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L'Oeil électrique #4 | Société / Roberto Di Cosmo

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Par Arnaud Rupin, Stéphane Corcoral.

Microsoft < 1997
Chiffre d'affaires < 11,4 milliards de dollars
Bénéfices < 3,5 milliards de dollars
Nombre d'employés < 22 300

Extrait de la licence de Windows 95 >
ASSISTANCE PRODUIT. Ni Microsoft Corporation, ni ses filiales ne fournissent une assistance pour le PRODUIT LOGICIEL. Pour l'assistance, veuillez contacter le numéro d'assistance du fabricant d'ordinateur fourni dans la documentation de l'ORDINATEUR.


Professeur d'informatique à l'École Normale Supérieure, Roberto Di Cosmo publie, sur Internet en mai 1998, un article en plusieurs langues qui fait en quelque semaines le tour d'une bonne partie de la communauté informatique en France. Piège dans le cyberespace (http://www.dmi.ens.fr/~dicosmo) dénonce en quelques pages incendiaires (et bien documentées) le statut de quasi-monopole de Microsoft sur le marché de l'informatique, et les dangers qu'il fait peser sur nos libertés et notre avenir. On y voit comment Microsoft fait littéralement peser une taxe monopoliste sur l'achat des ordinateurs, ce par le biais de procédés souvent douteux (l'achat d'un PC impliquant l'achat obligatoire de Microsoft Windows, préinstallé). Mais on y comprend aussi qu'en termes de performances réelles, d'autres systèmes d'exploitation sont depuis très longtemps largement supérieurs à Windows, que certains de ces systèmes sont gratuits, et qu'en gros, on nous fait payer des sommes astronomiques pour des produits dont le coût de fabrication est pratiquement nul. Et pour couronner le tout, si ça ne marche pas, la responsabilité de l'éditeur n'est pas engagée. Cependant, il semblerait que le vent tourne un peu. Si la première intervention de la justice américaine envers Microsoft relevait assez de la blague (" C'est pas bien ce que vous avez fait. Faut pas recommencer. "), les nouvelles attaques se font plus pressantes. De surcroît, Bill Gates s'est fait entarté, et une véritable alternative semble exister. Le cadeau bonus, c'est que cette alternative est gratuite pour l'utilisateur, et qu'elle est issue du travail bénévole et collectif d'un grand nombre d'informaticiens du monde entier. Les informaticiens seraient-ils donc les hippies des temps modernes, vivant heureux dans leur cyber-communauté ?

Vous expliquez que la gestion des fichiers de Windows est bien moins efficace que celle d'autres systèmes, et qu'UNIX a une gestion bien plus performante depuis 1984. Comment expliquer que Microsoft n'ait pas procédé à une refonte de cette gestion après tant d'années ?
C'est une longue histoire... C'est ce que j'essaye d'expliquer avec Piège dans le cyberespace et Hold-up planétaire, en démontant scientifiquement les pratiques commerciales néfastes de cette entreprise qui, contrairement à ce qu'on croit, n'a jamais considéré la qualité de ses logiciels et la sécurité des données de ses utilisateurs comme quelque chose d'important.

Mais s'agit-il simplement d'un choix de ne pas miser sur la qualité, ou d'une véritable volonté de limiter les capacités des logiciels ?
Il y a les deux. D'une part, on ne mise pas sur la qualité du produit parce que le marketing arrive à le vendre quand même (cf. le crash de Windows 98 en direct télé mondiale au Comdex cette année, qui n'a pourtant pas poussé tout le monde à jeter Windows à la poubelle). Donc, ils préfèrent centrer leurs efforts sur les modifications du logiciel qui rapportent le plus d'argent et ils étendent leur monopole.
D'autre part, on ne corrige pas certains défauts, on les introduit même, comme le cas de ActiveX et MSJava, pour augmenter la dépendance du public vis-à-vis de ces produits, et donc gagner encore plus d'argent...

