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L'Oeil électrique #13 | Société / Robert Fleck

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Par Achraf Reda, Kate Fletcher, Morvandiau.
Photos : Kate Fletcher.

Né en Autriche en 1957, où il étudia la démocratie comme historien, Robert Fleck est aujourd'hui directeur de l'Ecole Régionale des Beaux-Arts de Nantes. Critique d'art et commissaire de nombreuses expositions ( il le fut très officiellement de 1991 à 1993, puisque délégué par le gouvernement autrichien), l'arrivée au pouvoir de l'extrémiste FPÖ dans son pays ne pouvait le laisser indifférent. Le 8 février dernier, par le biais du journal Libération, il annonçait publiquement sa décision de renoncer à sa nationalité ainsi que la fin de sa collaboration avec toutes les institutions artistiques et culturelles. Retour, 4 mois plus tard, sur une prise de position aussi symbolique que polémique.

Vous êtes historien de formation. Comment en êtes-vous venu à travailler dans le domaine artistique ?
J'ai d'abord fait des études universitaires d'histoire politique sur la démocratie au dix-neuvième siècle, puis une thèse sur la Révolution de 1848 à Paris. Parallèlement aux études, au travers d'une grande exposition à Kassel en 77, l'histoire de l'art contemporain a commencé à me fasciner. Pendant 3 ans, j'ai travaillé comme homme à tout faire dans les trois galeries d'avant-garde qui existaient en Autriche. A l'époque, le milieu artistique était très petit, très international, presque plus qu'aujourd'hui. Il y avait aussi beaucoup moins d'argent et les politiques ne s'y intéressaient pas encore. Il existait une très grande proximité entre les gens qui devenaient progressivement des médiateurs (en ayant appris les métiers par la base), et les artistes. C'est comme ça que j'ai peu à peu découvert ce milieu.

Vous annonciez récemment votre renoncement à la nationalité autrichienne. Où en êtes-vous ?
J'ai entamé les procédures mais je n'ai pas encore déposé le dossier : c'est le dernier acte public que je peux faire en Autriche, donc j'attends la bonne occasion. De toute manière, j'y pense depuis très longtemps… Je crois que ce sentiment de nationalité est très différent pour des gens qui viennent de l'Europe Centrale : pour un Français, même si tes parents sont immigrés, ils sont devenus français et ils le sont restés. En Europe Centrale, dans chaque famille au vingtième siècle, les gens ont changé au moins trois fois de nationalité. C'est un peu étrange d'avoir la nationalité autrichienne : à la différence de la France, les régions ont changé de pays.

Les comparaisons que vous formulez avec les périodes de la guerre 39-45 ou avec la dictature de Pinochet ne sont-elles pas abusives ?
La situation est en train d'évoluer énormément. Si l'on regarde la campagne ultra nationaliste déclenchée par le gouvernement autrichien contre l'Union Européenne, et plus spécialement contre la France, le Portugal et la Belgique, ainsi que contre tout intellectuel ou artiste autrichien qui émet des critiques sur l'Autriche, on peut se demander si ces comparaisons ne sont pas déjà aujourd'hui justifiées. Un tel climat unanimiste d'un "patriotisme" imposé, mais auquel la population adhère dans une très large mesure, rappelle plus précisément la Croatie pendant la guerre des Balkans.

En renonçant à votre nationalité autrichienne, vous perdez votre droit de vote dans ce pays. N'est-ce pas renoncer à un pouvoir primordial en tant que citoyen ?
D'une part, en étant né dans tel ou tel endroit, on n'a pas d'obligation ou de responsabilité particulière envers ce pays. Si je suis né en Autriche et si celle-ci se comporte d'une manière que je ne peux pas accepter, je n'ai plus la moindre obligation. Tout le monde peut s'en aller quand il veut. D'autre part, mon bulletin de vote aurait certainement eu un effet minimissime par rapport à l'effet qu'a eu ma position publique, puisque encore aujourd'hui ma position est régulièrement discutée dans des débats publics en Autriche. J'ai eu des échos de jeunes artistes et d'étudiants, de 25/35 ans, complètement extraordinaires qui soutiennent cette position symbolique. Les artistes de ma génération, quant à eux, pensent souvent que cette réaction a été trop dure et prématurée… C'est vrai qu'un artiste est tributaire d'énormément de choses : les investissements pour réaliser une œuvre sont très lourds, il faut avoir les collectionneurs sur place et, si on a deux enfants, on ne peut plus changer de pays. Les galeries sont furieuses parce qu'elles disent que j'ai fait fuir les clients. Concernant les jeunes artistes, j'ai l'impression qu'il y a eu une petite confusion : il s'agit d'une question politique et non artistique. Un artiste peut trouver une position politique dans son travail mais il ne doit pas se sentir obligé de répondre strictement à ces évènements avec son travail. Beaucoup d'entre eux vont se perdre là-dedans.

