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L'Oeil électrique #25 | Action / Le Collectif anti-expulsions

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+ Le Collectif anti-expulsions

Par Muriel Bernardin.

Ceci est la version intégrale de l'interview parue dans le magazine papier.

RECTIFICATIF : Dans l'interview parue dans la version papier de l'œil électrique, il faut lire 1998 et non 1988 dans la phrase "Nous sommes intervenus plusieurs fois en 1988 gare de Lyon".

Qu'est-ce que le CAE et quel est votre statut ?
Le collectif anti-expulsions est un collectif de lutte autonome, il a une existence de fait : nous nous réunissons régulièrement et avons divers modes d'intervention. Ne cherchant ni subventions, ni accréditations, nous n'avons pas de statut juridique.

Quelle est l'origine de la création du CAE ?
Le CAE est né en avril 1998, formalisant et organisant des interventions relativement spontanées et efficaces à l'aéroport de Roissy pour empêcher l'expulsion de sans-papiers arrêtés en masse suite aux occupations des églises du 18ème et du 19ème arrondissement. Cette répression très dure intervenait après le changement de majorité. La "gauche plurielle" est au pouvoir : les sans-papiers déboutés de la circulaire Chevènement se retrouvent seuls, abandonnés par la sphère associative para-institutionnelle. Le collectif est donc né d'une pratique : intervenir directement contre les expulsions en allant parler aux passagers des vols pour les informer de la présence d'expulsés et les inciter à refuser de voyager dans ces conditions. Les premiers résultats sont encourageants, beaucoup de sans-papiers redescendent des avions. Nous ressentons toutefois assez vite que ce travail au jour le jour doit être complété par des interventions contre l'ensemble du dispositif qui permet les expulsions (centres de rétentions, entreprises publiques ou privées qui collaborent avec l'Etat, etc.). Par ailleurs nous sommes conscients que l'expulsion est plutôt présente comme menace pour maintenir sur le territoire un volant de main d'œuvre exploitable à merci, nécessaire à des pans entiers de l'économie des démocraties avancées dans lesquelles nous vivons (BTP, confection, restauration). Si nous choisissons malgré cette analyse d'intervenir sur le moment de l'expulsion, c'est que c'est le moment le plus visible et aussi le plus fragile du parcours des sans-papiers interpellés : pour expulser, l'Etat a besoin de la complicité au moins passive du personnel de bord des avions et des passagers. Que quelques personnes manifestent leur désapprobation et cette machine fragile échoue : le sans-papiers est redescendu. Plus profondément le CAE est né d'un désir d'intervenir dans la lutte des sans-papiers avec nos propres modes d'actions, et non comme soutiens abstraitement concernés par la question de l'immigration. Nous sommes des acteurs à part entière de cette lutte, et travaillons avec les collectifs de sans-papiers autonomes qui sont sur les mêmes bases que nous.

Quelles sont vos principales revendications ?
Elles sont celles du mouvement des sans-papiers : la régularisation de tout les sans-papiers par carte de 10 ans, la fermeture des centres de rétention, l'arrêt des expulsions, l'abrogation de la double peine et de toutes les lois spéciales pour étrangers. Ce que, de notre position, nous reformulons en terme de liberté circulation et d'installation, dans le cadre plus général de la lutte contre le capitalisme et contre toutes les formes de contrôles et d'exploitation. L'autonomie de la lutte, une auto organisation réelle, nous paraît être une condition nécessaire à un travail commun et fécond.

