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L'Oeil électrique #25 | Société / Télévision citoyenne : état des lieux

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Par Eric Magnen, Ivan Péault.

Deux ans après la loi du 1er août 2000, qui reconnaît aux associations un droit d'accès aux fréquences de diffusion, où en sont les télévisions associatives ? Si des expériences ont été menées, par Zaléa TV notamment, on est encore loin d'une reconnaissance du Tiers-secteur audiovisuel et la France accuse un retard certain par rapport à ses voisins européens. Guy Pineau, enseignant à Paris III et ancien chercheur à l'INA, a également une implication militante au sein de la Fédération Nationale des Vidéos des Pays et des Quartiers (FNVPQ) qui regroupe depuis 1989 nombre de télévisions associatives. Un regard à la fois critique et engagé...

Qu'est-ce que le Tiers-secteur audiovisuel ?
Il y a d'une part le secteur privé, avec les grands regroupements qu'on connaît, conduisant à l'émergence d'un secteur capitalistique, oligopolistique et mondialisé. A côté, le service public, traditionnel en France, recèle certaines dérives indiscutables (la double contrainte d'audience et de qualité conduit à un mimétisme du secteur privé). Entre ces deux pôles vient s'ajouter un troisième secteur, le "Tiers-secteur", par analogie au Tiers-Etat. C'est un secteur associatif de communication non marchande, qui défend l'initiative prise par des citoyens regroupés en associations, pour développer une communication faite avec les gens et non "sur les gens". C'est tout le contraire de l'habituel rapport prédateur des médias classiques, où l'on se nourrit de ce qui arrive "aux gens" sans leur donner une place et travailler avec eux. Cette notion de télévision relationnelle, traitant ce média comme un rapport social, est défendue par des télévisions que j'appellerais "infranationales", par opposition aux télévisions comme CNN ou Al-Jazira, qui sont "supranationales".

Le service public ne peut-il remplir cette mission de télévision citoyenne ?
J'ai un soutien critique vis-à-vis du service public : je ne suis pas pour sa disparition ni pour la réduction de son périmètre. Le cahier des charges de francetélévisions indique que le service public est la télévision de tous les citoyens et doit assurer pluralisme et proximité. Néanmoins, de par son histoire (et celle de notre pays, jacobin et centralisateur), celui-ci a été longtemps inféodé au pouvoir politique centralisé. Le pluralisme politique, culturel et régional n'a donc pas été développé. Le service public doit continuer à se réformer mais il faut aussi permettre au citoyen de participer à un média audiovisuel, comme il a pu le faire avec la radio suite aux lois de novembre 81. Il me paraît assez archaïque d'avoir interdit, pour des raisons très discutables, la liberté de communication audiovisuelle.

Comment l'expliquez-vous ?
L'audiovisuel est un milieu où la reproduction sociale est extrêmement forte. Les meilleurs lieux de formation accueillent en forte proportion des jeunes dont les parents travaillent dans la sphère audiovisuelle parisienne. Dans des milieux plus anciens comme la médecine ou le notariat, il y a certains critères d'examen et de contrôle. Mais dans l'audiovisuel, la reproduction n'est pas toujours validée par des critères rigoureux. A l'inverse, les télévisions associatives permettent à des gens n'ayant pas un capital social et culturel aussi élevé d'accéder à ce média par ce biais... y compris en Province. Il me paraît fondamental de casser le monopole de la reproduction d'un milieu privilégié et - pour partie en tout cas - parisien. Je pense que tout cela devrait inciter un gouvernement qui prétend avoir le souci du lien social et de la "France d'en bas" à aider les télévisions associatives à émerger.

Y a-t-il des collectivités locales plus sensibles que d'autres à cette problématique ?
Certaines soutiennent d'une façon extrêmement intelligente et active. Par exemple, les communes du plateau de Mille Vaches soutiennent Télé Mille Vaches, une télévision associative locale, en lui accordant des subventions et en mettant des locaux à disposition. A Amiens, Gilles de Robbien soutient Canal Nord, comme auparavant le maire communiste. Ils se sont aperçus que cette télévision avait une utilité sociale : elle a été pour certains jeunes un tremplin vers le monde professionnel. Mais il ne faut pas verser dans une "télévision à monsieur le maire" : cette arrière-pensée existe encore chez certains responsables, qui caressent l'idée d'acheter de l'influence en soutenant une télévision locale.

Ces télés associatives doivent-elles seulement être des tremplins pour permettre à des amateurs d'accéder à un emploi dans des chaînes commerciales ?
Il n'y a pas que les chaînes commerciales. Certains jeunes trouvent un travail dans des secteurs audiovisuels associatifs, éducatifs ou militants. Bien entendu, il est un peu dommage de former quelqu'un qui va aller à M6 filmer des couillonnades. Mais il peut y avoir ce que j'appelle des "bénéfices collatéraux" : avoir des gens intelligents dans les chaînes commerciales peut permettre de développer des idées ou un état d'esprit différent.

Que pensez-vous de l'action politique française en faveur des télévisions associatives ?
Une partie de la gauche est très attachée au service public et craignait l'apparition de télés associatives. Le PS, avec Trautmann et Tasca, a pris beaucoup de retard, malgré les contacts et les luttes menées par la FNVPQ, des télévisions associatives comme Zaléa TV et la Commission Permanente des Médias Libres. En août 2000, une loi a finalement été votée, autorisant une télévision associative à prétendre à une fréquence de diffusion. L'actuelle Direction du Développement des Médias a rédigé un rapport très favorable à la création d'un fonds de soutien aux télévisions associatives, qui a été transmis au ministère de la Culture. Mais ce fonds de soutien n'a pas vu le jour, car le rapport n'a jamais été transmis à l'Assemblée nationale, bloqué jusqu'au dernier moment par le Secrétariat du gouvernement Jospin.

