Un peu le même raisonnement que pour les licences GNU-Linux ?
X : Oui. J'ai créé un petit peu l'équivalent des licences copyleft, qui s'appelle pour le moment "licence de diffusion libre". C'est-à-dire libre diffusion de copie exacte. Mais quelqu'un qui le reprend dans un journal ou dans un bouquin doit le préciser, et toute personne désirant le reprendre à son tour peut le faire. Mais on peut aussi imaginer une diffusion de contenu libre, c'est-à-dire que non seulement on permet la diffusion de contenus exacts, mais également la modification. (l'Internationale situationniste avait instauré ce système lors de sa création en 1957 : tous les articles et textes publiés sous le label situationniste étaient totalement libres de droit : les gens pouvaient recopier des extraits ou la totalité des articles et les faire circuler, les modifier, les compléter, etc... et étaient même incités à le faire. Par ailleurs, on n'était pas tenu d'indiquer la source, différence majeure avec la philosophie Copyleft.)
Ce genre de chose, dans le monde scientifique par exemple, ça a toujours fonctionné comme ça...
Arno* : Beaucoup de gens pensent le libre du texte (le copyleft) comme étant un texte intouchable. Le droit moral de l'auteur est quasiment intouchable actuellement, jusqu'au point où le droit moral d'un texte est inaliénable. Par tradition, on ne touche pas à une œuvre.
Ce qui est en fait assez étrange, parce que dans "l'Histoire culturelle", la copie a toujours été un moteur de création important...
X : C'est le principe même de l'évolution intellectuelle !
Philippe Moreau : Ça dépend aussi de la nature du texte. Si c'est une œuvre d'art, on peut comprendre que l'auteur n'ait pas envie qu'on la modifie. En revanche, si c'est un texte scientifique, là, ça doit pouvoir être réécrit et repris.
X : Oui, mais l'œuvre virtuelle justement, quand on la partage, on ne s'en dessaisit pas, contrairement aux œuvres physiques.
Philippe Moreau : Si j'étais Balzac, je n'aimerais pas qu'on touche à mes textes.
X (à Arno*) : En tant qu'universitaire, je serais très heureux que tu implantes enfin sur mon site Web un système qui permette aux gens de dire : "Là, je ne suis pas d'accord." L'IRD (Institut de recherche pour le Développement) est en train de rendre consultable l'ensemble de ses fonds, et j'ai proposé qu'il y ait un système de notes virtuelles, de post-it virtuels sur les travaux, mais il y a énormément de résistances alors qu'on est dans une communauté de scientifiques.
Arno* : L'idée que ton texte devienne lui-même un outil me semble une idée moderne.
La notion de propriété intellectuelle est en train de se redéfinir dans beaucoup de domaines à l'heure actuelle...
Arno* : Le droit d'auteur est né au dix-neuvième siècle, à une époque où la création artistique n'avait aucune valeur reconnue.
X : Quelqu'un écrivait une pièce de théâtre, la pièce appartenait aux acteurs qui la jouaient en premier. C'est Beaumarchais qui a créé la Société des Gens de Lettres, parce qu'il ne pouvait pas vivre de son œuvre.
Arno* : Quand c'était un livre, l'œuvre appartenait à l'éditeur, quand c'était une pièce, aux acteurs. L'auteur n'avait aucune indépendance économique puisqu'il ne touchait aucun bénéfice de ce qu'il avait fait. Il dépendait financièrement du mécénat. Le droit d'auteur a amené l'indépendance économique et l'indépendance de l'œuvre tout court. Au vingtième siècle, on arrive à la société de l'information, la société des loisirs, et l'industrie culturelle devient centrale dans notre économie. Le droit d'auteur n'est plus utilisé comme un moyen d'indépendance, mais comme un moyen de contrôle de la valeur marchande de l'œuvre. On le voit bien avec les Américains qui veulent imposer le copyright, parce que le droit d'auteur à la française ne fait pas assez de bénéfice et leur apparaît comme étant trop restrictif. Par exemple, dans un film fait aux Etats-Unis, c'est le producteur qui a le droit final sur le film ; s'il y a des scènes qui ne lui plaisent pas, il peut couper, même contre l'avis du réalisateur. En France, si un réalisateur ne veut pas qu'on touche à son film, personne n'a le droit de le faire. Il peut bloquer la diffusion. S'il ne veut pas que son film passe à la télé, il ne passe pas.
