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L'Oeil électrique #14 | Cinéma / Christophe de Ponfilly

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Par Arno Guillou, Kate Fletcher.

Le nom de Christophe de Ponfilly ne vous dira sans doute pas grand chose : les réalisateurs de films documentaires sont rarement des vedettes. Refusant d’abandonner l’idée d’une télévision hors "des mains des marchands", il travaille comme créateur et producteur de films documentaires avec sa société Interscoop. Le cul entre deux chaises à la table surchargée de la télévision, Christophe de Ponfilly et son associé Frédéric Laffont se veulent "un pied dans le système et un pied en dehors". Et ce n’est pas chose facile.

Un parcours serpentant (des études de maths, un travail de nègre pour une maison d’édition) l’a amené par hasard au cinéma où il a appris sur le tas. Et le cinéma lui a apporté, à travers ses voyages, une fascination et une passion pour l’Afghanistan, ainsi que la rencontre avec Ahmed Shah Massoud, chef de guerre tadjik, résistant au régime soviétique et désormais au totalitarisme des taliban. Ce pays constituera le cadre de plusieurs films (Une vallée contre un empire, Les damnés de l’URSS, Les combattants de l’insolence…) qui racontent la vie afghane dans ces années de guerre. La rencontre de Massoud, elle, nous donnera Massoud, l’Afghan, documentaire à la subjectivité revendiquée, qui nous montre d’un œil sensible la réalité du conflit, et la complexité historique et politique de l’Afghanistan – un pays qui n’a jamais vraiment existé, vidé de ses intellectuels et de ceux qui veulent construire. Ce film laisse entrevoir la dureté de la vie des moudjahidin, avec en arrière-plan la beauté sublime de cette région, et, surtout, Ponfilly nous montre Massoud : un homme qui lutte, dans l’idée d’un Islam tolérant et progressiste, pour commencer à réparer les effets de vingt années de guerre.

Vous vous considérez comme journaliste ou comme documentariste ?
C'est l'éternelle question ! Dans les écritures, la différence entre reportage et documentaire est que le reportage consiste à rendre compte de ce qui se passe avec le plus de rigueur et le plus d'honnêteté possible, tandis que le documentaire y ajoute une sensibilité propre et un regard subjectif revendiqué. La différence entre les deux est censée être la subjectivité. Mais je pense qu'à l'heure actuelle, il y a une telle confusion entre toutes les images diffusées et mises à la portée de chacun, que le tourbillon finit par effacer l'importance du sens et du contenu. Il y a un moment où on ne sait même plus comment reconnaître les images précieuses, celles qui ont demandé beaucoup d'attention, de préparation…

Si la différence est la subjectivité, croyez-vous à l'objectivité journalistique ?
Je n'y crois pas du tout. L'idée d'objectivité est absurde, qui plus est dans l'audiovisuel. C'est la notion d'honnêteté qu'il faut assurer, il faudrait presque que les journalistes soient assermentés, qu'ils s'engagent à ne pas truquer, à ne pas chercher à construire un spectacle.

Et puis, les images sont filmées et montées par des personnes différentes…
Oui, c'est le drame. Celui qui tourne sait qu'il fait son film justement quand il ne tourne pas, en discutant avec les gens. Souvent, la gêne disparaît hors caméra et c'est là que se font les confidences qui vont alors donner un autre éclairage à ce qui a été filmé. Ce qui précède et ce qui suit les images est important et constitue le ressenti. C'est donc au moment du montage qu'on reconstitue ce qui a été vécu. Le problème est que maintenant beaucoup de personnes qui réalisent des images, les envoient par satellite dans diverses rédactions, et là, les images sont reprises par des journalistes qui se les approprient et auxquels on dit : "Voilà, vous allez me sortir une minute trente avec ces images-là." Le journaliste n'est même pas en relation avec ceux qui les ont tournées ! A partir du moment où cette relation n'existe pas, toutes les erreurs sont possibles. Par exemple, quand j'ai fait le film Massoud, l'Afghan, je suis rentré avec des images de l'offensive de Massoud contre les taliban et je me suis dit : "Bon, je vais prendre quelques extraits et les donner pour le journal télévisé Arte Info." Le sujet est donc passé sur Arte, mais ils ne m'ont pas appelé. Je leur avais mis une note pour leur expliquer le sens des extraits mais en fait dans le journal ils ont présenté tout le CONTRAIRE de la réalité.

