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L'Oeil électrique #15 | Graphisme / Thomas Ott

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Par Arno Guillou.

Crimes, assassinats et morts violentes : l'univers graphique de Thomas Ott est marqué par un attrait prononcé du dessinateur suisse pour la Mort. Mais c'est aussi le résultat de son talentueux travail de la carte à gratter, combiné à une nécessaire patience. L'économie de texte et de dialogue caractéristique de ses dessins noir et blanc contraste nettement avec le personnage : souriant et peu laconique, son humour et sa décontraction lui permettent de garder la distance opportune à tout âpre travail.

Qu'est-ce qui t'a amené à la bande dessinée ?
Très tôt, étant gamin, j'ai lu tout ce qui me tombait devant les yeux, des trucs pour les enfants, bien qu'en Suisse il n'existait pas grand chose mis à part Lucky Luke et Astérix. J'ai copié ça, puis j'ai essayé de faire mes propres fanzines, en photocopie. Ensuite, à seize ans, je suis rentré dans un magasin qui vendait de la bande dessinée pour adulte. C'était le seul à Zurich. Là, j'ai découvert des bouquins de Loustal, Moebius, etc. En parallèle, je faisais une école d'Arts Décoratifs, j'étudiais le graphisme, pour avoir une profession proche du dessin, et pendant ces études, j'ai commencé à faire des illustrations à droite et à gauche, dans des fanzines, des magazines de musique. Quand j'ai terminé cette école, j'ai travaillé comme illustrateur et dessinateur de BD.

Réussis-tu à en vivre ?
Des illustrations, oui. De la BD, c'est autre chose : quand je fais un album, c'est comme une carte de visite ; c'est-à-dire que je fais ce que j'ai envie de faire, un peu pour montrer aux gens ce que je fais, et grâce à ça on me contacte pour des illustrations.

Tu travailles dans la presse ?
Dans des magazines hebdomadaires en Suisse, dans des suppléments de journaux qui sortent une fois par semaine. Mais c'est assez libre, ce n'est pas politique, c'est plutôt littéraire. Et puis je fais des pochettes pour des groupes de rock, des couvertures de romans.

Es-tu "connu" ailleurs qu'en France et en Suisse ?
C'est difficile à dire. Dans la scène indépendante, on peut toujours dire qu'on est connu quand on est publié un peu partout dans des petites éditions : mes bouquins sont sortis en Espagne, Italie, Finlande...

C'est-à-dire que ton style est assez international : pas de bulle, peu de texte…
Oui; les cinq dernières années, mon travail a été bien diffusé en Europe. Dernièrement, Kitchen Sink, une maison d'édition de Seattle, a décidé de prendre toutes mes BD pour les publier aux Etats-Unis. Mais ils ont fait faillite, et une autre maison d'édition, Fantagraphics est intéressée, mais bon, avec les Américains de toute façon, ça prend toujours des centaines d'années pour que ça bouge. Pour revenir à la question, je suis un peu connu au niveau de la scène indépendante, mais pas dans la grande masse qui lit la BD commerciale.

Tu as l'air d'avoir un attrait assez prononcé pour tout ce qui a trait à la mort… Comment tu analyses ça ?
Ouf ! En général, je ne préfère pas trop analyser. C'est comme un rêve que je fais, et quand je me réveille, je me demande : "Mais qu'est-ce que ça veut dire ?" J'ai pris la mort comme thème, car évidemment, comme tout le monde, ça me fout la trouille, et je préfère être en face de ce qui me fait peur, et avoir moins d'angoisses. C'est un moyen... hum...

...d'exorciser ?
Oui, peut-être. Je dirais que mes BD sont assez moralistes. Souvent, il y a le gros doigt derrière qui dit : "Non, non, il ne faut pas faire ci, faut pas faire ça, sinon il t'arrive ce qu'il arrive au monsieur dans l'histoire !" Tout en étant assez cyniques…

Tes dessins et scénarios rappellent beaucoup la série B américaine des années 50, ou des séries télé comme Les Contes de la crypte, La Quatrième dimension.
Ça date de quand j'ai découvert les rééditions de Shock Suspens Stories, Tales From the Crypt… et ç'a été clair pour moi de faire un hommage à ça ; le premier bouquin que j'ai sorti, Tales of Error, avec la couverture et tout, c'est fait comme ces bouquins-là. Et puis après, je me suis éloigné de plus en plus de ce style d'histoires, simplement choquantes, avec une fin comme un sketch, une petite blague de chute, et je me suis intéressé à des histoires plus cauchemardesques, moins claires, plus abstraites. Ceci dit, il reste toujours ce ton, cette lumière. Mais je pense que c'est la technique qui fait ça aussi.

