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L'Oeil électrique #16 | Littérature / Cesare Batisti

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Par Gianni Ségalotti.

Il est difficile de dresser un portrait de Cesare Battisti, auteur de romans noirs, sans mentionner le contexte historique dans lequel s’enracine une partie de sa vie et de son œuvre : celui des Années de Plomb en Italie, période d’embrasement politique étendue sur plus de dix ans, depuis 1969 avec les premières usines en grève jusqu’à l’assassinat d’Aldo Moro en 1979.

Difficile également de ne pas mentionner l’Autonomie Ouvrière, un mouvement d’extrême gauche contestataire prônant, entre autres, le refus du travail salarié et la réappropriation du capital par les plus démunis sous diverses formes. Ceci quelques années avant l’époque – et les dérives – des Brigades Rouges. Théorisé par des universitaires tels Toni Negri ou Oreste Scalzone, le mouvement des Autonomes se présente à la fois comme libertaire et marxiste, sans véritable périmètre ni centre de gravité. Il endossera l’identité de différents groupes politiques : Manifesto, Potere Operaio, Lotta Continua.

A l’époque, les Autonomes recherchent une alternative au simple rapprochement consensuel proposé par le Parti Communiste Italien et la Démocratie Chrétienne. Face à une politique strictement répressive de l’Etat, les Autonomes auront alors recours à des formes d’action de plus en plus radicales : occupations d’usines, hold-ups, prises d’otages. L’engrenage action/répression se met rapidement en marche. Dépassée par les actions de groupes plus violents tels que Prima Linea ou les Brigades Rouges, organisés en armées clandestines, l’Autonomie Ouvrière sera définitivement stoppée à la fin des années 70 par les autorités italiennes avec des méthodes d’état d’urgence : plus de 60 000 incarcérations et 6 400 condamnations... jusqu’à épuisement de l’espace carcéral.

Actuellement en Italie, 200 personnes sont toujours emprisonnées pour des faits datant de plus de vingt ans et les lois anti-terroristes mises en place à l’époque sont toujours en vigueur (surveillance téléphonique, contrôle de l’hébergement). La question de l’amnistie a régulièrement été évoquée et débattue en Italie, mais n’a jamais été suivie d’effet. Comme 180 de ses compatriotes réchappés des Années de Plomb et bénéficiant en France du statut de réfugié politique, Cesare Battisti vit toujours en exil.

Né en 1954, gosse d’ouvriers affiliés au PCI par tradition familiale, Battisti sort à peine de l’adolescence quand il rejoint la lutte armée en Italie vers 1975 au sein de l’Autonomie Ouvrière. Enchaînant braquages redistributifs et vols à main armée au nom de la réappropriation prolétarienne, Battisti sera finalement capturé et condamné à perpétuité avant d’être emprisonné en 1979. Evadé en 1981 grâce à d’anciens camarades de réseau, il trouve alors refuge au Mexique, croisant sur sa route le sous-commandant Marcos ainsi que l’auteur de polars, Paco Ignacio Taibo.

De retour en France en 1992, Cesare Battisti s’attaque alors au roman, animant en parallèle des ateliers d’écriture dans les prisons. A son actif, une dizaine de fictions policière, un Poulpe, et surtout, percutant et incandescent, Dernières Cartouches qui retraçait, sans le moindre accent lyrique, le parcours d’un jeune activiste de l’Autonomie Ouvrière, confronté à la lutte armée, la clandestinité puis à l’emprisonnement. Son dernier exercice de prose-combat, sorti cet automne, Jamais plus sans Fusil, est à la fois un thriller psychanalytique et une peinture au vitriol des révoltés d’hier devenus dominants d’aujourd’hui. Chez Cesare Battisti, le pire pour un révolutionnaire, ce n’est pas de perdre, mais bien de parvenir au pouvoir !

Quelle est précisément votre situation par rapport à l’Italie ? Avez-vous des chances d’y revenir un jour ?

Je suis condamné à perpet’ à Milan et à 29 ans à Venise. Donc, pour moi, l’Italie, c’est fini. Le pire, c’est que je ne peux plus sortir de France, ni voyager. Je ne me plains pas parce que, par rapport aux autres qui sont morts ou encore en prison, j’ai tout un pays à ma disposition. J’aime bien la France, c’est un grand pays : géographiquement, historiquement. J’ai de la chance d’être là. Mais je reste un peu un vagabond et je souffre beaucoup du manque de voyages. Je suis protégé dans les frontières françaises, mais si je vais en Espagne, par exemple, les Espagnols me renverront en Italie.