Je suis assez critique sur la politique de la gauche plurielle dans ce domaine car après la diminution de la publicité sur le service public - publicité qui s'est reportée sur TF1 et M6 - il aurait été très facile politiquement de créer une taxe pour alimenter un fonds de soutien au Tiers-secteur. Ç'aurait été sain et équilibré… Le gouvernement a clairement fait une erreur politique en le ne faisant pas.

D'autre part, il y a eu, et il y a, de la part des syndicats, des résistances aux télévisions associatives. Ils ont peur de voir l'émergence d'un personnel peu formé et mal payé, taillable et corvéable, parce que des gens qui veulent rentrer dans la cour des grands des médias acceptent de travailler dans des conditions assez médiocres. Des groupes comme AB Productions, qui recherchent des collaborateurs semi-professionnels et semi-amateurs, entraînent en effet une baisse de l'exigence de la qualité professionnelle. Mais si un peu de corporatisme est utile (car ça permet de maintenir des métiers), trop de corporatisme empêche toute évolution. Cette résistance syndicale a pu se répercuter politiquement dans des lieux de décision.

La crainte d'un contre-pouvoir télévisuel laissé aux citoyens intervient-elle dans la décision du gouvernement ?
Oui, des élus locaux craignent une télévision qui peut être critique à leur égard. Les télévisions publiques nationales, y compris France 3, ont quant à elles toujours refusé des alliances avec des chaînes locales associatives. En Italie également, la RAI a refusé de soutenir des petites télés locales non commerciales, alors que Berlusconi s'est appuyé sur ces télés pour se développer. Enfin, la presse quotidienne régionale (PQR), qui bascule de plus en plus vers la télévision locale - commerciale, celle-là - n'a pas été favorable à ce que le terrain soit occupé par des associations, préférant garder son monopole.
Le CSA, réticent à une époque, a commencé à bouger, sous la pression du mouvement social associatif et quelques personnes assez ouvertes au sein du Conseil. L'ancien président du CSA, Hervé Bourges, est venu assister à nos colloques. Son successeur, Dominique Baudis, poursuit dans cette voie. Il dit nous être favorable, mais je crois plutôt sentir de la part du CSA une volonté d'aider la mutation de la PQR vers l'audiovisuel. Il embrasse donc l'ensemble de la télévision locale, et pas seulement associative. Le CSA n'a en tout cas aucun pouvoir pour créer le fonds de soutien, il ne peut que jouer de son influence auprès du pouvoir politique.

Si le CSA affirme être favorable aux télévisions associatives, cela ne l'empêche pas d'interdire à ces chaînes d'émettre pendant toute la période électorale…
Il a invoqué des raisons de capacité de contrôle : ça risquait de troubler le pluralisme et l'équilibre de l'expression des candidats. C'est une vaste rigolade ! Lors d'une réunion au CSA, j'ai dit en plaisantant qu'il fallait interdire à toutes les télévisions de fonctionner pendant la campagne électorale, parce que ça risquait de fausser les choses ! (sourire) Car pendant les différentes campagnes présidentielles, les chaînes hertziennes ont tantôt essayé d'inventer un candidat comme Michel Noir, puis soutenu Balladur, Drucker a invité la femme du président sortant qui se représentait, etc. Le vrai danger ne venait pas des télévisions associatives. C'est grave, parce qu'on ne doit suspendre la liberté d'expression que quand il y a un danger réel et immédiat. Ce qui n'était évidemment pas le cas.
Mais le CSA se rattrape, en autorisant Zaléa TV à émettre depuis le 1er septembre à partir de la tour Eiffel. (Auparavant, Zaléa TV ne pouvait toucher que certains quartiers, mais un émetteur sur la tour Eiffel permet d'atteindre tout Paris.) Peut-être le CSA a-t-il des remords et se dit : "Feignons d'organiser ce qui de toute façon va exister un jour ou l'autre." Car il faudra bien que les télévisions associatives aient droit de cité dans ce pays.

Mais cette nouvelle attribution à Zaléa ne cache-t-elle pas tous les manquements qu'il y a derrière dans la diffusion des télés associatives ?
C'est vrai. Outre la création d'un fonds de soutien, il faudrait changer le code des collectivités locales pour leur permettre de subventionner les initiatives de télés citoyennes. Il faudrait aussi imaginer un dispositif d'aide à la production de ces télévisions, qui ne devraient pas être en concurrence avec les grandes chaînes, et assouplir leur fiscalité. Enfin et surtout, veiller scrupuleusement à ce que des coquins ne s'approprient pas une loi de liberté, se servant d'un réseau citoyen associatif pour faire du business. Tout cela en ferait une liberté réelle et non pas formelle.

La problématique des télévisions associatives reste encore méconnue du grand public. Quelles actions sont entreprises pour y remédier ?
On va organiser en mars 2003 la deuxième université européenne des télévisions locales, avec beaucoup plus de monde que l'an dernier. Il faudrait sans doute aussi intervenir plus dans la presse. Le problème c'est qu'on est peu nombreux et qu'on manque de moyens.
Au niveau politique, suite au changement de majorité, nous n'avons plus les mêmes interlocuteurs. Alors à la rentrée, on va faire la tournée des popotes : il faut recommencer, aller voir les conseillers qui suivent désormais ce dossier, à la Culture et dans les groupes parlementaires. Il faut reprendre son bâton de pèlerin et faire un travail de lobbying. Ce n'est pas un lobbying honteux, il s'agit de défendre une liberté légitime. A la FNVPQ, on est décidé à continuer ce travail pour aboutir, sur le fonds de soutien notamment.