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L'Oeil électrique #26 | Cinéma / Wu xia pian, le western chinois

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Par Abdessamed Sahali, Eric Magnen.
Photos : Anne-Sophie Boivin.

Le wu xia pian, ou film de sabre, peut s'apparenter à un équivalent chinois du western hollywoodien. Si les armes diffèrent, le succès rencontré est comparable : le genre wu xia pian s'est inscrit durablement dans l'histoire des cinémas chinois en général, celui de Hongkong en particulier. Cheng Pei-pei et Wang Yu, l'une actrice, l'autre acteur puis réalisateur, ont participé très directement, dans les années 60, à l'âge d'or du wu xia pian. Nous les avons rencontrés lors de l'édition 2001 du Festival des Trois Continents, qui proposait une rétrospective du genre et dont ils étaient les invités d'honneur. L'occasion de brosser l'histoire de tout un cinéma, en compagnie de ces deux témoins privilégiés.

Origines et influences
Wu xia pian signifie littéralement "film de combat chevaleresque".
Les légendes chinoises narrent les aventures fabuleuses de chevaliers errants aux pouvoirs surnaturels. Cette tradition littéraire s'est construite progressivement pour arriver à maturité sous la dynastie Qing (1644-1911). Peu de films sont pourtant tirés de ces ouvrages. La plupart des wu xia pian s'inspirent de deux auteurs contemporains, Gu Long et Jin Yong, qui ont puisé dans ces légendes pour les réinventer. Ainsi, les adaptations de livres de Jin Yong représentent une bonne moitié de la production totale du genre !
Le wu xia pian ne se développe à Hongkong qu'à partir de la fin des années 30, le film de sabre étant alors interdit en Chine. Jusqu'aux années 60, le wu xia pian est ainsi aux mains du cinéma cantonais : tournés en noir et blanc, en studio, avec des moyens limités, ces films sont souvent très frustres et n'ont rien à voir avec ce que le cinéma mandarin va proposer dans les années 60. (pour l'opposition entre cinéma cantonais et mandarin, voir encart).
A la fin des années 50, le studio Shaw Brothers cherche à trouver sa place dans l'industrie cinématographique hongkongaise. Il choisit le cinéma en langue mandarine et le wu xia pian pour asseoir sa puissance. Ce studio, fondé par Run Run Shaw, ambitionne de devenir un équivalent asiatique des grands studios hollywoodiens : son logo singe celui de la Warner Brothers, une immense unité de tournage appelée "Movieland" est construite, enfin ils imposent l'utilisation systématique de la couleur et de l'écran large sous la forme d'un avatar du CinémaScope appelé... ShawScope !
Le marché du film étant à l'époque dominé par le chambara (films de sabre japonais), Run Run Shaw entend lancer un genre spécifiquement chinois qui permettrait de contrer le succès des chambaras. Les cinéastes hongkongais puisent donc sans vergogne dans le genre japonais pour renouveler le vieux wu xia pian cantonais. Le studio arrive à maturité en 1965. La sortie d'une poignée de films dont Come Drink With Me révèle les futurs grands maîtres du genre, King Hu et Chang Cheh, et initie l'âge d'or wu xia pian.

King Hu, le classique
A sa sortie, Come Drink With Me surprend par ses qualités esthétiques et la pureté de sa mise en scène. King Hu insuffle au genre une dimension graphique qui dote ses films d' une grande beauté visuelle. Le rôle principal de Come Drink With Me est tenu par Cheng Pei-pei, une actrice qui va devenir en quelques films la grande star féminine du cinéma hongkongais. King Hu met en avant les rôles féminins, alors qu'auparavant, le genre était essentiellement une affaire d'hommes. La figure de la femme chevalière, volontariste et l'égale de l'homme, devient alors un élément important du genre.
Souvent teintées de politique, les intrigues de Hu sont parfois difficiles à suivre. Cela traduit en tout cas l'intérêt du cinéaste pour l'histoire de son pays, plus particulièrement pour la dynastie Qing, au sein de laquelle se passent la plupart de ses œuvres. Trois films posent les bases du cinéma de King Hu : Come Drink With Me, Dragon Gate Inn (L'Auberge du dragon) et The Fate Of Lee Khan (L'Auberge du printemps). Ce sont trois "films d'auberge", dans lesquels l'auberge est le théâtre de règlements de comptes entre bandes rivales, toujours avec un arrière-plan politique. Ces films font également apparaître les premiers eunuques "maléfiques", une figure majeure du genre par la suite. Après Come Drink With Me, King Hu quitte la Shaw Brothers et part s'installer à Taiwan, où il tourne A Touch Of Zen. Ce film-fleuve de 3 heures, d'inspiration bouddhiste, sera le premier wu xia pian à rencontrer un succès en Occident (il remporte le Grand Prix de la commission supérieure technique au festival de Cannes en 1972). Puis, avec Raining In The Montain, en 1978, l'un de ses derniers grands films, Hu s'éloigne peu à peu du genre : on n'y combat presque plus (ou alors à mains nues). Ce film à la limite du genre est malgré tout l'un des plus beaux wu xia pian.