Que pensez-vous des phénomènes politiques récents en Italie ? Je pense à la montée du Mouvement Néo-fasciste Italien et à celle de la Ligue Lombarde, qui prône la séparation entre les provinces du Nord de l’Italie et celles du Sud, plus défavorisées...

Oh, il y en a plein ! Les sorties de Bossi et de la Ligue Lombarde, ça reste folklorique, mais ça ne représente aucun danger : l’Italie n’est pas la Yougoslavie. Le véritable danger, c’est la magistrature en Italie. Puisque les politiciens n’avaient plus de crédibilité, les juges ont pris un pouvoir énorme, bien au-delà de celui de l’Inquisition. Un juge en Italie peut faire ce qu’il veut. Une mise en examen peut déstabiliser à tout moment la vie politique. En Italie, la seule catégorie qui dispose du véritable pouvoir, c’est celle des juges. Aujourd’hui, si le juge Di Pietro (qui a dirigé l’opération anti-corruption Mani Pulite (Mains propres) dans les années 80) se présentait à la présidence de la République, il gagnerait. A ses débuts, Di Pietro était commissaire de police à Milan dans les années 70. Il avait Calabrese (commissaire de police auteur de bavures policières à répétition et de défenestrations, assassiné le 17 mai 1972 par Lotta Continua) pour collègue de travail. Il n’est pas aussi honnête qu’il voudrait bien le faire croire.

Vous dites que la montée de la Ligue Lombarde ne représente aucun danger, pourtant, quand Silvio Berlusconi s’est présenté récemment, il a obtenu un bon nombre de voix. Avec toute une quantité de procès sur le dos. Avec Forza Italia, il a emporté au printemps la mairie de Bologne que le PCI détenait depuis plus de cinquante ans...

Mais, Berlusconi, c’est un produit de la télévision. Et la télévision, c’est lui-même. En matière de télé, il faut connaître la différence entre la France et l’Italie. Quand en France, il y avait trois chaînes, il y en avait déjà trente-six en Italie dans les années 70. Pas mal de télés libres, d’ailleurs, ce qui nous a bien aidés à l’époque. L’Italie est un pays qui s’est formé avec la télé. La mémoire italienne, c’est une mémoire de vingt-quatre heures. Ce qui s’est passé hier, aujourd’hui n’existe plus. Les Italiens sont bombardés de nouvelles tout le temps. Berlusconi représente le lavage de cerveau pratiqué tous les jours par la télé. Il représente le succès, le cynisme amené à l’extrême, le Milan AC. Berlusconi, c’est le consumérisme incarné. Et à quoi la société italienne aspire-t-elle aujourd’hui, sinon au consumérisme extrême ? Si vous avez un politicien qui vous promet un maximum de consommation, alors pourquoi pas ?

Concernant la montée de la magistrature, en quoi est-elle si dangereuse pour l’Italie ? L’opération Mani Pulite donnait le sentiment d’avoir assaini la vie politique...

Les juges qui accusent aujourd’hui seront demain sur le banc des accusés pour corruption. Di Pietro, Mani Pulite, c’est de la démagogie pure et simple. Vu de l’étranger, on a l’impression que la croisade des juges a mis fin à cinquante ans de corruption et de mafia, mais c’est faux. Berlusconi, les mammouths du PCI et de la Démocratie Chrétienne sont toujours là, hormis Bettino Craxi qui est mort en exil en Tunisie. Le PCI et la DC ont changé de sigle, mais ce sont toujours les mêmes personnes qui sont aux commandes. Quand on dit en Italie que tout a changé… mais c’est de la rigolade! Les juges se sont substitués aux politiques parce que, à la différence de la France, il n’y a jamais eu là-bas de pouvoir politique fort. Ici, le pouvoir politique appartient au gouvernement, il est garant des droits du citoyen. Désormais, en Italie, c’est un juge qui défend les citoyens... sans avoir été élu. Chacun doit avoir son rôle. Un juge ne peut se mettre à la place du peuple. L’Italie s’est totalement éloignée des principes du droit romain et laïque qui a toujours cours en France. Le pire, c’est que la France voudrait copier l’Italie là-dessus. Confondre les deux pouvoirs est très dangereux.

