Eric Monbel : Les angoisses de ma grand-mère Un grand cahier gris éléphant, rectangulaire, sur lequel s'incruste, dans le papier cartonné, la forme épurée d'une bombe. Sur le côté, sobre, un étroit bandeau de papier, type calque, mentionne le titre et le nom de l'auteur. A l'intérieur, des paysages sombres, qu'on dirait nocturnes : avions menaçants se découpant nettement dans des ciels livides ou tourmentés ; villes fantomatiques - Paris ? Lille ? Chartres ? - qui rappellent ces images d'archives que l'on a tous vues, même nous, enfants d'une génération sans guerre en notre pays… Les blancs, sur ces dessins monotypes (1), évoquent la sinistre luminosité des déflagrations dues aux bombardements. Ici le procédé utilisé sert le propos : les traces laissées par l'encre sur le papier miment l'atmosphère salie et noircie par les fumées meurtrières. Dessins où se mêlent beauté un peu abstraite née des formes pures et tristesse funèbre suggérée par les constructions noirâtres - dénuées de toute présence humaine - qui se dressent, solitaires, dans le ciel. Eric Monbel, par son titre naïf et presque enfantin, rend ici à la génération de ses aïeuls, ceux qui ont connu ces années de feu, la mémoire, ou plutôt met des images sur leurs souvenirs. Bel hommage que ce livre un peu austère et émouvant - précédé d'une assez éclairante préface de François Robichon : on imagine qu'Eric Monbel, jeune artiste, a écouté attentivement et longuement les récits angoissants de sa grand-mère, car ses monotypes semblent garder la trace calcinée de ces paysages urbains. Images qu'on aimerait anachroniques. Hélas… La nuit myrtide, 6 bis rue d'Arcole, 59000 Lille-Wazemmes (1) Plaque encrée sur laquelle est posée une feuille. Le travail se fait sur la face visible de la feuille qui s'encre au verso sous la pression du crayon et du chiffon. |