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L'Oeil électrique #3 | Musique / Asian Dub Foundation

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Par Kate Fletcher.
Photos : Mark Allen.

L’écoute des deux premiers albums d’Asian Dub Foundation est une bouffée d’air frais mâtinée d’une énorme claque dans la tronche. Selon leurs propres termes, cette musique, c’est de l’Asian Jungle Punk. La formule résume en fait parfaitement l’histoire : l’énergie brute du punk, la dance et l’expérimentation de la jungle, avec des petits bouts de musique orientale traditionnelle. Et, avec pour philosophie l’idée que la musique véhicule un message, les cinq membres d’ADF concentrent dans leurs morceaux tout ce qu’il y a de meilleur dans la musique aujourd’hui, sans ségrégation. L’autre bonne nouvelle, c’est qu’à travers leur foi dans le travail collectif et leur optimisme, ADF font vraiment changer les choses. Et ce n’est pas un hasard.

Le succès est venu plus rapidement pour vous sur le continent que dans votre propre pays…
Chandra : ça dépend de ce que " rapidement " veut dire. On est allé en Europe en partant de tout en bas, et ça a marché progressivement.
Master D : Il se trouve que maintenant, on est dans un environnement où on a une maison de disques qui fait son travail, et donc grâce à ça, on fait des émissions comme Nulle Part Ailleurs ou des trucs comme ça qui font une bonne publicité. Mais on n’a pas fait les émissions équivalentes en Angleterre. Là ça commence, la presse se met à parler de nous.

Est-ce que ça fait une différence pour vous le fait de jouer devant un public qui ne comprend pas forcément de quoi vous parlez ?
Master D : Les gens comprennent les vibes, avec la manière dont les textes sont prononcés et la façon dont ils sont associés à la musique, les gens comprennent.
Chandra : On fait souvent de fausses séparations entre la musique d’un côté et les paroles de l’autre. La voix est un instrument et la musique elle-même a son propre langage. On ressent une sensation globale en écoutant un morceau, et si les gens veulent vérifier cette sensation en lisant les textes, ils le feront.
Das : Nous savons que beaucoup de gens qui ne parlent pas bien l’anglais lisent les paroles sur la pochette et les traduisent pour savoir de quoi on parle exactement.

Dans le même esprit, vous citez les Fabulous Troubadors sur RAFI…
Das : C’est exactement ça. Quand nous sommes allés en France pour la première fois en 1995, quelqu’un nous a passé leur cassette et ça nous a tout de suite plu. Rien qu’avec la manière dont ils jouaient leur musique, on savait où ils voulaient en venir. Ils peuvent chanter en occitan, ça ne t’empêche pas de faire traduire des petits bouts. Et on a tout de suite senti que ce qui se dégage de leur truc avait des rapports avec ce qu’on fait nous : parler de problèmes de tous les jours, en investissant son énergie dans un projet lié à une communauté. Du coup, on a réussi à faire un truc ensemble à la fin de l’année dernière, et on a travaillé avec eux sur deux de leurs morceaux, qui paraîtront sur leur album.

