Warning: mysql_num_rows(): supplied argument is not a valid MySQL result resource in /mnt/153/sda/7/9/oeil.electrique/php/en-tetes.php on line 170
L'Oeil électrique #18 |

> C’EST BEAU LA VIE
+ L’environnement nuit gravement à la santé

> SOCIÉTÉ
+ Jacques Rossi
+ Tazmamart, cellule 10

> BANDE DESSINÉE
+ Rabaté

> VOYAGE
+ Aller-retours humanitaires
+ Chroniques du Bénin

> MUSIQUE
+ The Ex

> GRAPHISME
+ R de réel

> NOUVELLE
+ La baignoire

> 4 LIVRES : L’ENFERMEMENT
+ Hubert Selby Jr : La Geôle
+ Alberto Breccia et Hector Oesterheld : L’Eternaute
+ Jean Genet : Miracle de la rose
+ Nicolas Kieffer : Peau de lapin

> BOUQUINERIE
+ Hans Christian Adam : Eugène Atget : Paris
+ Michel Beaud : Le journal du basculement du monde
+ Robert Crumb : Miettes
+ George Orwell : Dans la dèche à Paris et à Londres
+ Joe Sacco : Gorazde
+ Michel Hansen, Paul Lannoye, Suzanne Pons, Gilles-Eric Seralini et Jean-Pierre Berlan : La guerre au vivant : OGM et mystifications scientifiques

> NOUVEAUX SONS
+ Charles Ives par Giorgio Morozzi : Sonata No.2 "Concord. Mass, 1840-1860
+ Oriental Fusion :
+ Voltaire : Candide ou l’optimisme
+ : Funk de luxe : 13 pure 70's french jazz-funk tracks
+ Chevreuil : Sport
+ Jean-Luc Godard / Thierry Jousse : Les Ecrans sonores de Jean-Luc Godard
+ Randy : The Human Atom Bombs
+ Q Or Not U : No Kill No Beep Beep

> REVUES
+ Vibrations
+ Pratiques : les cahiers de la médecine utopique

4livres

Nicolas Kieffer : Peau de lapin
1994, Editions du seuil / collection Points

L'arrivée de Virgil Alexander Stilton dans les murs de la clinique psychiatrique de Greyhawk Falls ne semble pas troubler particulièrement les habitudes de ses pensionnaires et de son équipe soignante. Pourtant, les comportements changent vite et Virgil, qui pense avoir assassiné 60 personnes - décédées pourtant tout à fait naturellement - y est pour quelque chose. Des silhouettes envahissent le parc la nuit ; Tim, sur les recommandations de son lapin Rommel, exécute sur les murs de la salle de dessins une fresque au pouvoir d'attraction étrange et de multiples hallucinations apparaissent chez les malades comme chez les soignants. Pire, les lapins se multiplient.
L'ascendant habituel du médecin sur le malade est rapidement faussé. Certes, Stuart est persuadé de revenir d'un séjour lunaire et Tibbets recherche l'une de ses jambes. Mais la vie beaucoup plus pragmatique de l'équipe soignante n'empêche pas que le jeune psychiatre Duane ne rêve jamais et que le Docteur Coleman peine à imaginer des histoires à son fils. L'arrivée de Virgil chamboulera bruyamment cette incapacité à s'extraire d'un enfermement mental peu propice à l'épanouissement.
Peau de lapin n'a donc rien du simple récit d'internement. Ce livre raconte la douloureuse expérience d'être seul dans et avec soi-même. Les barrières physiques se révèlent assez anecdotiques lorsque l'unique cour de promenade est celle du cerveau, évidemment beaucoup trop petite pour ne pas s'organiser d'autres terrains de jeux psychiques, bien plus troubles et étendus.
Nicolas Kieffer, en plus du prétexte - magnifiquement traité - de l'enfermement physique, pose la question du cloisonnement mental et de ses multiples dérivés. Dans cette clinique, les hauts grillages de protection se doublent de parois intérieures bien plus difficiles à franchir. Le lecteur en viendra inexorablement à se poser la question de sa situation d'humain potentiellement libre. Si la prison reste une entreprise de dépersonnalisation et si l'enfermement clinique la confirme, l'humain, même physiquement libre, peut construire seul sa propre aliénation, assurer l'atrophie de ses propres sens. Vivre dehors n'empêche rien.

EXTRAIT

- Ce mec est dangereux, dit enfin Tibbets d'une voix plaintive.
- Cesse donc de dire des bêtises, gémit Kemp en levant les yeux au ciel.
- Vous êtes dangereux ? demanda Spellman qui semblait tout à coup préoccupé par la remarque de l'unijambiste.
Stilton se passa les mains dans les cheveux, dans un sens puis dans un autre. Il souffla dans ses joues.
- Il n'est pas plus dangereux que n'importe lequel d'entre nous, répondit l'astronaute à sa place. Est-ce qu'il a l'air dangereux ?
La tête de Tibbets fit son apparition contre l'épaule de Spellman.
- Oui, il a l'air dangereux, il a tué soixante personnes.
- On ne peut pas juger un homme sur sa mine, dit Rosen. L'habit ne fait pas le moine.
- Ca te va bien de dire une chose pareille, répondit Spellman.
- Est-ce que vous vous êtes repenti, Virgil ?
Kemp siffla entre ses dents d'un air agacé.
- Le repentir, on s'en fout, dit Tibbets. Est-ce qu'il a l'intention de continuer ? Voilà la vraie question.
Stilton fit un grand sourire à Rosen.
- Je me suis rendu, dit-il. J'ai tout été avouer aux flics. C'est pour ça qu'ils m'ont envoyé ici.
- Est-ce que vous avez l'intention de continuer ? demanda Tibbets qui vacillait, en équilibre sur sa jambe.
Kemp le foudroya du regard.
- Pourquoi est-ce qu'ils ne vous ont pas envoyé en prison ? demanda Spellman.
- Parce qu'il est comme tout le monde ici, répondit Kemp. Il est fou. Il est aussi fou que nous tous.
- Parlez pour vous, protesta Tibbets. Moi, je ne suis pas fou. Vous, vous êtes cinglés, mais pas moi. Je suis juste un peu dépressif.
- Ta gueule, Tibbets.
Rosen se grattait la tête, perplexe.
- Est-ce que nous pouvons admettre un meurtrier dans notre groupe ? demanda-t-il. Je ne dis pas ça pour vous être désagréable, Virgil, mais la situation est un peu particulière. Il s'agit d'un problème moral.
- Dans mon cas, dit Stilton, la morale ne devrait pas vous poser de problème. Parce que je suis innocent.