Nik Cohn : Anarchie au Royaume-Uni
L’olivier, 396 pages, 12 euros
De Nik Cohn, on connaissait l'album Rock Dreams (1974), fabuleux récit d'histoire du rock aux accents bibliques, associé aux photomontages savants de Guy Pellaërt, où l'imagerie pop art le disputait à l'iconographie religieuse.
Aujourd'hui, Cohn dresse un portrait exhaustif de l'Angleterre fin de siècle : avant-gardes, musiques, économies parallèles, pratiques spirituelles, comme autant de poches de résistance au totalitarisme libéral : déferlante techno, mysticisme new-age, fétichisme... Bienvenue dans ce que Cohn nomme la vaste République.
En 1996, accompagné de Mary, une journaliste qui sera à la fois son égérie et son passeur, Cohn entreprend une traversée de cette Angleterre des laissés pour compte, déviante et souterraine. Chahuté dans des scènes de foules babyloniennes - finales de foot, rave parties, marches orangistes - Cohn prend ses notes et poursuit, imperturbable, sa pratique du micro-trottoir. Alternent des portraits savoureux de prostitués, skinheads, DJs, syndicalistes, squatters. Des individus qui ne sont jamais que le résultat d'un construit social dont Cohn prend soin de décortiquer les mécanismes : grèves des mineurs, explosion du tourisme industriel dans les régions sinistrées, montée en puissance de la culture indo-pakistanaise, etc.
Une série de chroniques volontiers hilarantes, où chaque chapitre se lit comme un reportage : d'abord un plan panoramique sur un quartier, puis un zoom sur un personnage représentatif que la caméra-stylo de Cohn suit durant quelques heures dans son environnement.
Un constat itinérant sur une Angleterre en roue libre ; Cohn arpente la verte Albion et ses cités ouvrières pour y effectuer un véritable travail de sociologue de terrain. On songe à La Misère du monde de Bourdieu, en plus ludique et en plus allumé... Une démarche d'investigation poétique, de journalisme onirique, assortie d'une écriture enjouée, d'un style à la fois distancié et subtilement sarcastique.
Gianni Ségalotti.
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