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L'Oeil électrique #3 | Voyage / Une autre Tunisie

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VOYAGE / UNE AUTRE TUNISIE

Par Arno Guillou.
Photos : Arno Guillou.

Si vous êtes branché découverte, plutôt que de visiter des villes, vous pouvez aussi essayer des sites naturels... comme par exemple le désert. Pas besoin d'aller très loin : le Sahara est tout près de chez nous. Ce grand désert recouvre de nombreux pays, de l'Egypte à la Mauritanie. Pour ma part, j'y suis allé par la face nord, c'est-à-dire la Tunisie, dans le parc national de Sidi Toui. Celui-ci se situe à 100 km au sud de l'île de Djerba, et c'est un des 9 parcs naturels tunisiens. Sa création récente, en 1991, et son aménagement prochain en faveur de l'éco-tourisme en font un lieu de passage particulièrement intéressant pour les voyageurs amateurs de nature et d'espaces préservés, à 2 heures d'avion de Paris.

Nous louons une Landrover, achetons de la nourriture et de l'eau .le matin sur le marché de Ben Gardane ; car là où l'on va, il n'y a rien. On roule comme ça pendant une cinquantaine de kilomètres, droit vers le sud. Les seules âmes qu'on rencontre sont des dromadaires, des chèvres, et leurs bergers. On passe alors près d'un cadavre de dromadaire, un squelette comme dans Tintin et le Crabe aux pinces d'or... Un rêve de gamin de voir ça ! Manque plus que le capitaine Haddock...
Le parc est grillagé sur toute sa circonférence. Le grillage ne sert pas à empêcher les animaux qui s'y trouvent de sortir, car ils sont en totale liberté, et naturellement ici, pas réintroduits, mais à empêcher les bergers et leurs troupeaux d'y entrer. En effet, la plaine alentour qui semble déserte est en fait peuplée de dromadaires, de moutons et de chèvres, en surabondance depuis que le nomadisme a été interdit dans le Sahara : chaque pays garde ses éleveurs. Du coup, les maigres herbages sont surpâturés, les troupeaux ne pouvant plus migrer vers des zones plus riches, permettant aux plantes fraîchement broutées de repousser. Conséquence implacable : le sol n'est plus fixé, le désert avance vers le nord. Le parc, lui, derrière ses grillages ressemble à une tâche verte dans le décor. Les buissons aux feuillages frais abondent, les herbivores sauvages aussi, une chaîne alimentaire complète et riche peut se développer et se maintenir. Car dans ce cas, le désert est paradoxalement loin d'être un désert : la vie abonde.
Le premier soir, nous prenons le frais près du fort qui sert d'écomusée dans le parc. Une nuit sans lune, un ciel criblé d'étoiles, un vrai casse- tête rien que pour trouver la grande Ourse, tellement il y en a. Tout à coup, un hurlement sur un plateau voisin : un chacal. Le cri, proche de celui des loups, provoque un frisson le long (Je la colonne vertébrale. Ce n'est pas la peur (quoi que...), mais plutôt le sentiment d'être dans un lieu sauvage et préservé. Pas comme un France, où les animaux sont dans des zones contrôlées par des humains, où leurs nombres sont connus, où le risque n'existe plus. Là, c'est pas pareil. Un garde nous explique qu'il vaut mieux ne pas s'aventurer seul dans le djebel (la montagne sur laquelle se trouve le parc) ce soir, que si une meute de chacals en chasse rencontre un homme seul, l'issue du combat fait peu de doute. D'ailleurs dans les sorties que nous ferons de nuit, nous serons toujours au moins trois. La richesse de la région est sa diversité de faune. Les gazelles dorcas sont présentes là-bas. Elles vivent en