Par Stéphane Corcoral, Wilfried Jaillard.

Hint est un drôle de groupe, dont les disques relèvent de la montagne russe. Le duo Angevin s'inspire joyeusement de son environnement sonore et visuel : hardcore, télévision, ambiant, grillons, indus, art japonais, trip-hop, cinéma, sans oublier le reste ! Cet étrange mélange débouche sur des pièces inclassables, d'une amplitude émotionnelle variant subitement de la décharge ultra-violente au calme olympien. Une démarche expérimentale et parfois déroutante, mais cohérente : Hint a de la personnalité. Après deux albums furieusement agités, Hervé Thomas (samples, guitare, basse, chant) et Arnaud Foumier (guitare, flûte, saxophone) semblent s'être calmés sur l'enregistrement de Wu-Wei. Si leurs plages ambiantes le sont toujours autant, la violence a fait place à la puissance, et la noirceur à la mélancolie. Hint se veut plus subtil. Ce troisième opus était l'occasion de percevoir, par l'œil du téléphone, comment Arnaud Foumier présente sa musique.

Comment pourrais tu définir la musique de Hint ? Avec des mots !
Avec des mots... Quel genre de mots ?

Justement, c'est à toi de les trouver.
Euh... J'en sais rien, c'est hyper dur à dire. C'est... Comment dire... C'est jamais la même chose, dans le sens où l'idée est de ne jamais refaire ce qui a été entendu. Le but principal du projet reste de dégager des émotions, qu'elles soient calmes, violentes, stressantes ou contradictoires.

Vous semblez assumer pleinement vos influences, ou plutôt les musiques que vous écoutez.
Bien sûr. Je ne sais pas si elles sont toutes influentes, mais bon... Il ne faut pas croire que nous nous inscrivons dans tel ou tel mouvement musical. On ne se dit pas : " Tiens ! Tel groupe nous plaît, alors on va faire un truc dans ce genre là "... Vu que nous écoutons pas mal de trucs, nous sommes forcément influencés sans le vouloir. Il y a des choses qui nous intéressent et nous donnent des idées. Alors on expérimente dans ce sens, mais on ne copie pas.

Ça tient de la pulsion, en fait ?
Par rapport à la composition, nous n'avons aucune idée préconçue : nous jouons, et quand ça sort, nous voyons si ça nous plaît ou pas. Parfois, on se dit : " Ah, déjà entendu !" Et ça part au panier... Je crois que tout le monde devrait fonctionner comme ça. Mais comme tu le dis, c'est impulsif. Les morceaux viennent comme ça, nous ne nous posons pas trop de questions.

Comment fonctionne le travail à deux ?
Il n'y a pas de règles. Les bases sont multiples : des boucles de samples, une ligne de guitare, des mélodies de saxophone ou de trompette, et nous agençons le tout ensemble.

Vos enregistrements en studio laissent également la place à l'improvisation, non ? Je dis cela car certains de vos titres semblent ne pas avoir d'introduction ou de fin, comme si ce n'était qu'un extrait
...C'est possible... En fait, sur nos disques, un morceau n'est qu'une photo, pas une version définitive. Et c'est vrai, il y a encore pas mal d'improvisation, surtout dans les parties cuivres et guitares. Finalement, nous ne définissons de structure fixe que lorsque nous préparons nos tournées... Je sais pas si ça répond vraiment à ta question.

Plus ou moins. Mais sinon, je me souviens que la première fois que j'ai entendu Hint, c'était plus affolant que Wu-Wei. Un morceau speed de dix minutes, extrait de l'album 100% White Puzzle, qui commence par un hurlement de sax, un blanc de dix secondes...
Oui, un morceau de dix minutes qui évolue tout le temps, avec des grands cris de fille qu'on égorge, quasiment.

