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L'Oeil électrique #30 | Société / Le mouvement alter-mondialiste et ses médias

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Par Dominique Cardon, Fabien Granjon.
Illustrations : Patsh.

En peu de temps, Internet est devenu le principal espace de visibilité des réflexions et des actions du mouvement alter-mondialiste. Même si son audience reste limitée à une nébuleuse ouverte de militants et de journalistes intéressés, la couverture sur le Web des contre-sommets (Seattle, Prague, Québec, Gênes, Porto Alegre, Florence, etc.) tranche sensiblement avec celle assurée par les médias traditionnels. Cette production alternative d'information en ligne est en effet plus documentée, plus illustrée, plus polémique et beaucoup plus focalisée sur les enjeux de la critique de la globalisation que celle produite par les médias dominants (peut-on d'ailleurs raisonnablement s'informer sur ces sujets en regardant TF1 ou France 2 ?).
Au sein du mouvement alter-mondialisation, la critique des médias est centrale. Elle constitue une des sensibilités les mieux partagées par les militants. Leur méfiance inspire d'ailleurs la création d'influents "scrutateurs", comme FAIR (Fairness and Accuracy In Reporting), ONG effectuant une surveillance de la couverture journalistique des actions militantes. De nombreux organes de presse (Le Monde Diplomatique, Charlie Hebdo, Politis qui font partie des membres fondateurs d'Attac …) développent eux-mêmes des positions critiques à l'égard du fonctionnement du monde journalistique. On peut alors penser que si l'Internet joue un rôle important dans la constitution du mouvement mondial de résistance au néo-libéralisme, c'est notamment parce qu'il offre un terrain expérimental sur lequel peuvent s'édifier des dispositifs de publication cherchant des alternatives aux pratiques médiatiques les plus critiquées.

Un contre-pouvoir
Au sein de la mouvance alter-mondialiste, les militants ne font pas tous les mêmes reproches aux médias, ce qui les amène à produire des contenus différents sur Internet. Un premier type de critique, dont Le Monde diplomatique est le représentant attitré en France, peut être appelé anti-hégémonique (1). Ce courant s'attache à mettre en lumière la fonction propagandiste des "appareils idéologiques de la globalisation" que sont les médias et appelle à la création d'un "contre-pouvoir critique". Fort de nombreux succès d'édition (Pierre Bourdieu, Noam Chomsky, Serge Halimi, Ignacio Ramonet…), il dénonce pêle-mêle l'allégeance des entreprises de presse au monde politico-économique, la clôture de l'espace journalistique sur ses enjeux professionnels, la recherche du profit et le sensationnalisme. Selon cette critique, les journalistes sont appelés à reproduire la pensée dominante par idéologie, par connivence ou par l'effet des contraintes qu'exercent sur eux les conditions de production de l'information. Alors, pour proposer une alternative aux pratiques dénoncées, la critique anti-hégémonique avance un modèle de travail journalistique très proche de celui du chercheur en sciences sociales : distanciation maximum, temps long de l'investigation, rupture avec les formats courts et les formules. Le discours anti-hégémonique a décidé de produire une contre-expertise.
Les sites, relevant de la critique anti-hégémonique et ayant repris le principe de la contre-expertise sont nombreux. Certains sont des "webzines" militants comme Les Pénélopes ou Cybersolidaires (sites féministes), Place publique (site de l'Internet citoyen) ou Mediasol, le portail de l'économie solidaire. D'autres sont liés à des groupements associatifs et militants (Attac, No Pasaran, Les Amis de la terre…) ou à des moments de la mobilisation comme la "Farandole internationale de l'information indépendante" (La Ciranda) créée pour mutualiser les différentes productions journalistiques et militantes du Forum social mondial de Porto Alegre. Ces sites se posent parfois dans une logique de concurrence avec l'espace public des médias de masse, notamment pour la couverture des manifestations et des contre-sommets. Mais ils se définissent surtout comme des espaces de contre-expertise proposant sur des questions spécifiques un discours mêlant spécialisation et indignation. Sur les thèmes de l'eau, de la dette, des femmes, des inégalités Nord/Sud ou de la brevetabilité du vivant, ils accueillent la production éditoriale des universitaires, des intellectuels et des militants qui se sont impliqués à différents degrés dans le mouvement alter-mondialiste. Ils opèrent une surveillance parfois extrêmement technique des activités des organismes internationaux (comme les "Brèves OMC" publiées par le groupe Traités internationaux d'Attac-Marseille). Ils exercent une pression continue pour obtenir documents et informations de la part des entreprises et des institutions. Enfin, ils produisent des archives en réunissant des informations habituellement dispersées (comme sur le site transnationale.org qui cartographie les liens capitalistiques des multinationales) et exercent un droit de suite en questionnant avec ténacité leur cible.
Mais cette pratique n'est elle-même pas exempte de critiques. En effet, ces sites militants risquent de reconduire sur la scène de l'Internet un nouveau débat d'experts entre intellectuels proches des organisations et militants aguerris, fermé sur lui-même et difficile d'accès pour les nouveaux entrants.