Quelles sont vos principales actions/activités ?
Les interventions sur les aéroports :
nous allons régulièrement à Roissy, peu nombreux la plupart du temps (se déplacer à deux ou trois peut suffire) pour intervenir auprès des passagers, aux jours qui nous arrangent (il y a tous les jours 20 à 30 expulsions de Roissy). Nous y allons parfois pour quelqu'un en particulier, s'il nous a contacté et que nous sommes disponibles. Pour diffuser cette pratique, pour que tous ceux qui connaissent un sans-papiers arrêté cessent de penser que l'aéroport est un point de non-retour, nous avons écrit une brochure ( Guide Pratique d'intervention dans les aéroports ) qui retrace le parcours à suivre, y compris quand l'expulsé est redescendu. Notre but est que ces interventions deviennent habituelles, que chaque expulsion devienne un problème, ce qui met en échec l'ensemble du dispositif. Si nous sommes plus nombreux, nous diffusons des tracts et nous nous déplaçons en manifestation dans les aérogares. Nous avons organisé des manifestations plus exceptionnelles : manifestation dans la zone internationale le 15 octobre 1999, journée internationale pour la liberté de circulation et d'installation, ou lancé de ballons à hélium avec des slogans suspendus. Nous intervenons aussi régulièrement auprès des personnels d'ADP (Aéroport De Paris, société de gestion des multiples secteurs d'activités des aéroports), ceux que nous rencontrons ou en allant les trouver dans leurs cantines.
Gare de Lyon :
l'Etat expulse aussi par le train, à l'époque (en 1998) par le train de nuit au départ pour Marseille de Gare de Lyon. Nous y sommes intervenus à plusieurs reprise avec le syndicat Sud Rail, qui se mobilisait pour empêcher le départ des expulsés vers l'Algérie. Nous avons bloqué les voies à plus de 200, des collectifs présents sur le trajet sont intervenus au cours de la nuit (Valence, Lyon, Dijon, Marseille) : aux dernières nouvelles (nous sommes preneurs de plus d'informations) les expulsions par ce train ont cessé et se font désormais depuis la gare TGV de Roissy.
Une solidarité concrète avec les collectifs de sans-papiers :
nous nous mobilisons pour les manifestations et rassemblements des sans-papiers en lutte et avons travaillé étroitement avec plusieurs collectifs. Quand les circonstances le permettent nous coorganisons des manifestations, en demandant les autorisations nécessaires pour que les sans-papiers soient présents.
La lutte contre les centres de rétention :
c'est un aspect essentiel de notre travail. La France est en effet en train d'appliquer les dispositifs européens prévus par le dispositif Schengen en agrandissant son parc de prisons pour sans-papiers. Sous couvert d'amélioration des conditions de détention, il s'agit évidemment d'une amélioration des conditions de la répression. Après avoir occupé la terrasse de l'hôtel Ibis de Roissy dont deux étages étaient en fait une zone d'attente, nous avons organisé une campagne de mobilisation à Choisy-le-Roi. Le commissariat en centre ville est aussi un centre de rétention. Plusieurs rassemblements et manifestations ont eu lieu avec les sans papiers du Val-de-Marne qui occupaient alors un local paroissial juste en face du centre, nous avons interpellé le maire PC de la ville chez lui à 2 heures du matin pour empêcher une expulsion (intervention réussie : le sans-papiers a été débarqué à Marseille après avoir été copieusement tabassé pendant le voyage). Le centre doit fermer (notre intervention n'y est sans doute pas pour rien) mais un nouveau centre doit être construit pour 2003 à Palaiseau pour accueillir les interpellés de la région et les détenus de Fleury et Fresnes. Nous avons commencé une campagne d'affichage et un collectif d'habitants de Palaiseau s'est constitué. Il est pour nous essentiel que ce type de lutte soit prise en charge au niveau local. Nous avons aussi occupé la zone d'attente de gare du nord située dans des locaux de la SNCF et le toit de la nouvelle zone d'attente Zapi 3 à Roissy juste avant qu'elle n'ouvre
Campagnes contre les entreprises qui collaborent à la machine à expulser :
Air France, la SNCF, Accor qui louaient un étage de son hôtel Ibis de Roissy pour 1,6 millions de francs (240 000 euros) par mois, et qui a construit à travers sa société immobilière la zone Zapi 3, qui réserve à l'aide de Carlson Wagonlit des places pour les expulsés par trains. Nous organisons dans ce cadre des campagnes d'affichage et d'information par diffusions de brochures, des occupations, des interventions auprès des employés de ces compagnies et auprès des employés d'A.D.P. pour qu'ils refusent de se transformer en flics en participant aux expulsions. Nous appelons tous ceux qui le veulent à s'organiser là où ils se trouvent pour harceler ces compagnies.
Enfin, nous sommes membres du réseau européen No Border et comptons parmi ceux qui ont organisé le camp "No border, no nation, no social control" contre le Système d'Information Schengen (fichier européen de contrôle des migrants, des marchandises volées, des délinquants, des hooligans et des manifestants "anti-mondialisation" ) en juillet dernier à Strasbourg. Nous intervenons aussi de façon coordonnée les 12-13-14 octobre, jours qui depuis deux ans sont dédiés à la lutte contre les lois spéciales pour étrangers et pour la liberté de circulation et d'installation.

