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L'Oeil électrique #13 | Littérature / L’Enfer de la bibliothèque nationale

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Par Delphine Descaves, Gwenna Briant, Katell Chantreau, Stéphane Corcoral.

Plus qu'un lieu, l'Enfer de la Bibliothèque Nationale est surtout une collection d'ouvrages constituée au début du XIXe siècle, afin de regrouper les ouvrages susceptibles d'offenser la pudeur des lecteurs. Cette collection compte plusieurs centaines de documents, essentiellement des ouvrages satiriques licencieux et autres textes érotiques, aux titres aussi évocateurs que L'éloge des tétons (1889), L'odyssée d'un pantalon (1889), Serrefesse, tragédie-parodie de Louis Pine-à-l'envers (1864)…
Longtemps, ces livres n'ont été signalés dans aucun catalogue (et n'étaient donc pas consultables). En 1913, Guillaume Apollinaire réalise un inventaire bibliographique de ces ouvrages (L'Enfer de la Bibliothèque nationale : icono-bio-bibliographie descriptive, critique et raisonnée, complète à ce jour de tous les ouvrages composant cette célèbre collection, aujourd'hui consultable… à la Bibliothèque Nationale). Actuellement, les livres de cette collection sont conservés dans la Réserve des livres rares, dont l'accès est restreint à des conditions particulières (recherche scientifique notamment). On les reconnaît au préfixe de leur cote (ENFER-).
L'obligation de dépôt légal, instituée dès 1537 par François 1er (officiellement pour défendre le statut des livres, mais surtout pour surveiller ce qui était écrit), permet de recenser l'ensemble des publications éditées sur le territoire national, quelles qu'elles soient. La Révolution française n'a pas supprimé le dépôt légal, et sous Napoléon 1er, il a même été rattaché au ministère de l'Intérieur…
Au cours du XXe siècle, l'Enfer parvient de plus en plus difficilement à s'acquitter de sa tâche : autrefois réservée à une élite, la pornographie devient progressivement un produit de grande consommation… et la Réserve des livres rares n'a pas vraiment vocation à stocker les livres de cul fabriqués en grande série. Le développement de la littérature sadomasochiste (les "livres de la flagellation") entraîne dès 1934 la création d'une côte spéciale (pY2 1 000), destinée aux publications pornographiques, de plus en plus nombreuses.
En 1960, la dimension sulfureuse n'est plus qu'un souvenir : les "livres de la flagellation" sont devenus "livres de la pornographie vulgaire". Ils rejoignent la littérature générale conservée au département des imprimés.
Aujourd'hui encore, l'Enfer continue de titiller les fantasmes. L'auteur Lovecraft avait par exemple inventé un livre (évoqué dans plusieurs de ses ouvrages) qu'il a appelé le Necronomicon. Ce livre imaginaire serait d'après lui disponible dans 3 bibliothèques seulement : celle du Vatican, celle d'une ville des Etats-Unis, et la BNF, dans les tréfonds de l'Enfer… Des lecteurs se sont donc mis à demander à consulter le fameux Necronomicon. A tel point que les bibliothécaires ont dû indiquer en toutes lettres que cet ouvrage n'existait pas. Et quand, avant même de poser la question, on vous dit que quelque chose n'existe pas… La vérité est ailleurs, n'est-ce pas ? Plus sérieusement, aujourd'hui, il n'y a plus de censure au sens strict du terme. Il arrive par contre que des poursuites judiciaires soient engagées contre un livre et que celui-ci soit retiré de la vente (par exemple pour Suicides, mode d'emploi). Pour Valérie Game, responsable du service juridique de la BNF, la question est épineuse : "Il y a deux bibliothèques : une publique, qui contient des ouvrages achetés dans le commerce et mis en rayon. Dès qu'un ouvrage est interdit, il est retiré de ces rayonnages. Mais, il existe une autre section réservée aux chercheurs, et c'est à ce niveau que des difficultés sont possibles. La loi sur le dépôt légal obligeant tout éditeur ou imprimeur à déposer ce qui est publié, nous avons en contrepartie cette obligation de conservation "éternelle" des ouvrages. Il y a donc deux solutions quand un ouvrage est interdit : soit on le communique, ce qui nous met en porte-à-faux par rapport à la justice, soit on ne le communique plus, ce qui nous met en porte-à-faux par rapport à notre obligation envers la recherche. Le communiquer dans le mois qui suit son interdiction peut paraître scandaleux, mais trente ans après ? Par exemple, si quelqu'un étudie des écrits de l'époque vichyste, il faut qu'il puisse faire ses recherches ! Aussi, généralement, nous mettons l'ouvrage de côté pendant une certaine durée, et dans un deuxième temps, nous communiquons les ouvrages au vu de la justification de la recherche. Ce "deuxième temps" va dépendre de beaucoup de facteurs : les interdictions gouvernementales peuvent être levées, les interdictions de commercialisation ne s'appliquent pas à nous… Jusqu'à présent, aucun tribunal n'a ordonné qu'un livre interdit de commercialisation doive aussi être détruit au niveau du dépôt légal. Mais on pourrait imaginer que quelqu'un le demande, et ça serait intéressant de voir comment le tribunal réagirait. Pour notre part, nous ne pouvons pas nous inscrire en censeurs, mais on ne peut pas non plus être le seul endroit diffusant quelque chose d'interdit, en sachant que quand même, notre rôle principal est d'éviter la destruction de l'ouvrage. Des livres autrefois impossibles à communiquer, par exemple toutes les œuvres envoyées "en Enfer" au XIXe siècle, sont aujourd'hui tout à fait communicables ; et si on les avait détruites, quel dommage historiquement ! Elles donnent des tonnes d'indications sur l'époque, la culture…" Sans compter que la collection contient quelques petits bijoux de littérature infernale : Mémoires de Fanny Hill de John Cleland, Les 120 jours de Sodome de Sade, les Œuvres libres de Verlaine… de quoi damner plus d'un universitaire en goguette.

Certains des livres de l'Enfer de la Bibliothèque Nationale ont été réédités chez Dominique Leroy Editeur (http://www.enfer.com).