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L'Oeil électrique #6 | Société / Je t’aime, je te protège, je te tue

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SOCIÉTÉ / JE T’AIME, JE TE PROTèGE, JE TE TUE .

La chasse m'énerve. Chaque année c'est pareil, et je n'arrive toujours pas à comprendre ce qui motive certaines personnes pour tuer un animal avec plaisir. Depuis l'émergence de l'écologie dans les années 70, la chasse serait écologique. Les chasseurs, des gens de terrain qui connaissent bien la nature et font tout pour sa protection ? Au lieu de rager tout seul dans mon coin, je suis allé voir des gens compétents dans le domaine de la protection de la nature et dans sa compréhension, pour étudier cette hypothèse et, comme on dit, affiner mon jugement somme toute très partial.

D'abord, ce que j'en pense...
De toutes les atteintes faites à la nature, la chasse est l'une des plus décriées, car elle joue directement avec la mort. De fait, le sujet laisse rarement indifférent, de par l'ambiguïté de l'association plaisir/mort. Mais comme pour le système économique néolibéral et son traitement médiatique consensuel, où on évite le fond du problème, c'est sous l'aspect de la gestion de la faune que le thème est généralement abordé. La chasse, comme tout produit, doit bénéficier d'une image positive en phase avec l'époque. Ainsi, après la chasse-tradition, refuge des valeurs du terroir et de la campagne (avec la création d'un parti chasse-pêche-nature et traditions à la fin des années 80), c'est maintenant la chasse-gestion de la nature qui sert de leitmotiv... Cependant, voici quelques exemples récents qui illustrent ce que ce nouveau type d'écologistes protègent surtout : le droit de tuer, toujours plus, ainsi que quelques contre-arguments à leur théorie de gestion des surpopulations animales.

L'exemple des oiseaux migrateurs
Depuis Juillet 1998, pas mal de records sont entre les mains de la France. Entre autres, la coupe du monde de football, ultra-méga-médiatisée, qui nous permet de nous lever chaque matin un peu plus heureux et fiers, ainsi que le record de l'Union Européenne pour la durée de la chasse des oiseaux migrateurs : 7 mois et demi, largement moins médiatisé, celui-là. Et pour cause : le parlement, en votant l'allongement de cette période de chasse, a mis la France en infraction vis-à-vis de l'Europe. Au début des années soixante-dix en effet, le vote d'une directive européenne décidait que la chasse aux oiseaux migrateurs ne devait pas commencer tant que des petits étaient encore dépendants des adultes (à la fin septembre), et qu'elle devait se fermer lorsqu'ils reviennent de migration (dès janvier pour certains), ce qui laisse environ 4 mois. Cette directive fut votée par les ministres de pays concernés, et non pas par des technocrates Bruxellois comme l'imagerie populaire le laisse souvent penser. La directive était appliquée avec plus ou moins de tolérance selon les pays.
Or, l'année dernière, une loi d'extension des périodes de chasse a été votée au parlement le 19 juin. Le président Chirac, chef de l'exécutif, s'est empressé de la promulguer dès le 3 juillet, afin qu'elle se mette en place le même mois : le 15 Juillet 1998, la chasse était ouverte. Dès lors, chaque journée d'infraction risque d'entraîner de 400 000 à 700 000 francs de pénalité européenne, payable par l'ensemble des Français, alors que 97 % d'entre nous sommes non chasseurs. Lors de son passage au parlement, après l'adoption par le très conservateur Sénat, cette loi dut aller à l'assemblée. Les chasseurs ont craint que la majorité plurielle vote contre cette loi, car on compte des députés Verts en son sein. C'est la raison de leur manifestation en fanfare du 14 février 1998, où les nouveaux gestionnaires de la nature défendaient une loi extrêmement néfaste aux animaux. Mais Jospin ne donna pas de consigne de vote, et les socialistes et les communistes se sont dégonflés. Seuls les écolos ont voté contre.

Le lobby
Pourquoi se sont-ils dégonflés ? Pourquoi ont-ils voté cette loi réclamée par les chasseurs et qui va totalement à l'encontre la protection de la nature ?
En fait de protection, d'autres facteurs interviennent dans cette décision. Quelques ministres sont eux-mêmes chasseurs. Et la pression directe de certains chasseurs existe réellement. Mais la chasse est avant tout un lobby financier qui génère beaucoup d'emplois. Les fédérations de chasse sont des organismes très riches, chaque chasseur leur versant tous les ans des cotisations importantes, de l'ordre de 300 francs pour l'obtention d'un permis de chasse annuel. Ce qui a permis, entre autres, de financer des bus venant de la France entière lors de cette manifestation du 14 février. Pas étonnant dès lors que les chasseurs se soient déplacés en masse ! A l'opposé, respecter la nature est un acte finalement " passif ", qui ne nécessite pas forcément l'adhésion à une association de protection de la nature (lesquelles demandent en général des cotisations minimes). Par conséquent, ces associations ne représentent pas l'ensemble des Français naturalistes et écologistes, et leur poids est donc moindre.