Chang Cheh, le barbare
Autant les films de King Hu sont raffinés et subtils, autant ceux de Chang Cheh sont violents et brutaux, sanglants et choquants. Ce cinéaste s'intéresse aux personnages masculins, plutôt qu'aux féminins. Le film qui marque cette transition est Golden Swallow (L'Hirondelle d'or). Chang y reprend le personnage principal du Come Drink With Me de King Hu, à nouveau interprété par Cheng Pei-pei. Mais il lui adjoint deux prétendants et centre l'intrigue sur les relations entre ces deux hommes. Là est la clé du cinéma de Chang Cheh : ses films traitent des rapports masculins, à travers le code d'honneur des chevaliers, des relations fortement teintées d'homoérotisme. Dans Golden Swallow, le personnage de Silver Roc, interprété par Wang Yu, est l'un des plus complexes et des plus riches offerts par le genre. Sa violence se double d'un rapport à la mort profondément narcissique et d'un attrait évident pour le statut de martyr. La fin du film apparaît en effet comme un autosacrifice consenti et même recherché par le héros. L'année précédente, Chang avait tourné The One-Armed Swordsman (L'Epéiste manchot), également avec Wang Yu, narrant les déboires d'un épéiste talentueux qui perd un bras au cours d'un duel et disparaît avant de revenir pour accomplir sa vengeance. Dans ce film, Chang s'en donne à cœur joie dans ses envolées masochistes à l'égard de son héros (rien ne nous est épargné du martyre de Wang Yu) et dans l'arrière-plan homoérotique qui sous-tend les combats du film. De même, quelques années plus tard, The Return Of The One-Armed Swordsman (La Rage du tigre), relecture du précédent (mais avec David Chiang, qui deviendra l'acteur fétiche de Chang Cheh), radicalise encore les partis pris esthétiques de Chang. Ce film est une expérience limite dans la vision masochiste délirante du cinéaste (entre autres réjouissances, on a notamment droit à un bonhomme tranché net en deux d'un coup de sabre au niveau du ventre). Le combat final est une pièce d'anthologie, sans doute la forme la plus aboutie d'un des grands apports de Chang Cheh : le combat du héros seul contre 100 combattants et plus, une manière d'exacerber sa grandeur d'âme par le nombre qui lui fait face (une idée que le film de kung-fu reprendra quelques années plus tard avec bonheur, chez Bruce Lee, notamment). Aux yeux de beaucoup, La Rage du tigre est LE chef-d'œuvre du wu xia pian.

