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L'Oeil électrique #17 | Bande dessinée / Willem

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Par Mathieu Renard, Morvandiau.

Né en 1941 en Hollande, Willem développe très tôt son goût pour les images. Avant d'avoir encore constitué les importantes archives iconographiques sur Philippe Seguin, les maladies de peau ou Jean-Paul II qu'il possède aujourd'hui, le jeune Bernhard Willem Holtrop s'intéresse déjà aux illustrations de Life Magazine, à celles des publications médicales de son père ou à la vieille bible gravée de ses parents.
Dans la presse (de Provo à Libération en passant par Hara-Kiri) et dans ses nombreux livres, Willem allie avec constance l'acuité du regard à l'humour féroce. Bande dessinée, illustration, assemblage, fiction ou reportage, ce graphiste hors pair passe au crible les chaos de l'humanité : politique, sexualité, scatologie, guerres, génocides, assassinats, extrémismes et religion. Mais, si le dessinateur est prolifique, l'interviewé est sur la réserve. Téléphonez-lui pour lui demander un entretien dans un magazine. "Je n'ai rien à dire," répond-il calmement. Après vous avoir salué poliment, il vous laisse, le combiné à la main, seul et décontenancé par cette situation cocasse. Peut-être rit-il d'ailleurs à l'autre bout du fil ? Plus tard, après quelques rencontres, Willem conforte une image de personne laconique, portant un regard tout à la fois attentionné et corrosif sur le monde.
Entre son travail quotidien pour Libération, celui pour Charlie Hebdo, un magazine d'actualité hollandais et de nombreuses autres collaborations, l'exactitude et la régularité conditionnent son emploi du temps. Mais le rythme soutenu et la rigueur dans le travail ne diminuent en rien la capacité d'empathie du bonhomme : ayant rompu depuis longtemps avec la tradition d'austérité qu'il attribue à son pays natal, on ne peut raisonnablement pas discuter avec lui sans trinquer un peu et rigoler beaucoup.
Des dessins contre la guerre du Vietnam aux séries politico-policières muettes de Charlie Hebdo, des "Forty Dirty Drawings" à l'actualité illustrée de l'Echo des savanes, des asticots et de la morve aux "Anal Symphonies", l'œuvre de Willem est drue et en perpétuelle croissance.
Mais, caca, quéquette et poil au tableau, qu'est-ce qui le différencie alors du premier potache venu ? Le nez collé au pupitre, ce dernier reproduit sans grâce les blagues colportées de la colo à la caserne, des restos d'entreprise aux salles de rédaction. Willem, lui, est imaginatif dans la logique de l'absurde qu'il a choisi de montrer et de suivre. Tandis que les potaches les plus doués sont simplement capables de sentir le sens du vent en rejouant la blague que tout le monde attendait, Willem surprend, invente ses propres codes. Car voilà, il possède une culture graphique et politique solide, de celles qui vous incitent à regarder plus loin que le bout du crayon et imposent le recul comme une évidence. Pouvoir, mécanismes sociaux, dérives identitaires sont au menu de son éducation. Son père, chrétien et résistant, dont Willem découvre plus tard qu'il lit en cachette les publications de son anar de fils, marque fortement son enfance. Oui, bien sûr, il "essaye aussi d'amuser les gens" mais son humour n'est pas au service de l'audimat. Son plaisir de travailler avec des petits éditeurs "comme avec des copains" est bien le fait d'une autre logique.

Quel parcours vous a amené à être dessinateur et à choisir la France pour vivre et travailler ?
J'ai toujours aimé le dessin de presse. Chez nous à la maison, il y avait des livres de dessins, j'adorais ça et bon, ça me paraissait être une agréable façon de gagner sa vie.

