Joe Sacco : Gorazde "La guerre en Bosnie orientale 1993-1995 (première partie)" constitue le sous-titre de ce livre. Joe Sacco, son auteur, est né en 1961 à Malte et vit aujourd'hui aux Etats-Unis où il a suivi des études de lettres et de journalisme. Ce reportage en bande dessinée est loin d'être son coup d'essai en la matière : après un récit en deux tomes sur la Palestine, il poursuit ici avec vigueur un travail de témoignage sain et éclairant. Parti à plusieurs reprises entre 1995 et 1996 à Gorazde, enclave bosniaque sous contrôle de l'ONU, il retranscrit donc son expérience et celles des personnes qu'il a rencontrées. Si, comme moi, vous avez depuis longtemps renoncé aux ersatz télévisuels d'explications et êtes saturé parfois des commentaires médiatiques, cet ouvrage vous remettra d'abord les idées en place au sujet du contexte complexe de ce conflit. Rappel socio-historique et géographique donc, nourri des nombreux témoignages recueillis lors de ses séjours, d'une documentation qu'on comprend conséquente, et appuyé enfin, par les possibilités du rapport textes/images : flash-back et voix off du narrateur, généralités historiques et facettes de la vie quotidienne mêlées... Mais Gorazde, c'est là sa véritable force, est plus qu'un simple manuel d'histoire en cases et en bulles. Joe Sacco, dépassant le didactisme béat, est impliqué dans son œuvre : il raconte son malaise devant le tapis rouge qu'on lui déroule en tant que journaliste étranger, les soirées chaleureuses et les cuites chez son ami Edin, les filles qui flirtent en rêvant d'Amérique et de jeans, le vide culturel et l'ennui d'une enclave isolée du reste du monde ou encore son mensonge sur la mobilisation supposée de l'opinion américaine... Gorazde est passionnant et poignant parce qu'il dynamite intelligemment les images du 20 heures : les improbables réfugiés sont bien, ici, de proches contemporains aux prises avec notre humanité terrifiante et hospitalière. |