Comment est-il possible, en dehors du fait qu'ils n'étaient pas sur place, qu'ils n'aient pas eu connaissance des rouages essentiels des événements ?
Le journaliste m'a téléphoné parce que j'avais envoyé un fax incendiaire, alors je lui ai demandé : "Pourquoi vous ne m'avez pas tout simplement contacté ?" Sa réponse a été : "Parce qu'on n'a pas le temps. Je ne connaissais pas le dossier, on me l'a donné à faire."

En connaissant ces données, faites-vous confiance aux informations ?
Beaucoup de journalistes sont des gens honnêtes, des gens bien, mais ils sont malades de ce problème de vitesse. Le journal télévisé est un format truffé d'erreurs. C'est l'hymne de l'aveuglement total, de l'inutile et de l'absurdité de notre monde. Je ne sais plus à quoi cela peut servir, sinon à faire un show du spectacle du monde, une grande messe dans laquelle la seule personne à tirer son épingle du jeu est le présentateur, la vedette qui gagne beaucoup d'argent.

Et la télévision en général ?
La dernière collection qu'on ait faite était destinée à France 3. Ça s'appelait Aux petits bonheurs la France. On a réalisé des films pour montrer qu'au sein de cette société française, il y a beaucoup de gens batailleurs et qui trouvent des solutions. J'ai fait le portrait d'un Rabin, d'un concierge du dixième arrondissement de Paris… mais le premier qui a ouvert la série, le portrait d'un médecin de campagne, a été diffusé à 0h40. Qui regarde à 0h40 ? Je suis enragé par ce problème, surtout qu'ici (à Interscoop), on a une position difficile : on se considère comme ayant un pied dans le système et un en dehors. Aujourd'hui, on s'aperçoit que la machine est tellement entre les mains de marchands que même les gens comme nous deviennent complètement marginalisés. En programmant les émissions à des heures impossibles, on les tue. On vous dit : "Comme vous ne faites pas d'audience, on ne reconduit pas la série."... "Oui, mais c'est vous qui l'avez programmée à cette heure-là, à laquelle personne ne regarde !" C'est absurde. Tout ça est d'une immense malhonnêteté ; les hommes qui sont à la tête de ces chaînes ont perdu le regard sur la signification des informations. Ils sont devenus des gens qui ne s'intéressent qu'à des chiffres, qu'à des logiques commerciales. Thierry Garrel, d'Arte, est l'interlocuteur le plus précieux que l'on ait rencontré sur les chaînes publiques : il a une culture et une exigence impressionnantes… mais c'est rare, ce type de personne.

Comment faut-il donc analyser la place de la télévision aujourd'hui ?
C'est très complexe. Je trouve tout simplement accablant que des gens, comme Pierre Bourdieu par exemple (sociologue, auteur du très critique Sur la télévision), qui ont une capacité énorme d'analyse, ne s'en servent pas pour décortiquer ce qui est le plus nuisible dans la télévision. Au lieu d'aller voir ceux qui ont des réponses et des idées pour une autre télévision, ils dépensent toute leur énergie à critiquer ce que tant de personnes qui font de la télé condamnent déjà. On n'arrête pas d'entendre les gens dire : "Oh, c'est dommage de ne voir que des choses nulles à la télévision." Mais il existe plein de choses supers ! Simplement, les gens ne savent pas qu'elles existent.
La promotion des émissions est aussi un problème. L'accent est systématiquement mis sur les choses les plus faciles d'accès et qui rapportent le plus financièrement. C'est là qu'on est peut-être des ânes Frédéric et moi, parce qu'on ne s'est pas du tout mis en avant. On a réalisé soixante-dix films depuis la création d'Interscoop et on en a produit dix, mais on n'a jamais considéré qu'il fallait faire parler des films ET de nous. C'est un peu naïf, parce que finalement ce sont les personnes qui se montrent à la télévision qui finissent par avoir un vrai pouvoir. Quand on ne se montre pas, il faut partir de zéro à chaque nouveau film. Je n'ai pas de regret parce que je pense que si on avait été médiatisé, on n'aurait pas fait les films qu'on a faits, ça nous aurait nuit. Par contre je trouve qu'on a un peu manqué d'habileté pour cela. Il y avait peut-être quelques petites concessions à faire.

