François Maspero : Les abeilles et la guêpe Résister - c'est le premier mot de ce livre, et c'en est en effet la devise, le leitmotiv. François Maspero tente ici une sorte d'autobiographie modeste et détournée : il ne peut d'emblée parler de lui, de son trajet intellectuel, littéraire et politique. Il appartient d'abord à l'humble guêpe - celle qui veille - de témoigner pour les abeilles - celles qui luttent et "piquent" - quelles que soient leurs armes. Son père, orientaliste et sexagénaire, s'engage très tôt dans la Résistance : arrêté avec sa mère, il partira dans un des derniers convois, le 14 août 1944, alors que Paris se libère ! Si sa mère revient de Ravensbrück, mémoire à jamais blessée de l'indicible, son père, lui, meurt à Buchenwald - peut-être dans l'extrême solitude du "musulman". Son frère aîné, FTP accompagnant l'armée américaine, tombe sur la Moselle, à dix-neuf ans. Pour sa part, il doit faire l'expérience, à douze ans, d'une seconde naissance, "une naissance à la mort", sous le regard de l'Allemand de la Gestapo qui aurait pu l'arrêter mais lui fait don de cette vie de survivant : comment, alors, à vingt ans, être à la hauteur de ceux qui sont morts pour nous ? C'est sans doute à cette tâche démesurée que tenteront de répondre les quarante années qui suivront : il les raconte ici en un subtil agencement, mêlant l'ex-Yougoslavie déchirée à l'Allemagne en ruines, l'Algérie malade d'aujourd'hui à celle de la lutte pour l'indépendance. Il ressuscite ainsi l'enthousiaste entreprise des Editions Maspero, épicentre de toutes les luttes de la marge - et ses amis, assassinés, suicidés ou épuisés par ces années de braise et de plomb, et auxquels, là encore, il doit survivre. Rencontres, portraits, méditations : chaque page nous émeut - et témoigne d'une conscience lucide, d'un humanisme pessimiste : prévoir le pire pour sauvegarder le meilleur. Thierry Cécille.
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