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L'Oeil électrique #8 | Bande dessinée / Placid: ni oeil de verre, ni langue de bois

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Par Morvandiau.

Comme les gens qu’il admire et avec qui il a parfois travaillé (Gébé, Topor, Charlie Schlingo, le professeur Choron ou les membres du défunt collectif Bazooka), Placid est un électron libre. A 38 ans, ce dessinateur, peintre et graphiste exerce un oeil aussi singulier que critique sur la création graphique, l’engagement, la presse, le punk rock ou la musique baroque. Petit panoramique qui n’a rien d’une carte postale.

Graphiquement ton travail peut faire penser que tu as digéré le cubisme sous acide. C’est éloigné de la vérité ?
Ben peut-être pas non… Enfin les acides j’en ai jamais pris quand j’étais jeune, maintenant je suis pas encore très vieux mais j’en ai pris depuis peu de temps donc euh… De toutes façons, y’a pas besoin de prendre des acides pour avoir un trip. Enfin bref, le cubisme sous acide ça peut être une définition, pourquoi pas, le cubisme c’est bien. J’admire l’oeuvre de Picasso et de Léger, Juan Gris, Braque et tout ça, oui évidemment. On peut dire que c’est sous acide parce que c’est contemporain, lié au monde d’aujourd’hui, lié au mode de diffusion des images qui n’est pas un mode de diffusion des galeries de peinture mais plutôt dans les médias, etc. Mais Picasso, c’était aussi sous acide. Ce n’est donc pas une référence qui me choque, mais j’aime aussi autre chose dans la peinture, ancienne ou moderne d’ailleurs. Je suis un grand admirateur du Douanier Rousseau qui, pour moi, est le premier peintre moderne.

Tu développes souvent un humour absurde poussé parfois si loin que ça en devient flippant. On rigole mais c’est aussi très angoissant. C’est une réaction du lecteur que tu recherches ?
On fait des trucs en pensant à un éventuel lecteur évidemment. J’essaie d’aller au plus loin de ce que j’ai envie de dire. Tout ça est volontaire mais il me semble que c’est une tendance naturelle de l’humour, quand on regarde des films de W.C. Fields, du burlesque muet, c’est un humour qui va très loin, Buster Keaton ça peut faire flipper aussi. L’humour fait flipper d’une manière générale, si c’est pas ça, c’est de l’humour chiant, où on s’emmerde. Pour rire, il faut flipper quelque part, il faut que ça fasse peur. Mais je ne pense pas que les gens rient en regardant mes dessins. On ne rit pas forcément face à l’humour. Si on prend la définition du mot humour qui vient de l’anglais, d’après ce que j’en sais, ça renvoie plutôt à l’humeur et à ses changements. C’est-à-dire autre chose que les jeux de mots ou les mots d’esprit, l’humour n’étant pas forcément le comique. Bref, rire ou pas c’est pas le propos, il faut que l’humour soit fort et provoque une peur qui soit intime. Sinon on se fait chier. J’essaie de tendre vers une sorte de flip guidé par une ambiance a priori humoristique. Dans le même domaine, on peut aussi parler des auteurs nonsensiques du genre Edward Lear, c’est un humour qui va très loin. Dans la bande dessinée, il y a quelques auteurs qui explorent cette voie là comme Kamagurka, Charlie Schlingo et d’autres. Moi je suis pas vraiment dans leur truc, c’est-à-dire que j’explore peut-être le côté graphique des choses de manière plus poussée qu’eux qui ont un style et qui le répètent un petit peu, même s’il est parfait ! Je vais sans doute beaucoup moins loin qu’eux-mêmes dans leurs trouvailles de situations ou dans le rapport texte/image. Ils arrivent à obtenir des équilibres parfaits qui sont assez… flippants, comme tu disais. Je travaille plus l’image en tant que telle, j’essaie de pousser suffisamment loin le grotesque pour obtenir un effet humoristique.