groupes, et on peut les observer la journée, se déplaçant de buisson en buisson, cherchant ombre et nourriture. De prochaines introductions sont prévues (gazelles du désert, mouflons à manchette, autruches, sans doute des antilopes...) : on peut voir ces animaux dans des enclos d'acclimatation, qui leur permettent de s'adapter à leur nouveau milieu, car ils viennent soit d'élevages, soit de lieux situés très loin du sud-est tunisien. Cependant ils étaient présents il y a moins de 100 ans dans cette zone, et sont donc parfaitement adaptés à l'écosystème. D'ailleurs, à ce propos, on trouvait même des lions dans le Maghreb, mais la chasse aux trophées du début du siècle a contribué à leur extermination totale. Actuellement, il existe encore de nombreux chasseurs Européens et Saoudiens (c'est-à-dire riches! qui viennent en Afrique du nord, chasser en particulier le sanglier (non protégé), présent dans les forêts humides du nord, mais aussi des espèces beaucoup plus rares comme les gazelles dorcas ou les outardes, oiseaux ressemblant un peu à l'autruche mais qui peuvent voler. La pression la plus forte sur la faune vient des braconniers, qui, comme leur nom l'indique, chassent sans autorisation quasiment tout ce qu'ils peuvent : gazelles, fennecs, oiseaux... D'un façon générale, la protection de la nature n'est pas encore un réflexe naturel là-bas : pollution visible due aux sacs plastiques des magasins partout dans le pays, pollution moins visible à cause d'usines implantées un peu n'importe où (par exemple dans le golfe de Gabès, commerce de caméléons vivants, morts ou agonisants, serpents, tortues, scorpions, vendus même pas à la sauvette sur les souks, que certains touristes (entièrement responsables de ce business, car pas d'offre sans demande) achètent comme souvenir qu'ils laisseront crever dans leur aquarium pourri après l'avoir montré aux voisins étonnés et ravis de voir une bestiole qui vient de si loin. Cependant, la création de parcs nationaux par le gouvernement tend à prouver que les hautes instances ont pris conscience de l'intérêt qu'il y a à protéger l'environnement : d'abord et surtout empêcher la désertification, puis maintenir une biodiversité de façon à conserver un patrimoine qui est une richesse pour le pays et qui pourra être exploité avec le tourisme. Mais il reste à convaincre les populations locales à qui on enlève des surfaces pâturables, et qui sont sous la pression des contrôles de braconnage (en augmentation |. Le problème se pose partout dans le monde là où il y a un parc national : celui-ci n'est viable que si les autochtones y trouvent un intérêt (travail ou compensations!. Voici pour le coup de gueule, mais continuons la visite. On peut voir moult reptiles, au détour d'un las de pierres : des varans, une sorte de gros lézard (ceux qui font office de dinosaures dans les péplums de M6), des serpents, cobras et vipères à cornes en particulier, cette dernière espèce étant particulièrement redoutée.
De retour à l'écomusée, (fatigués par nos marches de légionnaires, on se repose et on mange. Les repas se prennent à même le sol, directement sur le carrelage du fort : un plat de couscous ultra pimenté, et c'est rien de le dire, est servi. On boit tous dans un seul verre, une boîte de conserve qui circule entre nous, remplie d'une eau croupie prise dans un puits plus loin dans la plaine. Tourista assurée, d'ailleurs, ça n'a pas loupé. Pour finir, le thé noir, des feuilles bouillies et rebouillies dans un peu d'eau sucrée et resucrée : du concentré !

