Kateb Yacine : Nedjma En 1945, le jeune Kateb Yacine, futur poète, dramaturge, journaliste, écrivain, se mélange à son peuple pour décrier une colonisation injuste. De ce 8 mai 1945, il retiendra la violence des uns et la souffrance des autres. Son inspiration, puisée dans les trois mois de détention - corollaire de sa participation à la manifestation - et la désillusion d'un message humaniste dénié, s'érige en voix contre l'oppression. La plume du plus célèbre des écrivains algériens trempe alors dans la colère poétique, l'amour jamais assouvi et la nostalgie permanente. Nedjma (l'étoile en arabe) naît sous les traits de la belle cousine, jeune et convoitée. Au centre d'un quatuor de prétendants, Rachid, Lakhdar, Mourad et Mustapha, Nedjma porte en elle la force avortée d'une nation entière. Les quatre amis, manœuvres sur un chantier de Bône, n'ont de cesse d'admirer la belle cousine, fille putative de Si Mokhtar, qui finira par épouser son propre frère, Kamel. Et c'est peut-être parce que Nedjma n'a pu lui offrir son amour que Kateb la punit en la faisant taire. Personnage central, elle n'a en effet pas droit à la parole et écoute les proses décalées des quatre narrateurs, rivaux et amis. Chacun, à sa manière, récite le drame de la manifestation ensanglantée de ce 8 mai 1945. Structurée de manière dite polyphonique, et portée par une écriture érudite, l'œuvre de Kateb Yacine est réputée difficile à lire. Mais ô combien poétique : "Brusque, câline et rare Nedjma ! Elle nage seule, rêve et lit dans les coins obscurs, amazone de débarras, vierge en retraite, Cendrillon aux souliers brodés au fil de fer ; le regard s'enrichit de secrètes nuances ; jeux d'enfants, dessin et mouvement des sourcils, répertoire de pleureuse, d'aimée ou de gamine." Quant aux quatre amants, ils sont cette "patrouille sacrifiée qui rampe à la découverte des lignes, assumant l'erreur et le risque comme des pions raflés dans le tâtonnement, afin qu'un autre engage la partie (…)" Bien qu'écrit en 1945, Nedjma ne verra le jour que des années plus tard. Hind Bouzar.
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