ici. Néanmoins, j'ai mis longtemps à l'accepter et à me dire : "Je peux m'inscrire quelque part, et je peux aussi raconter quelque chose maintenant." Je crois qu'au départ, il y avait l'idée de faire de "vrais documentaires", c'est-à-dire avec mes références : Jean-Daniel Pollet, Jean Rouch à sa manière (cinéaste français qui a produit plus de 100 films sur l'Afrique ; il a notamment travaillé et vécu au Niger) ou même Fellini, qui a aussi fait des documentaires… J'ai donc une approche cinématographique : ne pas juste voler un instant mais avoir un propos. J'avais quelque chose à dire comme Lanzmann lorsqu'il a fait Shoah. D'ailleurs, le succès de Mémoires d'immigrés est aussi dû à cela. Il y avait l'idée d'emmener le spectateur, quelle que soit son origine, dans une histoire. La narration a beaucoup été travaillée en amont par exemple. Après, j'ai un système d'interview basé sur les codes culturels maghrébins. Il fallait instaurer un climat de confiance pour que les "acteurs" puissent se livrer. Mon frère fait la prise de vue de la plupart de mes films, et le fait de travailler en famille nous place déjà dans un rapport plus intime avec les personnes interrogées. Je leur livrais aussi des bribes de mon histoire. On arrive quand même avec une équipe assez lourde face à des gens qui n'ont jamais parlé d'eux. Je me rappelle une fois où lors de repérages, une femme m'avait énormément parlé. En revenant plus tard avec l'équipe technique, elle répondait sans cesse à mes questions par : "Mais ça je te l'ai déjà dit." Elle avait l'impression légitime d'une répétition et cela ne voulait plus rien dire pour elle. Puis, il y a eu tout un travail de recherche ; un an et demi d'enquête. Je travaillais avec une équipe importante de journalistes et d'assistants qui, d'un point de vue historique et sociologique, essayaient de retrouver un maximum de personnes ayant vécu à cette époque, comme les politiques. On savait qu'untel était à ce poste-là de tant à tant, que les décisions avaient été prises par X, etc. Ensuite, mon travail consistait à voir ce qui avait découlé de telle décision politique. Je n'avais pas besoin de sensationnel, mais de rester au plus près des faits. Les questions étaient : "Est-ce que vous pouvez témoigner simplement sur votre activité de telle période à telle autre ?", et non, "Que pensez-vous de… ?" Pour les intervenants hommes, femmes, enfants, j'ai un peu quadrillé la France. Par exemple, les mineurs étaient majoritairement marocains (ils avaient des contrats avec l'Etat marocain pour travailler dans les houillères). Tandis que dans les usines de Boulogne-Billancourt, c'était surtout des Algériens et des Tunisiens… Je n'ai pas tout dit, je crois, sur ce film.

C'est-à-dire ?
Rien que de parler des contrats des pays maghrébins avec la France… ce n'est pas possible… Si les jeunes qu'on appelle les beurs, ceux de la troisième génération, savaient ça, ce serait vraiment une énorme claque. Ils comprendraient une bonne fois pour toutes comment leur pays d'origine a lâché leurs parents. C'est écrit noir sur blanc. Et le contrat ne vient pas de la France, mais de là-bas ! Tout cela a été un énorme choc. Voir comment on les avait traités ici et comment on les avait lâchés là-bas. Je me disais que je ne pouvais pas savoir tout cela et ne pas le dire. Cependant, mon grand souci, c'était de ne pas faire un film haineux. Puis tu te dis que la force est chez ces gens qui témoignent. D'ailleurs, j'ai refusé de mettre un commentaire qui accompagnerait tout le film comme me l'avait demandé Canal +.

Justement, comment situeriez-vous l'approche de votre travail ? Lui donnez-vous un sens critique ou plutôt pédagogique ?
Dans Mémoires d'immigrés, il y avait cette volonté, peut-être pas pédagogique, mais de poser une pierre. Ne pas laisser que des fictions, comme la plupart des réalisateurs issus de l'immigration qui se sont imposés dans l'univers cinématographique. Moi, à travers le documentaire, je voulais laisser une trace d'une génération qui était en train de mourir. C'est ce qui m'a fait tenir, car c'est tout de même un documentaire qui a été jeté par tout le monde sauf Canal +. Arte m'a démontré par A+B pourquoi c'était nul, France 2 que cela n'avait aucun intérêt. Tout cela est difficile à vivre. D'autant qu'ils ne remettaient pas en cause ma façon de faire des films. J'avais en effet déjà réalisé Femmes d'Islam qui avait eu 27 prix. Mais c'était le sujet. Ils estimaient qu'il n'avait aucun intérêt. Quarante ans d'histoire, ces hommes invisibles, ces femmes invisibles, qui font partie de la société, qui sont des millions maintenant… et cela n'est toujours pas important ? Voilà ce qui m'a motivée.
Ensuite, j'ai fait un travail dans les collèges, les lycées. C'est donc après coup que cela devient pédagogique. J'ai fait de nombreux débats : 394 exactement ! J'ai même formé des éducateurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse avec ce film. Je suis intervenue dans les centres hospitaliers pour expliquer que l'approche sur les vieux musulmans doit absolument être différente. Que le rapport au corps n'est pas le même, que leur fin de vie est en train de se passer dramatiquement. C'est une population très abîmée par le travail, ils ne peuvent pas avoir une retraite facile : à cinquante ans, ils étaient bousillés… bousillés par la silicose, etc. Et on ne peut pas dire à des enfants de douze ans : "Intégrez-vous !" alors que leur racine est en train de mourir dans l'anonymat le plus terrible. La question est la suivante : va-t-on parler un jour de la vieillesse dans l'immigration ? Car ça, c'est nouveau, ils n'avaient pas vocation à vieillir dans la société occidentale. Ce n'est pas revenir dans l'Histoire. Ce sont les effets de l'Histoire.

