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L'Oeil électrique #4 | Société / Noël Godin

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Par Stéphane Corcoral.

Tout a commencé en 1969. Noël Godin avait été embauché pour écrire une chronique dans un magazine sur le cinéma en Belgique. Progressivement, cette chronique devenait le terrain de jeu où il laissait libre cours à ses élucubrations. Il écrivit un jour que le réalisateur imaginaire Georges le Gloupier avait jeté une tarte à la crème au visage de Robert Bresson, réalisateur bien réel lui. Dans le numéro suivant, il annonçait que Marguerite Duras, amie de Bresson, l'avait vengé en attaquant Le Gloupier de la même manière. Peu après, Godin apprit que Duras venait réellement en Belgique. Il profita de l'opportunité pour réellement entarter Marguerite, figure emblématique du roman et du film creux. Depuis, une brochette de célébrités, dont Nicolas Sarkosy, Bill Gates, Patrick Poivre d'Arvor, Pascal Sevran et bien sûr Bernard Henri Lévy y sont tous passés. Tous remplissent en effet les critères de sélection de l'entarté potentiel : être particulièrement détestable, avoir un ego légèrement hypertrophié, ou symboliser, comme Gates, l'intelligence au service d'un capitalisme nauséabond. L'imbuvabilité serait-elle soluble dans la chantilly ?

Qu'est-ce que tu réponds quand on te demande ce que tu fais dans la vie ?
Et toi, qu'est-ce que tu vis dans les faits ?

Le fait d'être plus reconnu comme entarteur, ça te fait plutôt plaisir par rapport à tes autres activités ?
Eh bien, je trouve ça très très rigolo. Bien sûr, on vient à moi avant tout pour les tartes, mais on vient aussi à propos de mon Anthologie de la subversion, ou encore pour mes frasques cinématographiques... pour toutes sortes de raisons, mais qui sont systématiquement des raisons garnementes.

Est-ce qu'on voit toujours tes frasques comme de la provocation pure, sans aucun fond ?
Plus du tout. Le phénomène s'est absolument inversé en Belgique, où, durant tout un temps, mon niveau d'impopularité dépassait tout, suite à ma participation à plusieurs émissions de Dechavanne qui avaient totalement dégénéré. Le sujet de la première de ces émissions était " la Belgique ", et beaucoup de Belges, qui nourrissent un sentiment d'infériorité par rapport à la France, ont considéré que les invités étaient en quelque sorte leurs ambassadeurs. Et comme je me suis retrouvé là-bas avec mon ami Robert Dehoux, nous avons déliré pendant une heure sur le plateau, et ç'a été l'esclandre nationale... Il y a eu une émission de réparation quinze jours plus tard, qui a pris le même tournant puisque nous étions encore invités. Un peu plus tard, il y a eu une nouvelle émission de Dechavanne sur " la provocation ". Ça coïncidait avec la sortie du journal de Jan Bucquoy (l'auteur de La vie sexuelle des Belges), qui avait été saisi dans divers coins du pays, car on y trouvait une bande dessinée où on insistait sur le fait que le roi Baudoin était pédé comme un phoque et que la reine Fabiola changeait de culotte tous les huit jours. J'avais donc brandi le journal sur le plateau, et je m'inscrivais en faux contre cette affirmation, car je savais de source sûre qu'elle changeait de culotte au moins tous les sept jours. Dechavanne a hurlé, on a coupé les micros. J'ai été accusé d'homophobie et de crime de lèse-majesté. La constitution belge prévoit d'ailleurs la peine de mort pour ce genre de facétie, ce qui n'est bien sûr jamais appliqué. Ça a fait toute une histoire. Je ne sortais plus sans être violemment pris à parti par des inconnus, sans me faire attaquer pâtissièrement ou moins crémeusement dans des restaurants ou des magasins. Mais tout s'est absolument inversé, surtout à la suite de l'entartement de Bill Gates. Maintenant, je ne fais plus cinq pas où que ce soit sans qu'on me demande un autographe ou qu'on me propose de se rallier à moi. Du coup j'ai aussi parfois du mal à sortir, mais pour des raison bien plus sympathiques. De braves mères de familles viennent me demander comment faire pour participer à des opérations gloupinesques.