Le déclin du genre
L'âge d'or sera de courte durée : il s'achève dès le début des années 70, balayé par la vague kung-fu. Initiée par Wang Yu avec The Chinese Boxer en 1971, celle-ci prend son envol avec Bruce Lee qui devient une légende en deux ans et quatre films. Le wu xia pian peine à trouver sa place dans cette décennie qui exalte le combat à mains nues.
A la fin des années 70 toutefois, la Nouvelle Vague, emmenée par Tsui Hark, revitalise le genre : The Butterfly Murders, une étonnante histoire de meurtres opérés par des hordes de papillons, propose une relecture moderne du genre tout en restant fidèle à son esprit d'origine. The Sword de Patrick Tam, puis The Romance Of Book And Sword d'Ann Hui, poursuivent dans la même voie. John Woo (qui ne fait pas partie du groupe de la Nouvelle Vague), réalise au même moment Last Hurrah For Chivalry. Si l'on est encore loin des futurs chefs-d'œuvre de Woo, ce film mérite toutefois une attention particulière dans la mesure où il pose les bases de ses futurs travaux. Il présente par ailleurs une particularité étonnante, s'autorisant à bouleverser au beau milieu du film l'ordonnancement des bons et des méchants ! L'ambivalence entre le bien et le mal, sujet central de toute l'œuvre de Woo, est ainsi déjà présente dans ce film.
Les premiers films de la Nouvelle Vague, trop exubérants, ne rencontrent pas un grand succès. Tsui Hark opère alors un recentrage plus commercial, qui l'amène en 1983 à Zu, Warriors of the Magic Mountain (Zu, les Guerriers de la montagne magique), film phare et mètre étalon du néo-wu xia pian. Bien qu'échec public à sa sortie, Zu n'en deviendra pas moins culte. Deux ans plus tard, Tsui rafle enfin la mise, en produisant A Chinese Ghost Story (Histoires de fantômes chinois), dont il confie la réalisation à Ching Siu-tung. Le succès est mondial. Entre-temps, Tsui a créé son propre studio, la Film Workshop.
L'échec initial de Zu est assez compréhensible. Le film ne ressemble en effet à rien de connu à l'époque et conserve aujourd'hui encore un aspect franchement surprenant. Zu, qui raconte le combat d'un groupe de chevaliers sur une montagne peuplée de fantômes, est une œuvre délirante au montage épileptique. Premier long-métrage hongkongais à utiliser les effets spéciaux, il marque un tournant dans la façon de faire des films à Hongkong.

Flux et reflux
Le succès du wu xia pian dure quelques années, avant d'être à nouveau détrôné par d'autres genres, puis de revenir encore une fois en force au milieu des années 90 ! A partir de 1986, le public porte en effet son attention sur un genre nouveau, initié par Tsui Hark et John Woo, le néo-polar, ou polar urbain. Dans ces films, la violence urbaine est illustrée à travers le portrait de chefs de triades réglant leurs comptes au cours de grandes scènes de gunfight. A Better Tomorrow (Le Syndicat du crime), réalisé par Woo et écrit et produit par Tsui, pose les bases du genre. Une histoire d'amitiés masculines, de rédemption, et de rapports fraternels conflictuels, se réglant dans le sang. A bien y regarder, A Better Tomorrow ressemble fort à un wu xia pian qui n'ose pas dire son nom... On retrouve plusieurs éléments constitutifs du genre, tout particulièrement des films de Chang Cheh : rapports masculins teintés d'homoérotisme, à travers le respect exacerbé du code d'honneur des triades ; utilisation de Ti Lung (l'un des acteurs fétiches de Chang) pour l'un des rôles principaux ; personnages charismatiques qu'il n'est pas exagéré de qualifier de "héros" dans le plus noble sens du terme (le personnage de Mark, interprété par Chow Yun-fat) ; enfin de grandes scènes de combat sanglantes et lyriques. Simplement, le revolver remplace le sabre… A Better Tomorrow, qui n'est pas sans rappeler également de manière troublante Last Hurrah For Chivalry, le seul véritable wu xia pian réalisé par John Woo, n'est donc rien d'autre qu'une transposition dans l'époque actuelle des codes du wu xia pian traditionnel. Un film tout aussi marquant que Zu, et qui reste sans doute le meilleur film de John Woo à ce jour.

