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L'Oeil électrique #5 | Société / Plantage système à l’école

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Par Stéphane Corcoral.

INFORMATIQUE, ÉCOLE ET CITOYENNETÉ

Directeur de recherches à l’Institut National pour la Recherche en Informatique et Automatisme (Inria), Bernard Lang est depuis longtemps l’un des plus fervents promoteurs du développement de l’Internet en France, notamment au sein de la branche française de l’Internet Society. Il est aussi le secrétaire de l’Association Française des Utilisateurs de Linux et des Logiciels Libres (AFUL, dont fait aussi partie Roberto Di Cosmo, que nous interviewions dans notre précédent numéro).
Première avancée de taille pour l’association (et gros pied de nez à Microsoft), l’AFUL vient de signer un accord cadre avec le Ministère de l’éducation nationale, pour favoriser l’utilisation des logiciels libres à l’école. Et c’est sous ses trois casquettes de chercheur en informatique, d’enthousiaste d’un Internet à visage humain et de chantre du modèle des logiciels libres, que Bernard Lang synthétise une vision humaniste et citoyenne de l’enseignement de l’informatique à l’école... qui dépasse largement les clichés habituels (formatage des cerveaux, fabrication de consommateurs) circulant sur le sujet.

L’AFUL vient de signer un accord avec l’éducation nationale dont l’objectif est de promouvoir l’utilisation des logiciels libres dans l’éducation... Vous pensez que l’informatique doit être enseignée à l’école comme d’autres matières (mathématiques, physique, philosophie) ?
C’est incontestable. Mais pas comme c’est enseigné à l’heure actuelle. Je considère que l’informatique est une science en soi, avec sa problématique, et elle doit être enseignée en tant que telle. Bien sûr, ça dépend des niveaux. Il y a un côté scientifique dans l’informatique, mais en plus, par les concepts qu’elle met en œuvre, elle se rapproche d’autres disciplines "littéraires". Par exemple, en informatique, les notion de langage, de syntaxe et de sémantique sont très importantes. Dans l’enseignement actuel, ces concepts relèvent du français. À côté de ça, vous avez des problèmes de logiques, des questions strictement mathématiques... On peut trouver matière à discuter de nombreux concepts qui sont aussi pertinents dans d’autres domaines, et donc à éventuellement réduire la dichotomie qui existe par exemple entre les sciences et les humanités. Je trouve que c’est une situation assez extraordinaire, dont il serait vraiment dommage de ne pas profiter.

Vous pensez donc que l’enseignement de l’informatique n’est pas bien envisagé à l’heure actuelle ?
Ce qu’on enseigne à l’heure actuelle dans les lycées, c’est à utiliser un traitement de texte. Je veux bien qu’on apprenne aux gens à taper à la machine, ça peut avoir une grande utilité : se servir d’un traitement de texte ou d’un tableur, c’est bien, mais c’est comme apprendre à conduire ; ça revient à apprendre à se servir d’un outil. ça a un intérêt pratique, mais ça n’a aucun intérêt sur le plan de la formation.
Or, l’informatique, ce n’est pas qu’un outil. Elle relève d’un certain nombre de concepts qui sont intellectuellement intéressants et formateurs pour l’esprit. Bien sûr, c’est à moduler : on ne peut pas véritablement envisager d’en apprendre des tonnes au lycée par exemple. Mais c’est un petit peu dramatique de faire passer ce qu’on enseigne actuellement dans les établissements pour de l’informatique. Parce qu’il y a des choses véritablement intéressantes à enseigner en informatique.

Lesquelles ?
Par exemple, la représentation des choses, la différence entre la syntaxe et la sémantique... Quand on fait de la grammaire en français, on peut aussi montrer qu’il y a des grammaires pour les langages de programmation, avec des structures un peu différentes.
Il y a aussi des concepts mathématiques qui sous-tendent une grande partie de l’informatique, qui ont des applications dans un tas d’autres domaines, et qui pourraient facilement être enseignés au lycée. Je pense entre autres à des rudiments de théorie des automates : par exemple une machine à café est un automate. Il y a une théorie mathématique très simple, qui permet de formaliser le fonctionnement de ces choses-là, qu’on peut expliquer tout simplement au moyen de diagrammes. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a un certain nombre d’idées simples qu’on peut enseigner, et qui ont pris un rôle essentiel dans le monde actuel. Et puis tout ça revient aussi à faire saisir ce qui se passe derrière le traitement de texte ou le tableur. Parce que pour le moment, ça relève de la magie.