Quelle est la position du FPÖ par rapport à l'art en général et l'art contemporain en particulier ?
Actuellement, le climat dans le milieu artistique se pourrit très rapidement, les conservateurs diminuent nettement les subventions aux différentes associations alternatives et ça crée une énorme tension. Il y a des rumeurs qui se propagent : "lui, il est collabo…", etc. Des étudiants originaires de la région gouvernée par Haider (la Carinthie) sont descendus à Vienne en décembre dernier pour manifester contre la discrimination quant à l'attribution de bourses d'études. Les dossiers, et par là même, la biographie des intéressés, atterrissent directement sur le bureau de Haider. De manière plus générale, à la moindre expression non conforme, ils suppriment les budgets ou attaquent directement la personne. Lors d'un vernissage dans un lieu d'exposition alternatif, un responsable du gouvernement régional s'est pointé et a vu écrit sur un mur "dehors les nazis". Le lendemain le lieu était fermé. La pression est énorme sur les artistes et les lieux d'exposition, même si elle n'est pas officialisée au plan national. Lors d'un congrès au Tyrol, l'ancien porte-parole du FP? a accusé certains artistes de renommée internationale de s'être fait payer leur carrière par les partis socialistes. En 1994, j'ai fait une expo à Vienne et, tous les jours, des croix gammées étaient peintes sur l'immeuble. On les effaçait à chaque fois mais la police refusait de dresser un procès verbal (alors qu'il y a trois ans elle l'aurait fait) en disant que c'était normal. C'est vraiment un moyen de pression, la terreur sur les gens. Il y a eu dans une galerie une grande exposition d'artistes de Los Angeles à peu près aussi virulents que les actionnistes viennois dans les années 60 : un artiste est arrivé avec des skis autrichiens où il avait remplacé le logo par une croix gammée. Graphiquement, c'était très bien (rires). Quand il a mis ça sur le mur, la galeriste a dit : "Si Haider nous attaque pour ça, je perds tous mes clients." Bien sûr, cela a été rangé dans la réserve… Si un homme politique fait ça pendant 15 ans, en permanence, ça peut changer toute la société. Tout le monde s'adapte à ça. Le FPÖ fonctionne comme ça depuis déjà 14 ans et maintenant, ces attaques viennent directement du gouvernement. Ce qui est inquiétant, c'est qu'il n'y a aucun leader d'opinion qui émerge dans le milieu culturel. Les gens se font la guerre et l'activité de résistance n'a aucune stratégie. Les manifs continuent chaque jour, cela n'a jamais existé avant, c'est incroyable ! Cependant les gens ne voient rien venir de cette mobilisation : ça n'a rien apporté jusqu'à maintenant, rien du tout.