Justement, pourquoi as-tu choisi la technique de la carte à gratter ?
Ça m'est tombé un peu dessus... J'ai souvent vu cette technique chez d'autres dessinateurs, bien qu'il n'y en ait pas beaucoup qui la pratiquent, mais quand tu la vois, ça saute à l'œil. Au début, je travaillais à l'encre. Or ça devenait de plus en plus noir : à la fin je prenais mon pinceau et je faisais de gros aplats noirs, et le carton à gratter, déjà noir, correspondait mieux à ce que je voulais raconter. Quand j'ai fait mes premiers essais à la carte à gratter, c'était encore un peu différent, mais j'ai assez vite appris à créer des volumes, à travailler la lumière.

Techniquement, est-ce que ça n'est pas plus contraignant que la plume et l'encre ?
Ce qui me dérange un peu en travaillant, c'est quand j'ai une idée, ça prend trois heures pour la réaliser : je travaille en négatif, je fais apparaître du blanc, il faut vraiment s'appliquer pour un seul dessin A5, alors qu'à la plume, tu couches beaucoup plus vite ton dessin, ça correspond mieux à l'émotion du moment. Il faut beaucoup plus viser ce que tu veux obtenir avec la carte à gratter.

Tu as quand même le droit à l'erreur ?
Ça fait quinze ans que je pratique cette technique, alors j'ai appris comment corriger. Déjà par la façon de travailler, je fais une couche après l'autre, en travaillant sur tous mes dessins en même temps, pour garder une unité.

Est-ce que dans ton travail d'illustration, ta technique et tes sujets sont les mêmes que dans tes BD ?
Oui. Et le fait que ça soit les mêmes sujets m'arrange plutôt ! Là, j'ai pensé aussi travailler sur un bouquin pour enfants, sur le côté un peu "cauchemar". On peut très bien essayer de faire quelque chose de beau, tout en étant assez sombre... C'est pas forcément utile de faire, avec un style triste, uniquement des têtes de mort et que des histoires horribles, ça peut être intéressant d'avoir un peu les deux ; par exemple, j'ai fait une fois une histoire avec David B, qui a réalisé exprès pour moi un scénario, une histoire sans parole, dans laquelle il y avait une petite fille, des lapins… j'ai mis ça à mon style, ça devenait totalement absurde, et je pense que ça marche très bien.

Il semble y avoir peu d'introspection dans ton travail, et en tout cas jamais d'autobiographie. Les histoires que tu dessines ont l'air totalement détachées de toi, par le sujet ou par l'époque à laquelle elles se passent. Tu as fait le choix de ne pas parler de toi ?
Quand j'ai une idée, j'invente un truc totalement loin de moi, et quand je l'analyse, je vois que c'est la situation dans laquelle je suis. Ça n'est pas toujours aussi clair, mais bon… Il n'y a pas longtemps, j'ai fait une histoire de science-fiction avec un type dans son vaisseau spatial qui tombe en panne ; il sort du vaisseau pour réparer à l'extérieur, et il commence à délirer, il voit des poissons, il se croit au fond de la mer, il voit une sirène, et il se détache, et il est foutu, quoi ! ça, à l'époque, je pouvais dire que ç'était ma situation.

Il me semble que tu travailles aussi sur un projet de cinéma ?
C'est-à-dire qu'il y a deux ans, je suis retourné à Zurich pour faire une école de cinéma, et actuellement je suis en troisième et dernière année. C'est une école très intéressante, beaucoup basée sur la pratique, et j'ai eu l'occasion de faire cinq projets durant cette période, un court-métrage et des essais de lumière, de caméra… L'idée de cette école, c'est de tout montrer aux élèves, mais tu peux aussi te focaliser sur ce qui t'intéresse plus ; moi, ce qui m'intéresse, c'est la réalisation, travailler avec les acteurs...