Expérimentations
Le wu xia pian reprend à nouveau du poil de la bête au début des années 90. Tsui Hark (encore lui !) lance la série Once Upon A Time In China (Il était une fois en Chine), un mélange de kung-fu et de combat au sabre qui fait de Jet Li une star. Une poignée de films plus expérimentaux voient ensuite le jour, bouleversant les certitudes du genre.
Wong Kar-wai, jeune cinéaste iconoclaste, adepte d'un cinéma plus "auteurisant" qui n'est pas habituellement de mise à Hongkong, parvient à réunir un budget conséquent et un casting impressionnant pour une grande fresque inspirée d'un roman de Jin Yong : Ashes Of Time (Les Cendres du temps). Très expérimental, le film surprend par sa narration heurtée et la multitude de ses personnages qui s'entrecroisent. Les images, signées par Christopher Doyle, chef-opérateur génial, sont d'une beauté saisissante. Un wu xia pian résolument avant-gardiste et le sommet de la carrière de Wong Kar-wai.
En 1995, The Blade prolonge les expérimentations du film de Wong. Remake de The One-Armed Swordsman de Chang Cheh, The Blade est un film à la violence barbare exacerbée. Avec The Blade, Tsui Hark, qui a ressuscité à lui seul le wu xia pian à plusieurs reprises et est devenu au fil des ans l'un de ses plus grands représentants, semble décidé à mettre un terme définitif à son histoire. The Blade est en effet tellement radical qu'il paraît difficile de faire désormais quelque chose d'un tant soit peu original. A ce jour, le défi n'a pas encore été relevé. Au regard de ces deux films, le fameux Tigre et dragon d'Ang Lee paraît bien terne. Le fait qu'il soit sorti plusieurs années après eux souligne encore son anachronisme et son côté rétrograde. Ang Lee se contente de compiler les conventions du wu xia pian, sans jamais chercher à en tirer de nouvelles figures. Vouloir réaliser un wu xia pian à l'ancienne n'est pas forcément une idée stérile : Tsui Hark et Ching Siu-tung avaient montré en 1991, avec Swordsman, qu'il était possible de rester fidèle à l'esprit originel du genre tout en l'enrichissant de nouvelles potentialités. Mais Ang Lee n'est pas Tsui Hark…

La fin du genre
Depuis The Blade, aucun wu xia pian probant n'a vu le jour. On pourrait citer Stormriders d'Andrew Law, sorti en 1998, qui se veut probablement le Zu des années 90 - son utilisation massive des effets spéciaux en témoigne. Il n'atteint pourtant pas le niveau de son modèle : trop inégal, il ne convainc pas vraiment, malgré quelques belles scènes et une poignée d'effets spéciaux réellement impressionnants. L'avenir dira si Stormriders aura été précurseur d'une nouvelle orientation du genre ou une tentative sans lendemain. Tout cela devrait cependant assez mal vieillir : avec l'esthétique jeu vidéo de Stormriders, on est en effet bien loin de la beauté sans âge des films de King Hu...
Aujourd'hui, malgré le succès occidental massif de Tigre et dragon, le wu xia pian est à nouveau dans le creux de la vague à Hongkong, dont le cinéma subit actuellement une grave crise économique et artistique. Même Tsui Hark semble dans une mauvaise passe : The Blade a été un échec commercial, et la suite de Zu, The Legend of Zu, sortie l'an dernier, n'a guère attiré les foules. Il est pourtant prématuré d'enterrer le wu xia pian. Un genre qui a déjà connu plusieurs morts et plusieurs résurrections ne disparaîtra jamais vraiment. Il incarne tellement le cinéma chinois qu'il trouvera sûrement de nouvelles voies au gré des décennies à venir.

En vidéo :

Trouver les grands classiques du wu xia pian en vidéo relève du parcours du combattant. En France, très peu ont été édités : citons tout de même la très riche collection HK Vidéo bien qu'elle ne propose aucun film antérieur à 1975. Au-delà, le meilleur moyen de trouver son bonheur reste encore l'import hongkongais au format VCD (Video-CD) avec sous-titres anglais. On en trouve notamment dans le quartier chinois de Tolbiac, à Paris (centre commercial "Les Olympiades", 103-105 rue de Tolbiac).
Mais un pan essentiel de l'histoire du cinéma hongkongais reste invisible en dehors des festivals, les grands classiques de la Shaw Brothers n'ayant jamais été édités. Cette lacune sera comblée en décembre 2002, avec l'édition tant attendue du catalogue Shaw en DVD.