L'arrivée du FPÖ au gouvernement ne semble pas être une surprise pour vous…
Dans les années 70/80, les socialistes ont été pour la première fois au pouvoir depuis les années 20. Le Chancelier Bruno Kreisky, était un vrai intellectuel, et il était juif. Il ne le cachait pas mais il avait strictement une position laïque. Cela ouvrait énormément le pays. En 1986, avec Kurt Waldheim, ça s'est refermé (cet ancien officier de la Wechmacht, dissimulant son passé, devint Secrétaire Général de l'ONU de 1972 à 1981. Il fut élu Président de République en Autriche en 1986). Il a banalisé le fait d'avoir été dans une unité très dure de la Wechmacht : "Je n'ai fait que mon devoir," etc.… Six mois après seulement, Jorg Haider, encore tout jeune homme politique, a fait un putsch très violent dans son parti, avec des moyens de communication extraordinaires. Dès le début, ç'a été une forme de réhabilitation douce du nazisme, le discours étant qu'il y avait des choses négatives chez Hitler mais qu'au moins, il n'y avait pas de chômeurs. Le problème, c'est que la droite a un énorme ressentiment par rapport à l'époque de Bruno Kreisky, lorsqu'elle a complètement perdu le pouvoir. Ils étaient donc au plus bas de leur histoire et leur seule chance de battre les socialistes était de faire cette coalition avec Haider. Je suis assez sûr que, très consciemment, ils ont fait le même calcul que les conservateurs allemands quand ils ont appelé Hitler au pouvoir. C'est un calcul complètement machiavélique où ils espèrent être plus forts que l'extrême droite… Sachant qu'Haider est un type ultra intelligent qui maîtrise parfaitement la communication, il n'est pas clair d'affirmer qui va être le plus fort. Il y a eu un séminaire interne de très haut niveau à l'Académie Diplomatique de Vienne sur tous les problèmes posés par l'adhésion à l'Union Européenne. Le seul homme politique qui est venu, c'est Haider, qui a fait campagne contre l'adhésion mais qui venait écouter les experts ! Il va chercher les informations de tous les côtés. Il va également voir les artistes qui ont des projets extrêmement ambitieux pour leur proposer de les réaliser. Pour quelqu'un qui est né dans ce pays, je pense qu'il est inadmissible de recommencer cette histoire.

Pensez-vous que votre prise de position ait été comprise par les Autrichiens, notamment ceux qui disent : "On peut lutter de l'intérieur, etc." ?
Je n'ai jamais dit qu'il ne faut pas travailler avec les artistes autrichiens mais que je ne travaille plus avec les institutions puisque, beaucoup plus qu'en France, elles dépendent très directement de l'Etat. Faire en sorte que la vie culturelle semble normale, malgré leur présence au gouvernement, serait le meilleur argument pour l'extrême-droite. C'est essentiel. Ce qui est très sensible là-bas, c'est que beaucoup de choses ne se font plus de la même manière : le Bal de l'Opéra, par exemple, événement culturel majeur en Autriche, a été boycotté par Catherine Deneuve et Claudia Cardinale. C'est très visible et les gens le ressentent. Les Autrichiens ne le comprennent pas mais au moment des présidentielles avec Waldheim, c'était la même chose : "C'est complètement fou, qu'est-ce qu'il a fait ? Il était à la Wechmacht et alors ? Pourquoi est-il sur la liste d'observation américaine (lui interdisant toute entrée sur le territoire américain) ? C'est injuste." Au bout de la deuxième année de son mandat, les relations des ministres avec l'extérieur étaient principalement administratives, les milieux d'affaire commençaient à se plaindre… Au bout de 4 ans, tout le monde priait Waldheim de ne plus se représenter. Je crois que la pression peut avoir un effet rapide puisque l'Autriche dépend à 50% du tourisme. Selon certains sondages, plus de la moitié des touristes allemands ne veulent plus aller en Autriche pour les vacances. C'est le seul argument valable contre le nouveau gouvernement. Si ça marche, ils perdront les prochaines élections.

Vous refusez donc de travailler avec les institutions autrichiennes. Travaillant maintenant dans une institution française, comment-vous positionnez-vous vis-à-vis de l'implication de membres du FN au sein du Parlement européen?
Institutions autrichiennes, institutions françaises et Parlement européen, cela n'a rien à voir. Au Parlement européen, il y a des élus d'extrême droite, comme dans presque tous les parlements, mais le FN n'est pas au pouvoir. En Autriche, les conservateurs ont placé l'équivalent du FN au pouvoir, en lui accordant la moitié des ministères, dont la Justice et les Finances ! C'est tout à fait autre chose. Bien évidemment, je n'aurais jamais été candidat pour une fonction en France, ou ailleurs, dans une ville où le FN participerait au gouvernement local. Cela va de soi.

