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L'Oeil électrique #18 |

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4livres

Jean Genet : Miracle de la rose
1946, L’Arbalète

Jean Genet : voleur et écrivain ; engagé aux côtés des Palestiniens dans leur lutte durant les années 70 ou dans celle des Black Panthers à la même époque. Véritable rebelle à la société, "votre monde", comme il le jette au lecteur de manière provocante dans Miracle de la rose ou dans Journal d'un voleur. Enfant de l'Assistance publique, très tôt incarcéré en maison de correction, dans la légendaire Mettray qu'il évoque à la fois comme Enfer et Paradis perdu, Genet se définit peut-être avant tout comme celui qui est toujours "l'autre", ce qui explique ses engagements précédemment évoqués. Lorsqu'il se fait à nouveau incarcérer à la Prison de la Santé, il retrouve finalement un univers qui lui est familier, et même cher. Miracle de la rose raconte ce séjour : cellules, barreaux, latrines, matons, règlements de comptes ; tout l'univers carcéral est là, mais sublimé, transfiguré, car il est d'abord le lieu des amours, nombreuses et enivrantes, rituels masculins dont l'auteur exalte les grâces. Harcamone, Bulkaen, Divers : délinquants ou criminels, auréolés de sombre gloire, élevés au rang de mythes. Genet aime l'un puis l'autre, avec toujours, il le confesse, cet attrait pour la beauté qu'il décrit en ces termes : "l'extraordinaire évidence de ce qui avait lieu, la force de ce bonheur d'être se nomme aussi la beauté." Ainsi, le lieu de l'enfermement est prétexte à fantasmes précieusement entretenus.
Il serait quelque peu dérisoire, on l'aura compris, de chercher dans Miracle de la rose un témoignage réaliste sur la vie en prison, puisque cette œuvre, comme toutes celles de Genet, est avant tout poétique. L'enfermement, décuplant le lyrisme du narrateur, exalte la flamboyante mythologie intime de celui-ci et lui permet de reculer les limites de ses propres rêveries. Poète, Genet ne donne à voir de la prison que sa propre aventure intérieure, déclinant ses propres obsessions. Lire son œuvre - celle-ci et toutes les autres - c'est alors chercher à comprendre sans juger cette quête éperdue du Beau, cette volonté systématique et que d'aucuns pourraient estimer futile ou pesante, de faire de sa propre existence matière à légende. Mais n'est-ce pas, précisément, un des postulats possibles de la littérature autobiographique?

EXTRAIT

A l'un des bouts du couloir central du quartier, il y avait une grande verrière dépolie, protégée par des barreaux, et qui ne s'ouvrait jamais, sauf un vasistas, ménagé dans la partie supérieure. C'est derrière elle que je vis Divers pour la dernière fois à Mettray. Il était grimpé, grâce à je ne sais quoi, jusqu'au vasistas où il se tenait pendu par les mains. Sa tête dépassait seule, et le corps s'agitait lourdement derrière les vitres, puissant et mystérieux au fond de cette eau, plus troublant encore du mystère du matin. Ses mains délicates étaient agrippées de chaque côté de son visage. Il me dit au revoir dans cette position.
Mon souvenir s'arrête sur son visage comme on s'arrête sur les choses qui vous consolent. Je relis son visage comme le relégué, prisonnier pour la vie, relit le paragraphe 3 : "Les condamnés à la relégation perpétuelle pourront, après un délai de trois ans, à compter du jour où leur peine de la relégation a commencé, être libérés conditionnellement…" Harcamone est mort, Bulkaen est mort. Si je sors, comme après la mort de Pilorge, j'irai fouiller les vieux journaux. Comme de Pilorge, il ne me restera plus entre les mains qu'un article très bref, sur un mauvais papier, une sorte de cendre grise qui m'apprendra qu'il fut exécuté à l'aube. Ces papiers sont leur tombeau. Mais je transmettrai très loin dans le temps leur nom. Ce nom, seul, restera dans le futur débarrassé de son objet. Qui étaient Bulkaen, Harcamone, Divers, qui était Pilorge, qui était Guy ? demandera-t-on. Et leur nom troublera comme la lumière qui arrive d'une étoile morte il y a mille ans. Ai-je dit tout ce qu'il fallait dire de cette aventure ? Si je quitte ce livre, je quitte ce qui peut se raconter. Le reste est indicible. Je me tais et marche les pieds nus.

La Santé, Prison des Tourelles, 1943.