Mais les bonnes choses restent quand même…
Peut-être, mais si vous finissez par ne plus faire de films parce que vous êtes essoufflé, ruiné et malmené pour avoir été diffusé n'importe comment, vous devenez une victime, et si vous êtes une victime vous finissez par n'être plus qu'un râleur.

En même temps, à force d'images, on finit peut-être par ne plus voir les choses importantes ; et puis on se noie dans la masse de gens qui tiennent tous le même discours promotionnel…
C'est vrai. Il est difficile de faire parler de Massoud, l'Afghan ou d'autres films à des magazines comme Télé 7 Jours. Mais, si on s'était montré dans nos émissions régulièrement, on serait dedans parce qu'on ferait partie des "gens connus" de la télé.

Vous seriez vraiment prêt à assumer ça ?
Non, c'est grotesque. Mais le résultat, c'est le risque d'être perdant. De ne plus pouvoir faire des films.

Comment en êtes-vous venu à faire des documentaires ?
Au départ, je n'étais pas journaliste. Je suis parti en Afghanistan avec un copain pour raconter la vie d'un village en Super 8 et il se trouve que j'y ai rencontré Massoud. Le copain qui était avec moi, Jérôme Bony, était journaliste, fraîchement engagé par Antenne 2, mais on a tourné en Super 8 qui était un format que les télévisions ne voulaient pas.
Avant, j'avais fait du cinéma avec des copains, je voulais faire de l'image, j'avais été assistant à la mise en scène et ça ne me plaisait pas. L'idée de ramer pour quatre sous rien que pour faire un court métrage et qu'on ne puisse pas faire un long métrage tout de suite me paraissait déjà aberrante…

D'où l'idée d'utiliser du Super 8…
A l'époque, d'autres personnes avaient cette idée de faire du cinéma en long métrage mais en format Super 8, dont Jean-Claude Brisseau, qui a commencé à réaliser des films dans ce format avec ses élèves. Un tas de gens travaillaient comme ça et on avait ouvert un cinéma sur un bateau-mouche. La télé a refusé de diffuser ces films à cause du format, alors on a manifesté au festival de Cannes. On avait fonctionné pendant plusieurs mois sur notre bateau et il y avait pas mal de gens qui commençaient à venir. A part José Arthur qui parlait de nous à cause des concerts qu'on organisait sur le bateau, pas UN critique de cinéma ne s'est déplacé. On a même été attaqué en correctionnelle par le Centre National du Cinéma parce qu'on n'avait pas de visa de censure ni de visa d'exploitation.

N'était-il pas possible de diffuser autrement ? René Vautier diffusait en réseau associatif…
Oui, il existe toujours des petites possibilités, mais on voulait diffuser ces films à la télévision. Pour continuer à en faire ! En fait, on a découvert qu'il y avait une méthode pour recopier le format Super 8 sur de la bande vidéo professionnelle, ce qui a même donné un rendu étonnant - on avait l'impression que c'était du 16 mm ! Donc, en partant en Afghanistan pour la première fois, on s'est dit : "Bon, on va tourner en super 8 et le transformer en vidéo sans dire un mot." Ce qu'on a fait, et c'est passé ! Le film a été diffusé à 20h30 sur Antenne 2 en 1982 et on a eu plein de prix. Les mecs nous félicitaient pour la qualité de l'image (rires) ! Nos quinze premiers films ont été tournés en Super 8.