C'est un peu irresponsable de la part de Dechavanne d'inviter des gens dont il sait pertinemment qu'ils vont disjoncter et de couper les micros...
C'est-à-dire qu'au début, il nous laissait faire ce qu'on voulait, très amusé. Mais tout d'un coup, j'ai proposé aux téléspectateurs de noter une adresse. Ceci fait, je leur ai annoncé qu'il s'agissait de l'adresse personnelle de Bouygues. Et je les ai invités à envoyer à Bouygues des colis traduisant le réel degré de tendresse qu'ils lui portaient. Il a paraît-il reçu des milliers de saloperies de toutes sortes par la poste, et Dechavanne se disait " Mais, qu'est-ce qu'il fait, mais qu'est-ce qu'il fait ? ". Et dès lors, c'est devenu... un ennemi.

C'eût été une cible intéressante Bouygues...
C'est certain, mais maintenant, une cible intéressante, ce serait Mougeotte, qui incarne l'information dans tout ce qu'elle a de plus crapuleux. Ça, Étienne Mougeotte, ce serait bien... Ceci dit, on considère qu'on s'est déjà fait TF1 en la personne de PPDA. En fait, on s'est fait toutes les télés françaises, puisqu'Elkabbach y est passé à Roland Garros, que Pascal Sevran y est passé en direct sur la Grand Place de Bruxelles, et que Hélène, qui incarnait l'autre face de TF1 avec les sitcoms crétinisants, a été entartée sur scène en plein récital.

Bill Gates, votre dernière victime, est pratiquement le maître du monde. Sera-t-il votre dernier client ?
Il est certain que maintenant, nous devons viser plus haut. Dès lors, nous déclarons la guerre chantilly aux chefs d'état proprement dits. Et nous mettons à l'étude des coups qui semblaient impossibles jusqu'ici. Il se fait que pour nos quatre derniers coups : Sarkosy, PPDA, Toscan Duplantier et Gates, l'opération n'a été possible que parce que des traîtres sont apparus, qui nous ont apporté un plan d'attaque sur un plateau. Des inconnus se nichant souvent dans l'entourage même de nos victimes les trahissent. Ceci pour la bonne raison qu'il s'agit de personnes éminemment antipathiques, ce qui fait qu'ils excèdent bon nombre de leurs collaborateurs directs. Dans le cas de Bill Gates, c'est un membre de l'état-major de Microsoft Belgique qui nous a contactés. Il nous a expliqué qu'il n'était pas du tout dans le camp de la subversion, qu'il avait beaucoup apprécié Bill Gates, mais qu'il trouvait qu'il avait un peu trop pris la grosse tête, et qu'il s'agissait de lui donner une leçon. Bien sûr, je préserve toujours l'identité des traîtres en question, mais comme il y a pas mal de cadres chez Microsoft Belgique, je ne me suis pas fait faute de le dire, de sorte que le soupçon règne dans la maison, et qu'ils s'épient les uns les autres pour savoir qui est le traître.

Une sorte d'effet domino...
Totalement. Mais on peut d'autant plus parler d'effet domino que notre véritable but, qui est l'entartement généralisé, semble enfin se réaliser. On n'arrête pas d'apprendre qu'un peu partout des tartes volent sur des symboles de l'autorité, sans que ce soit de notre fait ou que ce soit médiatisé. Un ministre a été entarté en Allemagne. Nous avons été invités en juin à Montréal par un nouveau mouvement : le Mouvement des Entartistes, qui ont entarté le directeur de la police de Montréal pour nous souhaiter la bienvenue.