Déjà dans tes BD, ta mise en forme des cases a un côté très story-board, ce qui donne l'impression que cette idée de cinéma te suit depuis longtemps. Ça n'est pas un hasard ?
Non, mais déjà le fait de raconter des histoires sans paroles implique qu'il doit y avoir un mouvement dans les images qui semble assez cohérent et clair ; et je me suis souvent posé la question en dessinant : "Où pourrait être la caméra qui filme cette scène ?" Le cinéma, c'est un pas plus loin dans ce que je fais. Mais durant cet apprentissage, je me suis bien rendu compte que du story-board ou de la bande dessinée au cinéma, il y a encore beaucoup de différence. Dans une BD, l'univers graphique est très vite expliqué : quand tu regardes un dessin, l'univers est inventé, il n'existe pas. Avec mon style, je peux déjà donner le ton de ce qui va se passer, alors qu'au cinéma, il y a un acteur, tu ne crois pas forcément ce que tu vois. Enfin, si tu y crois, ça veut dire que c'est bien fait. Pour arriver à ce stade, il faut en savoir beaucoup plus que ton histoire, il faut savoir ce qui s'est passé avant ou après, qui est la personne que tu fais jouer, c'est beaucoup plus complexe.

Tu veux recréer ton univers de BD au cinéma ?
Oui, c'est mon idée ; c'est toujours bien de rester sur ce qu'on fait, sur ce qu'on est. Pour l'instant, je n'ai pas vraiment l'impression d'avoir retrouvé l'univers de mes dessins dans les petits films que je suis en train de faire. Mais j'ai cette référence aux films noirs. Quand je pense au cinéma, c'est en noir et blanc, avec des lumières contrastées, des personnages expressifs, maquillés plus que dans un autre film. L'envie de choisir un acteur avec une tête particulière, plutôt qu'un acteur "normal".

Ça semble proche de films comme M le Maudit de Fritz Lang, l'expressionnisme allemand…
Oui, mais même plus récemment dans le temps, des films comme ceux des frères Coen, qui arrivent vachement bien à avoir des gueules dans leurs films, une ambiance sordide…

A long terme, tu laisserais tomber la BD pour le cinéma ?
Pour l'instant, je fais les deux. En BD, j'ai un peu moins de projets. En Avril 2000, j'ai terminé un projet pour l'Association sur le Mexique. C'est tout, à part mon travail d'illustration. Mais question cinéma, c'est clair aussi que ce n'est pas parce que j'aurai terminé mon école que je vais faire mes films. Si j'ai de la chance, je vais peut-être travailler sur un projet personnel, mais il faut trouver un producteur, ça dure un an, deux ans... il faut encore attendre un an pour voir si vraiment tu peux faire le film, et peut-être que dans cinq ans je serai prêt à faire un petit court-métrage...

Mais ce choix du cinéma, ça n'est pas parce que tu en as marre de la BD ?
C'est clair que j'en avais un peu marre de travailler tout seul dans mon atelier, à gratter, et que j'avais envie de changer, d'essayer autre chose dans ma vie. J'avais 30 ans à l'époque, je ne voulais pas finir à 60 ans en me disant : "Ouais, voilà, j'ai gratté toute ma vie...". Je ne vais pas dire que je suis totalement dégoûté du dessin, que je ne veux plus en faire, pas du tout ! Mais j'avais besoin de changement. Là, déjà, le fait d'être dans cette école ne me laisse presque plus le temps de dessiner, et ça me donne envie de faire un dessin de temps en temps. C'est souvent le fait d'être empêché de travailler qui donne envie.

En France, tu n'es publié que chez Delcourt et l'Association ?
J'ai commencé à être publié par l'Association, pour la revue Lapin, puis j'ai fait deux petits livres dans la collection Patte de mouche. Delcourt m'a proposé de publier Exit, un recueil d'histoires publiées en Suisse, sorti plus petit, moins cher, parce que de toute façon les bouquins, comme ils étaient édités en Suisse, n'étaient presque pas achetés, ce sont presque des ouvrages de luxe, cartonnés… et c'est quasiment l'ensemble de ma production ; il y a peut-être une vingtaine de pages en plus mais c'est tout. Je ne suis pas quelqu'un qui travaille vite. Je ne produis pas autant que David B par exemple ! Lui, c'est un fou !