A propos de l’Italie des années 70, il y a eu un mouvement artistique assez fort, l’Arte Povera, basé sur l’utilisation de matériaux bruts et marqué par des préoccupations écologiques, qui sollicitait également davantage l’implication du spectateur…

Quelques Turinois de ce mouvement sont aujourd’hui réfugiés à Paris. Je travaille avec l’un d’entre eux qui est graphiste. Mais je ne connais l’Arte Povera que par rapport à lui. Il faut considérer que mon expérience italienne, je l’ai presque toujours vécue en clandestin. Il y avait à l’époque pas mal de choses qui m’échappaient. Même si je vivais dans un quartier où les mères de famille n’auraient jamais imaginé que j’étais recherché par la police. Là, je vivais avec tout le monde, dans la rue. La situation de l’époque me le permettait. Mais à côté de cela, un certain nombre de données m’ont échappé. L’origine de l’Arte Povera, je crois, c’est Turin. Les gens qui en étaient à l’initiative se sont retrouvés dans la même situation politique que moi. C’était une tendance liée à un mouvement libertaire, un peu fou, comparable aux Situationnistes. Maintenant, une partie de ces gens s’est réfugiée à Paris.

Ca paraît étrange que des gens qui n’avaient que des activités liées aux arts plastiques puissent être inquiétés par les autorités italiennes…

Tout dépend de l’époque. C’étaient tout d’abord des personnes pour qui se posait la question du politique. Ils étaient militants, ils intervenaient. S’il y avait un braquage à faire, ils le faisaient. Je le répète, c’était un mouvement très ample, on était vraiment beaucoup. A Milan, en 1976, il y a eu une manifestation d’environ cent mille personnes, qu’on a justement appelée la Manifestation des Cent Mille. Au lieu de lever le poing, beaucoup de gens brandissaient une arme. Alors imagine-toi ce que c’était... Etre armé, ça posait le problème de la guerre civile. Et pourtant, on trouvait là des gens tout à fait pacifiques : des pères de famille, qui, dans la vie, étaient peintres en bâtiment. Et puis, pof, s’il y avait à faire une action, ils la faisaient. Ce n’était pas les gens qui manquaient. Parfois, il fallait freiner. Quand il y avait une action à faire, il fallait dix personnes et il y en avait cinquante de disponibles. Alors aujourd’hui, en parlant de Sofri (ancien leader historique de Potere Operaio puis de Lotta Continua, le plus important mouvement d’extrême gauche italien des années 70. Devenu entre-temps universitaire, ami de Moravia et de Pasolini, il a été condamné à 22 ans de prison en 1995 pour avoir été l’un des présumés commanditaires de l’assassinat du commissaire Calabrese. La sentence a soulevé de très nombreuses polémiques en Italie. Antonio Tabbuchi a pris la défense de Sofri contre Umberto Eco), quand je dis que moi je n’aime pas les innocents, c’est parce que moi, je suis coupable. Je veux être coupable et je suis fier de l’être dans cette saloperie-là. Quand Sofri dit que c’est impossible que des mouvements politiques aient pu tuer Calabrese, moi je dis "T’es un faux-cul, t’es un menteur!" C’est complètement faux parce qu’il y avait à l’époque deux cent mille personnes qui voulaient tuer Calabrese, moi compris. Et Sofri était l’un des premiers à le dire. Pourquoi dit-il ça maintenant ? Je ne dis pas que c’est lui qui l’a fait. Mais si tu es vraiment un homme, tu assumes tes responsabilités politiques. Sofri était un leader à l’époque, ce n’était pas n’importe qui. Tu ne vas pas dire que c’est improbable... Ou alors ça veut dire quoi ? Qu’il n’y avait que cinq ou six terroristes impliqués dans l’histoire ?... Non. C’est la théorie de l’Etat, ça !

Ce genre de comportement est aussi induit par la politique italienne des repentis...