Vous venez de revenir d'Afghanistan pour filmer des députés (les députés français Jean-Michel Boucheron et Richard Cazenave, le député européen Général Philippe Morillon, et le sénateur belge Josy Dubié) qui sont allés rencontrer Massoud…
Oui. D'ailleurs Jean-Michel Boucheron, le député de Rennes, est interviewé aujourd'hui par Ouest-France au sujet de cette visite. C'est hallucinant. Le titre est : "Jean-Michel Boucheron en Afghanistan : le député a rencontré le commandant Massoud." Il s'est fait photographier avec son petit appareil, ils étaient tous comme des fous pour avoir une photo avec Massoud ! Dans l'article, il dit : "J'ai pu donc ramener un document vidéo." Mais c'est moi qui ai filmé ! Ça n'avait rien à voir avec lui ! C'est incroyable.

Par qui le voyage a-t-il été organisé ?
Par un ami qui s'appelle Bertrand Gallet, qui essaye depuis des années d'amener des hommes politiques en Afghanistan pour montrer les qualités de Massoud. Depuis vingt ans, aucun homme politique français n'a été mandaté officiellement pour aller voir Massoud. Ce député oublie de dire qu'il était avec quatre autres personnes, que tout a été organisé par Bertrand Gallet et par Merabuddine Mastan de l'ambassade d'Afghanistan. On est resté quatre jours dans le Panjshir et Boucheron me disait : "Massoud est complètement inconnu en France."

Mais ce n'est pas vrai...
Bien sûr que ce n'est pas vrai. Enfin, Boucheron dit aussi (en citant le journal) : "J'ai pu ramener un document vidéo. Répondant à mes questions, Massoud s'est solennellement engagé à extrader le terroriste Ben Laden en reprenant Kaboul." Ce n'était même pas ses questions à lui ! Ils sont hallucinants ces types ! Il dit aussi, et là il se ridiculise :"J'ai vérifié que dans la zone du nord contrôlée par Massoud, il n' y avait aucune production de drogue." On est resté quatre jours !

Ils seraient venus pour faire de l'auto-promotion…
Mmmmm… Je ne dis pas qu'ils ne seront pas utiles pour soutenir Massoud. Mais c'est quand même accablant qu'il leur ait fallu vingt ans pour venir le voir alors que c'est au moment où Massoud a pris Kaboul qu'il fallait venir le soutenir et désarmer les Afghans. Et là, quand vous lisez ce genre de connerie, "j'ai vérifié…" qu'est-ce qu'il en sait ? Il est resté quatre jours dans une maison, il a rendu visite à des réfugiés et la ligne de front était très calme. C'est tout. Il n'a même pas fait deux cent mètres à pied tout seul ! Et le mec me regarde en rigolant : "C'est bien gentil vos films mais personne ne sait qui est Massoud". Je lui ai répondu : "Demandez à des gens autour de vous, beaucoup savent qui est Massoud et surtout, ils ne vous ont pas attendu pour le savoir !" Il y a peu de temps mille cinq cent Français sont entrés en Afghanistan clandestinement et ils ne sont pas restés quatre jours. Ils sont restés des mois.

Mais comment est-il possible qu'un homme politique ne connaisse pas Massoud ?
Boucheron par exemple, m'a confié qu'il travaillait dans des commissions de défense qui s'occupent de réflexions sur la stratégie ; mais ils ne s'intéressent qu'aux pays qui ont des missiles nucléaires. Et l'Afghanistan n'est pas de ceux-là.

Etaient-ils au moins au courant de la situation économique et sociale de l'Afghanistan, des événements qui s'y étaient déroulés ?
Très peu. Là encore, on en revient à la télévision. En fait je pense que ces hommes politiques ne regardent que le journal télévisé : ils se regardent, ils regardent leurs adversaires. Mais ils ont rarement connaissance des choses intéressantes qui se font à la télévision. Ce milieu politique me fait peur depuis qu'ils utilisent des agences de communication pour préparer leurs discours. A partir du moment où l'on vend la politique comme on vend de la lessive, il faut peut-être ne pas accorder plus d'importance à la politique qu'à la lessive… Non, il est évident que la politique est plus importante que la lessive et c'est pour ça que j'essaie de réaliser des films comme celui sur un maire du Maine-et-Loire, Claude Terrenoire, qui est génial, intelligent. Il est à l'écoute des autres, il est plein d'astuce ; il est fabuleux parce qu'il a un contact direct avec les gens qui l'ont élu.