D'autres gens dessinaient dans votre famille ?
Non. Tout le monde faisait quelque chose que je n'étais pas capable de faire, donc j'ai choisi le dessin. Plus tard, j'ai fait des cartoons, j'ai essayé de les placer pour gagner un peu d'argent de poche, quand j'étais au service militaire pour payer ma bière… Ça marchait moyennement puis de moins en moins : les idées étaient de plus en plus bizarres, de plus en plus influencées par Siné, dont j'avais découvert les travaux dans Siné Massacre… pour moi c'était la Bible. Après avoir travaillé à Amsterdam dans un hebdomadaire pendant un an, comme je le fais aujourd'hui dans <>Libération, je suis venu en France.

Pour voyager ou pour vous installer directement ?
Pour essayer, pour l'aventure, c'était 68… Siné m'a demandé de travailler pour son journal L'Enragé. J'ai envoyé quelques dessins qu'il a publiés tout de suite. Donc, je me suis dit : "Bon, je vais là-bas, c'est marrant."

Vous dites que Siné Massacre était votre bible…
Ça m'a donné une idée de ce qu'on pouvait faire avec le dessin d'humour. Dans le premier numéro, Siné dessinait tout tout seul et puis, dans les numéros suivants, il invitait d'autres gens.

Les couvertures font vraiment penser aux Charlie Hebdo de maintenant…
Oui, c'est repiqué… Enfin, non, c'est dans la grande tradition de L'Assiette au beurre (journal de caricatures du dix-neuvième siècle), etc.

En 1965, vous dessiniez également pour la revue du mouvement anarchiste Provo. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Oui, 65, 66, 67... c'était enfin un peu d'air dans les Pays-Bas ! C'était un pays plus ou moins endormi et là, il y avait enfin des gens qui ravivaient le mouvement anarchiste avec d'autres éléments : la folie, les happenings, la contestation, par exemple, de l'industrie polluante… On n'avait jamais entendu parler de ça en ce temps-là !

Vous vous impliquiez, en dehors des dessins, vous participiez à des happenings ou ce genre de choses?
Pas souvent, non. Je dessinais surtout.

Et le fait que ça bouge pas mal à ce moment-là en Hollande, ça ne vous pas donné envie de rester pour continuer avec des groupes de gens à…
Euh, en 67, on a dissous le mouvement Provo parce que ça devenait une sorte d'image de marque… et puis en 68, il se passait des choses ici, donc je me suis déplacé.

Est-ce que le fait que la Hollande soit une monarchie a accentué dès le départ le côté provocateur et rentre-dedans de vos dessins ?
Bah, c'est un pays démocratique quand même ! Non, en fait, ça a beaucoup aidé parce que le monarque donnait un visage à tout le système.

Votre journal God Nederland & Oranje était un peu dans la même lignée subversive que Provo…
Là, j'ai été arrêté parce que j'avais dessiné la reine en pute derrière une fenêtre. (Rires) (Outre une amende dont a écopé Willem, le numéro incriminé a été saisi ainsi que la plupart des numéros suivants).

Le mouvement Provo a changé quelque chose à cet endormissement de la Hollande ?
Oui, on a adopté beaucoup de points de programme de Provo dans la municipalité d'Amsterdam et dans le reste du pays. La société s'est beaucoup ouverte vers les squatteurs, vers les gens qui utilisent des drogues par exemple. Ils ont été aidés et, maintenant, il y a plus de morts en France par overdose que là-bas.

Quel était votre regard sur la France en 68 ? Ça ressemblait à la Hollande ?
Non, c'était exotique ! J'avais toujours vu des photos des années cinquante, Saint Germain des Prés, etc., très noires, mélancoliques, artistiques… (rires). Bon, c'était plus ça évidemment. C'était surtout plein d'étrangers ici, des Américains, des Polonais, des Suisses… Comme je parlais assez mal le français, on se regroupait dans les bistrots, entre étrangers surtout.

Quand vous êtes arrivé, vous avez commencé à travailler avec Hara Kiri… Est-ce que vous avez retrouvé la même folie qu'il y avait dans Provo ?
Non, totalement différent, c'était plus épicurien ! Ici, c'était plutôt des bons vivants : il y avait toujours le jambon sur la même table que les dessins, les chefs d'œuvre de Reiser ! Des saucisses, du vin, etc. Là-bas, c'était un peu… heuu… plus austère !