Chaque personne réagit-elle différemment lors d'un entartement ?
Une seule victime a savoureusement réagi jusqu'ici. C'est bien sûr Jean-Luc Godard qui a réagi en grand seigneur. Il s'avère d'ailleurs que c'est la seule de nos victimes que nous aimions beaucoup. Nous l'entartions pour s'être converti du jour au lendemain en invitant les distributeurs italiens de Je vous salue Marie à le retirer des salles avoisinant le Vatican pour ne pas désobliger le grand Pontife. Ce qui fait que Godard s'agenouillant devant le Pape, on n'a pas supporté. Mais il a formidablement réagi, et c'est le seul. En général, les réactions sont hostiles. Mais récemment, certaines de nos victimes ont compris que c'était une catastrophe pour leur look de mal réagir. Quelques-unes de nos victimes ont donc affecté de réagir par un sourire, mais ça ne dure pas longtemps. Par exemple, Jean-Pierre Elkabbach, voyant les caméras, sourit et dit qu'il aime bien la crème fraîche, et puis on l'entend distinctement s'écrier en entrant dans sa voiture : " Messieurs de la sécurité, vous aurez de mes nouvelles tout à l'heure. " De même, Toscan Duplantier a porté plainte. Sarkosy, se faisant entarter à Bruxelles, entre dans la salle de conférence où beaucoup de monde l'attend. Pour sauver la face, il doit donc plaisanter. Il ne trouve rien de mieux à dire que la prochaine fois qu'il recevra un accueil sucré, il voudrait qu'au moins, les porteuses de tartes soient jolies. C'est formidable, car il dévoile d'un seul coup son sexisme gluant, sans réfléchir au fait que sa plaisanterie est ce qui le perd, puisqu'on ne peut dès lors le prendre que pour ce qu'il est : un crapoteux phallocrate.

La réaction des gens révèle donc un peu leur véritable personnalité...
Tout à fait. On peut considérer que l'attentat pâtissier est une sorte de révélateur. En quelques fractions de secondes, on est amené à dévoiler une face importante de sa personnalité.

Bill, lui, a souri.
Et sur le champ, il a congédié tous ses gardes du corps qui ont perdu leur emploi dans les dix minutes qui ont suivi.

En vous attaquant à des célébrités de plus en plus " pointues ",n'êtes-vous pas inquiets d'avoir à faire face à des gardes du corps généralement armés ?
Pour la toute première fois, on a eu peur, car on ne s'était jamais trouvé face à cette menace. On avait appris que les gardes du corps étaient armés. Aussi, nous avons misé sur leur professionnalisme. J'ai recommandé à tous les joyeux comparses de sourire guillerettement, et d'émettre des " gloup gloup " déjà dans le lointain. Et tout d'un coup, l'on a entendu " gloup gloup gloup " de tous côtés, et les facétieux avaient le sourire, ce qui fait que les gardes du corps n'ont pas dégainé, restant totalement pantois, le cas n'étant pas prévu. Nous avons d'ailleurs fait la Une du journal corporatiste des gardes du corps belges, avec un article désopilant qui s'appelle " Le jour noir pour la garde rapprochée ", puisqu'effectivement, de réels terroristes auraient pu lui ouvrir les entrailles les doigts dans le nez.

En mettant des couteaux dans des tartes...
Tout à fait. Et en se faisant passer pour des entarteurs souriants.

D'un point de vue pratique, les entarteurs suivent-ils des consignes particulières, en cas de réaction violente du client ?
Oui. Ne jamais répondre par des coups. En me prenant comme modèle, puisque j'ai été massacré à coups de poings par Bernard Henri Lévy, à chaque fois. Lors de notre cinquième rencontre, dans l'aéroport de Nice, alors que BHL, enseveli sous la chantilly, tentait de m'étrangler, Arielle Dombasle me martelait de coups de sac, pendant que moi, je faisais des " gloup gloup ".