Une de tes histoires récentes raconte la mort de ton père et je pense qu’on y retrouve cette même impression de malaise. Comment s’est opéré le passage des narrations délirantes que tu développes habituellement à ce premier récit autobiographique ?
Là justement, j’ai moins recherché ce genre d’impression. J’ai simplement essayé de raconter les choses sans mentir, même s’il y a toujours une part de mensonge dès qu’on raconte. La réalité est impossible à transcrire, on décrit ce qu’il y a dans notre tête et on le décrit comme si c’était quelque chose qui se passe devant nos yeux. J’ai exploré ce côté récit autobiographique en bande dessinée parce que c’était l’occasion, la mort de mon père… C’est un essai qui m’a amusé, j’ai envie de continuer à raconter des épisodes, insignifiants ou pas, de ma vie. De temps en temps on se dit : " Pourquoi je raconte ça aux autres, ça les intéresse pas ! " puis après, le jeu c’est d’essayer de faire en sorte que ça repose sur d’autres ressorts que le simple fait de parler de soi-même. Soi-même sur le fond ça n’intéresse personne. C’est sûr que je suis influencé par différents copains auteurs de bande dessinée, que ce soit Lolmède, Menu et d’autres. Quand ils racontent leur vie, ils arrivent à un résultat intéressant. Moi je me fous un peu de savoir ce qu’est vraiment leur vie, les histoires de paternité de Menu ou les repas de famille de Lolmède, mais quand ils le racontent, tout à coup, clac !, ils arrivent à entrer en connivence avec le lecteur. C’est vachement bien. Donc je me suis dit, tiens je vais essayer.

Cet épisode autobiographique plutôt dramatique se termine par une case où ton copain Kiki te dit quelque chose comme " allez, un bon coup de raison par là-dessus et il n’y paraîtra plus " alors que tu es encore sous le choc de la nouvelle. Dans ce sens, il me semble qu’on retrouve l’impression de malaise commune à tes autres histoires, non ?
Sûrement, sûrement… enfin le mot malaise c’est un grand mot, moi j’ai pas envie de laisser un espèce de malaise. On parlait tout à l’heure des choses flippantes ; en voyant une image on peut flipper, éventuellement, mais ça veut pas dire que ça provoque forcément un malaise après. Au contraire, l’impression finale peut être une joie. J’ai plutôt envie de faire un travail qui dégage de la joie, de l’amusement au final. Même si ça joue avec des trucs flippants, j’ai plutôt envie que la conclusion soit "Ouais, la vie est belle, les choses sont vachement marrantes, il faut que je reste en vie pour voir ça !". La vie est rigolote, même dans les trucs flippants. Là, je dis des banalités mais en conclusion, mon objectif n’est pas de dégager un malaise.

Que ce soit des personnages qui explosent ou des histoires de sexe, ton univers est très fantasmatique. Te poses-tu des interdits ou des limites par rapport au lectorat potentiel ?
J’essaie d’être compréhensible et lisible. Sur le fond, si les interdits existent ils sont inconscients, je me le dis pas clairement en tous les cas. Si on doit parler des zones un peu "tabous", la mort, le sexe ou l’intimité profonde, mon inconscient pose peut-être des barrières mais je n’ai pas de limites préétablies.

Est-ce que tu as une formation particulière relative au dessin ?
J’ai fait les Beaux-Arts de Caen pendant deux ans et les Arts déco à Paris pendant quelques années. J’ai pas mon diplôme des Arts déco mais c’était une formation qui était assez intéressante. Aux Beaux-Arts à Caen ce qui m’avait intéressé c’était de faire du dessin de nu, des cours de dessin vachement sévères, rigoureux mais très utiles. Ensuite aux Arts déco, j’ai découvert quelques trucs sur la typographie… ça m’a un peu ouvert les yeux. La dernière année, j’étais en secteur presse/édition du département communication visuelle.

Muzo, l’un de tes comparses et ami, et toi-même signez du nom de deux personnages du magazine Pif Gadget. Quand est-ce que vous avez choisi ces pseudonymes ?
On s’est rencontré aux cours du soir des Beaux-Arts à Caen, moi j’étais au lycée en seconde, lui devait être en première… on faisait tous les deux du dessin de nu en cours du soir. Tous les deux on connaissait le collectif Bazooka et on a été un petit peu réuni par ce même centre d’intérêt graphique et visuel. On a décidé de faire un journal ensemble, on a cherché un titre et on a trouvé un truc qui nous faisait rigoler, "Le journal de Placid et Muzo", et puis après, les pseudonymes ont coulé de source.