Au niveau politique, les motivations étaient les mêmes ?
A cette époque-là, c'était la même révolte partout dans le monde… A Berlin, en Amérique, à Londres…

Vous parliez de Reiser qui comptait au nombre de vos collègues. Comment ça se passe quand on arrive de Hollande pour travailler dans un magazine ? Quelle était l'ambiance, c'était des amis et des potes de travail, ou c'était simplement des beuveries ensemble et chacun bossait de son côté ?
Des amis de travail. A part ça, on se voyait pas beaucoup. (Silence). Mais c'était déjà beaucoup ! Choron, je lui dois 17 ans de fête !

Comment ça se passait au niveau du travail ? Aujourd'hui vous travaillez principalement chez vous, à l'époque vous étiez surtout à la rédaction là-bas ?
On se réunissait une fois par semaine. Je ne comprenais pas un mot de ce qu'on disait donc… je suis devenu alcoolique. (Rires)

Vous travaillez aussi beaucoup d'après photographies. Vous devez avoir des stocks de documents pas possibles ?
Enormes, oui ! J'ai une centaine de photos de Philippe Seguin !

Et vous avez ce qu'il faut par rapport à Philippe Seguin ou vous continuez à en découper ?
Non, il devient de plus en plus beau… Les gens deviennent gris et chauves : il faut coller à l'actualité. On découvre de plus en plus de rides marrantes aussi, autour des yeux… Quand Philippe Seguin rit, il a parfois trois petites rides là, à l'intérieur du nez. Bon, il faut le savoir... (Rires)

Quand on survole votre travail, on peut se dire que le sexe et la politique en sont les moteurs principaux. Qu'en est-il réellement ?
Oui, ce sont des choses qui m'intéressent beaucoup.
(Long silence).
Ah, oui, je suis censé développer ! Euuuhhh... Le sexe, je crois que tout le monde a ça dans la tête. Et la politique, cela conditionne notre mode de vie.

Pour vous, ça relève de l'évidence ?
Oui. Que faut-il dessiner ? Des natures mortes ou… ? Non, ça ne m'intéresse pas !

Vous avez des dessins qui sont très crus. Je pense notamment à certains qui représentent des tas de merde, etc. C'est pour se marrer ou est-ce qu'il y a quelque chose… ?
Je trouve la merde assez amusante, oui. C'est quand même absurde, non, ce qui sort de notre corps et que tout le monde cache ?

Est-ce que c'est sur le même registre que le sexe et le politique ?
Pour le dessin, oui. Pour la vie, non. (Rires)

Y a-t-il des thèmes que vous vous interdisez de traiter ou des limites que vous posez à l'intérieur de certains thèmes ?
En principe, non. En pratique, il y a des choses que je ne comprends pas comme l'économie donc j'évite de dessiner là-dessus.

Quand jugez-vous que le ton est juste ? Est-ce que vous vous dites parfois "je vais peut-être un peu trop loin…" ?
Non. Parfois j'envoie des dessins à Libé, je suis sûr qu'ils ne prendront pas celui-là mais plutôt celui-là… Et je me trompe parfois.

En parlant de Libé, est-ce qu'il y a un cahier des charges où il est dit, par exemple "on ne veut pas de cul, on préfère plutôt l'aspect politique…" Est-ce qu'ils vous imposent des choses ?
Dans le temps, sur Le Pen par exemple, ils m'ont dit : "Il faut pas faire de croix gammée, parce que là, il fait un procès et il gagne à coup sûr donc c'est tout de suite 100 000 francs pour lui, c'est pas la peine…" Donc, j'ai évité ça, oui.

Est-ce que ça arrive, en dehors de la peur d'un procès, qu'ils refusent quelque chose pour des raisons idéologiques ou parce qu'ils ne trouvent pas ça bon ?
Euh, oui. Récemment, il y avait un peu de cul dans un dessin et ils m'ont dit "oh, mais c'est plutôt pour Charlie Hebdo ça !". Et j'ai dit "écoute, il y a quinze ans, dans Libé, ça aurait été possible…", "oui, c'est vrai mais plus maintenant."

