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L'Oeil électrique #6 | Voyage / A vélo au Viêt-Nam

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Par Katell Chantreau.
Photos : Katell Chantreau.

J'étais déjà partie au Viêt-nam avec un groupe d'étudiants, en 1996, dans le cadre d'un chantier humanitaire. Pour ce second séjour, écoutant mon désir de rencontres, d'aventures et d'autonomie, j'ai choisi de partir seule. J'avais envie de me frotter à l'inconnu, de tester mes réactions face à des attitudes et des normes culturelles radicalement différentes des miennes. Deux moyens pour ce faire : un périple à vélo de 1300 km pour rejoindre Huê depuis Hanoi le premier mois, et ensuite, la mise en place d'un espace francophone dans une école de la périphérie de Huê. Depuis longtemps déjà, j'avais remisé au placard les clichés sur les merveilles de la péninsule indochinoise ou sur le Viêt-nam à feu et à sang sous les bombes américaines et vietcong, mais toucherais-je ne serait-ce qu'un instant l'essence du Viêt-nam contemporain ?

Le 17 juillet, après 15 heures de vol et un bond oriental de 12 000 km, je débarque à Hanoi, la capitale nordiste du Viêt-nam réunifié. Cinq jours passés à Hanoi le temps de m'acclimater au pays, de faire un peu de tourisme, et surtout de prendre le rythme, c'est-à-dire de prendre le temps de savourer l'énergie vietnamienne. Ça peut paraître un peu contradictoire, et pourtant, c'est ça qui est fascinant. Tu te poses sur un bout de trottoir, tu humes l'air, tu ouvres grand les mirettes et là, tu peux goûter à toute heure le spectacle de la vie du pays. Un défilé permanent, partout ! Ici c'est un vélo sur lequel deux amis, l'un assis sur la selle, l'autre sur le porte-bagages, pédalent d'un même effort ; ici c'est un groupe d'enfants qui jouent aux élastiques en criant joyeusement ; là c'est une femme portant son lourd balancier rempli de bananes vertes (les meilleures) ; là c'est un vieux qui, sur le trottoir, répare une pièce métallique ; là encore c'est une famille de cinq personnes qui passent, plus que serrées sur le siège unique de leur Honda.
Très rapidement, tu es rejointe par un vietnamien venu faire la causette pour le plaisir de rencontrer une étrangère. J'avais ainsi discuté avec un jeune conducteur de cyclo qui m'avait donné ma première leçon pratique de vietnamien (je n'y comprenais rien malgré six mois d'initiation en France). On s'était pourtant bien marré, on avait échangé nos adresses. Quelle surprise lorsque, trois mois plus tard, de retour à Hanoi pour prendre mon avion, j'entends " Katell, Katell " alors que je marche dans la rue, c'était mon ami du mois de juillet ! Je crois bien que c'est ça l'important quand on voyage au Viêt-nam : il faut prendre le temps de se poser, d'aspirer des yeux l'énergie ambiante, saisir les opportunités de rencontres, apprendre à transformer une relation marchande en franche rigolade... quitte à ne pas aller visiter le morbide mausolée Hô Chi Minh ou le paisible Temple de la Littérature. Au centre de Hanoi, le lac Hoan Kiem, dit Lac de l'Épée Restituée, reste cependant incontournable car il réunit la fraîcheur, le calme (même si la route n'est pas loin), les lumières somptueuses et la vie, toujours la vie, entre les joueurs de Dames très entourés, les petits vendeurs de cartes postales, les adeptes du badminton et autres sportifs...

Rapidement, je me suis mise à la recherche d'un vélo qui, tout en me permettant de me fondre dans la masse des cyclistes, ne céderait pas à l'usure et serait victorieux de tous les cols, routes caillouteuses et autres embûches. Évidemment, malgré chapeau et foulard, je n'ai pu duper personne. Mais mon superbe destrier, un pur vélo vietnamien d'inspiration Peugeot, est arrivé au bout, y gagnant même en caractère avec les quelques bosses certifiant de son vécu téméraire.
Et puis, le vélo rodé, il a fallu mettre les bouts. Mon ballot installé sur mon porte-bagages, j'ai quitté Hanoi un petit matin. À peine 15 km parcourus et je me retrouvai dans un autre monde : toujours beaucoup d'animation dehors, mais, au-delà des habitations bordant la route, des rizières à perte de vue avec, ça et là, des tombes bouddhiques et des monuments aux morts frappés de l'étoile communiste. Et ce vert ! Comment c'est Dieu possible un vert pareil, si lumineux, si flamboyant, presque artificiel ? Tout au long de la route, l'habitat ne cesse jamais complètement : il y a toujours une pauvre baraque, l'atelier d'un réparateur de vélo, un bouiboui vendant trois paquets de cigarettes et deux bouteilles de coca... On n'est jamais seul très longtemps, il y a toujours un enfant ou une grand-mère qui traîne. Et si cette présence permanente est parfois pesante, du moins a-t-elle le mérite de rassurer le voyageur solitaire aussi bien garçon que fille. Contrairement à certains qui évoquent des garçons mal intentionnés, des bandes de voleurs sévissant dans les campagnes, je pense que le Viêt-nam est un pays profondément sûr et que l'on peut y voyager seul(e) sans aucun danger. Dire qu'il n'y a pas de violence serait certainement exagéré, mais il est vrai qu'elle ne s'exprime que très rarement physiquement. Les gens peuvent s'engueuler très fort, crier dans la rue, rouges de colère, mais de là à en venir aux mains, il y a du chemin !