De manière pratique, comment ça pourrait se traduire ?
Par exemple en enseignant le traitement de texte avec un éditeur HTML. Ça permettrait de visualiser facilement comment la machine parvient à afficher ce qu’on est censé voir à l’écran (les logiciels d’édition HTML permettent généralement d’afficher le code informatique qui permet de générer la page que l’on crée, et qui est relativement simple à comprendre, ndlr). Et il est assez facile d’expliquer à quoi sert le code HTML. Et ça au moins, ça permettrait d’expliquer un petit peu ce qui se passe quand on utilise un traitement de texte. Parce qu’il n’est vraiment pas raisonnable d’enseigner des trucs "magiques".

Ce qui est intéressant, c’est que l’idéologie qui sous-tend l’utilisation des logiciels libres n’est pas si loin...
En ce sens qu’on n’est pas prisonnier de la surface. On n’est pas prisonnier des outils qui nous sont fournis par les sociétés qui dominent le marché et qui voudraient donner de l’informatique une idée totalitaire. Car ce qui fait la spécificité des logiciels libres, c’est qu’on peut accéder à ce qu’il y a "derrière".
Mais par ailleurs, l’AFUL ne préconise pas que tout le monde se mette à utiliser exclusivement Linux : plutôt que les machines aient plusieurs systèmes d’exploitation (Windows et Linux par exemple).

C’est d’ailleurs inscrit dans l’accord que vous avez signé avec l’éducation nationale.
C’est nous qui avons demandé à ce que ce soit inclus à l’accord, pour plusieurs raisons. La première est très simple : c’est que certains logiciels sont meilleurs ou moins chers sur Linux, mais que d’autres ne sont pas forcément disponibles, auquel cas il serait plus raisonnable de faire tourner Windows pour les avoir.
La deuxième raison, qui est de nature éducative et bien plus importante, c’est qu’il faut éviter toute forme de totalitarisme : il est bon que les élèves se rendent compte que pour communiquer avec une machine, il n’y a pas qu’une seule façon de procéder. Il y a plusieurs manières d’aborder le problème, d’avoir des interfaces avec la machine ; certaines ont des avantages, d’autres ont d’autres avantages, etc. Il s’agit donc de bien faire sentir que de la même façon qu’on peut communiquer avec les autres en anglais, en allemand ou en langage sourd-muet, il y a plusieurs manières de communiquer avec une machine. C’est important pour le sens critique de comprendre qu’il y a toujours des choix, que d’une manière générale, quelle que soit la solution qui vous est donnée, il y a toujours une autre solution.

Ça dépasse largement le cadre strict de l’informatique, ça.
Je pense que d’une manière générale, les élèves peuvent très facilement avoir tendance à croire à l’unicité de ce que raconte le professeur. On en est tous passés par là : le professeur enseignerait une sorte de vérité révélée, qui serait la référence absolue. On ne réalise souvent pas qu’en fait le professeur du lycée d’à côté enseigne les choses différemment. C’est pour cette raison que le fait de donner la possibilité aux élèves de rencontrer des variantes, en l’occurrence en informatique, est très important. Parce qu’il n’y a pas de cours d’esprit critique... et comme le développement de l’esprit critique doit être un des objectifs de l’école, ça doit être intégré à l’ensemble du système éducatif.

Il y a donc une opportunité assez intéressante à saisir...
Oui, parce que l’informatique pourrait jouer ce rôle de "liant" entre diverses disciplines. C’est aussi pour ça qu’il ne me semble pas nécessaire qu’il y ait des cours d’informatique dans les classes. Il suffit d’introduire des concepts et utiliser l’informatique pour illustrer un certain nombre de choses.

Mais les lycées et les écoles peuvent-ils suivre le rythme effréné des évolutions technologiques ?
Cette histoire de course technologique, c’est une intox totale. C’est comme si, quand j’étais au lycée, on nous avait donné des oscilloscopes ultra-modernes... Non, les élèves utilisent des oscilloscopes un peu vieillots, mais ça suffit pour apprendre et comprendre. Ce qui compte, c’est d’apprendre ce qui sous-tend le fonctionnement des choses. Moi, je suis chercheur en informatique depuis trente ans, je suis au beau milieu de tout ça, et je ne vois pas du tout pourquoi il faudrait suivre cette fameuse course technologique. De toute façon, à l’heure actuelle, ce sont principalement les jeux qui utilisent la puissance phénoménale des ordinateurs; et on n’envoie pas les jeunes à l’école pour les jeux. Évidemment, dans un cycle d’enseignement professionnel, où on prépare directement les gens à ce qui se fait en entreprise – dont bon nombre utilisent encore des 486 (ordinateurs considérés comme étant obsolètes) soit dit en passant – ou pour les universités, il faut sans doute des machines relativement performantes.