A propos de Bazooka, tu exposes maintenant tes peintures avec une partie des personnes de ce collectif (notamment Kiki, Loulou Picasso, Olivia Clavel et Lulu Larsen). En quoi consistait-il exactement ?
Ah là là, je pourrais t’en parler pendant des heures ! J’adore ça, ça a bercé mon adolescence, ça a été un choc ! C’est l’équivalent de ce qu’était la musique punk mais en interventions visuelles et graphiques. Un an après les Sex Pistols et leurs émules, y’a des gens en France qui visuellement se sont comportés comme un groupe de musique punk et qui ont fondé le groupe Bazooka. Donc interventions dans les supports, dessins collectifs avec l’usage de la provocation liée au mouvement punk par rapport à l’ambiance générale des supports un peu babas, comme l’était Libération à l’époque, etc. ça a remué un peu cet engourdissement, cette pensée mollassonne. Leur production graphique était totalement nouvelle, aussi bien dans la bande dessinée (dans Charlie Mensuel ou Hara-Kiri) que dans la presse quotidienne ou hebdomadaire. C’était quelque chose de fabuleux qui a duré très peu de temps, ils ont splitté comme un groupe de rock en 78. Depuis, je les ai rencontrés et je travaille régulièrement avec certains d’entre eux. Ce sont des individualités très fortes qui continuent chacune à faire un travail passionnant.

Bazooka correspond donc grosso modo à la musique punk. Y a-t il une musique en particulier qui nourrit ton univers ?
(Rires). Du punk, bien sûr j’en ai écouté ! Maintenant c’est rétro mais je peux aussi écouter de la techno… En fait j’écoute surtout de la musique baroque, située entre le début du 17ème et le milieu du 18ème. Je suis ce qu’on appelle un baroqueux dans le milieu de la musique classique, j’écoute quasiment que ça, de la musique française, italienne, anglaise… Lully, Rameau, Monteverdi, Purcell. Sans arrêt. Et puis de la musique de chambre, de la musique pour clavier de la même époque, les virginalistes anglais, etc. Je connais vraiment bien ça et j’adore. C’est basé sur la basse continue, dont on pourrait dire qu’elle accompagne les rythmes internes du corps de l’auditeur. C’est vraiment les trucs qui m’émeuvent le plus. Malheureusement c’est de la musique de bourges et quand on va dans les concerts y’a des bourges de merde… mais on s’en fout ! ça mériterait d’être écouté par un public plus large. Enfin, y’a pas que ça, la techno, j’y connais rien, mais quand j’en entends, je trouve ça passionnant. Aussi bien la transe que la techno hardcore, ça a l’air d’une richesse superbe. ça m’est arrivé d’aller dans deux trois raves, c’est plus de mon âge mais enfin bref ! (Rires)

Beaucoup de supports, journaux ou livres, auxquels tu collabores, soit en tant que graphiste soit en tant que dessinateur, sont très marqués politiquement. Te considères-tu comme un artiste engagé ?

Oui, oui, je suis très engagé parce que j’ai une morale. J’ai une idée de la manière dont je dois me conduire dans la vie, enfin j’essaie de définir ça au fur et à mesure que je vis. Donc je trouve que c’est bien de participer à des choses qui sont ouvertement politiques. Le problème est que la plupart des supports politiques ont une certaine lourdeur, un certain dogmatisme. Même dans le courant alternatif, il y a toujours une langue de bois, néanmoins c’est bien de se plonger là dedans pour essayer de jouer le jeu en évitant cette lourdeur soi-même et c’est difficile. ça m’est arrivé de participer à L’Idiot international en 91 (lancé par Jean Edern Hallier), déjà c’était un titre ambigu parce qu’il y avait toutes ces histoires un peu nullardes de rouges bruns à la fin…