Bibliographie :

Ouvrages
Stephen Teo : Hong Kong Cinema - The Extra Dimensions, 1997, British Film Institute Publishing
Collectif : L'Asie à Hollywood, 2001, Cahiers du cinéma - Essais
REVUES
Cahiers du cinéma, n° 362-63, septembre 1984, numéro spécial Made In Hong Kong HK Orient Extreme Cinema, n° 9, décembre 1998, numéro spécial Chevalerie chinoise




HONGKONG : HOLLYWOOD ASIATIQUE

"Hongkong est belle la nuit.
C'est dur de penser que toute cette beauté va disparaître.
"
Mark, dans A Better Tomorrow de John Woo

La Chine cède la ville de Hongkong à la Grande-Bretagne en 1840, suite à la guerre de l'opium. Le "port des parfums" devient alors un centre d'émigration des Chinois vers les USA. La colonie s'agrandit en 1860 à la presqu'île de Kowloon et en 1898, les Anglais obtiennent la souveraineté des nouveaux territoires pour une durée de 99 ans. Dès lors, Hongkong se trouve confrontée à l'échéance de la rétrocession à la Chine, prévue le 1er juillet 1997.
Dans les premières décennies du vingtième siècle, un cinéma chinois en langue mandarine se développe à Shanghai. A Hongkong c'est la langue du sud, le cantonais, qui est utilisée. Les films cantonais sont pourtant d'un niveau technique très inférieur à celui du cinéma mandarin. L'occupation japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, puis la guerre civile et la Révolution culturelle, entraînent des vagues d'émigration de la Chine vers Hongkong. Parmi ces réfugiés, nombre de cinéastes originaires de Shanghai. Ceux-ci vont inaugurer une tradition mandarine dans le cinéma de la colonie. Les deux langues coexistent, parfois de manière violente (plusieurs vagues d'"épuration" détruisent une bonne partie de la production cantonaise des années 30 et 40). Le cinéma mandarin s'impose réellement à partir de 1965, grâce au studio Shaw Brothers et au wu xia pian. Puis, au début des années 70, l'arrivée du studio Golden Harvest, de stars telles que Michael Hui et Jackie Chan, et l'avènement de la déferlante kung-fu suite au succès phénoménal de Bruce Lee, renversent la hiérarchie : le cinéma cantonais acquiert une suprématie qui ne sera plus démentie.
En 1979, un groupe de jeunes cinéastes (Tsui Hark, Ann Hui, Alex Cheung, Patrick Tam, etc.) lance une Nouvelle Vague au style expérimental et moderne. Les années 80 voient une prolifération de genres nouveaux qui dopent la créativité des cinéastes.
L'explication essentielle de la richesse artistique de cette décennie est cependant politique. La date butoir de 1997 s'approche en effet et les cinéastes prennent conscience de l'importance de cette échéance. De très nombreux films (y compris les plus commerciaux) filent alors la métaphore de la rétrocession. Suite aux accords sino-britanniques de 1984, la tendance est tout d'abord à l'optimisme. Mais après les événements de Tiananmen en 1989, des films teintés de désespoir, comme A Bullet In The Head (Une Balle dans la Tête) de John Woo, traduisent l'inquiétude grandissante à l'égard du voisin chinois.
Si les années 80 ont été fastes, la décennie suivante est marquée par une grave crise. Noyauté par les triades chinoises, le cinéma hongkongais subit une hémorragie de talents qui émigrent à Hollywood. En outre, le piratage industriel ruine les studios. La rétrocession amène un problème supplémentaire, car il est à craindre que le gouvernement chinois tente de recentrer l'industrie cinématographique chinoise sur Shanghai. La perte de vitesse hongkongaise paraît donc inexorable et le recentrage de l'industrie cinématographique sur Shanghai risque d'avoir pour corollaire la disparition pure et simple du cinéma cantonais.