Tu t'arrêteras de t'en prendre à lui un jour ?
Non. Nous préparons la sixième opération. On lui a fait savoir qu'on lui laissait une chance d'armistice total. On lui propose un véritable cessez-le-feu, au cas où au prochain obus pâtissier, il se mettrait à chanter " Avez-vous vu le beau chapeau de Zozo ? ". Il se fait que nous l'avons épargné l'an dernier uniquement à cause de son ridicule film Le jour et la nuit, qui a été lynché par toute la critique : il s'y auto-entartait somptueusement. Or nous avons pour principe de n'attaquer les victimes que lorsqu'elles sont dans tout l'éclat de leurs forces. C'est pour cela que nous avons biffé Bernard Tapie de nos listes par exemple. Mais maintenant que BHL a repris du poil de la bête, en exploitant les événements d'Algérie aussi crapuleusement qu'il l'avait fait avec les événements bosniaques, nous allons repartir à l'attaque.

Tu évoquais tes problèmes en Belgique, mais en France, ça a toujours été positif...
Oui, en France, j'ai toujours été fort bien accueilli. Et désormais, aux États-Unis et au Canada, l'accueil est aussi extraordinaire.

Mais est-ce qu'on te prend toujours pour un clown, ou voit-on aussi quelque chose de sérieux derrière ça ?
On me prend de moins en moins pour un clown, ce que je suis pourtant : un clown très méchant et déchaîné. Mais notre volonté de tuer par le ridicule d'illustres détenteurs d'autorité est fort perçue.

En 30 ans d'entartements, penses-tu avoir changé quelque chose ?
Tout est tellement installé dans la résignation visqueuse que je n'entretiens aucune illusion. Mais je me dis que nous n'avons qu'une chose à faire : multiplier les facéties offensives contre tout ce qui tend à nous endiguer, contre tout ce qui nous empêche de vivre nos désirs comme ça nous boume totalement. Il est sûr qu'une certaine contagion cocasse existe depuis quelques temps, mais nous n'analysons pas du tout ça sérieusement. On éclate juste de rire quand nous apprenons que Cohn Bendit se fait entarter... quelle excellente victime ! Ici, en Belgique, le mouvement des sans-papiers a commencé, et le principal responsable du parcage et de l'expulsion des sans-papiers a récemment été entarté par des membres de la Ligue des Droits de l'Homme. C'est extraordinaire : ces humanistes que l'on trouvait désespérants se mettent eux aussi à se dire que la tarte est une arme de combat autrement redoutable que les éternels défilés ou appels à signatures. Il y a tout de même de quoi se réjouir.

Est-ce qu'il y a une certaine violence dans l'attentat pâtissier ?
C'est absolument violent, mais c'est une violence purement symbolique, puisque la victime n'est blessée que dans son amour-propre. On veille absolument à ce que nos grenades pâtissières ne fassent pas bobo, que la pâte soit bien molle, que la crème soit bien onctueuse... Mais il est sûr que ça agresse délibérément l'image de la victime. D'ailleurs, nos victimes sont choisies avant tout car elles vivent en représentation permanente, uniquement par rapport à l'image qu'elles donnent d'elles-mêmes. Nous sommes donc d'authentiques terroristes, pratiquement aussi organisés que la bande à Baader, mais des terroristes 100% burlesques. C'est une sorte de réinvention du terrorisme.

Vous recevez beaucoup de propositions d'entartage ?
Je suis contacté quasiment tous les jours par des inconnus qui me proposent de venir entarter leur chef de bureau, et systématiquement, je leur réponds la même chose : " Vous ne le faites pas vous-même pour une bonne raison, parce que si vous le faites vous allez vous faire vider. Il suffirait dès lors que vous pratiquiez l'échange de bons procédés avec des fonctionnaires d'autres bureaux qui vous rendraient la pareille pour que ça puisse se vivre dans l'impunité la plus totale. "