Pouvez-vous nous expliquer, d'après ce que vous avez vu, l'état de l'Afghanistan d'aujourd'hui ?
C'est un pays détruit, qui a connu vingt ans de guerre. De plus, la nation afghane n'a jamais existé. Vingt ans de guerre dans un pays qui n'existait pas encore, ça donne des gens qui n'ont connu que la guerre. Le plus grand drame de l'Afghanistan est que très peu d'Afghans sont prêts à construire un avenir de paix. En fait très peu de gens sont formés pour assurer la création d'un état. Mais le peuple afghan n'a jamais cessé de subir des ingérences extérieures. Les premiers, les Soviétiques, ont détruit cette société afghane en mettant de l'huile sur le feu de l'Islam et du coup, ils ont contribué à la naissance des partis politiques islamiques, alors que la religion n'était pas du tout politisée en Afghanistan. Après cela, il y a eu des luttes pour le pouvoir entre les différentes factions qui avaient émergé de la guerre contre les Soviétiques, auxquelles il faut ajouter le jeu nocif des Américains. Au début, ils ont choisi très cyniquement de soutenir les pires islamistes intégristes parce qu'ils se sont dit que ces mouvements seraient les plus redoutables face aux "ennemis communistes". En réalité, ils ont uniquement soutenu Hekmatyar (le Premier Ministre de l'époque) parce qu'il parlait anglais et qu'il était un bon interlocuteur.

Et Massoud dans tout ça ?
Massoud n'était pas connu parce qu'il était du nord, tadjik, et puis il était jugé trop indépendant par les services secrets pakistanais. Les services secrets pakistanais ont toujours considéré l'Afghanistan comme très important pour eux, à cause de la pression permanente que représente leur voisine, l'Inde, envers laquelle il y a une très forte haine. Le Pakistan, un état fictif crée en 1947 par les Anglais, s'imagine continuellement en guerre ouverte avec l'Inde. C'est pourquoi les militaires pakistanais ont considéré qu'il fallait développer une profondeur stratégique, donc se garantir le soutien de l'Afghanistan. Ils ont estimé que Massoud ne serait pas un bon allié parce qu'il était trop indépendant.
Ensuite, quand Massoud est rentré à Kaboul en 1992, après la retraite des soviétiques, il a trouvé la ville dans un désordre phénoménal, et la communauté internationale ne l'a pas aidé. A Kaboul tout le monde était armé, il y avait des pilleurs, toutes les prisons avaient été ouvertes, des stocks d'armes avaient été mis à disposition des gens. Il est arrivé dans une ville en état d'anarchie totale.

Qui a créé cette anarchie, qui a ouvert les prisons ?
Les gens du régime communiste qui voulaient tout détruire et saboter pour que les moudjahidin arrivent dans une ville ingérable. Ce fait, bizarrement, a été peu analysé par les observateurs et les journalistes. La plupart des journalistes sont venus couvrir cet évènement sans même connaître l'Afghanistan. Cinq semaines après l'installation du régime moudjahidin à Kaboul, Hekmatyar s'est mis à pilonner la ville, aidé par le Pakistan mais également avec le soutien des Etats-Unis. Il a continué d'être premier ministre, tout en bombardant Kaboul. Il habitait à vingt-cinq kilomètres de la ville et ne voulait pas s'y rendre parce que Massoud était ministre de la Défense. Il a bombardé la ville qui a été détruite à 80%. Rabbani, qui appartenait au même parti que Massoud, était un Président mou, il a nommé des ministres incompétents. Mais Massoud n'a pas voulu prendre le pouvoir.

