Abdallah Zrika : Bougies noires
0, Éditions de la différence
Abdallah Zrika est marocain, né en 1953 à Casablanca. Il n’est pas anodin de savoir qu’il a été emprisonné pendant deux ans parce que ses poèmes ont été jugés comme une atteinte aux valeurs sacrées de son pays. Le fait est que Zrika ne sacralise ni son pays, ni la religion : autant dire qu’il s’arroge une liberté totale, franchement salubre, pour crier son mal-être. Le titre du recueil Bougies noires annonce déjà la tonalité, sombre, de l’ensemble...
Ce qui frappe à la lecture des premiers vers, c’est la langue : moderne, quotidienne, elle ne correspond en rien à l’image (cliché ?) de la poésie arabe, que l’on se figure comme excessivement littéraire, ciselée, savante même.
On le devine, cette langue moderne, sans fioritures, doit elle aussi être considérée comme une atteinte aux "valeurs sacrées"... de la littérature cette fois ! Zrika apparaît alors doublement dérangeant, dans les thèmes qu’il aborde et dans la forme qu’il choisit.
Mais, nul doute que c’est ce matériau-là dont il a besoin pour s’exprimer. Pas de maniérisme chez cet auteur, pas de poésie "décorative", car le poète est une figure de la quête, investi du don de voir ce qui peut-être échappe aux autres, et qui veut précisément "donner à voir" :
Alors j’ai vu le soleil
à l’écart de la lumière
J’ai vu des portes
et pas de maisons
Des papillons
sortant des vers
grouillant sur les cadavres
Mais dans le même temps, il entrevoit ses propres limites et se retrouve alors, comme les autres, dans l’ignorance et le tâtonnement :
J’ai vu le mur fuir le blanc
La terre fuir la mer
Et je n’ai pas vu
Tous les poèmes de Zrika évoquent l’angoisse face à un monde, à un Homme, intrinsèquement mauvais (dans "Homo Satanas" en particulier). La condition humaine est misérable puisqu’elle participe à sa propre destruction ; les hommes n’ont pas à attendre de Dieu une quelconque délivrance de leurs souffrances ; le monde n’est-il pas aussi synonyme de vide ?
L’interrogation se fait alors plus métaphysique, et lancinante comme une litanie, dans "Vides tortueux". Loin de toute certitude, de toute vérité absolue, Abdallah Zrika soumet ses lecteurs et lui-même à la question. Torturante, cette remise en cause du monde marque le refus catégorique d’un quelconque confort intellectuel.
L’écriture poétique est appréhendée en tant qu’outil d’investigation, d’expérimentation.
De cette conception de la poésie naît, forcément, une grande liberté. Pour le poète et pour nous, lecteurs. C’est là, dans ce champ des possibles, que Zrika est devenu dangereux, aux yeux de ceux pour qui la liberté est un affront...
EXTRAIT
"Ohé ohé c’est quoi ces joyaux
qui jettent des éclairs de larmes
dans cette boutique
Ce chien fidèle qui monte la garde
autour du vide
Comment ai-je posé ma main
sur un mur de dents
Comment toutes ces échoppes
ont-elles disparu de nuit
dans les poches
Et comment mes ongles sont-ils tombés
en automne"
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