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L'Oeil électrique #12 |

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4livres

Joseph Conrad : Le Nègre du Narcisse
1987, Le livre de poche

Parmi les brumes crépusculaires des années 1900, contre l'opacité de son époque, contre ces noires espérances grégaires que sont l'antisémitisme ou la chasse aux sorcières, la littérature de Joseph Conrad, humaine, sombre et lyrique, dessine l'emploi désastreux et incertain des modèles occidentaux, révèle la puissance des sociétés animistes et le mérite des intrépides. L'individu s'exalte au contact de l'étranger, de ces grands hommes que Conrad embusque ça et là.
Marin puis écrivain, Conrad inscrit ses récits dans un cadre maritime qui emporte une conséquence principale, l'isolement : comme dans ce roman, naufrage d'un navire transitant de Bombay à Londres. Ces mers qu'il a parcourues longuement, ce principe femelle, matriciel anéantit l'homme social et le renvoie à sa simple condition d'être vivant, désarmé face au déchaînement naturel. Dans ces climats aléatoires, les hommes s'expriment passionnellement ; l'instinct parade devant cette raison macabre, attribut de la réalité. Marqué par l'incurie administrative de l'esprit, la férocité de la raison et les dangers de l'ignorance comme de l'éloquence, Conrad s'enhardit à confronter l'Occident "éduqué" aux peuples "incultes", à la Nature aveugle. Dans l'espoir sans doute de périmer les idées machiavéliques des Blancs à l'égard d'un monde exotique qu'il connaît et chérit. Embarqué à la dernière minute sur le "Narcisse", James Wait, seul Noir à bord, démesuré, subtil et tubard, introduit au sein de l'équipage, une note inhabituelle, une tension démocratique. Tombé malade (synonyme d'un sortilège pour les marins), Wait, tel un Janus d'ébène, tangue de la mélancolie à la paresse, du martyre à la morgue, jubile, grogne, tandis que certains le couvent, que d'autres s'agitent d'entendre Donkin, spécimen anglais fielleux et lucide, révolté de carrière, crier gare. Lorsque le " Narcisse" chavire et se couche sur les flots, le spectre du mauvais œil finit par coller à la peau du Noir. Courant sur l'onde, l'odyssée surnaturelle du "Narcisse" engendre une société insolite, soumise à la nature cruelle, entassée à la verticale sur les ponts obliques, étroitement liée à une présence étrangère, provocatrice, soupçonnée et maladive. Le personnage du Nègre rassemble ainsi toutes les forces inhérentes de ce monde en déclin, éduqué au réflexe ethnocentrique, pour décider si James Wait est bel et bien le symbole concret de ce qui ne va pas. Le roman s'achève sur cet arrière-goût banal : croire en un quelconque manichéisme de l'ordre naturel pour mieux dégager le sort, le rejeter sur l'inordinaire… ce qui est étranger. Immigré Polonais, Conrad connaît ça.

EXTRAIT

Quand je l'ai vu debout là, aux trois quarts mort et les boyaux tordus de peur - tout noir au milieu des autres qui ouvraient la bouche en le regardant -, sans ressort pour faire face à ce qui nous attend tous, l'idée m'est venue comme ça, tout à coup, avant le temps de réfléchir. Je le plains comme on plaindrait une bête malade. Si jamais être fut en plus mortelle frousse de mourir !… J'ai pensé qu'il valait mieux le laisser s'éteindre à sa manière. On a de ces impulsions. Il ne m'est jamais venu à l'esprit que ces idiots… Je ne vais pas revenir là-dessus à présent. Sûr.
[...]
Je ne me coucherai pas ce soir en cas de nouveau ; appelez-moi si… avez-vous vu les yeux de ce Nègre malade, monsieur Baker ? J'imagine qu'il me suppliait. De quoi ? Plus rien à faire. Ce pauvre bougre noir, tout seul au milieu de nous tous, qui me regardait comme s'il avait vu l'enfer et tous ses diables derrière moi. Misérable Podmore, voyez-vous ça ! Qu'il meure en paix au moins. Je suis maître ici, après tout… Je dis ce qu'il me plaît. Qu'il reste où il est. Ç'a peut-être été une fois la moitié d'un homme… Veillez bien."