L'intérêt anthropologique de la région remonte à de nombreuses années. On trouve sur le sol de la région des outils en éclats de silex remontant à 3000 ans avant J-C. Les vestiges humains de nombreuses civilisations se trouvent à même le sol : outils, bijoux... Cependant, l'aspect le plus marquant de Sidi Toui reste les marabouts. Les marabouts sont des lieux de culte, mais celui qui y est pratiqué n'a rien à voir avec l'Islam : il s'agit de l'adoration d'un " Saint ", un Sidi en arabe, c'est-à-dire quelqu'un qui a eu toute sa vie des intentions bénéfiques envers les autres. Par extension de ce culte, les Tunisiens pensent que " les possédés ", les malades mentaux et psychiatriques en général, peuvent redevenir normaux en pratiquant une cérémonie dans ces marabouts. Ce culte ressemble alors beaucoup à celui des vaudous haïtiens et semble aussi effrayant pour le non-initié. C'est ainsi que l'on voit de temps en temps, dans ce djebel qui semble désert, des processions de 504 Peugeot, qui annoncent leur arrivée au loin par la poussière qu'elles soulèvent. À l'intérieur, des familles dont un des membres a un problème psychologique et qui va se faire désenvoûter. La procession va ainsi de marabout en marabout, allumant à chaque fois des cierges sur le tombeau du Saint qui s'y trouve. Enfin, le soir venu, tous se dirigent vers le marabout de la Rétila, le seul habité parmi les 14 qui se trouvent à Sidi Toui. Là, un Marabout, une sorte de grand prêtre, les reçoit dans sa demeure troglodyte (qui s'appelle aussi un marabout, comme vous l'aviez compris) ; II sacrifie alors un chevreau sur l'autel destiné à cet effet, puis, après l'avoir partagé avec ses invités, commence la cérémonie proprement dite : muni d'un tam-tam rituel, le bendir, fait d'une peau de dromadaire tendue, il entame un chant hypnotique, El Hadra. Les hommes ainsi présents se mettent alors à danser sur le rythme lancinant, alors que les femmes, sur le sommet du djebel, leur répondent en poussant des cris. Puis le Marabout invoque l'esprit qui frappe le malade, et l'implore de quitter ce corps. La cérémonie se termine peu après, dans une plainte répétitive. Je vous promets, entendre ça qui résonne dans le djebel, à 10 km de là, c'est vraiment quelque chose. La musique qui s'en dégage ressemble à un mélange de Velvet Underground sur lequel chanteraient des Peaux-Rouges fiévreux.
Le lendemain, nous allons voir le Marabout à la Rétila. Tout autour de son habitation, on trouve un cimetière fait de nombreuses petites stèles où sont enterrés ses ancêtres. Nous avons eu du mal à définir le moment où ceux-ci sont arrivés ici, car les Tunisiens ont un énorme problème avec les dates : tout ce qui est très ancien est daté " d'il y a au moins 200 ans ", que ce soit le cimetière, le silex ou les fossiles d'œufs d'autruches qui jonchent le sol. On dirait que leur mémoire s'arrête à leur arrière-grand-mère : elle semble se faire uniquement par transmission orale. Il nous explique qu'il vit ici en permanence, et qu'il est chargé de l'entretien des 14 marabouts, en plus de ses activités de sorcier. Il vit des offrandes que font les familles venant le voir.
Cette pratique maraboutique semble répandue en Afrique. Les danses et rites seraient en réalité un moment de laisser-aller où chacun retrouverait une part de calme et de paix intérieure. Par analogie, on peut comparer ça à une rave ou à un concert de rock, où l'auditeur oublie sa semaine de turbin et part sur la musique. Pour les personnes souffrant de troubles d'ordre psychologique, certains comparent cette pratique à la psychanalyse freudienne où le patient se laisse aller à parler, à exprimer ses frustrations, et à se sentir mieux (l'essentiel ici, étant d'y croire).