La gestion de la nature
Si les chasseurs sont actuellement considérés comme des gestionnaires régulateurs des populations animales, c'est bien malgré eux-mêmes ; c'est en fait surtout dû au mauvais traitement que subit la nature. Lorsqu'elle n'est pas déséquilibrée, la nature se gère toute seule, elle n'a absolument pas besoin que l'Homme vienne la gérer. Rappelons-nous quand même que c'est la nature qui a créé l'Homme, et pas l'inverse. Elle a très bien existé sans nous, merci. Cette gestion naturelle de l'environnement est celle des chaînes alimentaires. Mais les superprédateurs (loups, ours, lynx, aigles...) ont été exterminés... par les chasseurs ! Et actuellement encore, les rares prédateurs existants, à savoir les renards et autres fouines, sont piégés ou exterminés par battue sous prétexte de rage, alors qu'on les extermine aussi dans l'ouest de la France où la rage n'est pas présente... Et dans l'est, les destructions n'ont rien changé à l'épidémie. Le fait est que ces animaux sont directement concurrents des chasseurs : ils se nourrissent eux aussi de lapins et d'oiseaux2.
De même, la multiplication récente des sangliers est une des nombreuses conséquences néfastes de la production intensive du maïs. Les champs en lisière de forêt leur ont permis de s'en nourrir allègrement et d'augmenter le nombre de petits. Idem pour les Cervidés (chevreuil, cerf) : la gestion productiviste des forêts par l'ONF3 l'amène à planter plus de conifères que de feuillus (qui mettent bien plus longtemps à pousser). Les aiguilles de ces arbres acidifient le sol dans beaucoup de régions, et le rendent stérile. Du coup, les cervidés ne trouvent plus leur nourriture au sol. Ils doivent se concentrer sur des parcelles de feuillus, et font des dégâts sur les jeunes pousses. Mais l'attitude la plus absurde des chasseurs est celle des lâchers d'animaux d'élevage dans la nature, qui sont complètement en antithèse avec la notion même de gestion et de régulation de la faune sauvage. Ainsi, des faisans et autres cailles sont élevés en poulailler et lâchés la veille de l'ouverture de la chasse. Le lendemain, affamés car incapables de se nourrir par eux-même, ils se précipitent vers les chasseurs qui les ont élevés, et se font abattre à bout portant ! Si ce n'est pas uniquement le plaisir de tuer qui dicte ces actions... Et puis, libérer des animaux dans la nature ne va pas véritablement dans le sens d'une limitation de la surpopulation... Ainsi, les déséquilibres qui existent aujourd'hui dans les populations animales ont été créés par l'Homme et pour l'Homme : y remédier par la destruction massive d'animaux n'est en rien une solution et ne fait que repousser un problème auquel on pourrait trouver d'autres réponses. Cependant, pour laisser à un minimum de gens le plaisir de donner la mort, elles ne sont pas mises en place, et les promeneurs du dimanche en ont sans doute encore pour longtemps à craindre les coups de fusil.

Perspectives
II serait étonnant de voir les chasseurs avouer un jour que tuer est pour eux un plaisir. Mais l'amour de la nature qu'ils revendiquent tant pourrait les pousser à échanger leur fusil contre une paire de jumelles ou un appareil photo. Quant à la gestion de l'environnement, il faudrait que le ministère du même nom ait un réel pouvoir, et que la nature ne soit plus perçue comme une chose à rentabiliser, mais comme une chose à laquelle nous devons tout et en premier lieu le respect. Cependant, un fait positif est à noter : le nombre des chasseurs est en train de diminuer. Ils étaient 2,5 millions en 1976, ils ne sont plus que 1,5 millions actuellement. Par ailleurs, la ministre de l'environnement connaît bien le sujet, y étant farouchement opposée. On peut donc espérer que grâce à elle, le contexte sera de plus en plus défavorable aux chasseurs, et que de véritables solutions de fond seront envisagées pour la cynégétique4.

Voilà pour moi. Cependant, pour nuancer mon propos, je suis allé à la rencontre d'un spécialiste des écosystèmes, Paul Tréhen, chercheur à l'Université de Rennes I, qui a une vision différente de la gestion de la nature. Pour lui, elle est obligatoire, et la chasse en est un moyen parmi d'autres, même s'il n'est pas le meilleur.

1. Pour les autres pays de l'UE, cette durée varie de 4 à 6 mois.
2. à la différence près que les prédateurs ne se nourrissent que d'animaux faibles ou malades, ce qui est favorable aux populations de proies restantes, en réduisant le nombre de maladies et d'épidémies, alors que les chasseurs tirent n'importe quel animal, faible ou non.
3. Office National des Forêts, financé à 9% par les fédérations de chasse.
4. C'est le nom sérieux pour gestion de la faune, que j'aurais dû utiliser plus souvent, ça m'aurait évité les répétitions.