Mais il est grillé jusqu'à la fin de ses jours !
Arno* : C'est vrai qu'il y a également le monopole industriel qui, si tu refuses d'accepter son fonctionnement, te grille. Si tu t'engueules avec ta maison de disques, tu n'es plus distribué, tu n'as pas d'indépendance, tout est structuré pour que le réseau de distribution ait le monopole. Or Internet permet d'imaginer, d'espérer un autre système. L'intérêt de Napster n'est pas de facilement pirater les disques, et il n'a d'ailleurs toujours pas été prouvé que Napster faisait baisser les ventes. En revanche, Napster permet aux musiciens d'avoir un service de diffusion indépendant des médias. Les Smashing Pumpkins se sont engueulés avec Universal et ont été diffusés sur Internet.
Pour faire ça, il faut peut-être déjà s'appeler les Smashing Pumpkins...
X : Pas forcément. Un individu ou un groupe d'individus sans moyens peut être aussi visible qu'un Etat ou une multinationale. On l'a prouvé avec le site elysee.org par exemple qui était une caricature du site officiel de l'Elysée faite par Arno*. C'est passé sur CNN et il a été beaucoup plus visité que le site officiel de la présidence de la République d'un pays très important dans le monde. C'est ça aussi Internet. Je fais un site juridique : j'ai trois fois plus d'abonnés que la Lettre d'informations de l'Assemblée nationale. C'est abracadabrant. Les majors ou les éditeurs papier vont répondre : "Sur Internet, il y a n'importe quoi, il faut filtrer. Parce que nous, on sert de filtre, on refuse 99 % des manuscrits ou des cassettes qu'on reçoit." Ce à quoi, il y a des contre-exemples célèbres. Les deux premiers livres de Marcel Proust ont été publiés à compte d'auteur. Umberto Eco a proposé Le nom de la rose à vingt-cinq ou trente éditeurs avant de forcer l'éditeur qui éditait les thèses universitaires de ses étudiants à le publier !
Arno* : La généralisation de l'auto-publication n'est pas synonyme de médiocrité. N'importe qui peut mettre ce qu'il veut sur Internet, cela ne veut pas dire que tout se retrouve au même niveau, parce que le réseau lui-même produit sa sélection par les liens hypertextes. Si ce que tu fais est chiant, tu vas avoir zéro lien, donc tu n'es plus au même niveau. La façon dont tu trouves des documents sur Internet n'est jamais due au hasard, c'est le réseau dans son ensemble qui fait une forme de sélection, de validation.
X : De façon incontrôlable, en plus.
Arno* : Incontrôlable, mais pas anarchique, et ça n'est pas n'importe quoi.
Site : http://www.minirezo.net
GLOSSAIRE :
Logiciel libre :
Logiciel livré avec son code source et suivant une licence s'inspirant du principe de copyleft. En anglais Free Software ou Open Source Software. A ne pas confondre avec le freeware (logiciel gratuit). Souvent gratuit, le logiciel libre est l'opposé d'un logiciel propriétaire mais pas d'un logiciel commercial. Retour
Moteurs de recherche :
Sites proposant une liste d'adresses correspondant à un mot-clef saisi par l'internaute. Annuaire du Web. Retour
Référencement :
Technique permettant de faire connaître son site Web auprès des moteurs de recherche. Retour
GNU :
Nom du projet initié par Richard Stallman et destiné à concevoir un système d'exploitation libre. Le projet GNU a débouché sur la mise au point du principe de copyleft, qui sert de base juridique à la majorité des logiciels libres. Retour
Linux :
Système d'exploitation libre s'inscrivant dans le cadre du projet GNU dont le développement a débuté en 1991, sous la conduite du finlandais Linus Torvalds. Retour
Copyleft :
"Gauche de copie". Type de droit d'auteur inventé par Richard Stallman. Le copyleft permet d'utiliser un logiciel, de le modifier, de le revendre sous forme de logiciel libre, en interdisant à quiconque de s'en approprier les droits après y avoir apporté une modification (ce qui le distingue du domaine public). Retour