La question de la sécurité réglée, restait le problème de l'hébergement. Quel serait l'accueil dans les campagnes, là où il n'y a pas un hôtel à 80 km à la ronde ? Les Vietnamiens sont réputés pour leur hospitalité, mais une loi leur interdit de loger des étrangers chez eux, sauf autorisation des autorités. À Hanoi, j'avais déjà fait connaissance avec cette loi à mes dépens. À ma grande joie, elle n'est guère appliquée dans les campagnes, et tous les soirs j'ai été merveilleusement accueillie dans les familles.
Le premier soir cependant, alors que j'avais rencontré une jeune étudiante m'ayant invitée chez elle, la police de la ville a refusé de donner l'autorisation d'hébergement. J'ai donc dû dormir à l'hôtel après avoir tout de même négocié le prix de la chambre avec les autorités. Un autre soir encore, vers 22 heures, j'ai été tirée de mon sommeil pour présenter mes papiers. Complètement dans le coltard, j'ai dû trinquer avec les policiers et répondre à leurs questions rigolardes sur mon voyage et ma situation familiale. Discutant de ce contrôle et de son opportunité avec des Vietnamiens, j'ai été surprise de m'entendre répéter que cette loi avait lieu d'être car elle assurait la sécurité et la santé des étrangers. J'avais envie de répondre que le voyageur était à même de décider ce qui était bon pour sa sécurité et sa santé, mais mon niveau de vietnamien était largement insuffisant.

Mais dans l'ensemble, dans les campagnes, il n'y a pas de problème pour dormir chez les gens et tu es accueilli comme un prince. C'est la fête ! Une étrangère à vélo qui débarque ! Alors on tue un poulet pour fêter l'événement, on achète de la bière et des sodas et on prépare un bon repas. Le soir à la veillée, c'est le défilé. Soit les amis de la famille sont invités à boire un coup, soit c'est une invitation en bloc de tout le village pour voir l'étrangère. Dans les campagnes les plus pauvres, j'ai halluciné sur ma force d'attraction et les squats qu'elle provoquait. Incroyable... jusqu'à cinquante personnes dans une pièce de vingt mètres carrés, essentiellement des femmes et des enfants, et puis des rires, de la volubilité et de la curiosité à revendre. Des moments de rencontres très forts ! Là où ça devient moins drôle, c'est lorsque t'as parcouru 80 km dans la journée, que t'es crevée et que t'as l'impression d'être une bête curieuse car tous les visages sont tournés vers toi, les bouches t'interrogent, toujours les mêmes questions, les mains te touchent... et toi tu n'aspires qu'à dormir ! Alors tu te dis : " Demain soir, je dors à l'hôtel ".