Pouvez-vous expliquer ce qu'est un logiciel libre ?
C'est un programme informatique fourni avec son " code source ", c'est-à-dire la totalité des lignes de code qui le composent. Les logiciels, comme les symphonies musicales, sont écrits sous forme de partitions informatiques, appelées " code source ", et ils sont distribués, comme les disques, sous forme d'une version " exécutable " - un enregistrement - de ces partitions. Les éditeurs commerciaux comme Microsoft vendent des versions exécutables de Windows, mais se gardent bien de révéler son code source. Cependant, au contraire du cas de la musique, pour laquelle il est facile à partir de l'enregistrement d'en reconstituer la partition, pour les logiciels complexes d'aujourd'hui, la tâche de reconstitution du code source, dite de compilation ou " reverse engineering ", est pratiquement impossible.
Conçus dans un esprit de partage, les logiciels libres sont au contraire la propriété collective de l'humanité. C'est-à-dire qu'ils sont librement modifiables et redistribuables, à condition de préserver cette propriété. Chacun peut ainsi améliorer un logiciel libre, pour peu que ses trouvailles soient à leur tour versées au pot commun. Mais cela ne veut pas dire que ces logiciels sont " dans le domaine public " : pour éviter justement qu'un logiciel libre soit accaparé par des entreprises sans scrupules, qui le revendraient ensuite sans son code source, on a conçu des licences spécifiques comme la Gnu Public Licence (GPL), ou la Berkeley Public Licence. Ces licences établissent une propriété intellectuelle sur le logiciel, et fixent les règles selon lesquelles il peut être distribué : il s'agit de règles qui sont l'exact opposé de celles que vous trouvez dans Windows... Chacun a le droit de modifier le logiciel et de le distribuer à qui bon lui semble, sous réserve de lui donner aussi tout le code source, aux mêmes conditions. Il ne faut pas confondre libre avec gratuit : la plupart des logiciels appelés " freeware " (et non pas " free software ") que l'on retrouve sur de nombreux sites web sont gratuits, mais sûrement pas libres, vu qu'on n'a pas le code source nécessaire pour ouvrir le capot et démonter le moteur... Dans cette catégorie, vous trouverez par exemple Acrobat Viewer d'Adobe, et Internet Explorer (enfin, si on fait semblant de ne pas voir l'artifice comptable que nous avons exposé).
L'exemple le plus connu de logiciel libre est Linux : tout son code source vous est donné, et si vous le téléchargez sur le Web, il est même gratuit. Mais on peut aussi acheter des " distributions " commerciales de Linux (comme la SlackWare, la RedHat, la SuSe, OpenLinux etc.). On paie dans ce cas-là la valeur ajoutée correspondant à la commercialisation - gravage du CD-ROM, distribution en magasin - et le plus souvent des services supplémentaires : installation, assistance technique ou développement de solutions spécifiques. Une fois la copie achetée, cependant, pas de BSA qui vous poursuive pour vérifier si vous avez payé autant de licences que de copies installées. Mon CD de Linux, payé quelques dizaines de francs, a déjà servi en toute légalité à installer une vingtaines de machines.

Des logiciels interopérables ?
À l'heure de l'informatique en réseau, les produits n'existent plus isolément. Pour que l'un d'entre eux soit utilisable, il faut qu'il puisse travailler correctement - c'est à dire être " interopérable " - avec d'autres produits informatiques. On touche ici à une caractéristique du monde informatique : la variété des tomates fraîches avec lesquelles vous cuisinez n'impose pas de les pulvériser dans un broyeur Moulinex plutôt qu'un autre... En revanche, un traitement de texte doit pouvoir fonctionner sur un système d'exploitation, qui lui-même doit pouvoir fonctionner sur la machine. Et il faut que ces textes soient transmissibles à quelqu'un d'autre, qui doit être capable de les lire. Si bien que, en l'absence de standards ouverts, le choix d'un système de traitement de texte n'est pas aussi libre qu'on le croit. Si une entreprise veut mettre tous ses employés sur la même longueur d'onde, elle est presque contrainte de choisir le standard dominant. Tout est relié : c'est " l'effet réseau " ou " l'effet domino ". Pour éviter les effets pervers de ce phénomène, il est fondamental qu'on centre ses choix sur des plates-formes ouvertes.

Qu'est-ce qu'une plate-forme ouverte ?
C'est un ensemble de composantes (tant matérielles que logicielles) qui s'appuient sur des formats de fichiers et des protocoles de communication publics et documentés, ce qui permet à tous ceux qui le souhaitent d'écrire un nouveau logiciel qui va s'intégrer à l'ensemble, ou remplacer une des composantes. C'est précisément le contraire de ce qui se passe dans le monde Microsoft, où tout est fait pour que les composantes Microsoft ne soient pas remplaçables (ex : Internet Explorer, qui ne peut pas être enlevé de Windows 98, SQL Server, qui tourne seulement sur Windows NT, et ne tournera jamais ailleurs comme confirmé par Bill Gates lui-même ici à Paris le 7 Septembre 1998, etc. etc.).

Comment Linux peut-il arriver à se faire connaître du grand public, ne disposant pas de la grosse machine marketing si importante à l'heure actuelle ?
Il ne faut pas sous-estimer l'intelligence du grand public : contrairement à certains, je crois que le grand public est capable d'opérer des choix intelligents, dËs qu'on lui propose des alternatives claires. Et ces alternatives peuvent être proposées non seulement par du marketing commercial, ce qui commence à se mettre en place petit à petit quand même, mais aussi par des associations de scientifiques comme l'Aful (www.aful.org), dont je suis membre, et par le bouche à oreille assuré par les maints groupes d'utilisateurs Linux qui fleurissent un peu partout en ce moment. Regardez autour de vous : il y en a sûrement un tout près !