WANG YU, DU SABRE AU POING

Il y a parfois des rencontres presque irréelles. Wang Yu, 58 ans, star désuète du cinéma de genre hongkongais, se présente à nous dans un jogging qui contraste avec le faste aseptisé du hall d'un grand hôtel nantais. A le voir ainsi, personne ne pourrait imaginer ce qu'il fut. Acteur dans plus de 60 films, Wang Yu, incarnait pourtant l'image du chevalier indomptable, barbare et solitaire, évoluant dans un univers violent où force faisait loi. Réalisateur de 13 longs-métrages, il aura œuvré aussi bien dans le wu xia pian que dans le kung-fu, surfant sur les modes avec un opportunisme jamais démenti. Témoignage exemplaire d'un cinéma commercial pour lequel la notion de divertissement se jauge au cliquetis du tiroir-caisse, les œuvres auxquelles Wang Yu a collaboré recèlent pourtant parfois des qualités presque inespérées. Sa rencontre avec le réalisateur Chang Cheh est de celles-là. La fusion entre l'esthétique du cinéaste et le corps de l'acteur est un sujet à lui seul. Une réussite impromptue, exemple parmi tant d'autres de la magie du cinéma. "Le génie de Chang Cheh était d'aborder les éléments de la culture chinoise de manière très pointue, nous explique-t-il sur celui qu'il considère comme son maître. Pour Le Trio magnifique, j'ai été choisi parmi quelque 3000 candidats. Chang Cheh mettait en avant les hommes et les rôles masculins alors que c'étaient les femmes qui tenaient le haut de l'affiche la plupart du temps." Un coup du hasard donc qui entraînera pourtant Wang Yu au firmament à la fin des années soixante, tout comme une inflexion de l'industrie cinématographique de Hongkong vers des films plus virils. "En additionnant mes recettes au box office, je reste le premier, se vante-t-il. Mes honoraires étaient les plus élevés à savoir 170 000 $ US. Il suffisait d'un peu plus d'un dixième de cette somme pour avoir un appartement de 100 mètres carrés à Hongkong dans les meilleurs quartiers. Donc avec chaque film que je tournais, je pouvais acheter 8 appartements." Pragmatique, Wang Yu s'était alors lancé dans la réalisation, dès le début des années soixante-dix, afin de mieux s'exploiter. The Chinese Boxer, son premier film, met ainsi un terme à l'âge d'or du wu xia pian et lance la vague kung-fu. Aujourd'hui, il n'est même pas sûr qu'il en reste des choses inoubliables : "Mes films sont tous loin d'être bons. Il fallait gagner de l'argent. C'est vrai que si on les regarde aujourd'hui, on rigole parce que c'est très kitsch. Le héros ne meurt jamais, quoi qu'il arrive. Cependant les spectateurs de l'époque ne rigolaient pas car ils étaient très impliqués dans le film." Singulièrement violent (cf. The Beach of The War Gods en 1973), le cinéma de Wang Yu préfigurait à sa manière le nihilisme qui sous-tendra une bonne part de la production de l'archipel de ces vingt dernières années. Mais avec l'arrivée de Bruce Lee, acteur incarnant une morale différente, Wang Yu marque définitivement le pas. D'autant que certains le jugent moins bon que la nouvelle star. Les échecs commerciaux s'accumulent et finissent d'enterrer la légende. Il en va ainsi dans cette industrie frénétique où il n'y a de place que pour les étoiles filantes. Wang Yu comme d'autres, ne s'en est probablement jamais remis. Même s'il continue tant bien que mal à cachetonner ici ou là, on lui prête surtout de nombreux liens avec les mafias locales. "A l'époque où tous les films marchaient en salle, cela a attiré les convoitises et les triades y ont vu une manière facile de faire de l'argent. Aujourd'hui avec le piratage, elles sont moins présentes car ce n'est plus très rentable. Ils ne sont pas fous." Sur ces blessures secrètes, Wang Yu restera pudique, mais il nous aura entre-temps, comme une métaphore, exhibé les blessures, physiques celles-ci, qui marquent encore son corps. L'héritage d'un cinéma à l'ancienne.




CHENG PEI-PEI, L'HIRONDELLE D'OR

Actrice emblématique du wu xia pian, Cheng Pei Pei a marqué de nombreux films par sa prestance et son joli minois. Depuis Come Drink With Me, l'un des chefs-d'œuvre du genre, jusqu'au récent Tigre et Dragon, elle a ainsi traversé en apesanteur plus de 30 ans du cinéma chinois. Retour sur Terre pour une rencontre autour du lien entre arts martiaux et cinéma.