Oh, pour ça, l’Italie a fait école. Heureusement, la France fait barrière. Et paradoxalement, c’est la droite qui fait

barrière, pas la gauche. Il y a une certaine droite qui défend la souveraineté de l’Etat. ça, c’est un phénomène intéressant.

En ce qui vous concerne pour l’écriture, pensez-vous avoir contracté une dette envers certains auteurs du roman noir italien, des gens comme Camillieri ou Scerbanenco ?

Non. Mes références, ce sont certains classiques, des auteurs de romans noirs américains, notamment Jim Thompson, Chandler. Et j’ai toujours cru que Faulkner était un auteur de romans noirs. Et... et non (rires). Pourtant, je pensais qu’il ne pouvait pas y avoir plus noir que ça. Je ne me suis pas formé dans un milieu d’écrivains. Ce qui m’a fortement inspiré, c’était la vie en elle-même, mes conditions de vie, mon passé, l’action en soi. L’Italie est un pays tellement noir qu’il est très facile pour un Italien d’écrire des histoires noires. En fait, jusqu’au début des années 80, le roman noir n’existait pas en Italie. C’est quelque chose qui vient de naître, qui est très récent. Il n’a pas eu la même histoire qu’en France. Il faut savoir que pendant qu’on sortait ici la Série Noire en 1945, un peu avant, en Italie, on interdisait le Giallo ("Jaune", désigne le roman policier en italien). Mussolini avait interdit le polar parce que c’était, soi-disant, une littérature qui poussait à la violence. Ils avaient pris comme prétexte un hold-up à Rome où il y avait eu des morts pour dire "Voilà ! Ils se sont inspirés d’un roman policier !" C’était un prétexte. Le problème, c’est que ces gens-là dérangeaient. A partir de cette époque, tout a été fini. Les auteurs noirs italiens ont signé avec un pseudonyme anglais. Beaucoup sont partis et ont été publiés à l’étranger. Ainsi, l’Italie a gardé une tradition énorme de traduction du roman noir américain. Puisqu’il n’y avait pas de production locale, il fallait traduire tout ce qui venait d’Amérique... surtout la merde (rires). Mais, parfois, il s’écoulait quelques bons auteurs. Aujourd’hui, en France, on parle beaucoup de Scerbanenco (auteur de romans policiers souvent réactionnaires et sexistes mais efficaces, prenant pour cadre le Milan pauvre et industriel des années 60). Mais à l’époque, dans l’Italie des années 60, c’était un inconnu. S’il est aujourd’hui célèbre en Italie, c’est parce qu’il a d’abord eu du succès en France. Donc, je n’ai sûrement pas été inspiré par les auteurs du Giallo italien. Avant les années 80, je n’aimais guère ces auteurs-là. A part peut-être Scerbanenco. Ceux qui m’ont inspiré, ce sont certains auteurs américains.

A vous lire, on pense facilement aux écrivains-taulards américains comme Edward Bunker ou Chester Himes...

Chester Himes, avec sûrement Jim Thompson, sont des gens dont je me suis certainement inspiré. Pour la façon d’écrire, pour le choix des sujets. Ce sont des histoires de désespérés, des histoires où les mauvais gagnent à la fin. C’est avec de tels auteurs que tout a commencé. Sans eux, je n’aurais même pas commencé à écrire. Je n’aurais jamais pu écrire quelque chose où le mauvais doit mourir à la fin ou aller en prison.

Vous restez sensible aux jeunes romanciers italiens actuels ? Au mouvement des Cannibales (la plupart des auteurs de ce mouvement sont issus du milieu télévisuel. Drôle et désespéré, Dernier Réveillon de Niccolo Ammaniti est un petit chef-d’œuvre d’humour noir et délirant, tout à fait emblématique de cette tendance) ?

Oui, il y a Niccolo Ammaniti qui a fait des choses très intéressantes. Il y a aussi quelqu’un que j’aime beaucoup. Il ne fait pas du noir, mais du fantastique et il est militant de cette idée de casser les frontières entre les genres, c’est Valerio Evangelisti. C’est lui que je préfère en Italie. Il représente cette génération d’écrivains née après les années 80, qui a eu le courage de s’en prendre à ce que l’on nomme, nous, les barons de la littérature, les cariatides qui bloquaient tout et ne laissaient rien passer. Oui, je suis sensible à quelqu’un comme Evangelisti, et aussi avant aux Cannibales, parce que c’était assez courageux.