Le cinéaste autrichien Mickael Haneke a déclaré récemment : "Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'Autriche détient le triste record européen des suicides. Je crois que le fond du problème est que notre peuple est vieux, usé, fatigué par lui-même." Qu'est-ce que vous en pensez ?
De manière anecdotique, il se trouve que le frère de Kurt Waldheim était mon prof de physique au lycée. Il était d'une très grande amabilité mais il avait des coutumes un peu spéciales qui, à l'époque, nous faisaient plutôt rire : les examens étaient uniquement oraux. Il faisait sortir les gens à l'improviste devant toute la classe et il contrôlait, par exemple, si les ongles étaient sales ou si les chaussettes avaient des trous… Il n'y avait aucune question de physique, simplement des questions de comportement. Nous, on aimait bien parce que la seule chose à faire avant le cours, c'était de vérifier tout ça (rires)… En fait, c'était complètement maniaque, à la limite complètement pervers et extrêmement autoritaire, notamment par rapport à toute la hiérarchie sociale dans la classe : les gens qui venaient de familles modestes avaient beaucoup plus de chances d'avoir des problèmes… Après coup, je me suis dit que c'était vraiment un problème de fond autrichien qu'on peut relier à la chape de plomb qui recouvre toute la deuxième guerre mondiale, etc. Les Autrichiens ont également une vision géographique distordue concernant les anciens pays communistes. Un soir, alors que je partais de Vienne pour Brno en République Tchèque, on m'a demandé si je prenais le train de nuit. Alors que ce n'est qu'à une heure et quart de Vienne !!! Depuis la disparition du Rideau de fer, les gens se sentent menacés bien que la proportion de population venant de l'Est soit toujours la même. Lors de la Révolution française, les Autrichiens ont compris qu'ils étaient une minorité par rapport aux Hongrois et aux Slaves : introduire la démocratie dans l'empire risquait de les éloigner du pouvoir. Cette peur est restée. Par ailleurs, les Autrichiens entretiennent une position ambiguë depuis la guerre des Balkans : Croatie, Bosnie, Kosovo, dans tous ces conflits, ils n'ont pas su comment se comporter. Ils sont traditionnellement anti-Serbes (depuis le seconde guerre mondiale) et étaient contre l'intervention de l'OTAN. Mais ils se sont aussi dits "ça peut nous arriver un jour." Ils ont l'impression d'être dans une forteresse, toujours sur la défensive. C'est un peuple très vieux mais la démocratie n'a même pas encore 50 ans. Beaucoup de structures autoritaires demeurent et tout cela peut donner de très mauvais exemples aux pays environnants.

Pensez-vous qu'il faille interdire des partis comme le FPÖ ou le FN ?
Le FPÖ est lui-même une émanation du NSDAP (parti nazi interdit en 1945) que ses membres, amnistiés en 1948, ont créée. Il faudrait simplement appliquer les lois en vigueur : toutes ces activités amenant à une réactivation du nazisme sont interdites. C'est très strict mais ça n'a jamais été appliqué ou seulement de manière partielle. Si c'était le cas, Haider se ferait coincer tout le temps. Des intellectuels étrangers ont déjà gagné des procès contre Haider pour nostalgie du nazisme. Mais ça ne va pas plus loin. Il y a une sorte de soutien social de la part des familles où le nazisme ne s'est jamais arrêté. C'est réellement un combat mené pour imposer une certaine vision du monde. De plus, Haider a obtenu la confiance de la jeunesse, ça fait une combinaison explosive. C'est une stratégie de la haine. Si j'étais Roumain et si j'entendais Haider, j'aurais la haine des Autrichiens.

Et vous pensez que l'embargo politique des pays européens va être efficace ?
L'Union Européenne a une grande influence. Ils sont là depuis 3 mois et le nouveau Ministre de la Culture n'a jamais rencontré un homologue européen… Même les membres de cabinets ne peuvent pas rencontrer leurs homologues, des administratifs subalternes. Ils font tout pour arrêter l'embargo. Quand on sait un peu comment fonctionne un ministère, on peut quasiment arrêter de travailler. Même pour les grandes expos de l'été, c'est toujours important que le Ministre se déplace et, là, il n'y est pas invité. C'aurait été extraordinaire si Haneke avait eu la palme d'or à Cannes, car c'est celui sur lequel le gouvernement tape depuis des semaines (rires).