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L'Oeil électrique #13 | Musique / Scanner

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Par Marc Le Gall, Wilfried Jaillard.
Photos : Wilfried Jaillard.

Vous êtes assis dans l'obscurité, attentif. Un garçon au visage lunaire, intégralement vêtu de noir, traverse la scène et s'installe derrière une table jonchée d'appareils. Quelques applaudissements épars, puis de nouveau le silence… Une voix déformée papillonne d'une enceinte à l'autre avant de se fondre dans une nappe d'infrabasses, rapidement renforcée par quelques fragments électriques et hertziens. Un sample fantomatique vous hypnotise… Puis un rythme déferle pour vous rappeler que vous assistez à un concert de Scanner.
Derrière ce pseudonyme se cache Robin Rimbaud, compositeur, performeur, sculpteur sonore, homme de radio et de presse, Dj et manager du label Sulphur. Au début des années 90, ses flâneries électroniques ont engendré une petite polémique : fasciné par les voix et les ondes hertziennes, le Londonien piratait les conversations échangées par le biais des téléphones mobiles pour créer des tranches de vie décalées, écorchant au passage la sacro-sainte notion d'espace privé. Rimbaud a rapidement délaissé ce terrain de jeu pour se concentrer sur ses expérimentations sonores, partagées entre poésie rythmée et oppression ambiante. On aurait pu croire l'homme austère, mais il n'en est rien ; à trente-cinq ans, cette figure emblématique de la scène underground est avant tout un agitateur d'idées, altruiste et motivé.

Comment as-tu commencé à manipuler les sons ?

J'ai utilisé beaucoup de conversations téléphoniques sur les premiers travaux de Scanner. Et j'ai réellement aimé les sons étranges et abstraits que l'on entend entre les mots, ces genres de "onshhhiiiiii khouuhhh !" J'ai été très intéressé par l'idée qu'il existe un monde de sons dans les ondes. Et j'ai commencé à utiliser les débris, les incidents, les choses que l'on n'utilise généralement pas pour la musique. Vous savez, avec la technologie digitale, tout est censé être propre et très précis : on voit tout sur un écran, on peut enlever toutes les scories… Moi, j'aime les accrocs, les erreurs ; ce que j'appelle le bruit de surface. Pour moi, ces sons dégagent une chaleur organique, ils sont presque réels. Et je me suis beaucoup intéressé à ce "langage".

Travailles-tu le propos des conversations que tu as collectées ? Cherches-tu à leur donner un sens ?

Ca dépend. Parfois, j'utilise juste la narration, en gardant l'histoire qui se raconte. Parfois, j'aime enlever un des interlocuteurs, homme ou femme. On entend la première personne impliquée dans la conversation sans connaître la seconde. Comme sur le morceau intitulé Heidi (album Delivery), il faut se demander : "Que dit-elle ? Comment réagit-elle ?" J'aime ces conversations privées car elles n'ont pas de mémoire collective. Quand quelqu'un sample une voix extraite de Blade Runner, l'auditeur sait à quoi le personnage ressemble, ce qu'il va faire… J'aime sampler les voix de gens ordinaires, comme nous. L'auditeur ne sait pas qui ils sont, il doit faire travailler son esprit pour imaginer comment ils sont, de quoi ils parlent… Mais actuellement, j'utilise surtout des voix très courtes ; juste une petite phrase qui apparaît et disparaît…

Comment travailles-tu musicalement ? Tu fais tout à la maison ?

Oui, et quand le projet est terminé, je loue un studio pour faire un peu de post-production, donner plus d'ampleur aux choses. C'est comme si on mettait un verre grossissant dessus.

Quel équipement utilises-tu exactement ?