Qu’est-ce que tu veux dire ?
Ben, à la fin tous les dessinateurs se sont barrés du journal parce que ça devenait trop ambigu avec les espèces de connivences avec l’extrême-droite. Tout à coup c’est passé de l’autre côté… Et pourtant cet "autre côté" c’est un truc qu’il faut aller voir. Comme les boulots que produit Marc Edouard Nabe en littérature. Depuis son premier livre Au régal des vermines jusqu’aux volumes de son énorme journal intime qu’il sort régulièrement, il fait référence à des écrivains un peu limite, il est plutôt célinien et autres… Et donc y’a plein de gens qui tout de suite s’offusquent… par exemple les critiques dans Art Press, etc. Alors que lui c’est quelqu’un qui est très engagé évidemment, engagé dans la littérature avec cette idée romantique un peu risible mais je trouve que c’est un artiste très intéressant qui se confronte à sa propre complexité d’être humain. Et en effet, y’a plein de gens qui pourraient lui reprocher d’être proche de cet "autre côté" qui serait le diable, l’extrême droite, blablabla… C’est faux ça, en ce qui le concerne et en ce qui concerne d’autres artistes, écrivains et autres. Là, cette ambiguïté pouvait jouer de manière intéressante dans les éditoriaux de L’idiot, mais quand c’est devenu vraiment inacceptable, on s’est barré. J’ai participé à d’autres journaux qui étaient moins ambigus, là depuis récemment je participe à la Vache folle qui paraît tous les deux mois et qui est clairement de gauche, sans aucune ambiguïté possible. C’est un journal qui, malgré son engagement, est vachement moins lourd d’une manière générale que, par exemple, Charlie Hebdo. Cette lourdeur vient d’une définition perpétuelle de qui sont les bons, qui sont les méchants. Ce qui est très ennuyeux. Ceci dit, c’est pas ça qui va m’empêcher d’y participer parce que je trouve que c’est important de pouvoir s’engager, y compris dans ce discours lourd qu’est le discours politique. Alors, trouver des solutions pour être moins lourd, certains sont maîtres dans cet art, un mec comme Gébé, il est très fort. Il est très politique et très inventif ce qui fait qu’on est toujours surpris avec lui. Il aborde les sujets politiques sans avoir de réponse toute préparée, sans savoir d’avance ce qu’il faut penser de tout. Moi, quand je me mets à faire du dessin politique, ça tombe dans des lieux communs du genre Luz ou j’sais pas quoi… Les mecs qui font ça toutes les semaines ont pas la tâche facile et je suis pas mieux qu’eux, mais c’est bien de s’y confronter. Plus j’aurai d’occasions de le faire, plus je le ferai.

Ton travail a-t-il déjà été censuré ?
Non. Oui. Enfin la censure ça veut rien dire, les boulots refusés par un support ça arrive très souvent, est-ce que c’est de la censure ou pas ? Un exemple récent, c’est un dessin que j’avais fait pour le truc de Cohn-Bendit qui vient de sortir, Numéro unique sur l’Europe, publié par Les Verts. Ils me l’ont refusé sous prétexte que c’était raciste. ça parlait de l’Afrique donc selon eux c’était raciste, c’est des histoires de politiquement correct. Tu dessines un personnage, s’il est africain ça fait tout de suite un dessin raciste… C’est un truc totalement absurde. Y’en a eu d’autres, par exemple dans un autre journal politique, un dessin sur les féministes. ça représentait des hommes et des femmes dans la rue, tous avec un portable, et ça disait que les féministes avaient gagné parce que tout le monde a le droit d’avoir son phallus portatif. C’était de l’humour, ça parlait aussi de cette histoire de portable, ça m’amusait… Mais donc ça a été refusé parce qu’il y a des malentendus, ça risquait de heurter les féministes, etc. C’est absurde mais fréquent. Un autre truc bizarre une fois, c’est un de mes dessins repris dans un canard royaliste. Un autre jour c’était dans un journal d’extrême droite, avec aussi un dessin de Willem et un de Siné. Là récemment, on a vu que Le Pen rendait hommage à Georges Brassens, c’est le même genre de détournement, on sait pas d’où ça sort !

Que penses-tu de l’état actuel de la presse et de l’édition en bande dessinée ?
Pas grand chose. Je sais pas, je peux pas répondre à ça… ça fait déjà longtemps que les meilleurs journaux de bande dessinée n’existent plus, une dizaine d’années pour Charlie Mensuel, etc. Je suis content d’initiatives comme Lapin, Ferraille ou Fusée donc j’y participe dans la mesure où j’ai le temps de le faire. C’est un bon esprit mais il y a l’inconvénient du côté "encore tous bénévoles" qu’est un peu chiant parce que c’est des trucs qui pourraient être organisés de manière à avoir une diffusion plus large, fonctionner, se rentabiliser… c’est fait par des gens qui n’ont pas assez d’argent, y’a pas d’investisseurs qui se lancent dans la créativité en bande dessinée. Dans les journaux qui sont sortis assez récemment, y’a Bo-Doï et puis surtout Bachi-Bouzouk… c’est chiant tout ce fric investi pour faire des journaux d’interviews alors que ces mêmes personnes qui sont interviewées n’ont pas de support pour publier de la bande dessinée dans son milieu naturel, celui de la presse. Moi j’ai essayé de lancer Strips (hebdomadaire diffusé en kiosque à partir de septembre 1996 et publiant exclusivement des strips de bande dessinée), un copain a mis ses économies mais on a été obligé d’arrêter très vite. Par rapport au potentiel de création dans ce domaine, il y a trop peu d’espaces qui existent.