Le climat, grâce auquel se mélangent grands espaces et nature sauvage, n'est pas propre à cette région de Tunisie mais se rencontre partout dans le Maghreb, entre le désert de pierres (le reg) et le désert de sable (l'erg). L'avantage de la Tunisie est surtout sa situation politique, incomparablement plus calme que celle de ses voisins (la Libye et l'Algérie). Allez-y sans hésiter, c'est une des destinations les moins chères depuis la France, voyage et séjours compris. Par contre, fuyez les villes et les lieux touristiques, sinon vous ne rencontrerez absolument pas ce qui est écrit ici, vous aurez l'impression d'être allé dans un tout autre pays. Essayez plutôt le désert, ici ou ailleurs, c'est très fort.



Histoire > Phéniciens, Romains, Arabes, Espagnols, Français... La Tunisie a toujours été colonisée. Son accès à l'indépendance date de 1956. Bourguiba, le premier président, mène alors une politique socialiste avec un rôle important de l'?tat, mais le président actuel Ben Ali, arrivé en 1987, opte pour une tendance plus libérale de l'économie. ?norme culte de la personnalité pour ce président élu avec plus de 99% des voix (ben oui, y'a pas de partis d'opposition). Ses portraits sont présents à tous les coins de rue.

Les Tunisiens > Très accueillants (vraiment), ils peuvent vous inviter à manger chez eux à la suite d'une discussion commencée dans la rue. Leur façon directe de vous aborder peut au début passer pour de l'agression (mais qu'est-ce qu'il me veut). En fait, pas du tout!

Religion > L'Islam, depuis les invasions des arabes venus de l'Arabie Saoudite vers 640 après J-C. Ici, tout le monde croit en Allah. Les athées sont ceux qui ne vont pas à la mosquée, boivent de l'alcool (très communs), ou mangent du porc (très rares). Mais absolument tous croient en Allah. Cependant pas d'affolement, il ne faut pas confondre Islam et intégristes : le gouvernement mène la vie dure à ces derniers car il mise sur un développement du tourisme en Tunisie et ne veut aucun problème à ce niveau. Et effectivement, la Tunisie reste un des pays du Maghreb où il n'y a jamais d'attentats contre les touristes.

Quand y aller ? > II y a une saison des pluies en hiver, plus marquée dans le nord du pays. Mais pour ce qui est du sud (et donc du désert), on peut y aller n'importe quand pour ce qui est du climat.

Transports > Pour y aller, 2 aéroports internationaux : Tunis, la capitale et Djerba, l'île de rêve des Français mais aussi des Tunisiens eux-mêmes, car c'est là que se trouvent les plages bondées, les boîtes de nuit et les étrangères. Compter 1600 francs pour un vol aller-retour hors congés scolaire, le double pendant les vacances scolaires. Pour voyager dans le pays, il y a
> Le train, vraiment pas cher (60 francs pour 400 km), vraiment très lent (8 heures pour 400 km) ; pour la même distance, le TGV en France c'est 300 francs et 2 heures. Par contre, les horaires indiqués sont respectés.
> Le taxi de louage, beaucoup plus rapide (beaucoup plus dangereux), mais il ne part pas avant d'être plein.
> Le bus, encore moins cher (environ 10 francs les 100 km)

Monnaie > Le dinar tunisien qui vaut entre 5 et 6 francs. La vie n'est pas chère, même à Tunis : la slice de pizza énorme vaut 7 francs, le coca 3 francs, un resto entre 20 et 30 francs, le taxi centre ville-aéroport 15 francs, une chambre d'hôtel de 40 à 150 francs, ça dépend du nombre de cafards que vous souhaitez dans votre chambre, le métro 2 francs 50 (oui, il y en a un à Tunis, par contre, attention : aucun plan du réseau, ni en français, ni en arabe). Autre solution, pour payer moins cher : les souks, marchés des villes où on trouve tout, des épices aux chaussures, des bijoux aux poissons...

A éviter > Arriver avec un flot de touristes, ou être soi-même habillé en touriste gros sabots. Misez plutôt sur les moyens sabots, voire les petits sabots, vous serez moins sollicités et pourrez voir des produits plus typiques que le sachet de 4 épices ou la carte postale avec un chameau dessus. Sortez des sentiers battus indiqués par le guide touristique que vous avez en poche. Comme on vous l'a déjà dit, il n'y a aucun risque pour les touristes dans ce pays (pas plus que si on est en France en tout cas).

Le décor > Le nord du pays est traversé par la chaîne de l'Atlas. Sur ces sommets, il pleut plus que dans les Vosges (enfin, j'imagine que ça doit être pluvieux, les Vosges). Du coup, tout le centre du pays, moyennement montagneux, aurait tendance à être plus sec et est recouvert d'oliviers. Enfin le sud, carrément sec, avec le reg, désert de cailloux et l'erg, désert de sable qui constitue le Sahara. De temps à autre, des oasis ; il ne s'agit pas de quatre palmiers avec un lac en dessous, mais d'un mode de culture à trois étages créé de toute pièce par l'homme : une strate de palmiers protégeant du soleil et donnant des dattes, une strate d'arbustes gardant l'humidité et donnant raisins, figues et grenades et une strate de potagers donnant piments, tomates et fèves.