Est-ce que vous pouvez nous parler d’ADF Community Music ?
Das : En fait, Asian Dub Foundation est né d’un atelier de travail dans le bâtiment de Community Music, et on a commencé à partir de ça. Pendant deux ans, cette façon de travailler a été une grande influence sur notre musique. Et, bien qu’on ne participe plus à ces ateliers à cause du manque de temps, ils nous influencent encore aujourd’hui. Alors du coup, on travaille sur un nouveau projet où l’idée est un peu différente : nous allons trouver des gens qui veulent s’impliquer dans la création musicale, et nous, on apportera des gens qui peuvent leur enseigner des choses dans ce domaine. C’est le point de départ, et on travaillera là-dessus par le biais d’un magazine et de l’Internet. Informer les gens et faire en sorte que des personnes contribuent, et aussi que tout le monde apporte ses idées dans le magazine. C’est la forme que ça va prendre pour quelques années, jusqu’au moment où on retournera enseigner dans ces ateliers nous-mêmes.
Jon : En gros, on cherche 12 ou 13 jeunes musiciens qui n’ont jamais eu de contrat dans la musique jusqu’ici, pour leur donner une formation structurée. On s’occupe de tout du point de vue financier, mais pour eux ça sera du boulot, comme pour avoir un diplôme à l’université, tout en maintenant l’accent sur l’esprit pratique. Et ça durera deux ans. Ça, c’est une autre idée sur laquelle on travaille. Ce qu’on peut faire, c’est aider les gens à démarrer. On sait qu’il y a plein de gens qui ont du talent, et de la même manière qu’on a profité de ce type de système, c’est à notre tour d’en faire profiter d’autres.
Das : Tu lui a parlé des procédures disciplinaires ? S’ils sont en retard, on leur file des lignes. Des lignes de basse. Cent lignes de basse à faire pour lundi matin.
Jon : On n’entend pratiquement jamais parler de ces projets, parce qu’avec les médias ici, on sait que l’industrie du disque rapporte plus que la sidérurgie, mais la presse musicale ne parle que de ces espèces de dieux qui sortent d’on ne sait où et que tout le monde admire en quelques instants. C’est cette mentalité qui est à la base de la Britpop et de toutes ces conneries. Mais nous, ce qu’on cherche à faire, c’est trouver les talents qui existent chez des gens qui pensent à autre chose qu’à devenir une star : c’est eux le matériau brut qu’il faut trouver. Tu les mets ensemble, et c’est comme ça qu’on aura de la bonne musique. Le problème, c’est que ces projets ne sont pas soutenus. Tout ce dont on a besoin, c’est d’une aide financière pour créer un véritable centre dans la communauté réelle, qui serait aussi une salle de concerts et qui se financerait de lui-même au bout d’un moment. Mais non, ils préfèrent donner des milliards pour faire un dôme (pour célébrer l’an 2000, les Anglais fabriquent un énorme dôme d’un kilomètre de diamètre qui recouvrira plusieurs immeubles). Si tu regardes en France, la manière dont la société a soutenu les arts, c’est pas étonnant que ces structures soient devenues plus ou moins indépendantes, et que politiquement, ils arrivent à résister au fait que la droite puisse vouloir les faire disparaître. Parce que c’est dans ces endroits que les gens se réunissent, et c’est là qu’ils ont la possibilité de se constituer une expérience politique et de construire des idées sur ce qui les entoure. Pas étonnant que le Front National essaie de supprimer tous ces trucs, qui font qu’une réflexion et des projets indépendants peuvent se développer.

Il y a eu des alliances récemment entre la droite classique et le Front National pour les élections régionales.
Chandra : C’est une super recette pour un désastre, quand la droite dite modérée commence à faire des alliances.
Jon : Mais c’est exactement ce qui va se passer en Angleterre. Ce que notre premier ministre fait en ce moment avec son nouvel agenda britannique, c’est la même chose que ce que Mitterand a fait dans les années 80. Les gens sont écoeurés, et c’est pour ça que le FN marche maintenant. Dans quatre ou cinq ans, on aura exactement le même problème, comme dans les années soixante-dix avec le BNP (British National Party).

Des théories sur la manière de combattre ce genre de choses ?
Jon : On ne peut pas interdire aux gens de voter pour qui ils veulent. C’est aux gens dans leur vie de tous les jours, à chacun de nous au niveau local de s’opposer à ces idées. Ce qui me dérange dans ce qui se passe à Orange, c’est que les gens qui s’occupent des arts ont dit que puisque la ville est devenue Front National, alors ils s’en iront. Or, c’est uniquement grâce aux gens qui travaillent localement avec des objectifs précis qu’on peut faire changer les choses. Si on se dit qu’on laisse faire le gouvernement ou des organisations nationales, on peut attendre longtemps : rien ne changera. Seule une action locale peut faire évoluer les choses.

