Alberto Breccia et Hector Oesterheld : L’Eternaute
1969, Les Humanoïdes associés

Un soir, un écrivain reçoit la visite d'un étrange personnage. Celui-ci commence à lui raconter une histoire non moins étrange. Tout a commencé un soir avec quatre hommes, une femme et une enfant, réunis dans une maison pour une partie de belote. Mais une neige étrange commence à tomber, une neige mortelle qui tue sur le champ quiconque est touché par un flocon. Cette neige est envoyée par un envahisseur extraterrestre qui entend envahir la Terre. Scénario de science-fiction basique qui pourrait faire sourire, n'était le caractère expressionniste du dessin qui surprend et fascine. Dessinateur argentin, Alberto Breccia pratique quelque chose qui relève tout autant du collage que du dessin. L'effet rendu est en tout cas étonnant. Cette obscure histoire d'envahisseurs est transfigurée par cette forme si particulière. Mais c'est aussi son sujet même qui attire l'attention. Car devant la menace des flocons, les personnages se trouvent totalement démunis. Ou comment un foyer chaleureux, havre de tranquillité, devient une cellule dont il faut s'extraire par tous les moyens. Mais le prix à payer, c'est la disparition de tout ce qui faisait alors l'existence de ces hommes, et par suite, la perte d'une certaine innocence. Il faut dès lors choisir entre l'action et le calfeutrage, aucune de ces options n'étant satisfaisante.
Ce qui touche dans L'Eternaute, c'est le surgissement de l'extraordinaire dans la banalité la plus triviale, et la façon dont l'individu est entraîné malgré lui dans une réalité géopolitique qui le dépasse. C'est aussi cette conscience, véhiculée par le héros, que toute son existence passée est en train de se déliter au profit d'un inconnu vertigineux. L'Eternaute est également un livre politique, qui n'hésite pas à revendiquer un propos provocant, ce qui explique sans doute les quelques problèmes qu'il a pu rencontrer avec la censure argentine. Trente ans après, cette œuvre conserve une aura qui ne manque pas d'intriguer.