Une bonne nuit de sommeil, tu retrouves la sérénité et c'est le cœur serré que tu quittes tes hôtes et reprends la route. Avec les lumières d'après la pluie, les lumières du petit matin sont celles qui m'ont le plus émue. Baignant dans une brume claire et douce, les couleurs se cherchent. En se dirigeant vers l'Ouest, ajouté au vert des rizières et au rouge de la route, on a toujours les montagnes violettes se dessinant sur le ciel azur. Dans ce décor d'éternité, très tôt les acteurs entrent en scène et le spectacle commence. Il y a d'abord l'incessante circulation des deux roues, entre les femmes allant au marché, les enfants se rendant à l'école (les écoles ne ferment jamais vraiment au Viêt-nam, même pendant les vacances il y a des cours de rattrapage ou de perfectionnement), les transporteurs chargés de toutes les marchandises possibles et imaginables... Il y a aussi les dos courbés des paysans travaillant aux champs, les enfants qui gardent les buffles ou courent après les poules. Enfin tous les ouvriers qui travaillent à la construction ou à la réfection des routes. Un travail de titan... souvent j'ai pensé à la chanson d'Higelin, Casser des cailloux à Cayenne. J'ai été surprise du nombre de femmes travaillant sur ces chantiers : cette marque de l'égalité homme/femme prônée par le gouvernement communiste était-elle réellement un progrès pour elles ?
Et si ce spectacle ne suffit pas et que t'as envie de causer un brin, il ne te reste plus qu'à faire une petite course cycliste. Tu dépasses un vélo (ça n'est pas bien difficile, les Vietnamiens roulent lentement mais sûrement), puis tu ralentis jusqu'à ce qu'il te rattrape, tu souris et tu le dépasses à nouveau et ainsi de suite jusqu'à ce que la conversation s'engage. Il arrive aussi que, repéré comme étranger, tu sois apostrophé en anglais ou en français par un étudiant en vacances ravi de l'aubaine. Partout, dans les villes comme dans les campagnes, j'ai pu constater le désir des Vietnamiens de rencontrer des étrangers et de communiquer : répétant dix fois la même phrase, l'écrivant, cherchant dans mon dictionnaire bilingue les mots que je ne comprenais pas... Ce désir était parfois tellement marqué que je me sentais agressée, comme cet après-midi à Phat Diem (ville à 150 km au sud de Hanoi célèbre pour sa cathédrale d'architecture sino-vietnamienne) où, assise à l'ombre d'un palmier j'essayais de faire la sieste et j'étais sans cesse sollicitée par des étudiants pour discuter. De même, pas de tranquillité possible lorsque tu t'assois dans un café de campagne pour boire un coup. Tout de suite, on vient te parler. Cette remarque ne vaut pas pour les grandes villes touristiques, car la présence d'étrangers y est beaucoup plus ordinaire. Mais même là, les personnes seules attirent les curieux.

J'ai essayé de comprendre cette curiosité qui me choquait parce qu'en France, l'intimité de chacun est mise en valeur et respectée (portes des WC et de la salle de bains, chambres individuelles). A l'inverse, au Viêt-nam, la vie relève plus du collectif que de l'individuel. Les actes de la vie quotidienne que nous considérons comme privés, se déroulent dans l'espace public. On dort, on prépare le repas, on mange, on travaille, on discute dans la rue, sur le trottoir ou dans la maison mais toujours avec la porte ouverte. La vie de chacun appartient à tout le monde, et surtout à la famille, aux voisins, au village. De ce fait, on comprend mieux que, si un étranger arrive dans un village et est hébergé par une famille, il ne soit pas monopolisé par elle mais profite à tout le village. En quelque sorte, on pourrait dire que les Vietnamiens ont un droit de curiosité sur la vie de l'étranger qui vient chez eux. Évidemment, l'Occidental habitué à l'anonymat des villes et à l'intimité, tombe de haut lorsqu'il débarque dans une famille vietnamienne et qu'il voit que l'unique pièce de la maison paysanne est la chambre de 4-6 personnes, que la salle de bains c'est le puits, et que les WC c'est l'anneau de ciment au fond du jardin. Si la question de la toilette trouve sa solution dans la tombée de la nuit, on se demande toujours comment font les couples pour préserver leur intimité... Et pour les familles de sampaniers qui vivent sur des bateaux ? Dans le cas des maisons à pièce unique, les cloisons en tissu ou l'agencement de l'armoire et de l'autel des ancêtres participent à la construction d'un espace intime.
Souvent, les familles qui s'enrichissent construisent des chambres séparées. Ce modèle est peu répandu dans les campagnes. Même s'il se multiplie dans les villes, on est surpris du faible nombre de maisons à plusieurs étages, comme si les familles avaient besoin de préserver la proximité de la rue, à tout moment il faut pouvoir être dehors car c'est là qu'est la vie.

Et puis je suis arrivée à Huê, une des grandes villes touristiques du Viêt-nam, l'ancienne capitale impériale. Huê est une ville construite autour de sa citadelle qui, dans une enceinte carrée de 4 km environ renferme la vieille ville indigène (comme disaient les Français du temps des colonies) et la cité impériale, en grande partie détruite par les bombardements américains. Au sud de la citadelle coule la rivière des parfums, bordée de flamboyants et de cafés romantiques, où les amoureux de Huê viennent écouter les slows à la mode en sirotant un jus de citron glacé. De l'autre côté de la rivière s'est construite la ville administrative et touristique où prolifèrent les hôtels de luxe ou pour petits budgets, les restaurants routards et les bars branchés. À l'Est de la citadelle, enfin, s'élève le marché de Dong Ba, centre névralgique de la ville, qui rassemble toutes les marchandises imaginables et qui concentre l'essentiel des activités commerciales de la ville. C'est là que viennent s'approvisionner tous les petits commerçants des alentours. À Dong Ba, on achète, on vend, on mange, on fait la sieste, on discute beaucoup, et les touristes s'offrent à bas prix soie, laque, et autres spécialités locales. Ces achats deviennent souvent source de colère et de méprise. J'ai en effet été surprise du sentiment évoqué par de nombreux étrangers me disant que les Vietnamiens étaient cupides et ne pensaient qu'à les arnaquer. Certes, les touristes constituent un intérêt économique indéniable pour les Vietnamiens, mais il me semble facile de créer des rapports autres que commerciaux avec eux. Évidemment, lorsque l'on arrive à Dong Ba et qu'en l'espace de 2 heures on achète pour 500 000 dongs de souvenirs (environ 200 francs), soit l'équivalent de deux mois de salaire d'une institutrice, il ne faut pas s'étonner d'être ensuite considéré comme une manne économique. Mais à côté de ça, chaque personne qui voyage humblement sera témoin de la chaleur désintéressée de l'accueil vietnamien. Pour ma part, chaque fois que je voulais donner un peu d'argent à mes hôtes pour les remercier, au mieux on le refusait en mettant en avant le caractère naturel de l'aide, au pire on se mettait en colère.