Est-ce que de votre côté, vous avez l’impression de faire évoluer les choses, par exemple avec votre campagne d’information sur Satpal Ram (selon ADF, injustement emprisonné à vie la suite d’une agression raciste) ?
D : Complètement ! On a eu un sujet de cinq minutes consacré à Satpal sur Channel Four l’autre jour. Récemment, on a fait un concert de soutien pour lui à Liverpool, et on met des stands à tous nos concerts pour la pétition. On a déjà plus de 150.000 signatures. L’administration pénitentiaire commence à se rendre compte qu’il y a des gens qui se battent pour la cause de Satpal Ram. Récemment, on nous a fait parvenir des photos de lui après qu’il ait été battu par un surveillant juste après Noël. Aucune personne ayant une influence dans les médias n’a encore vu ces photos, alors on va les faire passer à la télé, et ça va changer. Ça changera.
Jon : Récemment, dix surveillants de prison ont été suspendus pour avoir commis des actes de torture à Wormwood Scrubs (information confirmée le jour même par la presse britannique). Satpal sait ce qui se passe dans le système pénitentiaire britannique. C’est pour ça qu’ils ne veulent pas le laisser sortir.

Où en êtes-vous avec votre campagne ?
Das : La pétition doit être présentée d’ici quelques mois, il y aura une grande manifestation, et on ne lâchera pas la grappe de Jack Straw (le ministre de l’intérieur). L’idée de Satpal, c’est de faire une sorte de journée spéciale " Les musiciens contre l’injustice " et d’inviter d’autres organismes qui font des campagnes contre d’autres injustices, comme le cas de Paddy Hill et les Quatre de Guildford (qui ont été innocentés et libérés après avoir passé pratiquement 20 ans en prison, avec tout ce qu’on peut imaginer de pire : fabrication de fausses preuves, faux témoins, etc.). Satpal est en contact avec beaucoup d’autres gens qui se battent contre des injustices et ce mouvement va beaucoup plus loin que son propre cas. On ne se concentre pas sur un seul type sans penser à quoi que ce soit d’autre. Mais c’est tout de même important d’agir à un niveau individuel. C’est important que les gens lui écrivent. Le simple fait qu’il reçoive une lettre est énorme, parce que les surveillants savent qu’on s’intéresse à lui, et ils le laissent tranquille.
D : On est allés à la prison au moment des visites, et ils n’ont pas voulu nous laisser entrer, parce que la semaine précédente, il y avait eu un petit article sur Satpal dans The Independent. Alors on leur a dit que s’ils ne nous laissaient pas y aller, ADF et Primal Scream feraient un concert gratuit devant la prison. Du coup ils nous ont laissés entrer.
Jon : Plusieurs sociétés de production sont intéressées pour faire un documentaire sur Satpal, du même genre que celui sur les trois de la M25. Trois Noirs ont été arrêtés pour vol dans le secteur de la M25, alors que tous les témoins qui avaient été agressés disaient que les agresseurs étaient en fait deux Blancs et un Noir. Mais les trois Noirs sont en prison.

Comment de telles " erreurs " sont-elles possibles ?
Jon : Parce que le système judiciaire n’a de comptes à rendre à personne. Mais le pire, c’est que maintenant, ils retirent le droit à l’aide juridique. Donc maintenant, si tu veux poursuivre une organisation ou une institution, tes dépenses ne sont pas couvertes. Tout est fait pour rendre les choses difficiles pour se porter partie civile contre la Police ou qui que ce soit d’autre.

C’est le New Labour…
Jon : C’est le New Labour. Jack Straw introduit beaucoup de nouvelles lois avec sa politique " zéro tolérance ".
(Master D s’empare du dictaphone et improvise tout à coup une parodie du single de Cornershop, Brimful of Asha : Blair’s full of Thatcher on the inside)

Vos morceaux sont très complexes. Comment les travaillez-vous ?

Tous : Nos morceaux ne sont pas complexes. Ils sont simples et directs.