Comment s'est passé ce projet au Mexique avec l'Association ?
Ils savaient que je tenais beaucoup à y aller. Et je pense que la meilleure chose pour voyager c'est quand tu as quelque chose à faire, un travail ; pendant le voyage, j'ai amené tous mes cartons, je voulais travailler, puis évidemment j'ai pas fait un trait. J'étais quand même conscient de ce que je devais faire, et j'ai tenu un petit journal pendant les cinq semaines où j'y étais. L'idée, c'était de sortir quinze pages autobiographiques, et moi j'ai eu beaucoup de peine à raconter ma vie, je n'avais pas ça en tête. J'ai proposé une fiction, mais j'ai senti en discutant avec l'éditeur que ce n'était pas forcément ce qu'il voulait. Je me suis donc forcé à raconter des choses que j'avais vues, en illustration, pas sur une histoire.

Tu as ramené de là-bas encore beaucoup d'iconographie sur la mort, je pense à ces squelettes jouant de la guitare, entre autres.
C'est-à-dire qu'on m'avait dit d'aller là-bas, que ça me plairait, qu'il y avait des têtes de mort partout, et j'ai fini par trouver ça un peu bête ; je me disais : "OK ! Mais c'est pas parce que j'aime les têtes de mort que je vais me plaire là-bas." Evidemment, j'ai plein de têtes de mort autour de moi, j'en dessine facilement, mais je ne prends pas ça trop au sérieux.

Ça ne hante pas ta vie au jour le jour ?
Oui et non, c'est vrai que c'est le thème principal de ce qui m'intéresse, et que je pense à la mort tous les jours ; on meurt tous les jours, ça fait partie de la vie… Sentir la vie, c'est sentir la mort. Au Mexique, la mort est présente, on en parle, on voit des cadavres tous les jours, et les Mexicains sont comme des gamins, ils jouent avec ; quand tu te ballades dans la rue et que tu vois un kiosque à journaux, sur les premières pages, tu vois une tête coupée qu'on a trouvée, un bébé brûlé... évidemment ce sont des journaux à sensations, mais tu ne verras pas ça en France.

Est-ce que ça guide tes choix jusqu'à lire tel livre ou voir tel film qui traite de ce sujet, la mort ?
Oui, bien sûr… Il y a ce bouquin qui est sorti, Dead Sins : c'est un vieux policier à Los Angeles qui a collectionné et archivé toutes les photos des meurtres et accidents de voitures pendant des années. Si tu te penches sur ce thème, tu trouves plein de bouquins, les tueurs en séries, etc. C'est à mi-chemin entre le voyeurisme et la mode. Par contre, je n'aimais pas du tout cette mode du tueur en série il y a quelques temps, avec par exemple Natural Born Killers de Oliver Stone, etc. A un moment donné on ne parlait que de ça. Mais par contre un film comme Henry, Portrait of a Serial Killer est un film très très fort. Il y a un dessinateur aussi que j'aime beaucoup, c'est Edward Gorey. Mais ceci dit, dans mon quotidien, je ne suis pas quelqu'un de sombre, j'aime bien sortir, faire la fête. Souvent, les dessinateurs sont des gens très fermés, qui vivent dans leur coin, avec leurs lunettes et leurs boutons, moi je ne me sens pas timide. Je ne suis pas frustré de la vie, pas du tout. Et le fait de penser tellement à la mort, c'est parce que j'aime la vie. C'est le noir et le blanc, le positif et le négatif, c'est une énergie.

Bibliographie :
Tales of Error, éditions Moderne
Greetings from Hellville, éditions Moderne
Exit, Delcourt (recueil des deux précédentes parutions)
La bête à cinq doigts, l'Association
La douane, l'Association
Participations :
à la revue Hopital Brut, éditée par Le dernier cri
à la revue Lapin, éditée par l'Association
au recueil Comix 2000, édité par l'Association
au recueil L'Association au Mexique, édité par... l'Association