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L'Oeil électrique #6 | Société / Théodore Monod

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Par Arno Guillou.
Photos : Arno Guillou.

Scientifique, humaniste, écrivain, voyageur, il contemple le monde du haut de ses 96 printemps. Engagé dans tous les combats contre les atteintes faites à la nature, contre le nucléaire, contre la chasse (il est président du Rassemblement des Opposants à la Chasse), contre la guerre, en un mot il défend la vie. Pour lui, la chasse est un symbole, celui de la destruction sans raison.

Pourquoi êtes-vous engagé contre la chasse ?
J'ai suivi l'enseignement d'Albert Schweitzer (1) : " le respect de la vie ". Il a raconté ça dans un récit. Il était parti de Lambaréné pour aller soigner une personne le long du fleuve Ogoové au Gabon, et le soir du troisième jour, il rencontre un troupeau d'hippopotames, qui s'ébattaient visiblement. Une idée lui vient ; il écrit alors dans son carnet : " respect de la vie ". Et il ajoute : " Cette maxime pourrait servir d'enseignement pour une nouvelle morale ". Il écrivait en français mais pensait en allemand. Le mot " respect ", en français, n'a plus aucun sens actuellement. On dit par exemple : " Je respecte un passage clouté. " Bien sûr... Il a dû dire " ehrfurcht vor dem leben ". Ça veut dire " révérence devant la vie ", quelle qu'elle soit. Même la plus humble. Même la vie végétale, d'ailleurs. La vie dans son ensemble.

Vous êtes protestant. Vos convictions chrétiennes sont-elles pour quelque chose dans votre engagement ?
Non. Dans le christianisme, il n'y a rien contre la chasse. Il n'y a rien en faveur des animaux. J'ai cherché, j'ai fait un mémoire qui s'appelle l'animal devant la morale et la pensée chrétienne. Dans la Bible, il n'y a que des maximes de bon usage : " Tu ne muselleras pas le bœuf qui foule le grain ". Oui, bof... Jamais un éleveur n'a intérêt à être brutal avec un animal ! Il y a aussi une maxime curieuse : " Quand tu déniches un oiseau, prends le petit mais respecte la mère ". Ce n'est pas du tout par pitié pour la mère ! C'est dans l'espoir d'avoir un mois après une nouvelle couvée. Je n'ai trouvé dans toute la Bible que deux versets qui aient une valeur philosophique quant à l'attitude de l'homme vis-à-vis de l'animal. L'un est dans un livre étonnant que nous appelons l'Ecclésiate (Je me demande d'ailleurs comment il est rentré dans le canon biblique) : " Qui oserait dire que l'esprit de l'homme monte et celui de l'animal descend ? ". C'est un problème intéressant et une des rares mentions de l'animal.

La Bible ne reconnaît pas d'âme aux animaux ?
Non, non... Les Eglises n'ont dit que des bêtises dans ce domaine-là... Tout ce qui tend à rétrécir le gouffre qu'elles ont voulu creuser entre l'homme et les autres animaux, ça les gêne... Il paraît que nous sommes les rois de la création. Il n'y a pas de quoi être fier... Les rois de la création... Hélas... (soupir)... Je crois que la poudre à canon a été la malédiction du genre humain. Et à travers le genre humain, des autres animaux... Hélas... Imaginez un pays sans armes à feu. Mais tout serait différent !

Mais il y avait d'autres armes, avant...
Bien sûr, il y avait d'autres moyens de destruction : des armes en silex, en grès, en obsidienne, etc. Oui, c'est vrai... Ça veut dire que l'être humain est né dans la barbarie et ne cherche pas à en sortir... Il aime ça. Il aime la guerre, il continue à aimer la guerre. C'est incroyable. Il devrait réfléchir... Mais non. Il aime la violence. Tant pis pour lui. Ça finira mal d'ailleurs... Après tout, la nature existait bien avant l'homme, elle peut très bien exister sans lui, et les animaux ne se plaindraient pas de la disparition de leur bourreau, en tout cas. L'homme se place en dominateur sur les autres animaux ? Regardez les dinosaures : ils dominaient le monde terrestre, à une époque. Eh bien, ils ont disparu et les animaux qui sont restés ne s'en sont pas portés plus mal ! Oui, je suis très pessimiste sur l'avenir de l'homme...

De quand date votre engagement ?
De toujours... de toujours.

Suite à un événement ?
Non, non. De la constatation que la vie était représentée à la fois par les hommes et les autres animaux, tous ayant droit à notre respect et à notre sympathie. D'ailleurs, je ne mange pas de viande. Mais ce n'est pas la mort qui m'effraie. C'est la façon de la donner, le meurtre. Il y a deux raisons pour lesquelles j'avais adopté le régime totalement végétarien. C'était l'époque où je faisais au Sahara ce que j'appelle des expéditions au long cours, il y a une cinquantaine d'années. Le long cours, c'est plus de cinq cent kilomètres sans point d'eau. J'avais trouvé un puits après une marche de 27 jours. 11 fallait se rationner : 9 petits verres de thé par 24 heures, mais rien entre l'aurore et l'après-midi. Bref, je voulais prouver que pour l'exécution de ces grandes randonnées, qui demandaient un effort physique et psychologique considérable, on pouvait faire ce genre d'effort sans manger de viande, parce que le préjugé français, c'est qu'un homme qui ne mange pas de viande, ni ne bois d'alcool n'est pas un homme. Je voulais prouver le contraire. La deuxième raison est que certains modes d'abattage me faisaient horreur, quand j'étais en Afrique, regorgement à vif, au couteau... Ils ne veulent pas insensibiliser les animaux, ni les étourdir, même. Je ne comprends pas qu'ils continuent à tenir à ces vieux rites, qui datent de si loin. Enfin, tout ça m'a décidé à me priver de toute nourriture carnée ; élever des animaux pour pouvoir les tuer ne me paraît pas non plus une bonne formule. Il y a un mouvement de libération animale dans le monde anglo-saxon, en ce moment... On rêve déjà d'une civilisation qui n'aurait pas besoin de tuer les animaux.