J’ai peut-être complètement tort, ou j’ai écouté un autre groupe, mais il me semble qu’il y a beaucoup de composantes qui s’assemblent et s’imbriquent…
Chandra : Il n’y a rien de complexe à utiliser beaucoup d’éléments. C’est très naturel pour nous. Tout le monde apporte sa contribution et nous nous concentrons sur chaque son. Tous les sons que tu entends ont été créés sur un instrument particulier, mais le son original n’est peut-être plus là parce qu’il a été remplacé, ou c’est une réaction à ce que joue un autre membre, ou bien l’un de nous change complètement ce qu’il joue. On ne se dit pas à l’avance qu’on va faire les choses de manière compliquée. Les morceaux se développent d’eux-mêmes. Nous concentrons les idées pour qu’elles aient un impact maximum.
D : Et ce qui est très important, c’est que nous testons tous nos morceaux. Si sur scène, on a l’impression qu’ils sont trop longs, on les raccourcit. On voit comment les gens réagissent au cours du morceau pour voir s’il y a des baisses d’intensité.
Das : Le moindre son est important. Il doit être excellent en lui-même. Quand on écoute le charley seul, il faut qu’on puisse se dire : " C’est le son de charley le plus dément que j’ai jamais entendu. " On fait ça pour chaque élément, mais on ne complique certainement pas les choses.
D : On ne veut pas faire une musique compliquée. On veut que tout le monde soit capable de l’écouter et de la comprendre. On ne fait plus de morceaux qui durent sept minutes.
Chandra : Par contre, il y a véritablement une expérimentation dans ce qu’on fait. Nous pensons qu’il est important d’essayer des choses nouvelles et de les rendre accessibles pour que des gens ordinaires puissent avoir une conception de la musique et l’apprécier.

Quelle est votre attitude vis-à-vis de la technologie ? Est-ce que vous suivez de près toutes les nouveautés en matière d’instruments, de samplers, etc. ?
Das : Nous suivons ce que nous appelons la technologie des gens. La technologie qui permet un accès direct et qui est simple à utiliser. Les appareils doivent être bon marché. Il ne faut pas se retrouver avec des centaines de milliers de francs de matériel qu’on ne va pas toucher. On a aussi bien des trucs très récents que des choses très vieilles et traditionnelles. Tout dépend de ce que tu veux faire passer. Mais les fabricants essaient toujours de te vendre du matériel en te disant que ça révolutionne tout et que l’appareil que tu as acheté il y a deux mois ne vaut plus rien. On essaie simplement de tirer le meilleur parti du matériel, mais comme dit Chandra, peu importe que ce soit une paire de cuillères ou une boîte à rythmes compliquée.

Asian Dub Foundation est quelque part entre la scène dance et un esprit " groupe " comme dans le rock. Vous voyez ça comme un avantage ?
Chandra : On est vraiment opposés à la ségrégation des formats musicaux. Il y a beaucoup de bonne musique à l’heure actuelle, pourquoi ne pas tout mettre ensemble ? Tout ce qu’on veut faire, c’est éliminer les barrières entre le groupe et le public, pour impliquer le public. C’est comme au début de l’acid house. Il y avait des tas d’idées très rafraîchissantes dans cet esprit club, avec le côté anonyme dans la musique. Mais maintenant, c’est devenu le DJ Superstar et je pense que les clubs n’ont plus rien qui soit plus intéressant que la scène rock. Ça dépend seulement des gens qui sont là, que ce soit dans un club où à un concert. On entend souvent dire : " Je n’aime pas les clubs, je préfère les groupes live ", et c’est une manière de voir la musique que je trouve assez déplorable.

Vous dites que vous improvisez beaucoup sur scène, comment est-ce possible avec toutes les séquences et les programmes ?
Chandra : L’improvisation nous vient naturellement parce que la plus grande partie de notre set est jouée live. Les samples sont déclenchés en direct et nous trafiquons les sons en permanence. On peut vraiment modifier la plupart des éléments autour de la structure de base. Il y a toujours un espace défini qui servira à l’improvisation et aux expérimentations. On est toujours en train d’essayer de se surprendre les uns les autres avec des petites variations. D : Si on faisait exactement la même chose dans tous nos concerts, il y a longtemps qu’on aurait abandonné l’histoire.
Chandra : Mais on ne fait pas l’effort de sonner différemment à chaque concert. Par contre, on fait l’effort de ne pas sonner pareil que sur le disque.
D : On aime connaître les morceaux à fond. Comme ça, on a suffisamment confiance pour modifier des petites choses. Il y a de la place pour l’improvisation, mais seulement dans le cadre d’une structure forte.
Chandra : Un élément qui est très important avec Asian Dub Foundation, c’est que nous pensons que la musique veut véritablement dire quelque chose. Je pense que ça a beaucoup à voir avec la manière dont le groupe sonne, le fait que nous pensons " ce morceau parle de quelque chose ".

