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L'Oeil électrique #5 |

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4livres

Naguib Mahfouz : Matin des roses
0, Actes Sud Sinbad

Ce Matin des roses (titre du recueil, et de la plus longue des trois nouvelles qui le composent) est à l’évidence une métaphore de la jeunesse, de la beauté et des premiers émois, tous enfuis. Enfuis pour les narrateurs successifs, comme pour l’auteur lui-même... Ces roses ne sont d’ailleurs pas sans rappeler celles évoquées par Ronsard dans ses poèmes, et elles ont peut-être la même fonction épicurienne ; car dans ces nouvelles qui content toutes le passage inexorable du Temps, on devine en filigrane le message : "profitez de la vie ! De votre jeunesse !" Et dans la société qui nous est décrite, étranglée par ses codes, ses "on-dit", les personnages ont bien du mal à vivre. Ainsi, le crépusculaire anti-héros de "Dieu bénisse ta soirée" passe, ou plutôt perd sa vie, dans ses efforts pour éviter les mécontentements et scandales que pourrait provoquer son comportement chez ceux qui l’entourent. Récit mélancolique et grinçant, "Dieu bénisse ta soirée", sur lequel se clôt le recueil, dit cruellement la dérision de vieillir. Pourtant, l’humour vient se mêler à la trame la plus amère. Les retrouvailles tardives et transies des deux vieux amants, toujours chastes l’un envers l’autre, font sourire. Mais de cette cocasserie, Mahfouz dégage l’émotion, et finalement l’espoir.
On retrouve la même diversité de ton dans la nouvelle "Matin de roses". La narration (assumée par un "Je" sans doute en partie autobiographique) est fragmentée en cinq petits chapitres, dont chacun retrace l’histoire d’une famille : les Mourad ; les Makki ; les Qyasoum, etc. Monotone, a priori, ce morcellement crée au contraire une mosaïque, donnant vie à l’évocation de la rue al-Radwän. Ces différentes histoires familiales sont surtout le prétexte pour dépeindre la société égyptienne du 20ème siècle, avec ses riches et ses pauvres, son état et ses individus, ses Anciens et ses Modernes. L’intérêt de cette fresque est de montrer que ces courants contradictoires ont parcouru l’Egypte en même temps, souvent au cœur de chaque foyer. Dans cette rue al-Radwân, les modes de vie, la conception du mariage, la condition des femmes, restent imprégnés de valeurs traditionnelles, mais, dans le même quartier émergent aussi, dans cette première moitié du siècle, les progressistes (on pense aux personnages de Sameh, d’Ezza). Nasséristes, nationalistes, ces derniers ont foi en l’éducation et la culture pour "sauver" le peuple. Et certaines filles font des études, se promènent non voilées dans les rues...
Mahfouz lui-même est aux confins de ces deux mondes. Né en 1911, il a été témoin des évolutions de son pays. Nostalgique sans doute d’un certain Orient, qui est celui de sa propre jeunesse, il est en même temps hostile aux intégrismes de toutes sortes, partisan de la démocratie et de la modernité. Par delà le caractère sociologique ou historique de cette nouvelle, c’est au fond l’existence humaine, dans toute sa complexité, qui est représentée. L’amour, le désir, la folie et la mort, la solitude, traversent chacune de ces familles, conférant à leur destin particulier une portée universelle.

EXTRAIT

"Elle dit d’une voix tremblante :
– Le mariage ne peut pas me venir à l’esprit.
– Mais laisse-le te venir à l’esprit ! C’était notre voeu le plus cher...
Elle répondit, extrêmement gênée :
– C’est le passé révolu et oublié.
J’insistai avec ardeur :
– Ce passé, je le vis maintenant de toutes mes forces.
– Tu ne réalises pas le sens de tes paroles. La solitude a eu raison de ta sagesse. Le rêve ne va aboutir à rien.
– Je sais ce que je veux.
Elle répliqua, très émue :
– Non, je ne permettrai pas un scandale...
– Pourquoi répètes-tu ce mot infâme ?
– C’est la vérité. Tu oublies que je suis mère et grand-mère.
Je répondis avec humilité :
– La surprise ne dure qu’une heure, puis l’être humain cherche refuge dans le bonheur...
– Elle baissa tristement les yeux et murmura :
– Ne me prive pas de la quiétude du cœur...
Il me sembla qu’elle redevenait femme durant la discussion, qu’elle n’était plus seulement mère et grand-mère. Je me levai et me rapprochai d’elle comme autrefois. Mais elle bondit et s’échappa en s’écriant :
– Ne me touche pas !
C’était comme une gifle. Je restai figé quelques instants, extrêmement ébranlé et désespéré. Puis je me levai en bredouillant.
– Dieu te protège...
"