Pensez-vous alors faire œuvre d'historien, d'archéologue, de sociologue, de militante… ?
Pas dans l'absolu, mais je crois que parfois, le cinéaste peut être tout ça à la fois. Le problème c'est que les sociologues, les historiens… on ne les entendait pas sur cette histoire. Alors oui, j'ai l'impression d'être arrivée comme un raz-de-marée avec Mémoires d'immigrés. Et pourtant, on m'a très peu aidée. L'Education Nationale, qui m'avait promis une subvention sur le projet, ne m'a jamais rien donné alors que moi, je n'ai jamais hésité pour aller débattre bénévolement dans des écoles. Ça oui, c'est du militantisme.

Vous parliez des nombreux débats auxquels vous avez participé. Vous sentez-vous comme le porte-voix d'une génération ou d'une communauté ?
C'est des choses qui arrivent malgré soi. Je reçois beaucoup de courrier. A chacun de mes déplacements, des dizaines de jeunes filles algériennes viennent me voir, m'écrivent des petits mots, m'apportent des cadeaux, surtout celles qui essayent de faire du cinéma. A leurs yeux, tu possèdes une légitimité parce que tu as travaillé sur les parents. C'est quelque chose que j'ai compris après. Maintenant, on m'appelle même pour participer à des débats sur l'Islam, même si ce n'est pas mon créneau. Tu te poses des questions, mais finalement tu y vas. Car si je n'y allais pas, je décevrais.

N'essayez-vous pas aussi, à travers votre travail, de reconstruire le lien qui fait défaut à tout immigré ?
C'est exactement ça. Je parle de réconciliation entre les familles, entre le groupe (les immigrés) et l'Autre (la France) d'une part et avec le Même (le Maghreb) d'autre part. C'est à nous de nous construire, d'écrire notre histoire, celle de l'immigration, de faire du cinéma, de la peinture… Il y a tout à créer en mêlant les deux sociétés. Mais ce qui est sûr, c'est qu'on n'appartient à aucune d'entre elles de façon claire. Les immigrés, vous savez, ce sont des "mutants".

Il y a un autre thème que vous traitez régulièrement dans vos œuvres, c'est celui de la condition de la femme dans les pays musulmans. S'agit-il, pour vous, d'un simple engagement intellectuel ou aussi d'une réaction à un vécu ?
Sur Femmes d'Islam, je m'étais demandée si ce n'était pas une malédiction d'être née musulmane. Dans ce film, je n'ai mis aucun homme pour éviter tout manichéisme et surtout parce que je pense que le problème sera réglé, hélas, uniquement par les femmes elles-mêmes. C'est elles qui ont le pouvoir de couper cette chaîne, car ce sont elles qui mettent au monde et éduquent les enfants. Je suis alors allée dans six pays (France, Algérie, Egypte, Mali, Indonésie, Yémen) pour confronter certaines traditions (le voile, l'excision…) avec les textes religieux. Et là, on voit des différences énormes, on ne peut pas comparer un Algérien à un Egyptien par exemple. L'un est de tempérament méditerranéen et l'autre oriental. Une fois, en Corse, j'ai osé dire que si l'Islam s'était posé sur la Corse, on ne verrait pas la différence avec l'Algérie : je me suis fait incendier alors que pourtant les comportements machistes sont exactement les mêmes. Mais pour revenir à la question, Femmes d'Islam, c'était d'abord une question personnelle qu'en tant que cinéaste, je pouvais amener à légitimer en un film documentaire.