Oui, c'est ça !
Une intro un peu sordide, et puis ça part à fond les gamelles. Mais nous sommes loin de cette période-là maintenant. Ce côté speed et rentre dedans à tout va... (soupir de lassitude) Mais attention, nous restons toujours plus violents en concert. En fait, quand nous avons composé Wu-Wei, nous sommes partis sur ce genre de bases. Ce n'est pas que ce n'était pas bien, mais nous avions l'impression de tourner en rond. Hervé en avait ras le bol de hurler dans son micro, les vieux morceaux lui suffisaient. Nous avons compris que ce serait la fin du chant hurlé.

Wu-Wei est-il un disque abouti ?
Je ne sais pas s'il correspond à un aboutissement, mais je le trouve beaucoup plus abouti que les précédents. Car nous avons gagné en maturité ! Il y a un truc tout con que je remarque, c'est que plus tu mûris, plus tu t'orientes vers quelque chose de simple. C'est un point de vue personnel, mais je pense que lorsque tu es mature, tu es capable de bien jouer des choses épurées et calmes. Lorsque tu commences, tu trouves que les choses simples ne sonnent pas ; alors tu vas te casser le cul à faire des rythmiques vachement alambiquées, des dissonances incroyables. Là, nous avons l'impression d'avoir passé ce cap : on en a eu marre des rythmiques à quatre temps et demi, à dix/sept, etc. Nous sommes revenus au quatre-quatre, des rythmes simples avec des accords tout bêtes, mais posés.

La musique de Hint est elle conceptuelle ?
Non ! Moi, je n'ai jamais capté ce délire à notre sujet ! Pour moi, il n'y a jamais eu de concept dans Hint... Du moins, nous n'avons jamais réfléchi en ces termes-là. Certaines personnes y voient je ne sais pas quoi... Nos albums du moins ne sont pas conceptuels, comme peut l'être le dernier Sloy, avec une thématique qui réunit musique, paroles et design.

Au fait, comment avez-vous créé Hint ?
A la base, c'est un projet solo de Hervé. Il a concrétisé par la suite cette idée dans Fragile (musique ambiante). Il bidouillait avec une guitare et un sampler. À cette époque, nous répétions avec nos groupes respectifs dans le même local. Nous nous sommes croisés, avons sympathisé puis répété. Il m'a demandé si je jouais du sax et si je connaissais John Zorn, ce qui n'était pas le cas. Il m'a fait écouter Zorn, j'ai adoré, je me suis procuré un sax et zou ! C'est parti comme ça.

Ouais, c'est bien. Mais dis-moi, est-ce que Hint est un groupe sérieux ?
Sérieux ? Ben euh... Je sais pas à quel point de vue tu l'entends. Enfin, oui, dans un sens, c'est sérieux.

Dans quel sens ?
C'est sérieux parce que si nous ne l'étions pas, nous n'aurions pas sorti trois albums. Mais à côté de ça, nous ne sommes pas des gens...

Sérieux?
Nous ne sommes pas sérieux dans le sens austère du terme, non, ce serait plutôt l'inverse.

Vous faites sérieusement votre truc sans vous prendre au sérieux, quoi !
Ouais, voilà, c'est assez bien dit, ça ! Non, ça ne sert à rien de se prendre le chou. Ceci dit, si tu veux sortir un disque, tourner, concrétiser un projet, il faut un minimum de sérieux.