Mon meilleur achat fut un quatre pistes à cassettes. Cet outil permet de constater que chaque son est intéressant. On peut l'allier à un autre, les jouer ensemble, c'est très stimulant. Le premier Scanner a été enregistré avec un quatre pistes et une chambre d'écho ; c'était tout ce que j'avais à l'époque. Enregistré en un jour, en une session, une nuit de lundi. Le second a pris un peu plus de temps, mais c'était également assez rapide. C'est d'ailleurs toujours le cas, je ne m'éternise pas sur mes disques. Peut-être que ça se sent, non ? A l'époque, je bossais. Je n'avais pas beaucoup d'argent et j'utilisais ce que je pouvais m'offrir. J'ai fini par acheter un ordinateur, qui me permet notamment de retravailler les sons hertziens : les ralentir, les accélérer, leur faire faire des trucs rigolos. Je me suis équipé lentement, et maintenant, je continue à utiliser peu de matériel : un sampleur Akaï, un petit clavier Roland, un scanner à main, un ordinateur, et c'est à peu près tout. Mon travail est très simple dans l'ensemble, je ne déconne pas ! Je n'ai pas besoin d'un équipement important. Je ne connais même pas mon matériel à fond. Et je ne suis pas encore allé au bout de ses possibilités, donc je n'ai pas vraiment besoin d'aller chercher du nouveau.

Tu utilises la technologie pour concrétiser tes idées, mais elle ne te pousse pas à explorer d'autres possibilités ?

Pour moi, il est important de ne pas laisser la technologie prendre le pas sur mon travail. Le problème des séquences, c'est qu'elles créent un certain type de musique qui convient à la techno ou la dance, mais elles ne laissent pas de place aux accidents. Parfois, les gens se plaignent de mes disques car ils ne sont pas quantifiés…

Ils ne sont pas quoi ?

Les séquences ne sont pas calées scientifiquement par ordinateur. Mais c'est normal : tout est joué live ! Moi, si je dois jouer une rythmique de 0 à 500, au lieu de jouer cinq temps et de mettre le séquenceur en boucle, je vais jouer de 0 à 500. Donc le rythme peut changer, et ça agace certaines personnes. Certaines se plaignent ! Moi, ça m'amuse !

Quand j'ai découvert Scanner, à l'époque de l'album Spore, j'ai perçu ton travail comme un scan sociologique. C'était ton objectif à l'époque ?

Non, en toute honnêteté, je me suis posé ces questions après coup. Ce que j'ai réalisé, c'est ce travail, et je pense qu'en parler peut parfois être problématique. J'essaye d'en parler, mais le principal reste l'œuvre. En fin de compte, je souhaite que les gens puissent l'apprécier et la discuter. Mon discours peut permettre sa compréhension, mais l'œuvre en elle-même doit suffire. Dans mes premiers travaux, je n'avais aucun objectif précis.

Et par la suite ?

Pour Spore, je voulais m'orienter vers un travail plus mélodique, plus séducteur et plus émotionnel. Après cela, je me suis orienté vers des improvisations. J'ai fait une série de disques live pour le label Sub Rosa, avec lequel j'adore collaborer. Après, j'ai publié Delivery et… Qu'est-ce que j'ai fait après ?

Ce n'est pas The Garden Is Full Of Metal, ton hommage au cinéaste Derek Jarman ?

Si ! A l'époque, j'étais un peu fatigué de parler des autres personnes, des relations entre les individus, de l'aspect social du piratage des conversations privées et des problèmes de moralité qui s'y rattachent : "Est-ce bien, est-ce mal ? " Et j'ai réalisé que j'étais aussi vulnérable que ces gens que j'avais piratés. Alors, je voulais faire autre chose qu'un disque de Scanner, que les gens ne se disent pas : "Oh, c'est Scanner, donc des conversations téléphoniques drôles et passionnées." Je voulais juste surprendre. C'est un disque personnel, doux et paisible sur un ami décédé. Ceci dit, le public me connaît surtout pour mes disques qui ne représentent qu'une petite partie de mes activités… Mon problème d'image vient du fait que je ne suis pas comme Radiohead : je n'enregistre pas un album pour partir en tournée. Je ne fais aucune promotion de mes disques, je suis toujours barré sur le projet suivant. En fait, la majorité de mon travail est totalement en dehors de l'industrie du disque.

En l'occurrence ?