Mais le grand public, et on ne saurait le lui reprocher, voit l'ordinateur comme une voiture : on met le contact et cela doit fonctionner. Face aux multiples distributions, à une installation relativement complexe, comment l'inciter à utiliser Linux ?
Il faut savoir qu'une installation de Windows n'est pas simple non plus : j'ai personnellement vu des vrais catastrophes se produire lors de mises à jour de Windows 98 et d'installations de Windows 95. Mais tout cela est caché pour l'utilisateur grand public, par le fait que sa machine est " préinstallée ". Ce n'est qu'au premier plantage et réinstallation qu'on découvrira les plaisirs du Plug and Play, des conflits d'IRQ et zones mémoires, etc. C'est tellement vrai que récemment, certains constructeurs se sont mis à vendre l'ordinateur (surtout les portables) avec un CD-Rom qui contient l'image exacte du disque installé pour la machine telle qu'elle est vendue. Si les constructeurs d'ordinateurs assuraient le même service pour Linux que pour Windows, il n'y aurait pas une grande différence de difficulté à la prise en main. Mais pour cela, il faut qu'on demande haut et fort aux constructeurs d'arrêter d'imposer l'achat de Windows avec chaque nouveau PC (ce qui est d'ailleurs bel et bien illégal).

Des éditeurs se mettent-ils à développer des produits pour Linux destinés au grand public ?
Tout à fait : les constructeurs et les éditeurs de logiciels ont tout intérêt à ne pas se couper du marché Linux, qui a atteint les huit millions d'utilisateurs dans le monde en peu de temps et qui grandit à grande vitesse.
Il y a des suites bureautiques comme Applixware et StarOffice qui sont compatibles avec Microsoft Office et bien moins chères, voire gratuites dans certains cas. De grands éditeurs comme Corel (Draw et WordPerfect), Oracle, Sybase, offrent depuis cet été leurs produits sur Linux.
Et il y a une infinité de logiciels libres pour tous les usages : pour n'en citer que quelques-uns, pour la retouche d'image, GIMP rivalise avec Photoshop ; il y a des suites comme Moonlight Creator, qui permet la création d'image 3D professionnelles ; le meilleur serveur Web du monde, Apache, équipe 40% des serveurs Web de la planète et a été choisi par IBM pour son offre professionnelle. Il y a même des jeux comme Doom et Quake.

B>Comment se résoudrait le problème de l'assistance technique si l'utilisation de logiciels libres se développait au niveau des petites entreprises et du grand public ?
Un peu de la même façon que pour Windows : on voit déjà apparaître des petites boîtes qui offrent du support technique de proximité (pour une liste non exhaustive, voir le serveur de l'Aful et http://www.europe-inside.com). Mais avec une différence de taille : là où les boîtes de support pour Windows peuvent au grand maximum vous aider à essayer de contourner les bugs de Windows, en attendant qu'un jour ou l'autre ils soient corrigés, les centres de support de Linux pourront directement corriger ces bugs, grâce à la disponibilité du code source et au support inconditionnel des auteurs de ces logiciels à travers Internet. Linux a d'ailleurs reçu le prix du magazine américain Infoworld pour la qualité de son soutien aux utilisateurs. Microsoft ne peut pas en dire autant.

L'État dispose de services informatiques très qualifiés. Alors comment expliquer les faveurs faites à Microsoft ?
Mon opinion personnelle est qu'il y a là un mélange de facteurs. D'un côté, le manque d'information est évident : les décideurs ne sont souvent pas informés des enjeux qui se cachent derrière le choix d'un traitement de texte (c'est en partie pour pallier ça que j'ai publié Piège dans le Cyberespace sur Internet), et choisissent Microsoft en croyant que ses profits ahurissants sont un gage de qualité.
De l'autre côté, je ne peux éviter de voir dans ce choix la tentative de remplacer des ingénieurs qualifiés (et donc opiniâtres et bien payés) par des simples techniciens standardisés par les cours Microsoft, moins bien payés et facilement remplaçables, tendance malheureusement pas spécifique à l'informatique.

À qui revient la responsabilité de faire de l'information auprès du ministère de l'éducation nationale et des proviseurs à propos des dangers du tout Microsoft, et des coûts futurs cachés ?
Je crois que c'est la responsabilité des scientifiques de faire le premier pas : dans notre milieu, on a tendance à attendre qu'on vienne nous demander notre opinion, mais l'expérience montre que cela se passe rarement. Donc, il faut absolument, comme pour ce qui s'est passé pour déjouer le piège de Compétence 2000 (programme de formation Microsoft, destiné à fabriquer des " Microsoft Certified Professionals ", ndlr), que les scientifiques prennent l'initiative d'alerter les Ministères quand ils le jugent nécessaire. Et que les ministres écoutent. Après Compétence 2000, j'ai récupéré un peu d'optimisme à ce sujet, mais ce n'est que le début.

Roberto Di Cosmo vient de publier un livre, Le hold-up planétaire : la face cachée de Microsoft, écrit avec Dominique Nora (du Nouvel Observateur), chez Calmann-Lévy.