A ce titre, on entend dire dans ce film que les droits de la Femme font partie intégrante des Droits de l'Homme, signifiant que sans l'évolution du contexte politique dans les pays à population musulmane, le décalage entre sexes sera toujours aussi prononcé. Est-ce, selon vous, une simple circonstance atténuante ?
Oui, d'une certaine manière. Je n'ai pas cherché à faire un pamphlet contre les hommes. Les féministes vont hurler avec ce que je vais dire mais, je le répète, comme l'homme reçoit son éducation de la femme, si celle-ci est illettrée, archaïque et tout, il ne pourra qu'avoir un comportement archaïque. On ne peut pas lui demander d'avoir ce génie de comprendre les femmes si lui-même n'a pas accès à l'école, s'il n'est pas sorti de son milieu, si on lui dit tout au long de sa vie qu'il faut gérer ses sœurs, qu'il faut dresser sa femme…

A propos de l'école, dans Mémoires d'immigrés, un père lance cette phrase : "Mes enfants, j'aimerais qu'ils réussissent. Tout simplement." Ce désir n'a-t-il pas souvent été écrasé sous le poids de la reproduction de schémas sociaux ?
Il y a déjà l'idée de "On s'est sacrifié, c'est pas grave. Mais pour les enfants, ce sera autrement." Et aujourd'hui, sur leur fin de vie, ces pères se rendent compte que c'est différent. Déjà, leurs enfants sont visibles, là où eux étaient invisibles. Ensuite, la France pensait que les enfants d'immigrés allaient devenir ouvriers, comme leur père. J'avais comme ça le témoignage d'un officiel qui m'avouait tout simplement qu'il n'avait pas pensé à l'école. Les enfants étaient alors vus comme une réserve de main d'œuvre disponible sur place ! D'ailleurs, je n'ai pas gardé cet entretien dans Mémoires d'immigrés pour éviter un sentiment de haine, notamment de la part des jeunes qui vont se dire que c'est à cause de ça qu'ils ne réussissent pas dans la vie. Mais l'école va pourtant être le meilleur moyen pour beaucoup de s'en sortir, et même ceux qui deviennent délinquants ne prennent finalement pas la place du père. Ils ne deviennent pas balayeurs, c'est un schéma que le politique n'avait pas intégré.

Ne pensez-vous pas que les enfants deviennent ouvriers malgré tout ?
Il y a beaucoup de Français de souche qui deviennent ouvriers aussi. Mais je pense qu'il y a une majorité d'enfants d'immigrés qui réussissent. Bon voilà, c'est un phénomène qui n'intéresse pas les médias. On préfère parler de Vaulx-en-Velin, de Trappes…

Paradoxalement, vous ne voulez pas non plus traiter de quelqu'un qui a réussi, qui est devenu PDG par exemple…
Non, ce n'est pas mon truc. Et puis je ne sais pas si c'est à moi de démontrer ça. Avec Pimprenelle (un des douze films de commande pour le projet "Dire, faire Contre le Racisme") ou Inch'Allah Dimanche par exemple, j'ai surtout envie qu'on suive mes héroïnes. Pas parce qu'elles sont maghrébines, mais parce qu'elles sont belles, ou ceci ou cela… Le mec qui réussit, j'arriverais pas à le faire, mais il existe. Il a le cul entre deux chaises mais il existe ! Par exemple, ma sœur dirige une boîte d'informatique, et c'est vrai que lorsqu'elle doit envoyer un "Mohamed" au client, ça ne passe pas toujours si bien. Même au cinéma c'est pareil. Quand les lecteurs des comités de lecture des chaînes de télévision voient arriver une histoire comme Inch'Allah Dimanche ou Little Sénégal (un film de Rachid Bouchareb, avec qui elle a monté la société de production Raya Films), ils les refusent au premier abord. Il y a là un véritable malaise, on est obligé d'user de stratagèmes pour réussir, et on est obligé d'investir l'espace public si l'on veut être entendu. Pour moi, le cinéma est, dans ce sens, une arme absolue.


Filmographie

Femmes d'Islam (1994)
Un poil trop ambitieux, car le documentaire couvre dans ses deux derniers volets un nombre trop grand de pays (Algérie, Egypte, Mali, Indonésie, Yémen) pour pouvoir s'y attarder de façon conséquente. La première partie intitulée Le Voile et la République, entièrement consacrée aux femmes musulmanes en France, s'avère toutefois très réussie.

Mémoires d'immigrés (1997)
Un document exceptionnel sur la mémoire et l'identité vues à travers le prisme de l'immigration maghrébine. La "grande œuvre" de la réalisatrice.

Le Jardin parfumé (1999)
Questionnement un peu léger sur la sexualité dans l'Islam, ce film vaut surtout pour deux témoignages plutôt iconoclastes : celui d'un vieillard toujours vert et celui d'un homosexuel marié à une femme le jour et danseur travesti la nuit.

Pimprenelle (2000)
L'un des (très) rares courts-métrages réussis réalisés pour le film collectif anti-raciste "Pas d'histoires !". Yamina Benguigui y fait sa première incursion dans la fiction.

Inch'Allah Dimanche (2001)
Premier long-métrage. Lorgnant avec un certain bonheur vers la comédie sociale à l'italienne, le film narre les premiers jours en France d'une femme algérienne arrivée dans les années 1970, suite à la politique de regroupement familial.