Ces deux dernières années, j'ai surtout fait des

performances live et je conçois des installations sonores. Je m'intéresse aussi beaucoup aux interfaces, aux nouvelles techniques pour générer du son. Je travaille à la création d'un logiciel musical interactif. On appelle ça des jouets à son : tu as des boutons et des images sur un écran, tu les tournes et ça génère des sons ! Par exemple, j'ai un projet avec le Kronos Quartet (quatuor à cordes contemporain). Nous avons fait un titre ensemble, qui varie à chaque fois que tu l'écoutes. Tu joues le même morceau de musique, en suivant les notes, mais il sonne différemment à chaque fois. C'est assez étrange. Mais nous sommes en train de le construire, donc… Dans un esprit proche, j'ai réalisé une installation permanente pour le Musée des Sciences de Londres. En apparence, il s'agit d'une grande pièce vide, mais elle est remplie de faisceaux lumineux invisibles. Lorsque l'on se déplace à l'intérieur, on les traverse et chacune déclenche des samples. Ce sont les sons de la science : de l'électricité, du soleil, du sang coulant dans les veines, de la liposuccion… Tous ces sons ont été enregistrés avec des scientifiques qui bénéficiaient de matériel de pointe. C'est parfois assez écœurant…

C'est le journalisme scientifique qui te permet de bénéficier de ces relations ? Ou sépares-tu tes activités de journaliste et de musicien, comme deux univers distincts ?

Non, c'est un tout. Je dois être très rigoureux dans ma tête, car je travaille sur différents projets, qui partent dans des directions différentes. Cette installation émane d'une invitation du Musée, et il fallait que le projet ait pour thème la science. D'un autre côté, le morceau avec le Kronos Quartet est basé sur l'idée d'utiliser quatre musiciens et quatre vrais instruments, et de voir ce qui peut en sortir. Toutes ces choses différentes ont leur propre logique. Donc, mon cerveau agit comme un commutateur : aujourd'hui je fais ceci, le lendemain je fais cela. J'aime beaucoup ça car ça me maintient en vie, me maintient en alerte tout le temps. Mais ces activités restent méconnues du public car beaucoup de ces projets n'ont rien à voir avec la presse et les médias. Je viens juste de terminer un projet important à Londres, sur le film Alphaville de Jean-Luc Godard. J'en ai refait la musique. Nous avons projeté le film dans un cinéma Himax énorme et deux mille personnes sont venues. Deux mille ! C'était incroyable !

J'ai l'impression que le public devient assez important pour ce genre d'événements. Sans parler de révolution, penses-tu que ça marque une évolution dans la façon d'appréhender la création ?

Je pense que c'est une question d'époque. Moi, j'ai été très chanceux, mais j'ai travaillé très dur. Et ça aide de travailler dur, même si beaucoup de gens ne rencontrent aucun succès. C'est comme si tu te cognais la tête contre les murs et que personne n'entende. Mais il semble que les gens écoutent, maintenant… Cette année, l'exposition Sonic Boom, organisée par David Toop, va être mise en place à la galerie Hayward de Londres. Ce sera un fantastique hall de sons artistiques. Il y aura des gens de Sonic Youth, Pan Sonic, beaucoup de créateurs intéressants. Ce sera la plus grosse exposition de ce type qui ait jamais été mise en place. Ils y attendent plusieurs millions de personnes ! Des millions, je ne blague pas !

De ton côté, tu organises toujours des soirées de découvertes musicales dans le cadre de l'Electronic Lounge ?