Paul Tréhen
directeur du laboratoire Fonctionnement des écosystèmes à l'Université Rennes I

Est-ce que la gestion de la faune est nécessaire actuellement dans la nature ?
Complètement nécessaire : non seulement en France, mais dans le monde entier. Regardez les éléphants en Afrique. On pourrait penser que dans un milieu tel que l'Afrique, avec toutes les surfaces présentes, il n'y a pas besoin de gérer la faune, que le milieu naturel s'en occupe. Or on se rend compte que l'explosion démographique de l'humanité, avec une population qui double actuellement tous les 40 ans, entraîne des conséquences irréversibles sur la faune. L'évolution démographique, l'évolution de nos technologies, l'urbanisation, le développement de l'agriculture, la création de barrages, etc., ont des conséquences sur la biologie des populations animales et végétales. La question de la gestion de populations animales est très importante : il s'agit de maintenir des populations animales dans un écosystème compte tenu de la présence de l'Homme. Des réserves, des parcs nationaux ont été créés, et on se rend bien compte qu'actuellement ils ne suffisent plus : on a des pullulations d'espèces, par exemple en France les bouquetins, les mouflons, les isards, les chamois. Il faut donc trouver un moyen de les gérer.

Les chasseurs sont-ils aptes à pratiquer cette gestion ?
Je ne mets pas en doute les capacités des hommes, chasseurs ou pas : nous sommes capables de gérer la nature. Si les chasseurs se placent à un niveau suffisamment élevé, bien sûr qu'ils sont capables de gérer la faune.

Mais n'y a-t-il pas d'autres solutions que la chasse ?
On parle de chasseurs ou de chasse ? Dans certains cas, la chasse peut être un moyen de contrôle, lors de pullulations d'animaux, mais absolument pas de façon continue, permanente et généralisable. Quand je dis que les chasseurs sont aptes à opérer un contrôle, ce n'est pas forcément par la chasse. La plupart du temps, la gestion des populations se fera par un contrôle des habitats. Si les chasseurs se mettent dans la gestion des habitats, ils auront une action bénéfique sur le contrôle des populations. Il y a un très bon exemple en Ecosse : on trouve là-bas un lagopède (une sorte de coq sauvage) nommé Grouse, qui vit sur les landes. Avant le pétrole, c'était une source de revenu importante pour l'Ecosse. Dans certains endroits, on a pratiqué des coupes, des brûlis, favorables au développement de jeunes pousses et aux insectes dont se nourrissent les jeunes Grouses. Puis, en laissant la végétation un peu plus haute dans d'autres lieux, on favorisait des aires de nidification pour des couples reproducteurs. Il en est exactement de même pour tous les organismes. Quand on connaît bien leur reproduction, le déterminisme de leur déplacement, il faut aménager l'espace pour permettre à ces populations de se développer de manière équilibrée. À un moment donné, s'il y a trop d'adultes, la chasse peut faire un prélèvement, de manière à maintenir la population dans un état qui soit correct. Ce prélèvement stipule quoi ? L'absence de grands prédateurs. S'il y avait des loups en Bretagne, vous pensez bien qu'ils se payeraient quelques chevreuils !

Justement, est-il possible d'utiliser d'autres méthodes que l'abattage des adultes, comme la réintroduction de superprédateurs, tel le loup ?
Je ne vais pas répondre a priori sur cette question-là. Tout comme il faut aménager les habitats permettant aux chevreuils de se développer de manière équilibrée dans ces habitats, il va falloir imaginer pour le loup un habitat qui soit compatible avec son comportement. On ne va pas introduire le loup puis ensuite se demander si l'habitat est compatible avec sa présence. Il faudrait se poser la question à l'inverse : est-ce qu'il existe actuellement en France des zones où se trouve l'habitat potentiel du loup. Parce qu'un loup peut faire une centaine de kilomètres par nuit, et il a besoin de faire ces déplacements énormes. C'est possible dans le grand nord de l'Europe, dans les régions proches du cercle polaire arctique, en Estonie, au Canada. Ici, j'ai quelques doutes à ce sujet. Je trouve même qu'il y a quelque chose d'artificiel dans la réintroduction de l'ours dans les Pyrénées. Expliquez-moi la part de l'argent et la part de la protection de la nature dans ce cas ?

La publicité faite à la région ?
Bien sûr, bien sûr... Je n'ai rien contre car ça a été une opération scientifique au départ, je suis un peu plus gêné par l'exploitation commerciale qui en est faite.

Le nombre de chasseurs est actuellement en diminution. Que se passera-t-il, au niveau de la gestion, quand il n'y en aura plus ?
Mais il ne va rien se passer ! L'homme est capable de former suffisamment bien des gens pour leur apprendre à gérer les populations animales. Nous, c'est ce que nous essayons de faire ici. Et il faudra créer des emplois pour gérer notre espace. Il faut d'abord commencer par voir un ensemble qui est constitué par un milieu, puis la faune et la flore qui vivent dans ce milieu, et il faut gérer dans son ensemble ce système écologique. Il faut former des gens qui aient la maîtrise de ces systèmes.