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L'Oeil électrique #22 | Histoire d’une image / Vietnam 1955

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Par Anne-Sophie Boivin, Patrice Normand.

On sent que le bonhomme tombe sous le poids de l'âge et des images. Il regarde cette photo avec fierté et nostalgie du temps où il accourait, muni de son appareil photo, à chaque nouvel événement. Il nous tend les coupures de journaux où apparaissent toutes les photos de son reportage, mais jamais ne sera inscrit le nom de son auteur. Sigismond Michalowski ne sera ni reconnu, ni rémunéré pour ses photos qui feront pourtant le tour du monde, imprimées dans France Soir, Le Parisien libéré, Combattant d'Indochine, Radar et Noir et blanc de mai à juin 1955.

Quel était le contexte de cette photo ?
Lorsque sont arrivées les histoires de guerre civile avec les Binh Xuyen (1), j'étais là. J'étais tout de suite à pied d'œuvre, je n'arrêtais pas. C'était le début de l'insurrection, de la guerre civile, en 1955 au Vietnam, vers 13h30 sur le boulevard Gallieni. J'étais en plein milieu, il y avait des tirs sporadiques dans tous les sens. Lorsque je suis arrivé, on amenait les premiers blessés. Cette dame vietnamienne a été amenée par les ambulances et tout de suite évacuée ; elle perdait tout son sang. C'est une des centaines de victimes qu'il y a eu dans cette guerre entre les mouvements politico-religieux et le gouvernement. Les sectes Binh Xuyen, Cao Dai et Hoa Hao se rebellaient contre le gouvernement de Diem. C'était une guerre orchestrée par les Américains. Diem a réussi à prendre le pouvoir. Tous les documents viennent de l'hôtel Majestic qui a été mis à sac, tout a brûlé, ce sont des documents que la presse internationale n'avait pas. Ils ont été friands de tous ces reportages.

Pourquoi avez-vous pris cette image en particulier ?
Parce que j'étais sur les lieux. J'arrive, je shoote tout de suite. Dans une histoire comme ça, l'action est en face. Les prises de vue se faisaient toutes seules, c'est un événement, tu ne cherches pas à aller voir ailleurs. Souvent, mes copains de régiment étaient écœurés, parce que je ramenais une chose qu'ils n'avaient pas vue, alors qu'ils étaient présents, autant que moi.

Qu'est-ce qui passe dans votre tête à l'instant de la prise de vue ?
Rien, il n'y a rien qui passe dans la tête à ce moment-là. ?a se passe trop vite, il faut penser tout de suite à la suivante. Il n'y a pas d'angle à choisir, il ne faut pas tourner autour, c'est le déclic. Si tu fais une composition, le moment est passé. La photo, c'est ni avant, ni après, c'est pendant. Je n'avais pas vu l'homme derrière, j'ai juste vu la femme qui était l'élément majeur de la photo.

Quel était le matériel dont vous disposiez ?
Un 6x6 (Rolleiflex). En reportage, maintenant, on fait trois ou quatre pellicules 36 vues, alors que pour moi, le reportage à l'époque, c'était du 12 vues au Rolleiflex, une péloche, deux, voire trois à la rigueur. Pour cette image, j'ai utilisé deux pellicules de 12 vues. ?a se passait à 500 mètres du service, je suis rentré tout de suite pour que ça soit exploité directement.

Quelles étaient les conditions de tirage pour obtenir cette rapidité de diffusion de l'image ?
C'était développé dans un laboratoire à Saigon, dont les laborantins étaient des Vietnamiens. Ils tiraient, lavaient, glaçaient et mettaient en exploitation tout de suite. Au Laos, il y avait un labo, mais vétuste : il n'y avait qu'un robinet et une lampe. On utilisait l'eau du Mékong qui était du cacao… Il fallait filtrer cette eau, alors je mettais un tampon de coton hydrophile, j'arrivais à avoir une eau, pas limpide, mais un peu plus claire. Il y avait aussi la chaleur, il ne fallait pas développer ça dans un révélateur bouillant, donc il fallait trouver de la glace. Lorsque je vois maintenant tout ce qu'il y a comme possibilités en labo... Moi, je travaillais toujours au moyen format, au 6x6 et en noir et blanc parce que c'était exploitable plus vite. Les photos étaient recadrées, parce que le 6x6 est un format carré, il faut voir à la prise de vue si c'est une photo en hauteur ou en travers, pour qu'au labo, ils la recadrent. Pour cette image, elle était obligatoirement en travers, il n'y a rien en hauteur.