Est-ce que les autres peuples que vous avez rencontrés prennent plaisir à tuer, lors de chasses ?
Oui.

Même quand c'est nécessaire pour leur survie ?
Oui. Au Sahara, où je suis allé souvent, ce n'est pas une nécessité, par exemple. C'est agréable pour eux car ils aiment bien manger de la viande fraîche, des gazelles, des antilopes, des autruches... II n'y a plus, d'ailleurs, de grands animaux, là-bas. Mais il y a des peuples qui demandent pardon à l'animal avant de le tuer. C'est le cas avec les Ours, dans une île au nord du Japon. Il y a un certain respect... C'est très touchant...

En France, les chasseurs disent aussi qu'ils respectent la nature...
Ah, oui, pour pouvoir flinguer encore plus de gibier ! Savez-vous combien il y a d'espèces chassables en France ? Ça tourne autour de 90 ! Alors qu'en Belgique, il y en a 18, en Grande Bretagne 13, en Hollande 6. Voilà un pays civilisé. C'est encore 6 de trop, mais c'est mieux que 90. La France est la lanterne rouge. L'installation des parcs nationaux révèle le même état d'esprit : aux Etats-Unis, le parc de Yellowstone date du milieu du XIXe siècle. En France, le parc de la Vanoise date de 1963 et ça n'a pas été facile de le mettre en place.

Ça vient de quoi ?
L'absence de réflexion... Que les hommes préhistoriques aient eu besoin de tuer des animaux, c'est évident. Actuellement, les esquimaux tuent des phoques, les bushmens des girafes, c'est nécessaire pour eux. Ils n'ont pas le choix. Mais ailleurs, c'est totalement anachronique. On ne chasse plus ici ni pour se défendre, ni pour se nourrir. On chasse pour s'amuser... Il y a des gens qui trouvent amusant de tuer des animaux...
Les chasseurs prétendent qu'ils sont gestionnaires de la nature... Qu'ils sont les seuls gestionnaires, même... (rires). Non, sérieusement, il y a quelque chose d'intéressant depuis quelques temps : les gardes-chasse ont acquis leur indépendance vis-à-vis des chasseurs (ils vont désormais être rémunérés par l'état). Avant ils étaient rémunérés par les chasseurs. Maintenant ils peuvent gérer la nature indépendamment, dans l'optique de la protéger.

Sans les chasseurs, y aurait-il des surpopulations de certains animaux, et à l'inverse, pas assez d'autres...
Il n'y aurait surtout pas assez de gibier, oui ! D'où l'élevage de gibier de chasse. Si on parvenait à éliminer l'élevage de gibier, ça diminuerait énormément le nombre de chasseurs en France. Pour ce qui est des dégâts causés par certains animaux aux cultures, à la végétation, il existe des méthodes de dissuasion, non violentes d'ailleurs... Et si on est forcé de supprimer un animal, pourquoi ne pas faire appel à des tireurs d'élite, formés, avec fusil à lunette, etc.

Les scientifiques ont-ils du pouvoir face à la chasse ?
Ah, non... Non... Ce sont les députés qui ont du pouvoir. Et tous les partis politiques, sauf les Verts, défendent la chasse ! Alors que les chasseurs sont si peu nombreux ! Mais ils crient plus fort que les autres... Et ils ont de l'argent.

Leur nombre diminue, pourtant...
Pas de beaucoup, mais quand même régulièrement chaque année. Mais les politiques continuent à céder à leurs pressions. Je dois ajouter que la chasse dans ces milieux a un rôle social : on signe un contrat, puis on va faire une partie de chasse, en Sologne, par exemple...

Est-ce que la diminution du nombre des chasseurs vient du fait que les gens ont plus de connaissances sur la nature ?
Bof... Ce n'est pas une question de connaissances ou d'information... Ça ne demande pas des connaissances bien complexes ! Il suffit de réfléchir un peu...

(1) Albert Schweitzer (1875-1965). philosophe, médecin et humaniste
-LE docteur Schweitzer- créateur de l'Hôpital de la forêt vierge en 1913 au Gabon, (nrdl)

Si le personnage Théodore Monod vous intéresse, que vous voulez en savoir plus sur lui une biographie très richement illustrée est sortie fin 1998: Une vie de Saharien, aux éditions Vents de sable. Théodore Monod a par ailleurs publié plusieurs livres aux éditions Actes Sud.