Avant Come Drink With Me, existait-il déjà dans le cinéma hongkongais un cinéma de genre axé sur les arts martiaux ?
Il y en avait déjà à l'époque du muet. Même dans les films qui n'étaient pas spécifiquement d'arts martiaux. Cela dit, Come Drink With Me, mon premier film dans ce genre, marque une véritable rupture. Auparavant les films étaient assez statiques, subissant une forte influence de l'opéra chinois. Très chorégraphiés, les mouvements étaient volontairement caricaturaux : les combats n'avaient rien de réaliste et relevaient plus de la danse. A partir de Come Drink With Me, ils deviennent beaucoup plus "cinématographiques". Le montage, la mise en scène sont plus travaillés et les scénarios dotés d'une ligne dramaturgique plus élaborée. Cette nouveauté est à mettre au crédit de King Hu et Chang Cheh, deux authentiques cinéastes, dont l'intelligence artistique a révolutionné le cinéma d'arts martiaux. Leurs scènes de combats gagnent en réalisme (les sabres en métal remplacent les sabres en bois !) et en fluidité, les mouvements sont plus rapides et moins amples qu'auparavant.

Vous évoquez l'opéra chinois, dont le cinéma d'arts martiaux se serait inspiré...
Les liens sont assez forts. Les grands acteurs de l'opéra chinois ont été formés aux techniques des arts martiaux. La façon de se mouvoir dans les sauts, dans les combats, se retrouve aussi dans l'un comme dans l'autre. On peut dire que les arts martiaux sont d'une certaine façon similaires à la danse, une danse d'un genre un peu particulier. En fait, le wushu, qui est la dimension guerrière des arts martiaux chinois, n'est qu'une facette du kung-fu, et l'opéra chinois en est une autre, plus axée sur la danse.

Peut-on voir une influence du western hollywoodien dans les films de King Hu ?
Je crois que l'influence vient plus des films de sabre japonais, les chambaras. Ces films étaient très populaires à Hongkong dans les années 60. Mais King Hu était surtout très imprégné de la dynastie Qing, sa tradition, son histoire… Il a lu énormément de livres là-dessus et les histoires de ses films sont pour la plupart basées sur des éléments issus de ces lectures. Les costumes, par exemple, reproduisent ce qui se portait à l'époque. Voilà une différence majeure avec le cinéma actuel car les cinéastes ne s'intéressent plus vraiment à l'Histoire chinoise ; les costumes comme les histoires sont plus "farfelus" et ne se rattachent plus à la tradition d'une dynastie particulière. Je crois que si les gens apprécient toujours aujourd'hui les wu xia pian des années 60, c'est parce qu'il y avait cet ancrage historique. D'une certaine manière, cela conférait aux films une valeur de témoignage historique.

Lors de la projection de L'Hirondelle d'or (au festival des Trois Continents 2001), vous disiez que vous alliez voir ce film pour la première fois. C'est assez étonnant !
(rires) Oui, c'est vrai. Vous savez, à l'époque, j'étais jeune et j'ai eu une réaction stupide que je regrette un peu aujourd'hui. Le réalisateur de L'Hirondelle d'or, Chang Cheh, m'avait promis que mon nom serait avant le sien et celui des autres acteurs au générique. Le titre du film portant le nom de mon personnage, il me paraissait naturel d'apparaître en premier, mais il a préféré mettre en avant ses acteurs masculins. Alors je me suis fâchée, on s'est engueulés, et au final je lui ai dit que dans ces conditions je refusais de voir son film ! Et j'ai tenu ma promesse... (rires) Mais 35 ans après, j'apprécie beaucoup de le découvrir enfin, car Chang Cheh était quelqu'un de vraiment talentueux.

Dans la tradition du wu xia pian, il y a souvent des personnages de femmes combattantes, élément que l'on ne retrouve pas dans le western, par exemple. C'est à cause de l'épée. Dans le kung fu pur, une femme ne fait pas le poids face à un homme. Un coup de poing et je suis par terre ! (rires) Avec l'épée par contre, la souplesse d'une femme peut lui permettre de battre un homme. Dans les années 60, les stars des films de wu xia pian étaient toujours des femmes. Pour qu'un film marche, il fallait qu'il y ait un personnage de femme fort. Jimmy (Wang Yu) a été la première star masculine de wu xia pian et son arrivée a fait changer la tendance car avec Chang Cheh, les personnages masculins sont devenus plus importants.