Tu parles des revues Ferraille et Lapin auxquelles tu participes. Aucune des deux n’a pu obtenir de numéro de commission paritaire (qui fait bénéficier les supports de presse de tarifs postaux et fiscaux préférentiels). La raison officielle est l’inadéquation à l’intérêt général. Quelle est ton opinion à ce sujet ?
Ca veut rien dire cette histoire ! C’est encore une loi qui dit que la commission paritaire doit décider si tel support est un support de presse ou non. Elle possède une sorte de pouvoir discrétionnaire et arbitraire. Il y a une absurdité qui dit qu’il faut avoir tel pourcentage de rédactionnel, etc. Tout ça parce que les membres de la commission sont en retard d’un wagon et qu’ils ignorent que la bande dessinée peut dire des choses au même titre qu’un texte, racontées de différentes manières… Etant donné que la loi leur donne le pouvoir de faire ça, il est difficile de les attaquer eux-mêmes, ils font leur boulot comme ils pensent devoir le faire, mais ça vaudrait le coup de réviser la loi.

Tu travailles avec l’Association (l’éditeur de Lapin notamment) sur le projet Comix 2000. De quoi s’agit-il ?
Comix 2000 c’est le titre d’un livre qui va faire 2000 pages. Bon, c’est un p’tit peu idiot, pour le passage à l’an 2000 c’est l’occasion. C’est arbitraire aussi, mais bon, voilà. ça aura l’épaisseur d’un dictionnaire, y’a des centaines de dessinateurs contactés dans le monde entier. Chacun est chargé de faire un récit de quelques pages avec les contraintes d’être, d’une part, narratif et, d’autre part, muet. Sans texte écrit, le livre devrait être normalement lisible presque universellement. Je dis presque parce que la lecture des images est aussi un fait culturel, acquis. Une image, même sans texte, n’est pas forcément immédiatement lisible. Mais pour la plupart ça devrait être compréhensible, en dehors du sens gauche/droite droite/gauche pour les japonais, mais ça c’est un peu un détail technique. C’est passionnant de faire un livre collectif qui pourra être lu partout dans le monde.

Que penses-tu du palmarès du festival d’Angoulême qui récompense à la fois Albert Uderzo (Grand Prix du millénaire) et Robert Crumb (Grand Prix de la ville) ?
C’est super que Crumb soit président l’année prochaine. Pour Uderzo, j’étais même pas au courant mais c’est bien. Contrairement aux gens (par exemple l’Association) qui ont tout de suite une dent contre les auteurs à succès ou les vieux qui ont fait leur carrière et qui rentabilisent leur truc. Uderzo c’est quand même quelqu’un d’important dans la bande dessinée populaire, qui a développé un univers graphique fort. Je sais pas ce que ça va donner pour le prochain festival, je suis assez étranger à ça. Par contre, y’a un truc à dire sur Angoulême : l’année dernière, un des responsables officiels (Yves Poinot, président du festival en 1997) s’est permis d’aller emmerder un mec qui fait un fanzine sous le nom de Doc Jipépé. Il s’est fait virer de son stand sous prétexte qu’il dessinait des histoires avec des adolescents qui avaient un gros sexe, etc. Y’a des gens qui ont crié à la pédophilie, c’est incompréhensible ! Il y a eu une plainte de déposée puis le mec d’Angoulême, voyant qu’il avait fait une connerie, a retiré sa plainte. Mais c’était trop tard, le procureur, qui doit être aussi très peu cultivé (y’a des centaines de productions beaucoup plus "choquantes" à Angoulême) a poursuivi l’affaire contre ce pauvre doc Jipépé qui fait péniblement son fanzine depuis dix ans. Cette espèce de censure provoquée par la bêtise des officiels d’Angoulême est inadmissible. Ils devraient faire une conférence avec des excuses en public et cet ancien responsable devrait faire tout ce qui est en son pouvoir pour qu’on foute la paix à Doc Jipépé ! C’est vraiment immonde, ce mec brisé par quelques abrutis d’Angoulême !

Quelle est la dernière chose qui t’a énervé ?
Ben, ce dont je viens de parler par exemple !

Et la dernière chose qui t’ait fait rire aux larmes ?
Bah tiens, les courts métrages parlants de W.C.Fields que j’ai vus par hasard assez récemment. C’est vraiment très fort. C’est irrésistible sa manière de se baser sur sa misanthropie et d’utiliser les gags les plus éculés, de tout oser : il a la grâce.