On a beaucoup parlé de votre passé durant les Années de Plomb en Italie. Est-ce que vous pouvez-nous parler de votre expérience au Mexique auprès du mouvement zapatiste ? Etait-ce pour vous la même implication qu’en Italie ?

Non, ce n’était pas la même chose. En arrivant au Mexique, j’ai été accueilli par des camarades mexicains que je n’avais jamais vus. Mais on avait des contacts parce qu’ils faisaient référence à l’Autonomie italienne, à des gens comme Toni Negri. J’ai donc été accueilli par des membres du syndicat de l’université de l’UAM à Mexico. C’était une référence pour tout mouvement guérillero mexicain. Qu’il soit du Chiapas ou de la frontière avec les Etats-Unis. Bref, j’ai rencontré pas mal de monde, j’ai participé à des débats, à des réunions, j’ai fait des interventions. J’ai connu Marcos avant qu’il ne devienne leader du mouvement zapatiste. Il était graphiste à l’époque, à la fac de Mexico. On avait fondé une revue culturelle qui s’appelait Via Libre au Mexique. Ce journal était en fait un prétexte pour se déplacer partout et provoquer des débats. Cela permettait de parler politique et de rencontrer des personnes qui autrement étaient isolées et auraient été soupçonnées. Il faut se rendre compte que le Mexique, ce n’est pas comme la France, c’est dangereux. On a vu ce qui s’est passé au Chiapas, ce qui s’y passe encore... On continue à tuer des gens tous les jours. A travers Via Libre, on arrivait même à se faire subventionner pour rencontrer des mouvements clandestins. Personnellement, je n’ai jamais participé à la lutte armée au Mexique. Ce n’était pas dans mes intentions, ils n’avaient pas besoin de moi, d’abord. Ils avaient besoin d’autre chose que d’un flingue.

Les Années de Plomb, quelques dates :

1969 : Premières usines en grève chez Fiat. Emergence de petits partis d’extrême gauche en rupture avec le Parti Communiste Italien : Manifesto, Potere Operaio, Lotta Continua.
17 mai 1972 : Assassinat du commissaire Calabrese, auteur de bavures policières répétées. L’assassinat est revendiqué par Lotta Continua.
1973 : Congrès de Roselino: Potere Operaio se dissout au profit de l’Autonomie Ouvrière.
1974/1975 : Rapprochement historique entre le PCI et la Démocratie Chrétienne, impulsé par leurs leaders respectifs, Enrico Berlinguer et Aldo Moro.
1976 : Législations d’urgence et interventions de l’armée pour réprimer les manifestations qui prennent un caractère de plus en plus violent.
09 mai 1978 : Assassinat de Aldo Moro, leader de la Démocratie Chrétienne, par les Brigades Rouges. Réprobation unitaire dans tout le pays. En voulant briser la politique de rapprochement entre PCI et Démocratie Chrétienne, cette faction incontrôlée issue de l’Autonomie Ouvrière discrédite l’ensemble de l’extrême gauche contestataire.
Avril/mai 1979 : Elections législatives confirmant la perte de vitesse du PCI en Italie. Coups de filet massifs, confessions des activistes repentis et démantèlement de réseaux : les Années de Plomb touchent à leur fin.

 

Les Années de Plomb, quelques livres et un film :

  • Dernières Cartouches de Cesare Battisti, Rivages/Noir

  • Jamais plus sans fusil de Cesare Battisti, Hachette/Le Masque
  • Exil de Toni Negri, Mille et une nuits (universitaire et philosophe, théoricien de Potere Operaio, puis de l’Autonomie Ouvrière. Accusé d’être le leader des Brigades Rouges, Negri a été contraint à l’exil en France. Choisissant finalement la prison, il est revenu en Italie au printemps 97 pour provoquer un débat sur les Années de Plomb. Il vit actuellement en régime de semi-liberté)
  • La Gastrite de Platon de Antonio Tabucchi, Mille et une nuits
  • Véridique rapport sur les dernières chances de sauver le capitalisme en Italie de Censor (Gian-Franco Sanguinetti) traduit par Guy Debord, Champ Libre
  • Cinéma : Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon de Gian-Maria Volonte (Italie – 1970)