Que s'est-il passé alors ?
Plus tard, les taliban sont apparus sur le devant de la scène. Ils représentent une autre tendance fondamentaliste qui existait au Pakistan ; à partir de groupes d'Afghans qui avaient fait des actions pour désarmer le sud, un vrai mouvement est né et il a vite été investi par les services secrets pakistanais. Lorsque les taliban sont arrivés près de Kaboul en 1995, Massoud en a profité pour attaquer Hekmatyar et il a détruit son organisation. Puis les taliban se sont renforcés grâce à l'aide des Américains. Ils leur ont expliqué qu'ils allaient apporter la paix en Afghanistan parce qu'ils voulaient désarmer le pays. Ils ont ainsi convaincu la société américano-saoudienne, Delta, qui préparait l'installation d'un grand gazoduc le long des frontières iraniennes jusqu'au Turkménistan. Delta a installé des bureaux à Kaboul et a commencé à brasser pas mal d'argent, dont les taliban se sont servi pour acheter des gens afin qu'ils trahissent leurs chefs de guerre. Puis, en 1996, ils sont à nouveau remontés vers Kaboul et là, Massoud a abandonné la ville en une nuit. Tous les ans en été, il y a une grosse offensive. Actuellement ils essayent de détruire Massoud, leur dernier obstacle avant de conquérir tout l'Afghanistan et d'avoir une reconnaissance internationale, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Pourquoi ?
Pour leur malheur, ils ont abrité Oussama Ben Laden, l'ennemi public numéro 1.

Dans quelle situation Massoud et ses partisans se retrouvent-ils aujourd'hui ?
Massoud est actuellement soutenu par les Iraniens, qui lui font passer des armes. Ses forces se trouvent désormais dans la vallée du Panjhsir, dans la plaine de Chamali ; il est pris en tenailles entre Kaboul et le nord, qui est aussi contrôlé par les taliban.

A un moment dans votre livre vous dites : "femmes violées, disparitions nombreuses, arrêtés délirants interdisant la musique ou la télévision… tout cela imposé par des gamins illuminés de dix-sept à vingt ans !"…
Oui, il y a beaucoup de jeunes engagés auprès des taliban. Il y a un tas de jeunes qui se sont enrôlés. Les taliban ont recruté en déclarant que chaque famille doit donner un jeune garçon pour faire la guerre. Il existe maintenant une internationale taleb qui vient lutter de partout. Nous avons vu des prisonniers chinois, birmans, pakistanais, s'enrôler dans des écoles coraniques à qui on a dit : "Vous allez faire la guerre sainte contre les mauvais Musulmans, contre Massoud."

Quels liens les taliban ont-ils actuellement avec d'autres pays d'Occident ?
Il y a de plus en plus de fascination des chancelleries occidentales à l'égard des taliban. Ils acceptent de plus en plus leurs discours. On les excuse, on les reçoit. Le chargé d'affaires français à Kaboul est fasciné par eux. Les taliban ont été reçus au Quai d'Orsay il y a quelques mois. Les journalistes les attendaient à la sortie, mais on les a fait sortir par une porte dérobée.

Quel est l'intérêt pour la France ?
De s'aligner sur la position américaine. Ils appellent ça la "neutralité active", c'est-à-dire qu'on essaie de ne pas trop se compromettre avec l'un ou l'autre.

Massoud est-il le seul résistant au régime taliban ?
De nombreuses personnes s'opposent aux taliban, mais elles n'ont plus de moyens pour agir. Il y a des gens de toutes les ethnies qui se sont maintenant regroupés autour de Massoud pour faire une résistance multiethnique. Il n'y a pas beaucoup d'hommes qui, une fois à Kaboul, sont capable de construire quelque chose. Massoud en est très conscient.

Vous vous demandez au début du film "Qui est vraiment Massoud ?" Est-ce que vous croyez que c'est possible de répondre à cette question, étant journaliste, et lui chef de guerre ?
Je n'ai jamais vraiment répondu à cette question. Toute une partie de sa personnalité est masquée par sa pudeur : les Afghans sont très pudiques sur leurs sentiments. J'étais obsédé par ça dans mon film, par l'idée de le faire parler de ses enfants, de ses amis qui sont morts pendant tout ce temps de guerre. J'avais envie qu'il parle de choses avec émotion. Il ne l'a jamais fait. Et moi, je ne suis pas son ami, j'ai une certaine distance par rapport à lui et inversement. J'ai partagé quelques moments à travers son histoire et j'ai trouvé que c'était un homme qui avait beaucoup de valeur. J'ai toujours été surpris qu'il n'ait pas été assassiné, il n'est pratiquement pas gardé.