En dehors de l'action menée avec Sud Rail, avez-vous travaillé avec d'autres organisations ?
Nous pouvons à l'occasion travailler avec tel ou tel collectif ou syndicat, mais gardons toujours notre autonomie de décision et d'action. Avec Sud Rail en 1998, le travail commun a été relativement efficace, avec des limites évidentes (Sud ne voulait se mobiliser que sur les expulsions vers l'Algérie, sur un discours humanitaire, alors que nous nous opposons à toutes les expulsions, quelles qu'en soient les "justifications", quels que soient les pays de renvoi, de même que nous luttons pour la régularisation de tous les sans-papiers, quelle que soit leur situation précise). Sur Roissy, les contacts avec les syndicats nous semblent insuffisant. Ils ont, à l'époque de l'expulsion de l'église Saint Bernard en 1996 commencé à demander une clause de conscience qui leur permettrait de refuser de participer aux expulsions, mais cette revendications est passée au second plan et a ensuite disparu. Nous pallions ce manque de contact en nouant des liens directs avec les employés que nous rencontrons (des vendeurs de sandwichs aux chefs d'escales en passant par les hôtesses et les balayeurs). Beaucoup nous aident malgré la très forte pression qui pèsent sur eux. Notre travail commun le plus fructueux est évidemment avec les collectifs de sans-papiers en lutte.

Certaines de vos actions vous ont-elle conduit à outrepasser des lois ou des règlements ? Avez-vous eu des amendes à payer ? Certains d'entre vous, suite à certaines de vos actions sont-ils passés au tribunal ?
Toutes nos intervention dépassent le cadre de la légalité : il est illégal d'occuper, de manifester sans autorisation, de diffuser des tracts. La vraie question est celle du rapport de force que nous parvenons à établir, et du choix répressif de l'Etat fait à notre égard. Nous essayons de limiter les risques de répression individuelle en assumant collectivement nos actions. Dans les cas où l'appareil judiciaire se met en marche, nous organisons des défenses collectives, à la fois pour ce qui concerne les choix de défense, mais aussi pour les problèmes concrets de frais de justice, d'avocats,
Nous avons par exemple occupé à plus de 300 un local de la SNCF utilisé par la DICCILEC (actuelle PAF, Police de l'Air et des Frontières) ainsi que les locaux de la DICCILEC à l'étage en dessous. La répression a été tout de suite très dure (matraquages, arrestations avec garde à vues illégales). Trois camarades sont passés en comparution immédiate, le juge s'est déclaré incompétent et a demandé une instruction. L'un des trois a obtenu un non lieu en cours de procédure (son PV d'arrestation a une fausse signature), le deuxième a été relaxé à l'audience (fortement handicapé, il était accusé d'avoir agressé les 5 flics qui lui étaient tombés dessus pour l'interpeller et de les avoir frappé avec ses béquilles). Pour le troisième, croulant sous d'un nombre invraisemblable d'accusations, la condamnation a été d'un an de prison dont 6 mois avec sursis et 300 000 francs d'amendes et dommages et intérêts. Les remises de peine et les grâces ont évité à notre camarade de faire sa peine de prison, mais l'amende reste à payer.
La PAF a aussi essayé diverses mesures d'intimidation pour empêcher nos interventions : menaces d'inculpation des passagers (impossible à mettre en œuvre), colis piégés fictifs pour nous évacuer ("Robert, tu me mets un colis à l'aérogare 2AS"), et surtout un procès au tribunal de police pour "utilisation non conforme d'une zone aéroportuaire". Douze d'entre nous risquaient des amendes, ce qui n'est pas très grave en soi, mais pouvait entraver gravement ce mode d'action, qui n'aurait plus été aussi facilement diffusable. La procédure était extrêmement mal montée et nous avons gagné un procès très gai, puisque les sans-papiers du Collectif de la Maison des Ensembles étaient venus nombreux pour nous soutenir (pour une fois, les rôles habituels étaient inversés), ils ont crié des slogans et chanté sous les fenêtres du tribunal pendant toute l'audience.

Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ?
Nos difficultés sont parallèles à celles de l'ensemble d'un mouvement qui apparaît bien désormais comme s'inscrivant dans le long terme, avec les phases de recul que cela implique. Plus concrètement nous avons des difficultés à intervenir sur les aéroports quand les passagers sont européens : touristes ou cadres, ils ont tendance à privilégier leur peur d'être en retard Ce qui fonctionne parfaitement sur des vols d'Air Afrique est beaucoup plus difficile sur d'autres destinations. L'attitude des forces de l'ordre est très variable selon les occasions et le contexte, parfois très brutale (un rapport de Reporters Sans Frontières sur l'" attention particulière " accordée par les forces de police aux actions liées aux sans papiers s'attarde sur l'occupation de la DICCILEC, où les occupants ont fait l'objet d'un traitement particulièrement violent). A Roissy, on peut dire que la PAF est relativement déroutée par notre mode d'action et ne parvient pas à nous empêcher de discuter avec les passagers des vols.

Comment financez-vous votre action ?
Nous n'avons aucun mode de financement extérieur et ne gérons pas beaucoup d'argent (tracts, téléphone, avocats). La plupart du temps, nous nous cotisons pour les dépenses courantes, nous avons organisé un concert pour les frais occasionnés par le procès de la DICCILEC. Nos brochures sont vendues à prix libre.

Comment faites-vous connaître votre travail ?
Nous sommes présents dans toutes occasions pour diffuser nos tracts, nous éditons régulièrement des brochures qui sont disponibles en version électronique sur le site des sans papiers (pajol) .Nous avons plusieurs brochures à notre actif :
- "Libre circulation pour tous" (septembre 1998),
- Une brochure qui présente la campagne contre le groupe Accor avec affiches et détournements de prospectus de publicité (1999),
- Un recueil, mars 1998-octobre 1999 qui diffuse tous nos tracts et textes de cette période, dont les deux textes précédents,
- "Guide pratique d'intervention dans les aéroports",
- "Pourquoi nous ne sommes pas des "citoyens-concernés-par-le-rééquilibrage-des rapports-Nord-Sud"", (septembre 2001) qui développe de façon critique notre rapport à l'antimondialisation.

Etes-vous la seule association à se mobiliser de cette manière en France ?
Il y avait, en 1998, un réseau français des CAE, qui est intervenu par exemple lors des expulsions vers Alger via Marseille, constitué d'une dizaine de collectifs dans la France entière. Ces collectifs n'existent plus en tant que tels mais des liens informels se sont crées qui peuvent être réactivés au besoin. Nous avons bien un mode d'intervention spécifique dans le cadre de la lutte des sans-papiers, puisque nous ne nous considérons pas comme des soutiens mais comme des acteurs de cette lutte.

Comment envisagez-vous l'avenir de votre combat ?
Il est difficile de répondre à cette question, beaucoup de facteurs entrent en jeu : notre perspective actuelle est d'une part la diffusion de ce que nous faisons aux aéroports (par le biais de la brochure notamment), d'autre part la campagne que nous menons contre le centre de rétention de Palaiseau. Nous espérons que la pression sera assez forte pour que le projet soit abandonné, et nous préparons déjà à intervenir contre les projets futurs qui apparaîtront ici ou là (il y a de toutes façons besoin d'un centre dans cette région).

Comment peut-on vous soutenir ?
Relayer nos campagnes, diffuser nos textes et nos brochures est toujours intéressant pour nous. Nous proposons des rendez-vous publics assez réguliers pour aller aux aéroports ou pour d'autres types d'actions ou de manifestations. Par ailleurs, chacun peut selon ses moyens, s'organiser pour intervenir là où il est contre des rouages de la machine à expulser, par exemple les 13-14 octobre pour la journée pour la liberté de circulation et d'installation. Nous sommes évidemment demandeurs de toutes informations sur les expulsions ou les centres de rétentions. Nous serions très heureux de recevoir des nouvelles de tous ceux qui s'organisent pour intervenir d'une manière ou d'une autre contre ces dispositifs.

Collectif Anti-Expulsions d'Ile de France
21ter, rue Voltaire, 75011 Paris
Rep-fax : 01 53 79 12 21
e-mail : caeparis@free.Fr