Ne court-on toutefois pas le risque d’un enseignement qui ne fabrique que de bons consommateurs d’informatique ?
C’est exactement ce que nous voulons éviter. C’est une question de laïcité. Pas au sens "la religion n’a rien à faire à l’école", mais plus généralement, parce que l’école est là pour enseigner et pour former, pas pour faire la publicité des uns ou des autres : pas pour faire la publicité d’une religion, pas pour faire la publicité d’une entreprise. Et pour éviter de faire de la publicité, il ne faut pas qu’il y ait unicité des solutions technologiques dans les établissements. Nous voulons donc cette pluralité pour des raisons de laïcité.

Vous mettez aussi l’accent sur la mise en réseau...
Un des rôles essentiels de l’école est la formation citoyenne. Et je pense qu’à l’heure actuelle, les réseaux en général, et l’Internet en particulier, ont pris un rôle citoyen essentiel. Par rapport aux pouvoirs existants, les citoyens sont complètement submergés par la complexité des structures politiques et économiques, dans lesquelles ils n’ont pratiquement plus rien à dire. Il y a bien les partis politiques, mais faire remonter une information dans un parti politique est pour le moins une œuvre de longue haleine. Il y a une sorte d’éloignement entre le pouvoir et les citoyens, alors que le monde devient de plus en plus complexe et que souvent, le pouvoir ne perçoit même plus la nature de certains problèmes. Il faut beaucoup de temps pour que certaines informations passent au niveau politique, et c’est d’ailleurs pour ça qu’on a créé l’AFUL.

Il y a donc quand même une progression, parce que votre action a des répercussions au niveau politique...
Et c’est là que je voulais en venir. Comment a-t-on réussi à avoir cet impact ? Aujourd’hui, l’AFUL est composée de 150-160 membres, et pour la plupart, je ne les ai jamais rencontrés. On est une association de gens qui ne nous sommes jamais rencontrés. Mais nous communiquons régulièrement et nous avons un impact constructif. Ce que je veux dire, c’est qu’il se crée à l’heure actuelle beaucoup d’activités citoyennes sur le réseau. L’Internet a été un moyen pour les citoyens de se regrouper autour d’actions communes et efficaces avec peu de ressources (ce qui est le cas pour la plupart des associations). Avec Internet, les citoyens ont de nouveau un pouvoir d’organisation, de discussion, de proposition, et ils peuvent se structurer à grande échelle, avec des moyens légers. Ils peuvent avoir une action citoyenne qui soit à l’échelle de leur pays ou même de planète. Et dans un contexte de mondialisation, où les entreprises ont un pouvoir international, il est essentiel que d’autres structures internationales se créent pour leur faire contrepoids. Parce que ce n’est quand même pas la finalité de l’humanité ! Qu’elles soient là pour faire fonctionner le système économique, c’est très bien. Mais enfin, il ne faut pas que l’ensemble du système n’existe que pour le bien-être des entreprises. Moi, il me semble que les hommes passent d’abord. C’est peut-être un peu ringard d’avoir ce type de vision humaniste, mais il faut être sérieux : si on veut développer l’économie, c’est pas simplement pour pouvoir présenter de beaux bilans !

Et vous pensez vraiment que l’Internet peut permettre à des contrepoids réels de se constituer ?
Pour vous donner un exemple récent, regardez ce qui s’est passé avec l’AMI. L’information a circulé par Internet, et le rapport qu’ils essayaient de tenir secret, et qui ôtait tout pouvoir à la représentation élective, a aussi été diffusé grâce à l’Internet. C’est de cette manière que les gens se sont regroupés et ont manifesté leur opposition, en se structurant très vite.
Ce que je veux dire aussi, c’est que l’Internet est un espace où on apprend à communiquer avec les autres, à être tolérant, à s’associer avec des gens, à échanger et promouvoir des idées. Ça sera la base pour l’intervention des citoyens dans la vie de la cité au 21ème siècle. Et donc, il faut que les futurs citoyens apprennent à s’y exprimer.
Mais l’Internet a d’autres avantages : c’est une source d’information proactive : on va chercher l’information, on n’attend pas de la recevoir. Mais on apprend aussi à avoir l’esprit critique, parce qu’on sait que l’information peut être inexacte ; ce qui est moins le cas avec les journaux par exemple, qu’on croit toujours sur parole, alors qu’il faudrait être tout aussi critique à leur égard, sans prendre ce qu’ils disent pour argent comptant. L’avantage de l’Internet, c’est qu’on développe son esprit critique, parce qu’on sait a priori que ce n’est pas fiable. Et ça, c’est très sain pour les citoyens de demain.

Un petit tour sur Internet pour en savoir plus sur les logiciels libres :

http://www.monde-diplomatique.fr/md/1998/01/LANG/9761.html : "Des logiciels libres à la disposition de tous",un article de Bernard Lang, paru dans le Monde Diplomatique de janvier 1998

http://www.aful.org : le site de l’AFUL

http://www.mmedium.com : "L’économie du logiciel libre", un très bon article de Jean-Paul Smets-Solanes sur le modèle économique du logiciel libre