Comment financez-vous votre action ?
Nous n'avons absolument pas de trésor de guerre, et c'est là où le bât blesse. Nous aurions besoin de sponsors pour pouvoir sévir. Mais ça n'a jamais été le cas en fait. Quand je me rends par exemple à Cannes, je suis toujours invité de toute façon, tous frais payés. Mais pour les opérations qui vont venir, nous avons certes besoin de sponsors. Si nous n'avons pas attaqué le Mondial comme nous l'avions annoncé, c'est parce qu'aucun sponsor ne s'est présenté. On comptait affréter un ballon dirigeable, et au-dessus du stade, lancer des centaines de ballons à une phase critique de la partie. De même, si nous n'avons pas pu entarter le Pape jusqu'ici, c'est avant tout faute de moyens. Pourtant c'est possible. J'ai d'ailleurs cru que ça y était il y a trois semaines. J'ai reçu un signal d'Italie, mais on avait seulement une heure pour monter toute l'opération. C'était impossible d'organiser tout le safari avec les caméras et toute l'équipe. Toutefois, il nous était livré sur une assiette. Je croyais que le conte de fée se réalisait. Aussi, on compte se rendre en Italie à la première occasion, pour se faire le Pape ou Berlusconi. Pour les opérations plus corsées qui s'annoncent avec les chefs d'état, ceux qui désireraient qu'elles se fassent pourront nous y aider matériellement. Nous recevons d'ailleurs des délégations d'un peu partout à l'heure actuelle. Nous étudions l'opération Tony Blair, mais aussi l'opération Clinton. Cependant, on rencontre un problème nouveau. À supposer par exemple qu'on sache que Bill Clinton va dîner dans 7-8 mois dans une ville donnée. Il se fait qu'il a des habitudes depuis quinze ans dans diverses métropoles et qu'il insiste pour dîner dans certains restaurants qu'il connaît bien. Naturellement, ce jour-là, le restaurant ne reçoit personne d'autre. Si on sait qu'il va quelque part dans huit mois, on peut faire engager quelqu'un huit mois à l'avance dans les cuisines du restaurant en question. Mais, si ce comparse l'entartait des cuisines mêmes, on ne pourrait toujours pas crier victoire, car si ce n'est pas photographié et filmé, et si le gouvernement américain nie l'entartement, on est marron. Ce n'est pas tout de réussir à entarter, il faut aussi réussir à médiatiser le coup. Il faut qu'il y ait des photos souvenir.

On pourrait imaginer l'entartement d'un chef d'état commandé par un autre chef d'état...
Eh bien, je lui dirais oui, mais on ferait gaffe. Il n'est pas question d'entarter Jospin si on n'entarte pas en même temps quelqu'un de l'autre bord pour faire la balance. On ne veut pas réjouir la droite en attaquant la pseudo-gauche et vice-versa.

Mais ce raisonnement, ça ne fonctionne pas quand c'est Sarkosy ?
Non bien sûr, car nous relevons tout de même avant tout de l'extrême gauche la plus flibustière. Mais dans l'autre sens, oui.

Généralement, lorsque l'un d'entre vous est arrêté, comment les policiers se comportent-ils ?
Pour ce qui me concerne, ça s'est toujours bien passé, si ça n'est que je suis occasionnellement convoqué au commissariat, et quand j'y arrive, le commissaire qui me reçoit appelle quelques collègues, et ils me remettent une liste de victimes idylliques. Ils se portent même partant pour m'aider à s'occuper de notre Premier ministre Dehaene, qui est incroyablement impopulaire. Je tombe souvent sur des flics courtelinesques, mais il en existe aussi de très vilains.

Et les juges ?
Si on prend l'exemple de l'opération Douste-Blazy, qui a porté plainte, le procès a eu lieu à Grasse, et notre avocat a expliqué à la présidente de la Cour que c'était une vieille tradition belge que d'entarter les fâcheux. Et notre comparse a été acquitté. Pour l'entartement de Bill Gates, l'entarteur irlandais et notre ami Rémy Belvaux ont été convoqués par la police, mais ils ne se sont pas déplacés. En principe, on ne risque qu'une petite amende, qu'on ne nous a d'ailleurs jamais demandée. Par contre, ça a parfois fort bardé avec l'entourage direct de nos victimes. Par exemple, les deux flibustières qui avaient entarté Hélène à bout portant ont été passées à tabac par les gorilles d'AB Productions : coups de poings, piétinement, ils les ont traînées par les cheveux le long d'un escalier, tête dans les chiottes... Après le quatrième entartement de BHL à Cannes, alors que j'avais pour ma part été arrêté par le service d'ordre, notre fer de lance, l'Ukrainien Ivan, entarte BHL, et il est littéralement massacré par les gardes du corps.

