Ouvrage collectif : Birmanie, la peur est une habitude
Association Khiasma, 128 pages, 19 euros

Attention ! Ceci n'est pas un livre !
Elément charnière d'un projet menée depuis 2 ans par les associations Khiasma et Info Birmanie, cet objet est "un enjeu de communication". Une résultante. Une entreprise de vulgarisation qui dévoile la manière dont les militaires au pouvoir oppriment la population birmane depuis 1962. Loin des brochures touristiques vantant le charme du "Pays des milles pagodes", on découvre ici une tout autre réalité à mesure que s'égrènent les témoignages. "Travail forcé, embastillement des opposants, exécutions extra-judiciaires, viols,..." Une longue liste de méfaits auxquels il faut ajouter la collusion des firmes transnationales (dont Total ou les tour-opérateurs) avec une des pires dictatures de la planète.
La parole ainsi retranscrite démontre également que l'on peut institutionnaliser le leitmotiv orwelienne : crime par la pensée. De fait, l'on comprend un peu mieux le sens de la phrase conférant son titre à l'ouvrage : La peur est une habitude ; elle ne me fait pas peur. Prononcée par Aung San Suu Kyi (Prix Sakharov et le Prix Nobel de la Paix en 1991, elle est la fille de Aung San, un des deux "principaux artisans de l'indépendance"), cette déclaration prouve qu'il subsiste malgré tout une parole dissidente dans un pays qui n'a connu guère plus de 24 années d'indépendance (1948/1962) durant les deux derniers siècles.
L'autre particularité de cet ouvrage réside dans son désir d'accompagner les propos discursifs par l'image pour mieux les appréhender. Pour autant, "les bandes dessinées ne sont pas là pour tenter de convaincre de telle ou telle chose, mais pour tenter de porter une réflexion sur certains aspects de la situation." Et Frédéric Debomy, porteur du projet, d'ajouter : "nous tenions à ce que les auteurs ne se contentent pas de faire 'œuvre solidaire'"… à travers un "simple" travail d'illustration. Aussi les 7 artistes se sont-ils attelés à réel exercice d'écriture iconographique, en forme de cadavre exquis, qui leurs a permis de s'approprier les thématiques abordées. "[…] Sylvain Victor nous invite à suivre la course d'un jeune soldat engagé de force, qui fuit, qui rompt le carcan, qui se détache de l'oppression. […] Sera met en scène la chute de Manerplaw, QG de la Karen National Union devenu celui de l'ABSDF, le front des étudiants birmans ayant fait le choix des armes, à l'issue de la répression des manifestations populaires de 1988. […] Markus Huber et Frédéric Debomy mettent en scène le hors champs d'un voyage touristique en Birmanie […], etc."
Mais pour que cet écrit ne soit pas qu'un beau livre, venant s'ajouter aux ouvrages plus conséquent qui forment sa bibliographie, Khiasma propose ici et sur son site internet des actions à conduire pour agir sur la situation birmane. Certes, cet opuscule est publié au moment où la doxa planétaire, galvanisé par les récents événements, prône l'éradication des dictateurs de tout poil sur le globe. Mais gageons que ni les gouvernements français ou européens, ni les organisations onusiennes ou otaniennes ni les administrations états-uniennes ne fouleront demain le sol birman pour déloger la junte au pouvoir. Et un général birman de déclarer récemment : "Il n'y aura pas ici de situation à l'irakienne, où les USA cherchent à remplacer le régime, parce que le Myanmar est un ami de la Chine."
Estomaqué par son contenu, on tourne la dernière page de Birmanie, la peur est une habitude en pensant : ceci n'est pas qu'un livre ! C'est de l'activisme éditorial.