Une parole libérée
Une autre démarche critique, d'inspiration libertaire, refuse l'accaparement de la parole par les professionnels, les porte-parole et les experts. Beaucoup moins focalisée sur la question de la vérité que sur celle de l'expression des subjectivités, elle s'attache principalement à défendre et à promouvoir les droits du locuteur. Elle puise son inspiration dans les manifestes militants de défense des médias communautaires, alternatifs ou radicaux et s'incarne plus récemment dans les positions autonomes de Michaël Hardt et Toni Negri avec leur thématique de la multitude (cf. encart). Elle entretient par ailleurs d'étroites affinités avec les positions défendues par les militants politisés du logiciel libre. Cette critique qu'on peut qualifier de perspectiviste (2) revendique l'instauration de dispositifs de prises de parole ouverts. Elle s'oppose à l'usage médiatique actuel qui tend à privilégier ceux qui maîtrisent les règles d'intervention dans les médias au détriment de tous les autres.
Considérant que les médias dominants se caractérisent par leur esprit centralisateur, conformiste et autoritaire, les sites média-activistes proposent des espaces de diffusion alternatifs, auto-organisés, souples, libérés a priori de toute censure.
Né en novembre 1999 lors du sommet de Seattle autour du Direct Action Network, le réseau Indymedia (Independant Media Center) incarne cette culture de l'autonomie dans l'espace du Web militant. Il n'a pas de responsables attitrés, dispose d'une structure organisationnelle souple et discrète. Les 80 comités Indymedia répartis dans une vingtaine de pays fonctionnent sur une base auto-organisée et décentralisée. D'autres sites média-activistes peuvent lui être comparés, comme le Centre des médias alternatifs du Québec (CMAQ). La principale caractéristique de ces médias est de soutenir le principe de la publication ouverte (open publishing) permettant à l'ensemble des individus qui le désirent de publier en ligne, quasi-instantanément et en différentes langues, tous types de documents (textes, sons, images fixes ou animées). La plupart du temps, appliquant un principe de stricte transparence, les animateurs se refusent à exercer un contrôle éditorial (3). Se défiant des procédures de délégation, de représentation et de vote, les média-activistes s'en remettent au principe du consensus. Ils entreprennent aussi de mettre les informations directement à disposition de l'action militante (tracts, lieux de rendez-vous, suivi en ligne en direct des manifestations, etc.), en se méfiant des formes hiérarchiques de contrôle et de cadrage des mobilisations.
Certaines prises de parole s'émancipent alors des conventions de l'écriture experte, journalistique ou militante et endossent une forme très subjective. Contrairement aux médias contre-experts qui offrent finalement assez peu d'espaces de débats, les dispositifs média-activistes s'appuient largement sur des listes de diffusion et des forums (non orientés vers la prise de décision) où sont discutés, souvent dans une cacophonie de points de vue, de la pertinence et de la teneur des contributions. Sans doute cette variété de formats d'énonciation est-elle, en principe, nécessaire à l'ouverture d'un espace de parole à des non professionnels. Il faut cependant constater que là encore, dans la majorité des cas, ces espaces de parole sont restreints, notamment du fait du niveau élevé de politisation et de radicalité des propos. Le modèle de l'open-publishing laisse par ailleurs ouverte la voie à des provocations comme l'infiltration de textes antisémites qui a déclenché le gel par ses animateurs du site français d'Indymedia. Sans en contester le principe, les débats de la communauté média-activiste, remettent aujourd'hui en cause les effets indésirables de l'open publishing pour essayer d'établir des règles de modération et de contrôle collectif des formats de publication.