Des influences ?
D : Mash Them Down, Black Uhuru, Navigator

Sun-J : les Specials , le Dub, la Jungle, l’Acid House, Square Groove
Chandra : le P-Funk, Lee Perry, Sun-Ra, PIL, Public Enemy
Das : The Beatniks, Hypocrisy, Nusrat Fateh Ali Khan, Muka Baruka
Jon : Primal Scream, Massilia Sound System, MC Solaar, Cornershop
Tout ça plus James Brown, et voilà à peu près 20% de ce qu’on a pu écouter jusqu’ici !

Dans l’ensemble, vous préférez les musiques qui véhiculent un message ?
Chandra : Oui, on a plutôt tendance à être comme ça. Même quand c’est des choses comme le P-Funk qui découle d’un concept général. Comme Afrika Bambata, où ils avaient l’idée d’une musique jouée au sein d’une communauté éducative, et qui est assez proche de ce qu’est Asian Dub Foundation.

Vous aimez les interviews ?
Tous : Ouais, on adore ça. Mais, on n’aime pas les rewriters !
Chandra : En fait, c’est comme tout, il y a de très bonnes interviews, avec des questions qui mènent quelque part. Et puis, c’est aussi une question de personne… Généralement, les interviews se passent bien quand on s’entend bien avec la personne qui fait l’interview.
D : Souvent, on te pose des questions auxquelles tu ne peux pas vraiment répondre, ce qui a tendance à te rendre sarcastique à la longue, du genre : " Mais où trouvez-vous toute cette énergie que vous avez sur scène ? " Avant, on répondait : " On prend des valises de cocaïne ". Et quand tu as une personne en face de toi qui te donne l’impression de te faire une faveur de par sa simple présence, tu peux devenir assez agressif.
Jon : ça dépend vraiment du fait que le ou la journaliste nous donne l’impression de comprendre de quoi on parle. Et très souvent, ce qui est triste à dire, ça dépend du fait que la personne a écouté le disque ou non. Il y a vraiment des gens qui se pointent sans même avoir écouté le disque. Et nous avons beaucoup de choses à leur dire à eux aussi, parce qu’ils représentent certaines des choses qui nous ont écoeuré dans la presse ces dernières années, comme " Loaded " (qui est un magazine pour hommes, et dont les sujets de prédilection sont la bière, le football et les gros seins). Si tu avais été là quand on a fait cette interview, tu aurais été morte de rire. Il est parti avant la fin parce qu’on lui en faisait trop voir. Mais des fois, les questions sont tellement stupides que c’est insupportable.
Chandra : Le mec de Mixmag aussi, il était pénible. On dirait que beaucoup de journalistes n’ont pas l’habitude qu’on leur fasse la moindre remarque, ou alors ils n’ont pas la moindre idée de ce que peut être une question intéressante…
Jon : La meilleure était " êtes-vous politiques ? ", j’ai demandé : " ça dépend de votre définition de ce qui est politique ", et il n’a pas su quoi me répondre ! Alors on utilise toutes ces généralités, tous ces trucs pompeux, et on ne sait même pas ce que ça veut dire. Une interview doit vraiment t’engager dans un débat. Nous aussi, nous voulons y apprendre quelque chose.
Chandra : Beaucoup de journalistes ont déjà fabriqué leur propre petit tableau de ce que tu es avant de te rencontrer. Ils savent déjà ce que sera le groupe. C’est déjà une bonne chose s’ils arrivent avec une idée préconçue et qu’ils sont capables de constater les différences qu’il y a entre la réalité et cette image. C’est pour ça que l’interview du NME était si bonne.
Jon : Le type de Mixmag a été sous le choc quand il nous a interviewés. Il est arrivé ici en se prenant pour une sorte de dieu. C’est le problème en général avec la presse britannique : ils pensent qu’ils peuvent décider si un groupe va marcher ou pas. Ils arrivent et ils te disent en quelque sorte : " Vous aussi, vous voulez faire partie de notre club ? ".
Chandra : Dans le reste de l’Europe, le journalisme est différent. Je ne dirais pas que c’est meilleur ou moins bon, mais il n’y a pas cet esprit " on peut faire de vous des stars ou vous détruire ". Mais il y a pas mal de pseudo-intellectualisme. Des fois, les gens veulent trop réfléchir. Je dirais que dans l’ensemble, les journalistes pensent trop souvent que rien n’existe en dehors des médias. D’un côté, c’est vrai que la presse a le pouvoir de créer des groupe, mais seulement des groupes comme Menswear. L’année dernière, ils étaient partout, aujourd’hui, ils ont disparu.

