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L'Oeil électrique #12 | Nouvelle / Fatna

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NOUVELLE / FATNA

Par Emilie Gasc.
Illustrations : Olivier Josso.

Hier soir, papa est parti en voiture. Puis il est revenu très tard. Lorsqu'il est rentré, toutes les lumières se sont allumées. J'ai entendu parler fort dans la cuisine et les casseroles qui remuaient sur le fourneau. Ils parlaient arabe puis français et arabe et français et puis tout s'est éteint. Ça m'embêtait parce que je n'arrivais plus à dormir. J'aurais bien aimé descendre guetter par la serrure. Je ne pouvais pas m'empêcher d'y penser et je m'imaginais tant de choses que le sommeil était loin. Je savais qu'au réveil je verrais ma grand-mère du Maroc et je ne parvenais pas à trouver la meilleure manière de lui dire bonjour.
Le soleil s'est levé très vite, je me suis réveillé avant les dessins animés sur la Trois. La grand-mère dormait encore. Maman m'a dit que c'était normal, qu'il fallait qu'elle se repose parce qu'elle avait fait un très long voyage. Trois jours et deux nuits en bus jusqu'à la gare de Dijon où papa est venu la retrouver.
Je me suis fait une tartine et bu mon cacao devant les Chevaliers du zodiaque. Je ne suis pas arabe, moi. C'est ce que je dis toujours aux copains, c'est mon père qui est arabe, moi je ne le suis qu'un peu et ma mère pas du tout même si elle sait faire le couscous, le tajine et les madrossas. Même si on fait la fête du mouton et qu'on boit la soupe aux pois chiches pendant le ramadan et que je m'appelle Icham. Je me suis tourné vers elle :
- " Maman on est marocains nous ? "
- " Oui, papa est marocain alors nous aussi. "
Je ne connais pas la famille de mon père. On n'est jamais allé voir sa mère ni ses frères et sœurs au Maroc, il ne m'a montré que des photos, toutes vieilles, en noir et blanc avec des dessins sur les murs. Maman le regrette beaucoup et ne comprend pas pourquoi on repousse toujours. C'est d'ailleurs parce qu'on n'y est pas allé depuis ma naissance que la grand-mère est venue, elle veut me voir et voir son fils, c'est maman qui me l'a dit. Elle ne parle pas du tout le français et moi pas du tout l'arabe, je me demande comment je vais pouvoir lui dire bonjour.
Je suis resté assis à la table de la cuisine et j'ai attendu que le temps passe en regardant maman qui s'agitait avec ses légumes. Quand elle a eu presque fini de les couper en lamelles on a entendu des pieds qui frottaient le sol et ensuite quelqu'un a toussé. La grand-mère descendait. La porte s'est ouverte et elle est entrée.
Elle était toute petite et très menue, avec un foulard ou un drap sur la tête et du crayon bleu sur le visage qui dessinait des losanges avec des traits.
Elle a dit quelque chose avec mon nom dedans, elle levait ses mains et souriait.
Elle s'est approchée et m'a fait des bisous et des bisous, elle m'a serré et embrassé à m'étrangler et puis encore des bisous et une tape sur l'épaule avec des yeux qui scintillaient et des hochements de tête.
Et elle est allée embrasser maman.
Ma mère lui a montré du café, elle lui a servi un grand bol avec du lait puis elle lui a proposé du beurre et du pain. La grand-mère s'est assise en face de moi et hochait la tête avec un grand sourire. Elle me prenait la main de temps en temps en me la tapotant, moi je ne savais pas quoi dire alors je souriais.
La matinée est vite passée, mon père était au boulot et la grand-mère avec moi sur la banquette à regarder la télé. Ma mère venait régulièrement pour s'assurer que Fatna n'avait besoin de rien. Fatna c'est son prénom, mais moi je dis " la grand-mère du Maroc ", ma mère dit " la grand-mère " et mon père k'appelle " Mui ". Maman lui faisait comprendre ce qu'elle disait en faisant des gestes avec ses bras. Fatna remuait la tête pour dire non, et penchait la tête en avant pour dire oui, elle levait la main à la bouche pour demander à boire en même temps qu'elle demandait en arabe et ainsi de suite.
A table mon père et elle n'ont pas arrêté de discuter, la grand-mère du Maroc avait l'air très heureuse. Toutes les cinq minutes mon père nous traduisait et elle disait qu'elle était contente et que me voir lui faisait plaisir.
Je me suis appliqué, j'ai mangé comme il fallait, avec trois doigts de la main droite avec du pain et dans la part du plat devant moi. C'était un tajine avec de l'artichaut et pourtant je n'aime pas ça l'artichaut mais je voyais que la grand-mère était ravie que je mange bien.
Les jours sont passés très vite. On regardait la télé, on allait se promener, on faisait le marché, on mangeait, maman et la grand-mère du Maroc se faisaient des hennés, on cuisinait, on jouait aux cartes.
La grand-mère du Maroc m'a donné un jeu de cartes, elles sont belles avec des beaux dessins dessus très colorés. Elle nous a appris à y jouer avec papa et maman, c'était vraiment drôle, et comme cela nous amusait tous beaucoup Fatna riait et on pouvait voir qu'il lui manquait plusieurs dents alors je riais encore plus.
J'ai appris plein de mots avec elle, je sais lui montrer une image en disant " chouf ", je sais compter jusqu'à dix et heureusement parce que pour jouer avec elle aux cartes mieux vaut savoir compter.
Trois mois sont vite passés, papa a dit : " le visa arrive à sa fin " maman m'a expliqué que cela voulait dire que l'autorisation donnée par la France à Fatna pour rester ne serait bientôt plus valable. J'ai fait mine de comprendre mais je ne savais pas qu'il fallait une autorisation et ça m'a fait penser à mon copain Réto qui lui aussi a besoin d'une autorisation pour aller voir son père en prison. La grand-mère du Maroc préparait ses valises, elle m'a montré toutes les photos qu'elle avait, pas plus de dix mais avec beaucoup d'enfant dessus, plus qu'il n'y en a dans ma rue. Elle a dit leur prénom., il y avait mes cousins et des voisins, Bénaïssa, Mounir, Zaïd, Amida, Fatima, Mohamed, Sonia, Abdila… Certains ont des maisons en terre et d'autres en briques, ils sourient tous et ont l'air de bien s'amuser. Elle m'a montré du doigt un grand cactus à côté d'une maison, et m'a fait signe de manger quelque chose en disant " Mmmm ". Papa m'a alors dit qu'elle voulait me faire savoir qu'il y avait des fruits sur le cactus, ce sont des figues de barbarie et elles sont délicieuses. Le Maroc c'est vraiment super. Les derniers jours ont vite passé, avec maman on a préparé des paquets avec des cadeaux pour les oncles, les tantes et les cousins. Des pulls, des maillots, des bonbons, des jouets et des sous. Fatna nous a dit au revoir, c'était très triste, elle a embrassé maman, et puis moi et m'a serré très fort et encore embrassé et puis papa l'a fait monter dans la voiture, et ils sont partis.
Je ne sais pas si on ira au Maroc cette année, j'ai demandé à maman elle m'a dit que peut-être.