Le réarmement de la parole critique
Les médias de la contre-expertise, en facilitant le déploiement d'une rhétorique de la preuve, de la vigilance et de l'investigation, ont redonné force à certains formats d'énoncés alors que les média-activistes ont exploré des formats d'énonciation encourageant le témoignage, l'appel à la mobilisation et la colère. Le débat aujourd'hui au sein du mouvement alter-mondialiste est de savoir s'il faut concevoir ces médias militants comme une alternative à l'espace médiatique conventionnel, cherchant à le concurrencer, le réformer ou lui imposer un nouvel agenda. Ou bien si ces nouveaux lieux d'expression doivent être envisagés comme des "médias citoyens" cherchant à favoriser les expériences de mise en récit des engagements et à faire de la question de la "démocratisation de l'information" un enjeu spécifique à chacune des luttes engagées.

(1)En référence aux travaux d'Antonio Gramsci, penseur marxiste italien (1891-1937). Avec le concept d'"hégémonie", Gramsci souligne le caractère idéologique (et plus seulement répressif) de la domination capitaliste.
(2) En référence au relativisme radical nietzschéen qui considère qu'il n'y a pas de faits mais seulement des interprétations et qu'en conséquence il existe des régimes de vérité multiples.
(3) A cet égard, le site média-activiste français de Samizdat (voir interview dans ce numéro), d'inspiration autonome, fait exception en refusant le principe de l'open publishing pour préférer se constituer en centre de ressources militantes et assurer une couverture des mobilisations par des cercles affinitaires de correspondants.

Le concept de multitude

Le concept de multitude tel qu'il est repris actuellement dans de nombreux mouvements est d'abord un concept de Spinoza. Il a été "réactualisé" par Antonio Negri, philosophe italien et Michael Hardt, professeur de littérature nord-américain dans Empire (Exils éditeur). La multitude voudrait dépasser le concept de classe ouvrière qui n'enveloppe qu'une partie des travailleurs, acteurs en lutte. Opposée à la notion de peuple, qui sous-entend son unité, la multitude est définie comme un ensemble de singularités, de subjectivités porteuses de liberté qui sont non représentables. Ces singularités qui se mettent en réseau selon l'approche développée par Negri et Hardt sont aussi marquées par l'évolution du monde du travail. La production est en effet de plus en plus immatérielle et amène à de nouvelles formes de coopérations intellectuelles. La multitude, selon les auteurs d'Empire tire alors de son travail immatériel et intellectuel une force qui peut s'opposer à l'exploitation capitaliste.


(*) Une version longue de ce texte a été publiée sous le titre "Peut-on se libérer des formats médiatiques ? Le mouvement alter-mondialisation et l'Internet" dans la revue de sciences sociales Mouvements (# 25, janvier-février 2003, p. 67-73). Le texte initial a été raccourci et remanié par Muriel Bernardin.


Quelques sites de l'alter-mondialisation

Sites de contre-expertise :
Attac : http://attac.org
Les Cybersolidaires : http://www.cybersolidaires.org
Les Pénélopes : http://www.penelopes.org
Mediasol : http://www.mediasol.org
InterActivist Infos Exchange : http://slash.autonomedia.org
Transnationale : http://www.transnationale.org

Sites média-activistes :
Carta : http://www.carta.org
Centre des médias alternatifs du Québec : http://www.cmaq.net
Independant Media Center : http://www.indymedia.org
Nodo50 : http://www.nodo50.org