Ça ne vous embête pas ça que Libé soit devenu un peu… il n'y a plus grand chose de gauche dans Libé !
Euh, oui… oh, c'est un journal que j'aime bien, je ne vois pas d'autre journal quotidien où je pourrais travailler.

Remplacer Plantu dans Le Monde, par exemple…
Non. Non, c'est très difficile ça, parce que, lui, il doit toujours faire un dessin à la Une qui colle avec l'article à côté. Si c'est les taux d'intérêt en Allemagne, par exemple, il doit faire un dessin là-dessus. Moi, je pourrais jamais faire ça.

Certains de vos lecteurs écrivent à Libération. Quel genre de remarques font-ils ?
Parfois que j'ai rien compris au sujet. Par exemple, l'ancien ambassadeur d'Israël m'a écrit ! Des types de Serbie, ou des pro-serbes ici, m'ont écrit aussi… Parfois, on dit que je suis antisémite ou raciste… pffou…. Si on cherche un peu on trouve toujours... Bon, qu'est-ce qu'il faut faire ?

On vous reproche aussi parfois votre cruauté et la dureté de certains de vos dessins. Qu'en pensez-vous ?
Non, je ne crois pas être beaucoup plus cruel qu'une boucherie. Non, certainement pas, non. Cruauté ? Non, j'essaye de reproduire un peu ce qui se passe dans ma tête et, par extension, dans la tête des autres, je crois. J'essaye aussi d'amuser les gens !

Dans le genre, votre livre sur le nazisme, N'oublions jamais (paru en 1985), a dû susciter quelques réactions… Comment a-t-il effectivement été reçu à l'époque ?
Euh… pas si bien. Pour commencer, j'avais une expo avec ces dessins et il était prévu que le livre soit en vente. Mais, il a été retenu à la frontière parce qu'il avait été imprimé en Italie. La douane française ne voulait pas l'importer : ils disaient que c'était de la propagande nazie. Si ça avait été imprimé en France, pas de problème, mais là, ça venait de l'étranger ! Et puis un douanier a dit "mais ce dessinateur-là, il est aussi dans Libé, ça ne peut pas être un nazi ! Donc on va le faire passer !"

Par rapport au bouquin de Vuillemin Hitler=SS qui a été censuré, à peu près à la même époque, il y a eu du scandale ?
Oui, pour son bouquin, plus qu'avec le mien. Pas de procès, non, rien. C'est peut-être parce qu'il y avait du texte dans le sien, je ne sais pas… Et puis, il dessinait des juifs avec des gros nez aussi. Dans ce livre, je n'ai pas fait ça.

Qu'est-ce qui vous intéressait dans ce sujet-là ?
J'étais gosse quand c'est arrivé, 4 ans… Et mon père était dans un camp par exemple, il était résistant… J'ai grandi avec tout ça dans ma tête. Et un jour, il faut que ça sorte.

Le fait que votre père ait été résistant, c'est quelque chose qui a forgé votre culture politique dans votre éducation, le fait d'avoir une culture de gauche… ?
Non, il n'était pas de gauche, il était chrétien. Dans le camp, il était enfermé avec des gens de tous les bords. Là, il a appris beaucoup de choses, je crois.

Dessinez-vous pour changer les choses ou pour montrer qu'elles ne changent pas ?
J'essaye, à une petite échelle, d'aider les gens à réfléchir. Donc de faire évoluer les choses, oui.

Vous avez des indices de l'impact de votre travail ?
Non, ça n'a pas beaucoup marché. (Rires)

Cet entretien est une retranscription partielle de Que faut-il dessiner ? Des natures mortes ?, portrait filmé de Willem réalisé par Morvandiau avec la contribution de Mathieu Renard et en collaboration cordiale avec l'équipe de Zaléa TV, Rym Morgan, Anne Mazauric et Olivier Azam. Ce film a été diffusé à l'occasion du festival Périscopages.