Est-ce que vous travaillez en fonction des supports sur lesquels vous apparaissez ? Est-ce que vous vous dites : " tiens, ça on le mettrait bien sur un split-single avec Unsane, ou... "
Non, du tout ! Nous fonctionnons à la commande. Généralement, nous n'avons jamais de morceaux enregistrés d'avance, ce qui n'est pas un problème. Nous sommes très sélectifs en studio, nous arrivons toujours avec pas mal de titres, nous en évacuons pas mal, et au final il ne reste que l'extrême limite des morceaux que nous voulions mettre sur le disque. Et quand on nous commande des morceaux, comme ce fut le cas du single avec Unsane, on prend un ou deux jours de studio. Tout dépend de l'intérêt du projet. En ce moment, c'est chaud pour nous : nous avons deux commandes de split-singles. Nous avons déjà des bases sur bande, qui datent de l'enregistrement de Wu-Wei, mais nous ne savons pas quand nous pourrons retravailler ça. C'est toujours un peu compliqué... Mais en fait, quelque part, tu as raison : sur le dernier disque, il y a un morceau enregistré, que nous n'avons pas eu le temps de mixer. C'est pas qu'il est nul, mais on trouvait qu'il était un peu en dessous des autres titres du disque ; il y avait un problème de cohérence. Donc on l'a mis de côté, en se disant qu'il pourra aller sur une face B ou une compil'. De toute façon, il ne faut pas se leurrer : quand nous donnons un morceau pour une petite compilation, nous ne sommes pas payés. Donc nous ne pouvons pas nous permettre de financer deux jours de studio.

Que faites-vous en dehors de Hint ?
Pas grand chose. Du moins : moi, pas grand chose à part écrire des partitions pour la Sacem, des trucs comme ça. Hervé, lui, est occupé par Fragile, et il fait des lumières, pour les Thugs entre autres.

Quel intérêt trouves-tu à Hint ? En tant que musicien, bien sûr.
Le fait de pouvoir expérimenter. Nous ne nous fixons pas de limites, c'est-à-dire que dans toutes les directions, nous pouvons... Tu peux expérimenter dans plein de domaines... Il n'y a pas de carcan, nous ne nous disons pas : " on fait du hardcore, donc on va continuer à en faire ". Nous nous sentons hyper libres par rapport aux différentes musiques que nous avons envie de jouer. Et ça, c'est hyper important.

Albums disponibles :
100% White Puzzle (Black & Noir)
Dys (Pandemonium)
Wu-Wei (Pandemonium)

Scène
Parler de Hint sans évoquer la magie de leurs prestations scéniques reviendrait réellement à occulter une des dimensions les plus importantes du groupe. Derrière les deux musiciens, dont les prestations transcrivent une complicité évidente, des projections de montages vidéos protéiformes donnent une profondeur et une ampleur peu communes aux concerts du duo. Au bout de quelques morceaux, vous vous trouvez entraîné dans un univers parallèle et halluciné de sons et d'images. Si vous en avez un peu marre de payer pour des concerts chiants, Hint constitue l'occasion rêvée de vous (ré)concilier avec la musique live.

Wu-Wei
Wu-Wei n'est assurément pas un disque qui s'écoute en fond sonore d'une quelconque autre activité. Il requiert de l'attention. Constructions mêlant sonorités électroniques, samples finement choisis, guitares saturées et cuivres tantôt déjantés, tantôt apaisés, les morceaux de Hint atteignent une densité et une amplitude impressionnantes avec ce troisième album. Les visions mentales s'enchaînent : on se laisse aspirer sans résistance dans les différents univers que parcourent ces douze morceaux, pratiquement tous instrumentaux, avec de véritables grands moments, comme The Process. Que les choses soient claires : Pink Floyd m'a toujours gonflé, et quand on me parle de musique planante, j'ai plutôt tendance à m'enfuir en courant. Difficile pourtant de ne pas tomber ici dans les clichés éculés : voyage sonore, planant, atmosphérique, parfois violent... l'alchimie Hint consiste à fusionner les genres, pour varier les émotions, sans tomber dans la parodie. Un des grands mérites de Hint est ainsi de concilier électronique, acoustique et " rock ", sans passer par la case big beat, et sans se prendre un râteau. Rares sont en effet les musiciens qui y parviennent sans être soporifiques. Hint le fait mieux que quiconque, et produit une musique dont la puissance évocatrice est hallucinante. Un disque puissant sans jamais être bourrin, techno-logique sans jamais être mode, atmosphérique sans jamais être pompeux. Tout simplement très bon.