Cette photo a été diffusée dans le monde entier et vous n'avez reçu aucune rémunération à cause de votre statut de militaire ?
Alors ça non, le service presse information était un service qui était pour l'information. Les reportages que nous, les reporters, réalisions étaient distribués dans le monde entier, mais gratuitement. ?a ne leur coûtait pas un sou. Ils nous donnaient les coupures de journaux, en nous disant : "Tu vois, tes photos sont parues là, là et là." Alors pour moi, c'était une certaine fierté. J'étais fier de mon travail, j'ai apporté à l'information des images qui sont rentrées dans l'Histoire.

C'est l'armée qui vous a nommé photographe de guerre, vous n'étiez pas du tout sensibilisé à ça... Comment quelqu'un qui ne connaît pas ce genre de reportage peut se lancer en mettant ses sentiments de côté ?
Pour moi, il n'y avait que l'image qui comptait. Dans cette guerre, il m'est arrivé de faire les deux parties en même temps, de passer de l'autre côté. Lorsque les gens me voyaient arriver, ils étaient toujours contents, il n'y a jamais eu d'altercation. Tout ce qui était le plus dur, faire des photos de cadavres, ce n'était pas exploitable, alors je n'en faisais pas. Je passais n'importe où, on m'appelait "Mika la Baraka".

Vous étiez peu de journalistes et reporters à l'époque pour un tel sujet par rapport au nombre de photoreporters qui se rendent sur un même événement aujourd'hui, qu'est ce que vous pensez de cette évolution ?
On était trois ou quatre sur cette guerre civile, il y avait un gars de l'AFP, un du journal de l'Extrême-Orient. Et encore, au service information, j'étais tout seul. Maintenant je suis écœuré de voir le nombre de reporters photographes sur un sujet. Ce sont des jeunes qui essaient de gagner leur vie, mais une photo prise par 130 objectifs n'a plus d'intérêt. Il faut se détacher du groupe.

(1) Dans les années 1935/1940, des groupes politico-religieux naissent en milieu rural en Cochinchine. Le caodaïsme, religion syncrétiste de l'Esprit-Saint, devient une puissance politique et les autorités coloniales s'inquiètent de la sympathie qu'elle manifeste à l'égard du Japon. La secte de Hoa Hao annonce pour sa part l'approche du temps de la justice pour les paysans pauvres du sud. Ngô Dinh Diem, ex leader des nationalistes de droite et premier ministre en 1955, donne à son régime l'orientation que souhaitait l'extrême droite nationaliste. Largement soutenu par Washington, il s'assure le contrôle de l'armée et lance sa police contre les résistants Viet Minh puis réduit les autres forces politiques : les Binh Xuyen, les Caodaïstes et les Hoa Hao.


Photo
C'est le bilan de ces deux jours de combat aux rares accalmies. On voit un blessé débarqué d'une ambulance devant l'hôpital Bonnard. Au cours de la lutte, ce sont les civils qui ont le plus souffert. Maisons détruites, paillotes incendiées laissent 50 000 personnes sans abri. Le commissariat général aux réfugiés situé boulevard Gallieni, en bordure de la ligne de feu, a été la proie des flammes. Partout dans le voisinage, des barricades élevées par les adversaires en présence ; les victimes, souvent des femmes et des enfants, se pressaient, attendant les secours. Beaucoup se réfugieront dans les quartiers européens, les seuls épargnés par les balles et le feu.