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L'Oeil électrique #5 |

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4livres

Hanan el-Cheikh : Femmes de sable et de myrrhe
0, Babel

Quatre narratrices se succèdent pour raconter leur expérience d’un pays du désert. C’est l’Arabie Saoudite que l’on croit reconnaître, à sa géographie, mais surtout à la rigueur extrême de ses lois envers les femmes. Le symbole de cette oppression est l’abaya noire, lourde, que celles-ci sont contraintes de porter, en plus du voile, dès qu’elles sortent.
Ces quatre voix, parlant à la première personne, installent le lecteur de plain-pied dans leurs récits. Se dessinent alors autant de personnalités et de destins différents : Soha, libanaise émigrée à cause de la guerre, souffre de l’altérité absolue de ce qui l’entoure. Elle est sans doute le personnage le plus autobiographique puisque l’auteur, libanaise elle-même, a vécu plusieurs années dans les pays du Golfe. Tamar, d’origine turque, petite fiancée du Sultan, conquiert âprement son émancipation. Susan, l’Américaine un peu médiocre se dépêtre dans une liaison bancale avec un homme de la société locale. Nour enfin, fille du pays, beauté, capricieuse, se débat vainement contre tous et contre elle-même, en pauvre-petite-fille-riche prise au piège de sa luxueuse villa.
Le roman offre cependant une unité, car finalement ces voix se confondent pour dire "l’étouffement". Étouffant, le sable qui recouvre tout, et provoque fascination et répulsion à la fois ; étouffante, l’intolérance qui vous guette dehors, à chaque pas que vous faites ; étouffants, les hauts murs derrière lesquels se dissimulent soigneusement les villas ultramodernes. Monde clos où s’écoule une vie artificielle, pleine d’ennui, peuplée de gadgets qui tiennent lieu de rêves.
Pourtant, la maison est le seul lieu où peuvent se lever les interdits et le plus fort d’entre eux principalement : la sexualité. Obsédante, elle harcèle tous les personnages, car presque tous vivent dans la frustration.
Déjouant les idées préconçues ou les clichés orientalistes, Hanan el-Cheikh décrit dans Femmes de Sable et de Myrrhe un univers féminin souvent brutal, non dénué de cruauté et de cynisme. Les hommes en sont d’ailleurs relativement absents ; géniteurs, époux, objets sexuels dans le meilleur des cas, ils apparaissent comme des figures périphériques, voire secondaires... encombrantes même ! à cet égard, l’homosexualité féminine, que l’auteur aborde en toute franchise, est vécue par les personnages comme l’expression d’une affectivité, mais surtout comme un espace de liberté, et de jeux.
Ce n’est pas le moindre attrait de ce roman, que de mettre en lumière les paradoxes d’une société aussi radicale.

EXTRAIT

"Je demande à Nour qui est cette femme. Elle répond en applaudissant gaiement :
– C’est Jalila, la gouvernante des filles Sidassi. Elle avait élevé la mère et, à sa mort, le père s’est remarié. Elle est restée à la maison avec les filles. Elles l’emmènent partout. Si on veut les inviter, il faut l’inviter, elle en premier.
Jalila défie toujours la chanteuse avec ses mouvements audacieux. Elle tire la langue et la remue comme elle fait avec chaque partie de son corps qui danse indépendamment du reste. Sa danse est souple. On dirait qu’elle ordonne à son corps d’onduler et de se trémousser. Elle s’abstrait de tout sauf de la musique. Ses sens ne voient que la chanteuse aux lèvres pleines. Le regard affolé, la bouche tordue, Jalila essaie de toucher le visage de la chanteuse, de l’embrasser sur les lèvres sous les applaudissements, les rires, les tambourins et les cris d’encouragement. Mais la chanteuse recule, rit ; elle fait semblant de sortir quelque chose de sa bouche qu’elle montre aux invitées. Très tendue, je demande à Nour :
– Que se passe-t-il ?
– Elles dansent une danse ancienne, me répond-elle en toute simplicité, une des danseuses tient entre les dents une bague ou une pièce en or et l’autre doit l’attraper avec ses dents.
J’interroge comme le fait Omar :
– Pourquoi ne continuent-elles pas ?
– Ghoussoun ne veut pas. Cette Jalila est redoutable. Elle doit être lesbienne.
Je ne saisis pas tout de suite le sens de ce mot. La voix de Ghoussoun chante la belle, les yeux de la belle et la taille de la belle. Les femmes et les jeunes filles continuent bien que Ghoussoun ait demandé à ce qu’elles ne soient pas plus de deux sur l’estrade ; elles n’en ont cure. L’allégresse, la musique et le sentiment d’être libres, loin de la maison et des enfants, la soirée qui leur promet encore des surprises, les font bondir sur la scène, en une danse primitive. Elles se satisfont de ce court intermède. Il y a si peu de telles soirées."