La place de la femme dans les wu xia pian était-elle représentative de la place de la femme dans la société hongkongaise des années 60 ?
Non ! C'était une société très machiste. La femme était à un niveau très inférieur à celui de l'homme et considérée essentiellement pour sa beauté, mais à la façon d'un vase ! Au cinéma, un personnage de femme chevalière n'était pas très gênant, car, dans un film, la femme ne sortait pas de ce statut d'objet esthétique. Mais dans la vie réelle, il n'était pas question qu'une femme adopte un comportement similaire à celui des héroïnes de wu xia pian. Aujourd'hui, tout cela a bien changé...

Dans le cinéma hongkongais des années 90, on a assisté à un renouveau du genre wu xia pian, avec des films plus expérimentaux (Les Cendres du Temps de Wong Kar-wai ou The Blade de Tsui Hark). Que pensez-vous de cette nouvelle orientation du genre ?
A leur sortie, j'ai vraiment eu beaucoup de mal à les comprendre. Ayant été trop longtemps absente des plateaux de tournage, c'était un peu nouveau pour moi, cette manière de faire du cinéma. (Partie s'installer aux USA, Cheng Pei-pei n'a pas tourné entre le début des années 70 et la fin des années 80.) Sur les conseils de mon agent, je me suis alors mise à en regarder beaucoup pour essayer de comprendre comment fonctionnait ce cinéma et me remettre dans le bain. (sourire) Depuis, les choses reviennent petit à petit.

Qu'est-ce qui a changé en 30 ans dans la manière de filmer les arts martiaux ?
C'est bien plus facile aujourd'hui. A notre époque, les tournages étaient vraiment très physiques, car on ne disposait pas des mêmes moyens. Si je peux toujours jouer dans des films de sabre aujourd'hui, c'est grâce aux nouvelles techniques de tournage avec l'utilisation des câbles notamment.
Je crois que mon tournage le plus difficile a été Tigre et dragon, car Ang Lee, le réalisateur du film, tourne des plans assez longs. La durée sur laquelle vous devez effectuer des figures de combat est ainsi prolongée d'autant et il faut les reproduire plusieurs fois car Ang tourne un peu à la manière américaine, en multipliant les plans avec des cadrages différents. Mais la grande expérience de la mise en scène de Yuen Woo-ping, le directeur de combats, a permis d'éviter aux acteurs d'avoir à faire des choses trop difficiles.

Dans Tigre et dragon, vous jouez un rôle de "méchante" alors qu'habituellement vos personnages sont plus positifs…
Il est effectivement très rare que je joue des rôles de "méchantes", car, comme je suis bouddhiste, les réalisateurs de Hongkong ne me pensent pas capable d'exprimer la méchanceté sur un écran. Ang Lee a une autre manière de voir les choses, il m'a choisie pour jouer ce rôle et ça a fonctionné. La pré-production a été très longue, j'ai donc pu disposer de cinq mois avant le début du tournage pour m'imprégner du personnage. De plus, Ang Lee fait beaucoup de répétitions avant de tourner une scène. J'ai eu un peu de mal au départ car il ne m'était pas naturel de jouer de cette manière, mais ça a fini par venir. Cette expérience m'a beaucoup plu car elle m'a permis d'enrichir ma palette. Après tout, un comédien est censé jouer n'importe quel rôle, non ?

Le film a très bien marché en Occident, aux Etats-Unis notamment, mais n'a pas beaucoup plu aux spectateurs chinois...
En fait, la diffusion du film en Chine a souffert du piratage. Le film a été édité en VCD pirate bien avant sa sortie sur les écrans. Du coup, les recettes en salles ne se sont pas vraiment concrétisées. Je pense aussi qu'à cause de la mauvaise qualité de ces copies pirates, les spectateurs n'ont pu apprécier à leur juste valeur les qualités visuelles du film ; de nombreuses scènes se passent de nuit, et sur une version mal copiée, le résultat est déplorable. Les Chinois ont beaucoup critiqué le film, mais beaucoup n'ont pas eu l'occasion de le voir dans une salle de cinéma.
Cela dit, il est évident que pour le public de Hongkong, il n'y a pas vraiment de grandes surprises dans ce film. Nourris d'une tradition du wu xia pian vieille de plus de 30 ans, les gens en sont un peu blasés. Tigre et Dragon est jugé trop lent, les wu xia pian d'aujourd'hui sont filmés de manière beaucoup plus rapide. Pour le public occidental, par contre, le film a pu apparaître comme quelque chose de novateur.