En parlant de Cannes, j'ai vu des photos où tu étais déguisé en préservatif géant... Ca a quelque chose à voir avec le Pape ?
C'est amusant comme rapprochement, mais ce n'est pas la raison. Il se fait qu'en s'en prenant à Daniel Toscan Duplantier, on a fait juste ce qu'on ne pouvait pas faire, dans la mesure où il est le maître effectif du festival de Cannes. Il a annoncé que jamais je ne pourrais remettre les pieds là-bas. On m'a donc refusé mon laissez-passer. J'avais dès lors des faux papiers durant tout mon séjour. Or, j'avais des rendez-vous urgents à l'hôtel Martinez. Mais comme c'est un des hôtels à stars, il y a énormément de contrôles et de gardes du corps. Il se fait que les studios Trauma sont chaque année à Cannes et je m'entends très bien avec leur directeur. C'est le dernier producteur de films gores à tout petit budget (Toxic Avenger notamment). Je leur ai expliqué mon problème. Leur prochain film raconte les exploits d'un tueur en condom. Ils m'ont prêté le matériel et par les bons soins des studios Trauma, je suis entré déguisé en capote géante, au nez et à la barbe de tout le monde.

Pourtant, c'est pas particulièrement discret comme déguisement...
Justement, c'est ça qui a marché. Il se fait que chaque année, la bande de Trauma organise des petits happenings publicitaires dans la rue avec des gens déguisés en monstres. Ce condom géant était donc un des monstres de l'année et on l'avait déjà vu un peu partout.

Y a-t-il d'autres personnes ou groupes qui mettent des grains de sable dans la machine comme vous et que tu apprécies ?
Sur un plan résolument loufoque, il n'y a pas grand chose. Mais j'apprécie beaucoup les actions du Mouvement de Libération des Animaux par exemple. Il y a aussi à Bruxelles, Robert Dehoux, dont je parlais plus tôt, avec son Mouvement des Bouchages de Serrures. Il se fait qu'en coupant une allumette dans le sens de la longueur et en la glissant dans une serrure, cette dernière s'avère totalement inouvrable, et il faut faire venir un serrurier. Robert et ses amis proposent donc de boucher toutes les serrures antipathiques. Je les ai totalement rejoints. Bon nombre de serrures de bâtiments administratifs ou d'églises sont donc bouchées à tout moment, ce qui crée quelque perturbation. Un beau jour à Bruxelles, aucune banque n'a pu ouvrir. On pourrait aussi imaginer une action contre tous les huissiers d'une métropole donnée. On procéderait avec bon nombre de voitures, quartier après quartier : toute une corporation répressive d'un seul coup.

Est-ce que tu es influencé par des choses comme certaines performances de rue qui se faisaient dans les années 70 ?
Je ne dirais pas vraiment influencé, mais je considère que nous opérons dans le droit fil des exactions Yippies des années 68 aux États-Unis. Abbie Hofmann et Jerry Rubin, le mouvement Do It, qui d'ailleurs utilisaient des tartes à la crème à la télé. Nous avons en commun de penser qu'on peut sévir partout. Je ne suis pas d'accord avec les situationnistes, que j'aime beaucoup par ailleurs, en ce qui concerne les médias. Ils considéraient que si on fricotait avec les médias, on était dès lors manipulé par eux. Moi je pense sincèrement que ça va dans les deux sens, et qu'on n'a rien à perdre en allant sur n'importe quel terrain, du moment qu'on reste éperdument soi-même, advienne que pourra. Pour ma part, je reçois tout le monde et je vais dans n'importe quelle émission, mais en veillant à ne jamais dire quoi que ce soit qui ne soit pas en phase avec ma révolte paroxystique contre toutes les cornichonneries.