David B et Christophe Blain : Les Ogres
Dargaud (collection Poisson Pilote), 56 pages, 59 francs
Loin des pâles clones de Blueberry ou de l’heroïc fantasy à gros seins, quel bonheur de lire une bande dessinée où la castagne et l’action côtoient l’épaisseur psychologique et l’intelligence des situations ! Après La révolte d’Hop-Frog, où il était question d’objets subversifs qui s’animent, les aventures du journaliste Hiram Lowatt et du peau-rouge Placido continuent de plus belle. Orchestrées par David B et Christophe Blain (respectivement scénariste et dessinateur), celles-ci les amènent en Alaska en 1881. Quand nos héros débarquent du vapeur dans la neige et les sapins, la région de Kaliputiak et ses habitants connaissent la terreur générée par une tribu d’Indiens anthropophages que le juge local n’a pu, jusqu’alors, mettre hors d’état de nuire…
C’est avec une frénésie qu’il est bon de freiner, de peur de sacrifier les subtilités de l’arôme, qu’on se laisse entraîner dans l’ouvrage : on songe à un Nosferatu galopant dans un univers de western, sombre et palpitant, où des créatures isolées au sein d’une nature âpre ont affaire au Mal, au feu, à la folie et au sang. Délaissant la réalité au profit de la vraisemblance, David B met des personnages tout aussi complexes que crédibles au service d’une construction narrative classique mais terriblement efficace. L’humour et le sens de la dramaturgie rendent les dialogues savoureux. Christophe Blain, quant à lui, s’en donne à cœur joie et affirme, sur cette solide intrigue, un graphisme et un découpage enlevés. Une belle maîtrise des couleurs chaudes de fourneau et des ambiances froides d’un extérieur en demi-teintes vient compléter le tableau. Face à un Rio Bravo ou un Dernier des Mohicans, nul doute que les deux auteurs ne soient de ceux qui ont la jugeote de préférer aux salauds aigris et frustrés par le peu de pouvoir, les personnages déterminés et généreux, en amitié comme en coups de fusil.
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