Oui ! J'ai lancé ce projet il y a cinq ans, à l'Institut d'Art Contemporain de Londres. Au départ, j'organisais une soirée par mois, mais maintenant c'est tous les trois mois. Cette année, je vais en faire une française en juillet, avec Erik M, Dad Politics et Tone Rec. Nous travaillons en collaboration avec le Batofar, à Paris. Je vais également organiser une soirée sur la radio, dans un local plongé dans le noir, et je passerai une pièce de Jean Cocteau. J'observe comment les gens réagissent. J'aime organiser ce genre d'événements car les publics sont très différents. J'ai dans l'idée que, en Angleterre en tout cas, les gens vont venir à ces soirées, ils sont intéressés. Et je réussis facilement à promouvoir mes projets. Pour moi, l'important, c'est de pouvoir faire ça. Quand j'étais à l'école, il n'y avait rien de plus excitant que de voir un artiste entrer dans la salle de classe et dire : "Voici ce que je fais !" Maintenant que je suis plus âgé, il est devenu important pour moi de promouvoir d'autres personnes, et de dire : "Voyez ce que l'on peut faire." Par exemple, en Hollande en mai, je participe au festival Impact. On m'a demandé de programmer une soirée, et ça me stimule de promouvoir des artistes qui n'ont pas plus de reconnaissance publique. En général, je suis très fan de ces créateurs, donc…

On dirait que tu es plus intéressé à l'idée d'aider les autres…

Oui, c'est important d'encourager les gens à créer. Les discussions auxquelles je participe dans les universités et lors des expositions vont dans ce sens. Leur dire : "Oui, tu peux le faire !" Récemment, deux filles sont venues me voir et m'ont demandé comment il m'était possible de réussir dans ce que je fais. Lorsque l'on crée, la pire des choses est de rester chez soi, à espérer que ceci ou cela va arriver. L'important, c'est de travailler ! Car quand on aboutit, on peut dire : "Voilà ce que j'ai fait !" C'est le même processus en ce qui me concerne. Si je suis à Nantes ce soir, pour le festival Oblique Lu Nights, c'est parce que j'ai rencontré les organisateurs en jouant au festival de Nevers ; et les choses se perpétuent de cette façon, ça n'arrête jamais ! Et maintenant, j'ai créé Sulphur Records pour enregistrer et diffuser les disques de gens qui n'ont pas autant de chance que moi. Un label représente beaucoup de travail, ça ne me rapporte pas d'argent, mais c'est très important pour moi. Sulphur partira dans des directions très différentes, je suis même capable de signer de la pop ou du dub si de bons groupes me contactent et me plaisent. J'ai une très bonne distribution en Europe, à part en France. La France est nulle à ce niveau, c'est très frustrant...

Comment as-tu géré tes contrats avec les maisons de disques ?

En général je signe un contrat pour un disque, et c'est tout. Il y a deux ou trois ans, j'en ai eu assez de recevoir des e-mails me disant : "Je n'arrive pas à trouver tes cds." Maintenant, grâce à mon label, je peux leur dire exactement où ils pourront les obtenir Et si je merde, tant pis ! Sulphur a été créé pour promouvoir des artistes, pas pour m'enrichir. Moi, je viens de la culture du fanzine, de la radio pirate, des hackers, et mon entourage n'a pas changé. C'est d'ailleurs pour promouvoir cet état d'esprit que j'accorde toujours des interviews.

Contact et renseignements :
Robin Rimbaud
Sulphur Records
36 Greville Street
3rd Floor
London EC1N 8TB
E-mail : info@sulphur.demon.co.uk
Site Web :http://www.sulphurrecords.co.uk

A écouter :

1992 : Scanner (Ash International) talkshow pirate ambiant-indus
1993 : Scanner2 (Ash International) album ambiant et urbain, poétique ou glauque
1994 : Mass Observation (Ash International) remix et post-funk électronique
1995 : Spore (New Electronica) ambiances, conversations urbaines et rythmes chaloupés
1996 : Sulphur (Sub Rosa /Naïve) magistrale performance live
1997 : Delivery (Earache) ambiances diverses et rythmes chaloupés
1997 : The Garden Is Full Of Metal (Sub Rosa /Naïve) hommage mélancolique
1998 : Sound For Spaces (Sub Rosa /Naïve) ambiances sombres et urbaines
1999 : Lawarm Instrumentals (Sulphur) tristesse, beauté et breakbeats
2000 : Scanner & Dj Spooky : The Quick And The Dead (Sulphur) breakbeats ravageurs et ambiances
2000 : David Shea & Scanner : Free Chocolate Love (Sub Rosa) easy-listening électronique et récréatif

Discographie détaillée sur http://www.massobservation.co.uk.