Comment vous voyez l'avenir de l'Afghanistan ?
Il y a deux fins possibles : soit Massoud va se faire tuer, puis les taliban s'installeront en Afghanistan, soit Massoud arrivera à convaincre, à condition qu'il vienne en Occident pour expliquer son combat. Après le départ des Soviétiques, si Massoud avait été en Occident il aurait été acclamé comme un héros !

Filmographie

Paris by night (France) de la collection "Aux p'tits bonheurs, la France"
Monsieur le Rabbin (France) de la collection "Aux p'tits bonheurs, la France" - prix spécial du jury au festival du scoop et du journalisme d'Angers (1999)
MASSOUD, l'Afghan (Afghanistan) - Prix spécial du jury au 14ème festival Mondial de Télévision du Japon.(2000) - Prix Planète, prix spécial du jury et Prix Jury Jeunes au F.I.G.R.A.(1998) - Prix du Festival de Popoli (Florence) "meilleur documentaire 98"
Et vive l'école ! (France) de la collection "Aux p'tits bonheurs, la France"
Les grandes batailles de Monsieur le Maire (France) de la collection "Aux p'tits bonheurs, la France"
La Jeanne s'en va-t-en mer (France)
A nos profs bien aimés (France)
L'Ombre blanche au pays des Papous (Indonésie)
Les derniers Pirates (Caraïbes)
Les Plumes font leur Cirque (France) dans la collection "Du côté de Zanzi Bar" - Prix du C.F.A. "meilleur documentaire de l'année"
Naître, des histoires banales mais belles (France) dans la collection "Du côté de Zanzi Bar" - Prix Planète Câble décerné par le public et prix spécial du jury au F.I.G.R.A. (1994)
Do ré mi fa sol la si do, les Kummer (Suisse) dans la collection "Du côté de Zanzi Bar" - Prix UNESCO, Festival international du film d'art 1994
Kaboul au bout du monde (Afghanistan) dans la collection "Du côté de Zanzi Bar" - Prix spécial du jury à La Nuit des Yeux d'Or de Reuil Malmaison 1994
Chroniques des hautes plateaux (Suisse) dans la collection "Zanzi Bar"
Télé-Radio-Magie (Burkina Faso) dans la collection "Zanzi Bar" - Prix UNESCO, Festival des programmes africains de Nairobi 1994
Par un bel été russe (URSS) dans la collection "Zanzi Bar"
W Street (USA) dans la collection "Zanzi Bar"
Prix du meilleur documentaire 1992 aux Rencontres Européennes de Télévision de Reims (1992)
Nos enfants de la patrie (France)
A cœur, à corps, à cris -3 x 52 minutes- (12 pays) - Prix Unda au Festival International de Monte-Carlo, 1992
Poussières de Guerre (Afghanistan, URSS) - Grand Prix du Festival international de journalisme d'Angers 1990 - Aigle d'or du Festival international d'histoire de Rueil-Malmaison 1990
Autofolies (France) - Mention au Festival Europa 1991
Joseph Brodsky (USA et URSS)
Massoud portrait d'un chef afghan (Afghanistan)
Haute tension (Afrique du sud)
Une autre façon d'être blanc (Zimbabwé)
Les damnés de l'URSS et Soldats perdus (Afghanistan, Canada) - Prix du meilleur film humanitaire 1987, Festival du grand reportage de La Ciotat
Edmund ou la vie de château (France)
Les combattants de l'insolence (Afghanistan) - Prix Albert Londres 1985
Antoine Blondin (France)
Une révolution camouflée (Tigré)
Les rebelles de la brousse (Angola)
Une vallée contre un empire (Afghanistan) - Prix international ONDAS 1983

Bibliographie

Massoud l'Afghan, éditions du Félin/Arte (1998)
Poussières de guerre, avec Frédéric Laffont, éditions Robert Laffont (1990)
Les gobeurs de lune, roman, éditions Robert Laffont (1987)
Le Clandestin dans la guerre des résistants afghans, éditions Robert Laffont (1984)