Quelles sont les questions les plus bêtes qu’on vous ait posées ?
D : " Est-ce que votre danseur s’est inspiré de Prodigy pour ses mouvements ? "… Une autre question en Allemagne : " Est-ce que ADF va ouvrir son propre restaurant indien ? " ; ce n’était pas une blague, et c’était en fait une remarque particulièrement raciste. On aurait dû répondre qu’on le ferait le jour où Oasis ouvrira un Fish’n’Chips.
Jon : La question qui reflète le mieux ce qu’on a eu avec les journaux français, c’est : " êtes-vous des travailleurs sociaux pakistanais ? " C’est terrible ce qu’il y a dans cette question. Déjà, on vient tous du même endroit, le Pakistan. Ensuite, on est des travailleurs sociaux parce qu’on est impliqués dans un travail basé sur une notion de communauté. Mais qu’est-ce qu’on glande à faire de la musique avec tout le boulot qu’on a comme travailleurs sociaux ? Le seul problème, c’est que les gens prennent leur magazine, ils lisent ça, et c’est ce genre de cliché qui leur reste dans la tête.
Chandra : J’en ai une autre : " Quand est-ce que vous allez en Inde ? Machin de Cornershop vient d’y aller. " Qu’est-ce que ça a à voir avec nous ? Ils pensent qu’on se comporte tous de la même manière ? Est-ce que les groupe anglais ont une prédisposition génétique qui fait que parce qu’Oasis va aux états-Unis, tous les autres groupes vont y aller ?

Pour finir, comment voyez-vous l’avenir ?
Jon : Le changement va arriver. Je pense que d’ici deux ou trois ans, il va y avoir une nouvelle génération ; il y a énormément de talents qui ne demandent qu’à éclore.
D : On est aussi très optimistes quand on voit où on en est arrivés avec la campagne pour Satpal Ram, c’est excellent. Ça marche bien. Et le plus important, c’est de montrer aux gens que si on y arrive, eux aussi peuvent y arriver. Tout ça montre que si tu crois en certains éléments, même si ça va à l’encontre de ce que tout le monde pense, il faut s’accrocher. Tout comme la méthode de travail en collectivité, avec les forces et les ressources que tu as en toi, tu peux créer quelque chose.

Vous pensez que beaucoup de gens ont ces mêmes idées ?
Tous : Oui. Il y a beaucoup de gens, et il faut juste qu’ils s’unissent. Le problème, c’est que ces gens sont divisés. Aussi, la chose la plus importante, c’est de donner une conscience sociale aux gens en rendant ça intéressant et excitant. Parce que la conscience sociale, c’est le début d’une unité sociale. C’est énorme d’être conscient des injustices et d’y faire quelque chose. C’est une chose qui te permet de réaffirmer ton esprit en tant qu’être humain. C’est pas négatif ou déprimant. C’est bon pour toi. Être conscient de ce qui se passe, c’est une prise de pouvoir.