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L'Oeil électrique #29 |

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4livres

Jean-Jacques Rousseau : Les confessions, tome 1
1765, Folio

Bien sûr on peut sourire quand retentissent les orgueilleuses trompettes de l'ouverture : "Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme ce sera moi." Bien sûr il faut oublier l'image traditionnelle du vieux Rousseau en proie à la paranoïa, s'empêtrant dans les sophismes qui lui servent à excuser l'abandon de ses enfants. Découvrons plutôt, jour après jour, année après année, avec bienveillance et attention, le parcours de cet homme en devenir, de la solitude de l'enfance aux rêves de gloire du provincial débarquant à Paris. Les Confessions, première autobiographie de la littérature occidentale, sont sans doute aussi l'un des plus beaux romans du dix-huitième siècle - et le jeune Jean-Jacques un héros aussi émouvant que Julien Sorel, aussi ambigu qu'Emma Bovary. Enfant, il se débat entre le besoin d'amour et la haine de toute injustice, lorsqu'il a quinze ans sa chair éveillée - tentons de ne pas trahir sa prédilection pour les euphémismes ! - doit emprunter des sentiers solitaires ou s'exhiber parfois malencontreusement, jusqu'à ce qu'il trouve en Mme de Warens une terre promise - dont il ne sera pourtant qu'un hôte temporaire. Sur les routes, alors, l'aventure l'attend : autodidacte passablement mal élevé, domestique honteux, maître de musique ambitieux, il vagabonde. Les variations de rythme de ce récit en sont un des sortilèges : la mort de sa mère, comme en un roman picaresque qui ne s'embarrasse pas de tels détails, tient en quelques mots, mais l'éblouissante rencontre de Mme de Warens - souvenir toujours intact après presque quarante ans - donne lieu à une sorte d'adagio ému. Les épisodes se succèdent, les rencontres se multiplient, et sa personnalité se forge aux épreuves du hasard : on l'accuse et on le bat pour un peigne qu'il n'a pourtant pas dérobé et on lui volera ensuite un ruban qu'il gardait comme un véritable talisman amoureux, mené à Turin pour y être converti au catholicisme, il doit alors résister aux catéchumènes, "les plus grandes salopes et les plus vilaines coureuses qui jamais aient empuanti le bercail du Seigneur " et affronter un condisciple, désirant "passer aux privautés les plus malpropres et [le] forcer, en disposant de [sa] main, d'en faire autant"... Bien entendu le narrateur, adulte, tente, comme le feront tous ceux qui relèveront le défi de l'entreprise autobiographique, de ne pas voler la parole à celui qu'il fut, de la lui laisser, de ne pas trop tricher en remplaçant l'expérience contemporaine des événements par un jugement ultérieur, empreint d'une sagesse jadis impossible - mais l'écriture est celle d'un écrivain parfaitement maître de ses moyens, de toutes les ressources de l'art et de la langue : il peut marier sans hésitation, avec une réjouissante aisance, la verdeur presque Rabelaisienne des scènes réalistes à la finesse des descriptions de paysages déjà romantiques, et l'acuité psychologique des moralistes classiques à la matière vivante de ses nombreux autoportraits - auxquels peuvent seuls être comparés ceux de Montaigne, nous offrant un semblable plaisir : entre la familiarité et la fascination.

Thierry Cécille.