Peut-être les paysages, les couleurs, les parfums, l'énergie, la jeunesse, la chaleur des rapports humains, les sourires... sont-ils toutes les richesses que peut découvrir le voyageur curieux et aventureux. Mais un autre aspect de la vie vietnamienne, celui qui relève de l'administration et du politique lui échappera sûrement. Les grandes fresques populistes vantant l'alliance des paysans et des ouvriers, prônant la famille idéale unie autour de deux enfants, célébrant sans relâche la gloire d'Hô Chi Minh d'Oncle Hô, le leader de la Révolution vietnamienne], gui couvrent des murs entiers dans les villes, rappellent que nous sommes dans un pays communiste adepte de la propagande quotidienne. Le touriste qui photographie cette fresque, libre de ses pensées et de ses mouvements (une fois la douane passée, il y a très peu de contrôles de papiers), ne réalise pas à quel point elle sous-tend le contrôle politique des individus et l'uniformisation de l'expression publique. Le Viêt-nam reste un pays où la dictature sévit et où les enfants sont élevés au lait marxiste-léniniste et formatés pour le culte de Hô Chi Minh et de la Révolution communiste. Ainsi, dans chaque classe d'école, l'Oncle Hô veille sur ses petits enfants par portrait interposé. Les institutrices doivent poursuivre leur formation pendant l'exercice de leurs fonctions. Mais lorsqu'elles parlent de formation pédagogique, il faut en fait comprendre : cours de politique professés par le Parti. De même, dans le domaine économique, la moindre entreprise, le moindre projet de développement doivent franchir dix commissions de contrôle, recevoir vingt signatures et trente tampons, si bien que leur aboutissement est toujours compromis. De quoi décourager les énergies et les bonnes volontés aussi bien locales qu'internationales ! Les négociations auxquelles j'ai pris part concernant la mise en place d'un espace francophone dans une école, la distribution d'un goûter aux enfants, l'ameublement d'une salle de classe... sont, dans ce sens très enrichissantes car elles enseignent la patience, la persévérance et l'art du sourire (très pratiqué par les fonctionnaires locaux), La conséquence de cela est que l'on se retrouve face à des gens dénués de tout sens critique, soit qu'ils ne l'ont pas appris, soit qu'ils ont peur de dire ce qu'ils pensent. Ainsi, Duc, qui a fait des études de français et qui travaille comme interprète au Bureau des Affaires étrangères, et qui m'a dit un soir : " c'est vrai qu'il y a un parti unique au Viêt-nam, et c'est peu probable que ça change, mais, après tout, c'est quand même plus simple quand tout le monde pense pareil ". Ou encore Mai, étudiant en français, qui s'intéresse à la politique mais qui préfère ne pas en parler parce que " c'est quelque chose de secret ". A ceux qui réprouvent le régime, des vieux la plupart du temps, il reste un sourire explicite exprimant leur conscience de la censure et les souvenirs qu'ils ont de la répression des opposants politiques (cf. les camps mis en place en 1975 par les communistes victorieux pour rééduquer les officiers de l'armée du sud Viêt-nam soutenue par les Américains).

Et malgré les conditions de vie difficiles, le poids d'une histoire meurtrière (40 ans de guerre !), le manque patent de liberté, les Vietnamiens continuent à sourire... c'est à ne pas en croire ses yeux ! De retour en France, quand j'évoque tous ces sourires, on me dit souvent qu'ils servent de façade, qu'ils ne traduisent pas une réelle joie de vivre. Difficile de savoir. Intuitivement pourtant, j'ai l'impression que le pays est emporté par sa jeunesse comme dans un tourbillon : plus de 60 % des Vietnamiens ont moins de 25 ans, il y a des enfants partout ! Cette jeunesse, qui n'a pas connu la guerre, est mue par une vitalité débordante et an grand esprit d'ouverture et garde l'espoir d'un avenir meilleur.